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Date : 19980604


Dossier: T-2078-97

OTTAWA (ONTARIO) LE 4 JUIN 1998

EN PRÉSENCE DE: M. LE JUGE CULLEN

ENTRE :

     LA PREMIÈRE NATION DU LAC DES MILLE LACS

     et RODERICK SAWDO,


demandeurs,

     - et -

     LAWRENCE CHAPMAN, ELIZABETH BOUCHER,

     RON BACHMIER et JAMES NAYANOOKEESIC,

                                             défendeurs.

     O R D O N N A N C E

     Suite à la demande au nom de la Première nation du Lac des mille lacs, dans le but d'obtenir :

1.      Une ordonnance déclarant que Roderick Sawdo, John Heafey, Clarence McKenzie et Stacey O'Neil sont le chef et le conseil dûment élus du co-demandeur, la Première nation du Lac des mille lacs.
2.      Une ordonnance prévoyant la tenue d'une nouvelle élection avant la fin d'une période donnée et conformément à la coutume traditionnelle de la bande.

    

3.      Une injonction interlocutoire interdisant la tenue d'un référendum pour réviser la coutume de la bande.
4.      Que les dépens soient accordés comme entre avocat et client.

     LA COUR ORDONNE QUE :

1.      Les demandeurs la Première nation du Lac des mille lacs et Roderick Sawdo ne sont pas le chef et le conseil dûment élus de la Première nation Lac des mille lacs.
2.      Les défendeurs Lawrence Chapman, Elizabeth Boucher, Ron Bachmier et James Nayanookeesic sont le chef et le conseil dûment élus de la Première nation Lac des mille lacs.
3.      Le Custom Leadership Selection Code (Code d'élection des chef et conseil selon la coutume) constitue la coutume reconnue de la bande et ses procédures s'appliquent à toutes les élections du chef et du conseil tant et aussi longtemps que la coutume ne sera pas changée par un large consensus des membres de la bande.
4.      Il n'y aura pas d'ordonnance d'injonction interdisant la tenue d'un référendum pour réviser la coutume de la bande, la question étant sans objet puisque le référendum a déjà eu lieu.
5.      Cette demande est rejetée, sans adjudication de dépens.

B. Cullen

__________________

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme :

Christiane Delon, LL.L.


Date : 19980604

Dossier : T-2078-97

ENTRE :

     LA PREMIÈRE NATION LAC DES MILLE LACS

             et RODERICK SAWDO,


demandeurs,

     - et -

     LAWRENCE CHAPMAN, ELIZABETH BOUCHER,

     RON BACHMIER et JAMES NAYANOOKEESIC,     


défendeurs.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CULLEN

[1]      Je dois d'emblée exprimer ma déception de voir que les membres de cette Première nation n'ont pu s'entendre pour résoudre ce différend. Il est triste de constater avec quelle hostilité les parties à ces procédures se sont engagées dans ce conflit. Ceci étant dit, je dois affirmer très clairement face à toutes les parties en cause que cette décision ne prétend pas indiquer laquelle des deux parties peut mieux diriger les affaires de la Première nation, ni ne représente un quelconque appui aux membres du conseil. Ma décision se fonde uniquement sur les principes du droit administratif et sur la procédure.

[2]      Cette demande vise l'obtention d'une déclaration à l'effet que Roderick Sawdo, John Heafey, Clarence McKenzie et Stacey O'Neil sont le chef et le conseil dûment élus du co-demandeur, la Première nation Lac des mille lacs. Roderick Sawdo et la Première nation Lac des mille lacs (la "Première nation"), demandeurs, sollicitent une déclaration à l'effet que les susmentionnés sont le chef et le conseil dûment élus de la Première nation et qu'ils sont en place jusqu'à ce qu'une nouvelle élection soit tenue conformément à la coutume de la bande; subsidiairement, ils demandent que soit ordonnée la tenue d'une nouvelle élection avant la fin d'une période donnée et conformément à la coutume de la bande; ils demandent aussi une injonction interlocutoire interdisant la tenue d'un référendum pour réviser la coutume de la bande. Le référendum ayant déjà eu lieu, la demande d'injonction devient sans objet.

[3]      Il faut noter ici que le nom du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le "ministre") a été supprimé de la liste des intimés par une Ordonnance du juge Rouleau, datée du 23 janvier 1998. En conséquence, la Cour ne traitera pas des demandes visant le ministre, même si la demande de redressement n'a pas été amendée suite à l'Ordonnance du juge Rouleau.

[4]      Le différend en cette affaire trouve en somme sa source dans le fait que deux groupes différents prétendent être le chef et le conseil. Voici les faits qui sont à l'origine de ce conflit.

[5]      La Première nation Lac des mille lacs n'est pas soumise aux dispositions de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1985, ch. I-6, établissant la procédure pour l'élection d'un conseil de bande. En effet, ils ont formellement adopté la coutume de la bande en matière électorale, conformément au décret C.P. 1972-2168, daté du 24 septembre 1972, décret qui a été abrogé depuis et remplacé par le Règlement sur le mode d'élection du conseil de certaines bandes indiennes, DORS/90-46.

[6]      Une assemblée générale de la bande a été tenue le 23 juin 1990. À cette occasion, une " Band Custom Election Procedure " (procédure électorale selon la coutume de la bande) a été adoptée par les membres votants présents et des élections ont été tenues. D'après le rapport de George Broeffle, joint comme pièce " A " à l'affidavit de Roderick Sawdo assermenté le 16 septembre 1997, l'élection de 1990 donna les résultats suivants : M. Kelvin Chicago, chef, et MM. Andrew Kishigweb, Rob Peters et Marvin Boucher, conseillers. La coutume de la bande adoptée à l'assemblée générale de 1990 et en vertu de laquelle les élections de la même année ont été tenues est jointe comme pièce " B " à l'affidavit de Roderick Sawdo sous forme d'une résolution du conseil de la bande (RCB), portant le numéro 191 et qui se lit comme suit :

     PAR CONSÉQUENT, la Première nation Lac des mille lacs adopte la procédure électorale suivante :         
     1.      Le droit de vote est acquis à partir de l'âge de 18 ans.                 
     2.      Les membres de la bande ne résidant pas sur la réserve ont le droit de vote.                 
     3.      Le poste de conseiller peut être confié à un membre de la bande ne résidant pas sur la réserve.                 
     4.      L'élection du chef et des conseillers aura lieu tous les deux ans, les membres de dix-huit ans et plus étant autorisés à voter à l'assemblée générale.                 
     5.      Seuls les membres de la bande présents à l'assemblée de nomination pourront voter pour le chef et les conseillers. Les élections auront lieu le même jour.                 
     6.      Les membres de la bande en nomination doivent être présents à l'assemblée de nomination.                 
     7.      Le chef et le conseil choisiront une partie neutre comme président d'élections.                 

[7]      Le 21 mars 1992, une nouvelle élection a eu lieu en vertu de la procédure susmentionnée. Lors de cette élection, Lawrence Chapman a été élu chef, et Roy Bachmier, Roy Peters et Ron Peters ont été élus conseillers. M. Ron Peters ayant démissionné par la suite, il a été remplacé par celui qui s'était placé quatrième à l'élection de 1992, Martin King. Pour faciliter la lecture de ces motifs, je désignerai dorénavant ce chef et ce conseil sous le nom de " Conseil no 1 ". Lawrence Chapman et Roy Bachmier sont, avec Elizabeth Boucher et James Nayanookeesic, les défendeurs dans cette affaire. Comme ces quatre personnes sont les successeurs du Conseil no 1 aux dires des défendeurs, je les désignerai pour plus de commodité sous le nom de " Conseil de remplacement ".

[8]      Même si la procédure pour l'élection du chef et du conseil n'a été officiellement remplacée par la coutume de la bande qu'en 1972, la Première nation ne pouvait pas élire son conseil selon les dispositions de la Loi sur les Indiens car aucun des membres de la Première nation n'était résident de la réserve depuis 1955, date à laquelle cette dernière a été inondée. Donc, la Première nation a de fait élu son conseil selon la coutume de la bande de 1955 jusqu'au changement officiel de régime.

[9]      En 1972, année où les procédures électorales ont été changées de façon officielle, la coutume de la bande voulait que les nouveaux conseillers soient nommés par le conseil en exercice. En 1979, la façon coutumière de choisir le nouveau chef était de le faire désigner par le chef sortant et ensuite de faire ratifier ce choix par une majorité des membres de la bande. L'existence de cette coutume est démontrée par les pièces " A " et " D " jointes à l'affidavit de Ron Bachmier, assermenté le 26 mars 1998. La crise actuelle trouve son origine en 1986, alors que Harvey Churchill a démissionné du poste de chef sans désigner un successeur. Compte tenu de la dispersion des membres de la Première nation, il n'était pas facile de trouver des anciens qu'on aurait pu consulter quant à la coutume applicable à cette situation sans précédent.

[10]      Après l'élection de 1992, le Conseil no 1 a donné son approbation au " Electoral Code of the First Nation " (Code électoral de la Première nation), #93-001, pièce " E " de l'affidavit de Ron Bachmier. Ce code a toutefois été révoqué par suite d'un appel qui documentait le fait que le code tel que rédigé ne reflétait pas la coutume de la bande en vigueur avant son adoption. Déposé par M. Anthony Susin, Jr., le dossier de cet appel comprenait de la correspondance (pièces " A " et " D " susmentionnées) qui dévoilait au conseil cette partie de la coutume qui leur était étrangère. Le conseil a aussi fait état du fait qu'une majorité des membres de la bande n'appuyait pas le nouveau code, ainsi que de certains vices de forme, notamment le défaut d'une procédure d'appel. En conséquence, le code #93-001 a été rejeté.

[11]      Après avoir discuté avec les membres de la Première nation, le Conseil no 1 a décidé d'organiser un référendum dans le but de faire ratifier un nouveau projet de code pour l'élection du conseil, texte qui serait conforme à la coutume de la bande. Le Conseil no 1 a publié un avis de référendum et a demandé au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le "MAINC") une somme de 20 000 $ pour financer cette initiative. Afin d'assurer la participation du plus grand nombre de membres de la bande, on prévoyait que le référendum serait lancé vers la fin mars pour une période approximative de six mois. Le financement ayant été retardé jusqu'à la fin de mars de la même année, le référendum a eu lieu du premier mai au 25 juillet 1996.

[12]      Le paragraphe 17 de l'affidavit de Roderick Sawdo se lit comme suit :

     plusieurs membres de la bande, moi y compris, commencèrent à avoir des doutes quant aux actions du chef Chapman et de son conseil. Le retard dans la tenue des élections ne semblait pas justifié et le rejet du code électoral officiel était contesté par plusieurs membres.             

En conséquence, M. Sawdo a organisé une élection, qui a eu lieu le 27 novembre 1996 en l'absence des membres du Conseil no 1. L'élection s'est tenue conformément à la procédure de 1990, en présence de 45 membres votants. Roderick Sawdo a été élu chef et John Heafey, Clarence McKenzie et Stacey O'Neil conseillers. Ce groupe sera désigné sous l'appellation Conseil no 2. Le ministre a refusé de reconnaître le Conseil no 2 et aucune somme ne sera versée à l'un ou l'autre des conseils jusqu'à ce que le conflit soit résolu et que la Première nation ait dûment mandaté un conseil.

[13]      Dans le but de démontrer que son conseil avait l'appui des membres, M. Sawdo a fait circuler une pétition, jointe à son affidavit comme pièce " E ". Elle comporte 94 noms de membres de la bande. Dans ses plaidoiries écrites et orales, l'avocat des défendeurs dit ceci au sujet de cette pétition :

         a.      il n'y a aucune indication du moment où cette pétition a circulé et à quelle date les membres y ont apposé leur signature;                         
         b.      au moins une des signatures, celle de Ernest May, est contestée par ce dernier qui jure que c'est un faux. Il est aussi important de noter que le supposé témoin à cette signature, le demandeur Roderick Sawdo, n'a pas jugé bon                         

             de contre-interroger M. May sur son affidavit;

         c.      il y a un certain nombre de signatures de témoins qui ne correspondent pas à la signature originale d'un pétitionnaire ou à quelque signature que ce soit;                         
         d.      on ne trouve aucune preuve d'un quelconque contrôle impartial qui pourrait nous rassurer quant au bien-fondé de la procédure utilisée;                         
         e.      aucune preuve n'a été présentée devant cette Cour qui pourrait indiquer à quelle fin cette pétition a été préparée et à qui elle a été présentée pour signature;                         
         f.      un certain nombre de pétitionnaires ont aussi participé au référendum ou ont présenté leur candidature à l'élection suivante des dirigeants.                         

[14]      Toutes ces critiques de la pétition étant fort valables, aucun compte n'en sera tenu dans la discussion qui suit.

[15]      Le demandeur sollicite une déclaration portant que lui et ses conseillers (le Conseil no 2) sont le véritable conseil de la Première nation. Il faut donc régler cette question en premier lieu, en cherchant à déterminer si l'élection qui les a supposément portés au pouvoir était légitime.

[16]      M. Sawdo et le Conseil no 2 ont été élus en 1996. Selon la preuve, c'est M. Sawdo lui-même qui, avec l'aide de certains membres non-identifiés de la bande, a déclenché, organisé et réalisé cette élection. Au paragraphe 18 de son affidavit, M. Sawdo affirme que le chef héréditaire et ancien Robert Sandy Patrick Sawdo et Pam Sawdo, respectivement père et soeur du demandeur, ont reçu des assurances verbales de M. Green, directeur de district, district de l'Ouest, région de l'Ontario, MAINC, à l'effet qu'ils étaient autorisés à tenir une élection. Toutefois, M. Brent Lepage, au paragraphe 8 de son affidavit, affirme clairement qu'il est très peu probable que M. Green ait donné de telles assurances, car le MAINC n'a ni le mandat, ni la compétence requise pour approuver le déclenchement d'une élection. Comme la Première nation devait choisir ses dirigeants selon la coutume de la bande, le seul rôle du ministère était de prendre connaissance officielle des résultats. De plus, l'avocat du demandeur aurait dû fournir à la Cour un affidavit de M. Patrick Sawdo et de Mme Pam Sawdo, ou de l'un d'entre eux, faisant état de ce qu'on leur avait dit exactement. Cette preuve n'ayant pas été fournie, et au vu de l'affidavit à l'effet contraire du MAINC, je considère que cette supposée " autorisation " ne peut en aucune façon justifier la tenue de l'élection. De toute façon, toute la question est peu pertinente car même si M. Green avait accordé son appui à la tenue de l'élection, cet appui n'aurait aucun effet en droit.

[17]      Il est avéré que M. Sawdo a été et demeure un membre de la bande. Toutefois, au moment où M. Sawdo a déclenché l'élection de 1996, il y avait déjà un conseil constitué qui se comportait comme s'il était toujours en fonctions. Rien dans la preuve n'indique qu'avant que M. Sawdo organise son élection des démarches aient été entreprises pour convaincre le Conseil no 1 de démissionner ou de déclencher une élection. On trouve toutefois en preuve le fait que le MAINC a proposé aux parties un processus de médiation afin de résoudre leur différend. Aucune des parties n'a voulu participer hors la présence de leurs avocats, dont les honoraires auraient dû être remboursés par le MAINC, proposition que le ministère n'a pas acceptée. (Voir l'alinéa 6(d) du premier affidavit de M. Lepage.)

[18]      Selon la procédure normale, M. Sawdo aurait dû demander à cette Cour la délivrance d'un bref de quo warranto. Dans Bone c. Bande indienne de Sioux Valley no 290 (1996) 107 F.T.R. 133, le juge Heald s'est penché sur le droit relatif au bref de quo warranto dans le contexte de différends portant sur la légitimité d'un conseil d'une Première nation. Dans Bone, un appel a été logé auprès de la Commission d'appel en vertu du code électoral de la bande au motif que le chef élu n'avait pas qualité pour être candidat car il ne satisfaisait pas au critère de résidence du code électoral. La Commission d'appel a ordonné la tenue d'une nouvelle élection. Toutefois, seul le chef et le conseil étaient habilités par le règlement de la bande à déclencher une élection et ils refusèrent de le faire, suivant ainsi l'avis des anciens de la Première nation. Le chef intimé dans l'affaire a donc refusé de se démettre de ses fonctions. Le juge Heald a décidé que la Cour pouvait délivrer un bref de quo warranto si elle était convaincue que l'exercice de la charge en question par l'intimé en cause ne reposait sur aucun fondement juridique. À la page 151, le juge Heald cite le commentaire suivant du juge Teitelbaum dans Jock c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1991] 1 C.F. 355 :

             Selon l'ouvrage de de Smith's Judicial Review of Administrative Action (4e éd., par J.M. Evans, 1980), les anciennes règles de droit énumérées ci-dessous en matière de quo warranto s'appliquent encore, sous réserve de quelques modifications mineures (aux pages 463 et 464) :                         
             1. Il doit s'agir d'une charge de nature publique.                         
             2. Il faut que le titulaire ait déjà exercé la charge; il ne suffit pas qu'il ait simplement revendiqué le droit de le faire.                         
             3. Il faut que la charge ait été instituée par la Couronne, en vertu du charte royale ou d'une loi du Parlement.                         
             4. Le titulaire de la charge ne doit pas être un adjoint ou un préposé nommé à titre amovible.                         
             5. Est irrecevable la demande de réparation d'un demandeur qui a acquiescé à l'usurpation de la charge ou qui a exercé le recours avec un retard indu.                         
             6. Il faut que le demandeur ait un intérêt véritable à engager les procédures. De nos jours, n'importe qui aura probablement un intérêt suffisant à agir, pourvu qu'il n'agisse pas pour le compte d'intérêts privés.                         

D'autres critères ont été cités par le juge Heald, mais il n'est pas nécessaire de les aborder ici puisque cette demande ne vise pas l'obtention d'un bref de quo warranto.

[19]      L'avocat du demandeur prétend toutefois que l'élection de 1996 était légitime, au motif :

     1.      qu'elle avait respecté la procédure utilisée en 1990 et 1992, et
     2.      qu'après le retrait du code 93-001, il n'y avait plus de conseil en fonctions puisque le Conseil no 1 n'avait plus aucun mandat ou compétence.

[20]      À mon avis, ce deuxième argument ne peut être retenu car s'il était vrai que le Conseil no 1 prétendait continuer d'agir sans compétence il aurait fallu chercher à obtenir un bref de quo warranto. De plus, le simple fait que le Conseil no 1 ne soit plus compétent ne conférait pas une quelconque compétence au demandeur.

[21]      Dans le contexte susmentionné, il aurait fallu chercher à obtenir un bref de quo warranto aux motifs que : la charge du chef est de nature publique; il est avéré que M. Chapman a déjà exercé la charge; comme l'a décidé le juge Heald dans Bone, même un titulaire élu conformément à la coutume de la bande satisfait au troisième critère; le chef n'est pas nommé à titre amovible; et M. Sawdo a un intérêt véritable à engager les procédures. L'avocat du défendeur plaide que le demandeur a exercé son recours avec un retard indu et qu'en fait il a acquiescé au maintien de M. Chapman dans les fonctions de chef. Comme aucune des parties n'a demandé de bref de quo warranto, il n'est pas nécessaire de trancher cette question en l'instance. Je suis convaincu que c'est ce que M. Sawdo aurait dû faire. Plusieurs facteurs vont dans ce sens. Premièrement, un message clair aurait été envoyé au conseil que les membres de la Première nation ne toléreraient pas qu'il prolonge indûment son mandat. Deuxièmement, et plus important encore, cette façon de procéder aurait permis d'éviter la situation à laquelle nous sommes confrontés ici. Si le premier geste posé avait été de demander un bref de quo warranto, il n'y aurait jamais eu aucun doute quant à qui était autorisé à représenter les membres de la Première nation. À défaut d'avoir procédé ainsi, M. Sawdo n'a pas démontré à la Cour qu'il avait l'autorité requise pour déclencher une élection alors qu'il y avait déjà un conseil en fonctions et que ce dernier n'a pas participé à l'élection de 1996. À mon avis, c'est lui qui a le fardeau de la preuve quant à l'existence de cette autorité. La Cour ne peut déclarer l'élection de 1996 valide et ainsi accorder à M. Sawdo la déclaration qu'il recherche, parce qu'il n'a pas démontré qu'il était doté d'une autorité légitime.

[22]      Quant au premier argument, savoir que la procédure est un motif suffisant pour que l'élection soit valide, je veux souligner que le défaut d'avoir eu l'autorité nécessaire pour déclencher le processus le rend nul et non avenu. De plus, la description de la façon dont l'élection a été déclenchée que l'on trouve à l'affidavit de M. Sawdo n'est pas suffisante. Le demandeur n'indique pas où et quand les annonces ont été publiées. La seule copie d'une des prétendues annonces au sujet de l'élection se trouve au dossier du défendeur. Or, on n'y trouve aucune mention de la date ou du lieu de l'élection. Même si le demandeur avait présenté une preuve suffisante quant à la publicité faite au sujet de la réunion et de l'élection, cela ne suffirait pas à combler les carences susmentionnées. Le défaut d'avoir demandé un bref de quo warranto réduit à néant les chances de succès du demandeur.

[23]      Il ne me reste qu'à déterminer si les défendeurs exercent toujours leurs fonctions légitimement. Je vais d'abord aborder la question de la compétence de la Cour à juger du droit des défendeurs de rester en poste, compte tenu de l'assertion de l'avocat du demandeur que la Cour n'a pas compétence pour se prononcer sur la légitimité du Conseil no 1 ou du Conseil de remplacement en l'absence d'une requête incidente des défendeurs à cet effet.

[24]      Dans l'acte introductif d'instance, daté du 23 septembre 1997, on demande à la Cour :

     Tout autre redressement que cette honorable Cour considère juste et équitable dans les circonstances.             

À mon avis, si la Cour doit résoudre toutes les questions en litige entre les parties, elle se doit d'arriver à des conclusions sur les faits et d'accorder " tout autre redressement " qui soit " juste et équitable dans les circonstances ".

[25]      Le mandat que le Conseil no 1 a obtenu à l'élection de 1992 était de deux ans. Après la tenue de l'élection, le Conseil no 1 a adopté le code électoral #93-001 qui portait son mandat à quatre ans. Ce code a toutefois été révoqué par une résolution du conseil le 29 janvier 1995. Ceci veut dire que le conseil avait déjà dépassé son mandat de près d'un an, le seul texte en vigueur étant le code en vertu duquel il avait été élu. Il en ressort qu'en 1995, M. Chapman et ses conseillers ne pouvaient s'appuyer sur aucune autorité légitime pour demeurer en fonctions. Toutefois, le Conseil no 1 a continué à administrer les affaires de la Première nation.

[26]      Comme je l'ai déjà précisé, à ce moment-là ou à n'importe quel moment depuis, le Conseil no 1 ne pouvait être privé de ses fonctions de gestion que s'il démissionnait, s'il déclenchait une élection, ou si quelqu'un demandait un bref de quo warranto contre lui. Rien de cela ne s'est produit.

[27]      En 1995, il semble qu'il y a eu des discussions entre les membres de la Première nation et par suite un nouveau Custom Leadership Selection Code (code d'élection des chef et conseil selon la coutume) a été rédigé, ainsi qu'un règlement référendaire et un règlement sur la gestion des finances. On a fait valoir que le nouveau code d'élection a été adopté lors d'un référendum de la Première nation.

[28]      D'après l'avocat du demandeur, comme il n'y a eu que 73 votes exprimés, on ne peut dire que le code d'élection a été adopté dans le respect des critères énoncés dans Bone, aux pages 141 et 142.

     Selon le juge Strayer, la coutume d'une bande doit " inclure des pratiques touchant le choix d'un conseil qui soient généralement acceptables pour les membres de la bande, qui font donc l'objet d'un large consensus ".             

La question à trancher est donc de savoir si le code d'élection est généralement acceptable et s'il fait l'objet d'un large consensus.

[29]      Une telle détermination doit se faire dans le contexte de la situation particulière des membres de cette Première nation. D'après le paragraphe 20 de l'affidavit de Ron Bachmier, il y a approximativement trois cents membres de la Première nation qui ont droit de vote. On ne peut toutefois n'en localiser que 130 à peu près. Ces chiffres ne sont pas contestés par le demandeur. Le procès-verbal de l'assemblée générale de 1990, lors de laquelle on a élu un chef et des conseillers, indique qu'à peu près quarante membres votants ont participé à l'élection. Ceci ressort du dit procès-verbal, dans lequel on trouve mention du fait que 45 membres ont voté pour l'élection du chef et 38 (soit 114 votes divisé par 3) pour les conseillers. Le procès-verbal de l'élection de 1996 (Pièce " E " jointe à l'affidavit de Roderick Sawdo) indique que 45 électeurs étaient inscrits. Il n'y a pas d'autre preuve quant à la participation des membres aux élections. On voit donc une nette tendance à la non-participation, même parmi les membres connus qui ont droit de vote. Je suis d'avis que la participation de 86 membres votants et le fait qu'il y a eu 73 votes exprimés (64 pour, 7 contre, un sans avis et un bulletin nul) constitue un assez large consensus dans les circonstances pour que code d'élection soit assimilable à la coutume de la bande.

[30]      L'affidavit de M. Peter Kelos, assermenté le 30 mars 1998, indique qu'après que la Première nation eut adopté le nouveau code d'élection par référendum, il a été procédé à une élection selon les règles du nouveau code. M. Kelos, responsable du déroulement du référendum et par la suite président d'élections, indique que des documents ont été envoyés par la poste aux membres votants dont l'adresse est connue. Parmi ces documents, on trouvait des documents électoraux qui expliquaient les procédures de nomination et de vote. À la fermeture de la période de nomination, douze membres de la Première nation avaient présenté leur candidature. Parmi eux, seul M. Ron Bachmier avait fourni la preuve que sa candidature était appuyée par au moins quinze membres votants, critère essentiel d'admissibilité. M. Bachmier a donc été élu par acclamation.

[31]      Suite à une nouvelle demande de candidatures pour les deux postes de conseiller à combler, dix membres de la Première nation avaient présenté leur candidature, mais aucun n'a fourni la preuve qu'il avait l'appui de 15 membres votants. Après un troisième essai, les deux membres Elizabeth Boucher et James Nayanookeesic ayant satisfait à tous les critères, ils ont été élus par acclamation.

[32]      Suite à ces trois périodes de mise en candidature pour les membres du conseil, M. Kelos a envoyé la documentation relative à l'examen du leadership du chef Lawrence Chapman, qui devait avoir lieu le 15 décembre 1996. Le mauvais temps en a toutefois forcé le report au 17 décembre. À l'issue de cet examen, seulement 17 membres s'étaient prévalus de leur droit de vote et 16 d'entre eux appuyaient le leadership du chef Chapman contre un seul opposant. Le paragraphe 10(d) du code d'élection précise qu'il faut soixante votes contre le chef titulaire pour qu'il soit révoqué. Après un examen sérieux du code d'élection et de la procédure suivie, je suis d'avis que le processus était conforme au code d'élection et donc qu'il était valide et approprié.

[33]      À ce moment-ci, il faut rappeler que très peu de votes ont été exprimés durant le processus de sélection et qu'un seul d'entre eux visait à désavouer le chef Chapman. Ceci, malgré qu'il soit clairement démontré que le chef Chapman a essayé d'échapper à la signification de documents, malgré l' " élection " provisoire du Conseil no 2, et malgré les démarches tout à fait légitimes entreprises par M. Sawdo durant la période précédant le référendum et l'élection pour discréditer le chef Chapman. Le moins qu'on puisse dire c'est que cette situation est surprenante. L'avocat des demandeurs a fait valoir devant la Cour que c'était trop demander à qui que ce soit que de rester en éveil dans le cadre d'une procédure qui comportait quatre scrutins en quelques mois et un examen de leadership tenu juste avant Noël. Toutefois, compte tenu des événements entre 1992 et 1996 et de la méfiance supposément largement ressentie à l'encontre du chef Chapman et de son conseil, on se serait attendu à une plus grande participation même lors d'un quatrième scrutin. Étant donné l'adoption du code électoral, aucune preuve n'indique que la procédure suivie aurait été viciée de quelque façon.

[34]      En conséquence, je suis d'avis que les défendeurs, Lawrence Chapman, Elizabeth Boucher, Ron Bachmier et James Nayanookeesic sont le chef et le conseil dûment élus de la Première nation Lac des mille lacs. De plus, le Custom Leadership Selection Code (Code d'élection des chef et conseil) constitue la coutume reconnue de la bande et ses procédures doivent s'appliquer à toutes les élections du chef et du conseil tant et aussi longtemps que la coutume ne sera pas changée par un large consensus des membres de la bande. Si les membres de cette Première nation veulent un nouveau leadership, ils auront l'occasion de réaliser ce voeu dans les cinq années suivant le dernier processus de sélection, aux termes mêmes de leur code électoral. En conséquence, cette requête est rejetée.

[35]      Il n'y aura pas de dépens.

OTTAWA (ONTARIO)                              B. Cullen

                                     ___________________

Le 4 juin 1998                                  J.C.F.C.     

Traduction certifiée conforme :

Christiane Delon, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N0 DU GREFFE :      T-2078

INTITULÉ DE LA CAUSE :      LA PREMIÈRE NATION DU LAC DES MILLE LACS     

     et RODERICK SAWDO

     et

     LAWRENCE CHAPMAN, ELIZABETH BOUCHER,

     RON BACHMIER et JAMES NAYANOOKEESIC

LIEU DE L'AUDIENCE :      OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 12 MAI 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DE L'HONORABLE JUGE CULLEN

DATE :      LE 4 JUIN 1998

ONT COMPARU :

Me EMILY COMOR          POUR LES DEMANDEURS

Me FRANCIS J. THATCHER          POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EMILY COMOR          POUR LES DEMANDEURS

OTTAWA (ONTARIO)

BIRD & THATCHER          POUR LES DÉFENDEURS

THUNDER BAY (ONTARIO)

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