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Date : 20220118


Dossier : IMM-6459-20

Référence : 2022 CF 53

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2022

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

KHALID ZAMAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. L’aperçu

[1] Le demandeur, M. Khalid Zaman, demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] rendue le 30 novembre 2020 [Décision], aux termes de laquelle la SAR a rejeté l’appel logé par M. Zaman à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] qui avait elle-même rejeté la demande d’asile de M. Zaman.

[2] La SPR et la SAR ont tour à tour refusé la demande d’asile de M. Zaman pour deux principaux motifs : d’une part, l’incapacité de M. Zaman de démontrer qu’il n’est pas visé par l’exclusion prévue à l’article 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 [Convention]; d’autre part, le défaut de M. Zaman de faire la preuve que le pays où il détient un statut de résident permanent, le Brésil, ne peut lui assurer une protection raisonnable. La SAR a donc conclu que M. Zaman n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[3] M. Zaman affirme que la SAR a conclu à tort que l’asile devait lui être refusé en application de l’article 1E de la Convention et qu’elle a erré en procédant à une analyse prospective de son risque de persécution et de préjudice sérieux après avoir conclu qu’il était visé par l’article 1E de la Convention. M. Zaman demande à cette Cour d’annuler la Décision et de renvoyer l’affaire à la SAR afin que sa demande soit examinée de nouveau par un tribunal différemment constitué.

[4] Pour les motifs qui suivent, je vais rejeter la demande de contrôle judiciaire. Après avoir examiné les conclusions de la SAR, les éléments de preuve dont disposait le tribunal, ainsi que les règles de droit applicables, je ne vois aucune raison d’infirmer la Décision de la SAR. En ce qui concerne tant l’application de l’article 1E de la Convention que l’évaluation de la protection de l’État brésilien, la preuve appuie raisonnablement les conclusions tirées par la SAR et ses motifs possèdent les attributs d’une décision raisonnable. Rien ne justifie donc l’intervention de cette Cour.

II. Le contexte

A. Les faits

[5] M. Zaman est citoyen du Pakistan. En 2016, il quitte son pays d’origine pour s’établir au Brésil. M. Zaman allègue avoir quitté le Pakistan par peur d’être victime de persécution de la part du groupe militant Tehrik-i-Taliban Pakistan en raison de ses allégeances politiques et de son implication auprès d’équipes de soccer féminin.

[6] En septembre 2016, M. Zaman épouse Flávia Kelly Batista Cabral Zaman, citoyenne brésilienne, et se voit octroyer le statut de résident permanent au Brésil à la fin du même mois. Sa carte de résidence permanente est alors émise pour une période de validité de 9 ans. Toutefois, le couple divorce moins d’un an plus tard, en août 2017.

[7] M. Zaman allègue que, suite au divorce, son ex-belle-famille commence à le harceler pour des questions d’argent. Le harcèlement allégué inclurait des épisodes de violence physique, de vol et de menace de mort. L’oncle de Mme Batista Cabral, un dénommé Vanderlei Batista Silva, serait particulièrement impliqué dans le harcèlement subi par M. Zaman. M. Batista Silva a été politicien municipal à Amaralina durant de nombreuses années et a été reconnu coupable de meurtre en 2017. M. Batista Silva a été condamné à 15 ans de prison mais, selon M. Zaman, il aurait seulement été assigné à résidence depuis sa condamnation. M. Zaman allègue que M. Batista Silva est un homme politique puissant au Brésil et qu’il jouit d’un important réseau de contacts à travers le pays.

[8] En janvier 2018, M. Zaman fuit le Brésil pour le Canada et y fait une demande d’asile en juillet 2018. L’audience devant la SPR se tient en septembre 2019, soit environ 20 mois après l’arrivée de M. Zaman au pays.

[9] Le 31 octobre 2019, la SPR rejette la demande d’asile de M. Zaman au motif qu’il est une personne visée par l’exclusion prévue à l’article 1E de la Convention, laquelle veille à décourager le phénomène de « recherche du meilleur pays d’asile ». La demande d’asile de M. Zaman est rejetée par la SPR en vertu de l’article 98 de la LIPR, qui introduit l’article 1E de la Convention en droit canadien. M. Zaman a fait appel de cette décision devant la SAR.

B. La Décision de la SAR

[10] Le 30 novembre 2020, la SAR confirme la décision de la SPR.

[11] Devant la SAR, M. Zaman prétend que la SPR a commis de nombreuses erreurs dans son analyse, plus particulièrement : (i) en retenant une interprétation erronée de l’article 1E de la Convention; (ii) en procédant à une analyse sélective de la preuve matérielle; et (iii) en errant dans son interprétation du critère de la protection raisonnable offerte par le Brésil. La SAR identifie les première et troisième allégations de M. Zaman comme étant déterminantes en l’instance.

[12] Sur la question de l’application de l’article 1E de la Convention à la situation de M. Zaman, la SAR débute son analyse en détaillant les étapes du test développé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Zeng (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118 [Zeng] au para 28). Dans son analyse de la première étape du test de Zeng, la SAR rappelle que M. Zaman a le devoir de s’acquitter du fardeau de démontrer que son statut en date de l’audience devant la SPR n’était pas « essentiellement semblable » à celui des ressortissants brésiliens.

[13] La SAR conclut que la preuve objective soumise permet de déterminer que les résidents permanents jouissent des mêmes droits que les citoyens brésiliens, y compris les quatre droits pertinents dans l’analyse du caractère « essentiellement semblable » du statut en cause (Shamlou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 1537, 103 FTR 241 [Shamlou]). La preuve objective indique également qu’un résident permanent a le droit d’entrer au Brésil, sauf s’il s’est absenté du pays pendant une période de plus de deux ans sans justification, ce qui lui ferait alors perdre son statut « essentiellement semblable » à celui des citoyens brésiliens. Or, au moment de l’audience devant la SPR, M. Zaman ne s’était pas encore absenté du Brésil pour une période de plus de deux ans. La SAR conclut donc, sur la base de la preuve objective soumise, que M. Zaman détient toujours la résidence permanente au Brésil et qu’il est donc visé par l’exclusion prévue à l’article 1E de la Convention.

[14] Sur la question de la protection de l’État, la SAR débute son analyse en rappelant la présomption voulant qu’un État soit capable de protéger ses ressortissants, à moins que cet État ne se soit complètement effondré. La SAR est d’avis que la SPR a eu raison de conclure que M. Zaman n’encourait pas de risque politique au Brésil, bien qu’il semble aux prises avec un conflit de nature familiale. Sur la base de la preuve objective, la SAR conclut que le Brésil est un État démocratique fonctionnel, bien qu’imparfait, et que rien n’indique que l’État brésilien soit incapable d’offrir une protection raisonnable à sa population. Il incombe alors à M. Zaman de prouver que l’État brésilien est incapable de le protéger dans les circonstances qui lui sont propres.

[15] La SAR indique que la SPR a correctement déterminé que la preuve soumise par M. Zaman n’était pas suffisante pour conclure de manière claire et convaincante, selon la prépondérance des probabilités, que l’État brésilien serait incapable de protéger M. Zaman des actions de son ex-belle-famille. La SAR indique notamment que le fait que M. Zaman ne soit pas allé à la police à la suite du harcèlement subi l’empêche de tirer une conclusion quant à la capacité ou à la volonté de l’État brésilien de lui offrir une protection suffisante.

[16] Pour ces deux motifs, la SAR confirme la décision de la SPR voulant que M. Zaman ne soit ni un réfugié ni une personne ayant besoin de protection.

C. La norme de contrôle

[17] Le cadre d’analyse relatif au contrôle judiciaire du mérite d’une décision administrative est maintenant celui établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Ce cadre d’analyse repose sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit désormais la norme applicable dans tous les cas. Les parties ne le contestent pas, et la Décision de la SAR est donc assujettie au contrôle de cette Cour suivant cette norme déférentielle. D’ailleurs, la jurisprudence antérieure à Vavilov abonde en ce sens et avait déjà reconnu que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique à la question de savoir si les faits permettent d’exclure une personne en application de l’article 1E de la Convention (Majebi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 274 aux para 5–6; Zeng aux para 11, 34; Saint Paul c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 493 [Saint Paul] aux para 43–45; Celestin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 97 [Celestin] aux para 31–32; Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1052 [Su] au para 17). Il en est de même pour la protection de l’État (Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171 au para 38; Burai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 966 [Burai] au para 17).

[18] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 2, 31). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99, citant notamment Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47, 74).

[19] Il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur administratif « doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » [En italique dans l’original.] (Vavilov au para 86). Ainsi, le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse tant au résultat de la décision qu’au raisonnement suivi (Vavilov au para 87). L’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Vavilov au para 84). La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). La norme de la décision raisonnable, je le souligne, tire toujours son origine du principe de la retenue judiciaire et de la déférence, et elle exige des cours de révision qu’elles témoignent d’un respect envers le rôle distinct que le législateur a choisi de conférer aux décideurs administratifs plutôt qu’aux cours de justice (Vavilov aux para 13, 46, 75).

III. Analyse

A. Exclusion en application de l’article 1E de la Convention

[20] La SAR a d’abord déterminé que M. Zaman possédait, en date de l’audience devant la SPR, les quatre droits identifiés par la jurisprudence et qu’il détenait ainsi, à titre de résident permanent, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants brésiliens. M. Zaman allègue que cette conclusion est déraisonnable car la SAR, tout comme la SPR avant elle, n’a pas tenu compte du fait que M. Zaman allait éventuellement perdre son statut de résident permanent au Brésil en raison de son divorce. En effet, soutient M. Zaman, son statut de résident permanent était le fruit d’un processus de réunification familiale. Pour en venir à cette conclusion, M. Zaman se fonde sur l’article 135 du décret brésilien no 9.199, lequel se lit comme suit :

[…] la perte de l’autorisation de résidence sera ordonnée dans les conditions suivantes: cessation du fondement qui a donné lieu à l’autorisation de résidence, ainsi dans le cas du demandeur qui n’est plus marié, il perd son autorisation de résidence au moment où il cesse la relation maritale, il a aussi l’obligation de déclarer la cessation du fondement qui a donné lui à la résidence permanente à la police fédérale.

[Traduction; texte tel que rapporté par M. Zaman dans son mémoire supplémentaire à la p 17.]

[21] M. Zaman allègue que la Décision est déraisonnable, car elle est fondée sur une analyse partielle de la preuve soumise sans qu’une explication n’ait été donnée par la SAR quant à l’exclusion des éléments de preuve indiquant qu’il allait éventuellement perdre son statut de résident permanent en raison de son divorce (Omar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 458 aux para 19–22).

[22] Je ne suis pas convaincu par les arguments de M. Zaman. J’estime plutôt qu’il était raisonnablement loisible à la SAR de conclure que M. Zaman jouissait toujours du statut de résident permanent au Brésil lorsque la SPR a entendu sa demande d’asile au Canada, et qu’il ne l’avait pas perdu depuis. En bref, la SAR n’a commis aucune erreur en excluant M. Zaman aux termes de l’article 1E de la Convention.

[23] Il est de jurisprudence constante que le demandeur d’asile qui arrive au Canada avec un statut assimilable à celui que confère la nationalité d’un pays tiers sécuritaire doit se voir refuser l’asile en vertu de l’article 1E de la Convention. L’article 1E de la Convention et l’article 98 de la LIPR visent à empêcher « la recherche du meilleur pays d’asile » lorsque quelqu’un bénéficie déjà de la protection d’un pays tiers (Zeng au para 1). Ceci est cohérent avec le principe selon lequel le droit d’asile n’entre en jeu que lorsqu’il n’existe aucune solution de rechange (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 à la p 726). En effet, le régime de protection des réfugiés vise à venir en aide aux personnes qui ont besoin de protection et non pas à celles qui préfèrent demander l’asile dans un pays plutôt que dans un autre. C’est ainsi que l’article 1E de la Convention vise à empêcher quelqu’un qui possède déjà un statut essentiellement semblable à celui des citoyens du pays où il réside de prétendre ailleurs au statut de réfugié ou de personne à protéger.

[24] Dans l’arrêt Zeng, la Cour d’appel fédérale a énoncé le test à trois volets qui s’applique pour déterminer s’il y a lieu de refuser l’asile à une personne en application de l’article 1E de la Convention. Ce test se décline comme suit :

[28] [1] Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a-t-il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, [2] il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, [3] la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d'origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

(Su au para 23, citant Zeng au para 28 [Numérotation ajoutée.])

[25] Quant à l’application de la première étape du test, la Cour a identifié quatre droits permettant de déterminer si un demandeur dans un recours en contrôle judiciaire a un statut « essentiellement semblable » à celui des ressortissants du pays en question (Shamlou au para 35) : (i) le droit de retourner dans le pays de résidence; (ii) le droit de travailler librement sans restrictions; (iii) le droit de poursuivre ses études; et (iv) le plein accès aux services sociaux dans le pays de résidence (Celestin aux para 33–42). Une fois établi qu’un demandeur d’asile a un statut essentiellement semblable à celui des citoyens de son pays de résidence, le fardeau appartient au demandeur d’asile de démontrer le contraire (Celestin aux para 51–54).

[26] Dans la Décision, la SAR s’est précisément consacrée à appliquer les trois volets du test de l’arrêt Zeng avant de conclure que, compte tenu des faits en l’espèce, M. Zaman ne pouvait pas obtenir l’asile au Canada car son statut de résident permanent au Brésil n’avait pas été annulé. M. Zaman convient d’ailleurs que son statut de résident permanent n’avait pas été révoqué lorsqu’il a quitté le Brésil pour le Canada en janvier 2018, et que moins de deux ans s’étaient écoulés entre son arrivée au pays et son audience devant la SPR. Ainsi, bien que son divorce ait été officialisé en août 2017, M. Zaman n’avait pas perdu son statut de résident permanent au motif qu’il y aurait eu cessation du fondement de la résidence permanente. Par ailleurs, il ne fait aucun doute qu’en tant que résident permanent, M. Zaman avait le droit de travailler, d’étudier et de bénéficier des assurances médicales et des services sociaux au Brésil.

[27] M. Zaman affirme que la SAR aurait dû considérer la possibilité bien réelle qu’il perde éventuellement son statut de résident permanent en raison de son divorce, comme le prévoit selon lui la loi brésilienne. M. Zaman ajoute qu’il ne sait pas si son statut de résident permanent au Brésil a été révoqué depuis son arrivée au Canada, malgré le fait qu’il ait été en contact avec le Consulat du Brésil à Montréal.

[28] Toutefois, la preuve soumise lors de l’audience devant la SPR démontre que le divorce de M. Zaman ne lui avait pas fait perdre automatiquement son statut de résident permanent. En fait, le statut de M. Zaman ne peut lui être retiré qu’aux termes d’un processus administratif qui, dans le cas de M. Zaman, n’avait aucunement été amorcé. En somme, la perte du statut de résident permanent ne demeure, dans le cas de M. Zaman, qu’une possibilité. Il ne fait donc aucun doute que rien dans la preuve devant la SAR ne suggérait que le statut de M. Zaman avait été révoqué ou que ses droits, au moment de l’audience devant la SPR, n’étaient pas essentiellement semblables à ceux d’autres ressortissants brésiliens, car M. Zaman bénéficiait alors toujours de son statut de résident permanent. De plus, rien n’indique que la SAR n’ait pas considéré toute la preuve, et notamment le divorce de M. Zaman, auquel elle réfère expressément dans la Décision. M. Zaman n’a tout simplement pas rempli le fardeau de preuve qui lui incombait de démontrer qu’il ne jouissait plus, même après son divorce, de droits essentiellement semblables à ceux des citoyens brésiliens.

[29] J’ajoute que, selon le formulaire de demande d’asile déposé par M. Zaman devant les autorités canadiennes d’immigration, ce dernier avait quitté le Brésil pour aller voir sa sœur en attendant que les problèmes avec son ex-belle-famille s’amenuisent, et qu’il n’éprouvait aucune crainte de la part des autorités brésiliennes en raison de son divorce. Je suis donc d’avis que la SAR a raisonnablement conclu que M. Zaman était résident permanent au Brésil, que ce titre lui offrait des droits essentiellement semblables à ceux des autres ressortissants brésiliens, et qu’il était donc visé par l’exclusion prévue à l’article 1E de la Convention.

B. L’analyse de la persécution et du risque de préjudice sérieux

[30] Dans un deuxième temps, M. Zaman reproche à la SAR d’avoir procédé à l’analyse de la persécution et du risque prospectif de préjudice sérieux au Brésil après avoir conclu qu’il était visé par l’article 1E de la Convention. Ayant déjà déterminé que M. Zaman était exclu en vertu de l’article 1E de la Convention, la SAR aurait agi de manière déraisonnable et erronée en procédant à une analyse de la crainte de M. Zaman quant à la possibilité de persécution ou de risque prospectif au Brésil. Selon M. Zaman, cette Cour a établi dans les affaires Saint Paul et Celestin que ce n’est pas le rôle de la SAR de faire une telle analyse après avoir conclu qu’un demandeur est exclu en vertu de l’article 1E (Saint Paul aux para 52–54, 56). M. Zaman allègue également que l’analyse de la SAR sur la capacité de protection de l’État brésilien appartient plutôt à la troisième étape du test de l’arrêt Zeng. La SAR ayant déterminé que M. Zaman était visé par l’article 1E de la Convention, il était inutile de procéder à l’application de cette troisième étape.

[31] Je ne souscris pas aux arguments de M. Zaman. Dans les décisions Celestin et Saint Paul, les juges Pamel et St-Louis ont conclu que l’analyse par la SAR de la crainte des demandeurs concernant leur pays de résidence respectif était déraisonnable (Celestin au para 140; Saint Paul au para 60). Cette conclusion se fondait toutefois sur le fait que l’application de l’article 1E de la Convention avant de procéder à l’analyse du risque par rapport au pays de résidence reviendrait à exclure d’emblée des demandeurs d’asile qui ont véritablement besoin de protection (Celestin au para 91).

[32] Je ne suis pas persuadé que les décisions citées par M. Zaman appuient sa prétention dans les circonstances. Je suis plutôt d’avis que le raisonnement suivi par la SAR en l’espèce est raisonnable et que la Décision l’est tout autant. Dans le cas de M. Zaman, la SAR a, dans les faits, évalué la possibilité sérieuse de persécution et de risque de préjudice prospectif au Brésil dans le cadre de son analyse des facteurs relevant du troisième volet de l’arrêt Zeng. Le fait qu’elle ait constaté que d’autres facteurs militent en faveur de l’exclusion avant d’entreprendre son analyse du dernier volet n’est pas une erreur révisable. En outre, la conclusion de la SAR voulant que M. Zaman ne fait pas face à une possibilité sérieuse de persécution ni de risque de préjudice prospectif au Brésil est justifiée par la preuve, et ses motifs sont intelligibles et transparents. La preuve démontre que la crainte de persécution alléguée par M. Zaman ne découlait pas de son divorce, mais plutôt de la peur de représailles aux mains de son ex-belle-famille. Or, rien dans la preuve ne permet de conclure que l’État brésilien ne pouvait pas assurer la protection de M. Zaman à ce chapitre.

[33] M. Zaman ne s’est tout simplement pas déchargé de son fardeau de démontrer, à l’aide d’une preuve claire et convaincante, que le Brésil ne peut lui fournir une protection raisonnable. Tel que noté par la SAR, M. Zaman n’a fait aucune démarche, avant de quitter le Brésil, afin de déterminer si les autorités pouvaient lui accorder une protection suffisante à l’égard de son ex-belle-famille. Incidemment, avant qu’il ne quitte le Brésil de son propre chef pour le Canada, M. Zaman a pu vivre au Brésil pendant plusieurs mois après son divorce, sans jamais être déporté, et ce, bien que la police ait eu connaissance de sa présence dans le pays (Mémoire supplémentaire du défendeur au para 33).

[34] Il est bien établi qu’un demandeur d’asile doit établir de façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer sa protection et que la protection de l’État n’a pas besoin d’être parfaite; il suffit qu’elle soit adéquate au plan opérationnel (Burai au para 24). Dans le cas présent, M. Zaman n’a produit aucune preuve convaincante d’absence de protection de la part de l’État brésilien en raison de son différend familial et de ses craintes à l’égard de son ex-belle-famille (Raymond c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 74 au para 23).

IV. Conclusion

[35] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de M. Zaman est rejetée. La Décision de la SAR est raisonnable. Elle n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle en ce qui concerne l’exclusion fondée sur l’article 1E de la Convention ou la protection de l’État brésilien. Au contraire, la décision de la SAR démontre une logique cohérente et elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles la SAR est assujettie.

[36] Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier dans leurs observations, et je conviens qu’il n’y en a pas.


JUGEMENT au dossier IMM-6459-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6459-20

 

INTITULÉ :

KHALID ZAMAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 septembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 janvier 2022

 

COMPARUTIONS :

Meryam Haddad

 

Pour lE DEMANDEUR

 

Thi My Dung Tran

 

POUR LE DÉFENDEur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Meryam Haddad, Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour lE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR le DÉFENDeur

 

 

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