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Date : 20210617

Dossier : T‑538‑19

Référence : 2021 CF 624

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2021

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

GCT CANADA LIMITED PARTNERSHIP

demanderesse

et

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Je suis saisi d’une requête présentée par la demanderesse, GCT Canada Limited Partnership (GCT) en vertu de l’article 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles] en vue d’obtenir la communication de documents supplémentaires, en sus de ceux déjà fournis par l’une des parties défenderesses, l’Administration portuaire Vancouver Fraser (l’APVF), en réponse à sa précédente demande de communication du « dossier », formulée en vertu de l’article 317 des Règles. Le procureur général du Canada n’a pas présenté d’observations concernant la présente requête; il n’y a d’ailleurs pas pris part.

[2] Pour les motifs qui suivent, j’accueille en partie la requête. Comme je l’explique plus loin, j’ai conclu que l’APVF avait manqué à son obligation de communication quant à plusieurs catégories de documents, du fait, entre autres, que certains documents n’avaient pas été communiqués dans leur forme originale.

[3] Par conséquent, j’ordonne que l’APVF examine ses dossiers et communique tous les autres documents qui relèvent des catégories en question et correspondent à la période pertinente. L’APVF devra produire l’affidavit d’un haut dirigeant faisant état de la nature et de l’étendue des recherches effectuées et expliquant les raisons pour lesquelles certains documents correspondant aux catégories et à la période pertinentes ne sont pas divulgués. J’ordonne également à l’APVF de produire certains documents sous leur forme originale. Conformément au paragraphe 318(4) des Règles, il sera enjoint à l’APVF de transmettre des copies certifiées conformes de ces documents au greffe, à GCT et au procureur général du Canada.

I. Contexte

[4] L’historique et le contexte de la demande de contrôle judiciaire de GCT sont exposés dans des décisions antérieures portant sur d’autres requêtes ou sur des appels (voir 2019 CF 1147, 2020 CF 348, 2020 CF 970 et 2020 CF 1062). En résumé, GCT souhaite agrandir les installations qu’elle exploite au terminal à conteneurs de Deltaport, à Roberts Bank, en vertu d’un bail de longue durée conclu avec l’APVF. Elle conteste les décisions rendues par l’APVF, qui entend réaliser son propre projet d’agrandissement du port. Le principal argument de GCT consiste à affirmer que l’APVF a fait preuve de partialité effective en décidant de ne pas pousser plus loin le processus d’approbation du projet de GCT parce qu’elle souhaitait privilégier son propre projet.

[5] Même si les principaux faits à l’origine de la présente requête ont été résumés dans une décision antérieure (voir le paragraphe 3 de la décision GCT Canada Limited Partnership c Administration portuaire Vancouver Fraser, 2020 CF 970 [GCT no 3]), il est indispensable de rappeler brièvement le contexte de cette requête.

[6] GCT a commencé par contester le refus de l’APVF de donner suite à une enquête préliminaire de projet (EPP) (la décision de mars 2019). Alors que plusieurs étapes de la procédure en l’instance avaient été franchies et que certains changements étaient survenus dans les circonstances, dont une réforme législative modifiant le processus d’approbation en matière environnementale, l’APVF a fait savoir à GCT qu’elle annulait la décision de mars 2019 (la décision de septembre 2019). Malgré cette annulation, GCT a refusé d’abandonner l’instance judiciaire et de chercher à obtenir l’approbation de son projet, parce qu’elle soutenait que l’APVF continuait de faire preuve de partialité à son endroit.

[7] GCT a donc demandé par voie de requête l’autorisation de modifier son avis original de demande de contrôle judiciaire pour être en mesure de contester à la fois le refus initial et l’annulation subséquente. Estimant que la demande était devenue théorique parce que le refus initial avait été annulé et que les modifications législatives introduites avaient transformé profondément le cadre juridique applicable à l’examen des projets, l’APVF et le procureur général du Canada ont tous deux présenté des requêtes en radiation. La juge responsable de la gestion de l’instance a rejeté ces deux requêtes. Puis, le 17 novembre 2020, le juge Michael Phelan a rejeté l’appel de l’APVF (GCT Canada Limited Partnership c Administration portuaire Vancouver Fraser, 2020 CF 1062). L’APVF a interjeté appel de cette décision à la Cour d’appel fédérale, mais l’instruction de l’appel n’a pas encore eu lieu.

[8] Dans sa requête en modification de son avis de demande de contrôle judiciaire, GCT sollicite également une ordonnance enjoignant à l’APVF de produire les documents relatifs à ses décisions de mars 2019 et de septembre 2019 ainsi que tous les documents se rapportant au processus décisionnel. La juge responsable de la gestion de l’instance a rejeté cette demande, statuant au paragraphe 73 de sa décision que toute demande de production de documents devait être présentée de la manière prévue à l’article 317 des Règles.

[9] GCT a ensuite présenté une demande fondée sur l’article 317 des Règles; en réponse, l’APVF a produit certains documents le 9 septembre 2020. Insatisfaite des documents communiqués par l’APVF, GCT a demandé à obtenir d’autres documents en déposant une requête en vertu de l’article 318 des Règles. Puis, par voie de requête fondée sur l’article 316 des Règles, elle a demandé à la Cour l’autorisation de contre‑interroger M. Peter Xotta, vice‑président de la planification et des opérations de l’APVF, en vue de l’instruction de la requête fondée sur l’article 318. C’était M. Xotta qui avait attesté que l’APVF avait communiqué tous les documents qu’elle se devait de divulguer. GCT soutenait qu’il lui fallait contre‑interroger ce dernier, car il était à même de lui fournir des éléments de preuve concernant le processus décisionnel de l’APVF et la documentation à laquelle celle‑ci s’était fiée pour rendre les deux décisions. Cette requête a été rejetée (voir la décision GCT no 3).

[10] Pour l’essentiel, la version modifiée de l’avis de demande de contrôle judiciaire de GCT s’articule autour de l’argument selon lequel l’APVF manifeste clairement sa partialité effective à l’endroit de GCT dans ses deux lettres de décision : celle de mars 2019, dans laquelle elle expose son refus d’étudier le projet de GCT, comme celle de septembre 2019, où elle revient sur ce refus antérieur.

[11] Dans la première lettre, l’APVF reprend l’historique du projet d’agrandissement qu’elle se propose de réaliser (lequel porte le nom de RBT2 ou de projet du Terminal 2) et résume certaines des difficultés qu’elle entrevoit dans le projet de GCT (dénommé DP4). Puis, elle écrit ceci : [traduction] « [L]e projet du Terminal 2 est le projet que nous privilégions pour l’augmentation de la capacité à Roberts Bank » (décision de mars 2019, à la p 4). La lettre explique que la raison d’être du projet RBT2 met en relief le fait que l’agrandissement du terminal actuel de Deltaport, s’il était fait conformément à ce que propose GCT, entraînerait un problème de concentration du marché, puisqu’il conférerait à l’un des exploitants du terminal (à savoir, GCT) le contrôle sur une part importante du trafic portuaire. La lettre relève également le fait que l’emplacement proposé pour l’agrandissement du terminal de Deltaport n’était pas envisageable, en raison de son caractère écosensible. Compte tenu de tous les éléments qui précèdent, la lettre de décision de mars 2019 se conclut sur ces mots :

[traduction]

Nous insistons sur ces points pour que vous sachiez bien que le projet du Terminal 2 est le projet que nous privilégions pour l’augmentation de la capacité à Roberts Bank. Vous devez comprendre que votre proposition de projet Deltaport 4, même si elle est en mesure de recevoir les approbations environnementales et réglementaires nécessaires, ne pourrait être considérée que comme projet ultérieur et supplémentaire au projet du Terminal 2. Nous notons que votre calendrier de développement proposé serait en conflit avec la mise en œuvre de la capacité du projet du Terminal 2. En tenant compte de tous les facteurs susmentionnés, nous ne donnerons pas suite à l’enquête demandée dans le cadre du processus d’examen de projet et de l’environnement pour le moment. Nous serions disposés à examiner les plans de développement de Deltaport avec GCT à un moment où nous serons mieux en mesure de prévoir la nécessité d’une capacité supplémentaire au‑delà du projet du Terminal 2.

[12] GCT soutient que cette déclaration constitue une indication claire que l’APVF a refusé d’étudier le projet DP4 parce qu’elle accordait la préférence à son propre projet, ce qui démontre que son processus décisionnel était entaché de partialité.

[13] Selon GCT, le problème est aggravé par le fait que dans sa décision de septembre 2019 annulant celle de mars 2019, l’APVF a réitéré les craintes que lui inspirait le projet DP4 en raison de ses répercussions sur l’environnement et la [traduction] « question de la concurrence et du contrôle ». Or, après avoir rappelé les craintes qu’elle avait, l’APVF a expliqué qu’elle ne considérait plus que ces problèmes étaient d’une importance telle qu’ils justifiaient d’exclure un éventuel examen plus poussé du projet. GCT affirme qu’il faut y voir la preuve du caractère illusoire de l’annulation de la décision de mars 2019 par l’APVF, puisque cette dernière est restée campée sur ses positions de départ et qu’elle n’a pris aucune mesure pour trouver une solution au problème central, lequel tient au fait qu’elle agit à la fois comme organe de réglementation et comme concurrente relativement au projet DP4.

[14] Ayant retracé l’évolution du dossier jusqu’ici, je me propose maintenant d’examiner la question dont la Cour est saisie en l’espèce, à savoir la requête présentée par GCT en vue d’obtenir la communication de documents supplémentaires pour faire suite à la demande qu’elle a formulée au titre de l’article 317 des Règles. GCT demande la production de tous les documents qui font partie du processus décisionnel ayant mené aux décisions de mars et septembre 2019 ou qui s’y rapportent.

[15] GCT a déposé sa demande fondée sur l’article 317 le 12 mars 2020, au lendemain de la déclaration de l’Organisation mondiale de la santé qualifiant l’éclosion de la COVID‑19 de pandémie mondiale, mais le jour précédant la mise en place par nombre d’autorités sanitaires canadiennes de mesures visant à contrer la propagation du virus. Le 13 mars 2020, la Cour a annoncé que ses locaux seraient fermés jusqu’à ce que la situation soit éclaircie. Cette annonce a été suivie d’une série d’ordonnances et de directives sur la procédure ayant pour effet de suspendre l’écoulement des délais prévus pour le dépôt de certains documents à la Cour. Les mesures de santé publique mises en place par les provinces ont également forcé, pendant un certain temps, la fermeture des locaux de nombreuses entreprises et services, comme les cabinets d’avocats. Tout cela a fait en sorte de retarder quelque peu la réponse de l’APVF à la demande fondée sur l’article 317. Cette réponse a été fournie le 9 septembre 2020.

[16] Les documents divulgués dans le cadre de cette réponse sont au nombre de 478. Certains de ces documents sont plus amplement décrits plus loin dans les présents motifs. Globalement, on y trouve des documents présentés au conseil d’administration de l’APVF, de la correspondance interne et des échanges avec des services externes, notamment des experts‑conseils et certains représentants gouvernementaux. De plus, l’APVF a fourni la liste des documents dont elle prétend qu’ils sont protégés par le privilège du secret professionnel de l’avocat.

[17] Les documents communiqués étaient accompagnés de la déclaration suivante :

[traduction]

Je soussigné, Peter Xotta, vice‑président de la planification et des opérations de l’Administration portuaire Vancouver Fraser, atteste que, à l’exception des passages qui ont été caviardés au titre du privilège du secret professionnel de l’avocat et du critère de pertinence et des documents identifiés comme protégés, les documents figurant dans l’index ci‑joint et annexés à cet index sont des copies conformes des documents dont disposait le décideur lorsqu’il a rendu les deux décisions contestées dans l’avis de demande modifié de la demanderesse, soit la décision du 1er mars 2019 refusant de traiter la demande de GCT visant l’examen de projet et l’évaluation environnementale, et la décision du 23 septembre 2019 annulant la première décision.

[18] Jugeant insuffisante l’étendue de la communication, GCT a déposé la présente requête par laquelle elle demande à la Cour, en vertu de l’article 318 des Règles, d’ordonner la production de documents supplémentaires.

[19] Au cours des plaidoiries portant sur la requête, GCT a relevé une préoccupation plus générale ayant trait à l’absence de précisions que donne l’APVF dans sa description des documents pour lesquels elle revendique le privilège du secret professionnel de l’avocat. Lors de l’instruction de la requête, j’ai enjoint à l’APVF de produire une liste plus détaillée des documents dont elle prétend qu’ils sont assujettis au privilège en appliquant le degré de précision attendu dans le cadre de la communication préalable de la preuve documentaire. Les parties ont ensuite été invitées à présenter des observations écrites au sujet des privilèges revendiqués en matière de communications entre avocat et client. Dans la foulée, j’ai également ordonné à l’APVF de fournir à la Cour les documents en question sous le sceau de la confidentialité pour me permettre de les examiner au besoin. Je traite de cette question plus loin, à la suite de l’analyse des arguments relatifs à la question plus générale de la communication de la preuve.

II. Question en litige

[20] La seule question qui se pose en l’espèce est de savoir si GCT a établi son droit à ce que l’APVF lui communique d’autres documents.

III. Analyse

A. Les principes régissant la transmission de documents suivant l’article 317 des Règles

[21] L’article 317 des Règles prévoit un mécanisme permettant à une partie de demander la transmission de documents ou d’éléments matériels pour étayer sa demande de contrôle judiciaire; l’article 318 des Règles énonce la procédure à suivre pour s’y opposer. Pour les besoins de la présente décision, les passages pertinents de ces dispositions sont les suivants :

Matériel en la possession de l’office fédéral

Material from tribunal

317 (1) Toute partie peut demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande, en signifiant à l’office une requête à cet effet puis en la déposant. La requête précise les documents ou les éléments matériels demandés.

317 (1) A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.

[…]

Opposition de l’office fédéral

Objection by tribunal

318 (2) Si l’office fédéral ou une partie s’opposent à la demande de transmission, ils informent par écrit toutes les parties et l’administrateur des motifs de leur opposition.

318 (2) Where a tribunal or party objects to a request under rule 317, the tribunal or the party shall inform all parties and the Administrator, in writing, of the reasons for the objection.

Directives de la Cour

Directions as to procedure

(3) La Cour peut donner aux parties et à l’office fédéral des directives sur la façon de procéder pour présenter des observations au sujet d’une opposition à la demande de transmission.

(3) The Court may give directions to the parties and to a tribunal as to the procedure for making submissions with respect to an objection under subsection (2).

Ordonnance

Order

(4) La Cour peut, après avoir entendu les observations sur l’opposition, ordonner qu’une copie certifiée conforme ou l’original des documents ou que les éléments matériels soient transmis, en totalité ou en partie, au greffe.

(4) The Court may, after hearing submissions with respect to an objection under subsection (2), order that a certified copy, or the original, of all or part of the material requested be forwarded to the Registry.

[22] Les principes généraux régissant la portée de l’obligation de communication qu’impose l’article 317 au décideur sont bien établis. La Cour d’appel fédérale les a résumés aux paragraphes 86 à 115 de l’arrêt Tsleil‑Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 [Tsleil‑Waututh] et, plus récemment, dans les arrêts Lukács c Swoop Inc, 2019 CAF 145 [Lukács] et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Office des transports), 2019 CAF 257 [CN].

[23] Les décisions rendues par la Cour d’appel fédérale confirment les quatre éléments essentiels de l’obligation de divulgation énoncée à l’article 317 des Règles :

  1. elle ne requiert que la communication des éléments matériels « pertinents quant à la demande », et leur pertinence dépend des motifs invoqués dans la demande de contrôle judiciaire (Tsleil‑Waututh, aux para 106‑110; CN, au para 14);
  2. elle ne requiert que la communication des éléments matériels « en la possession » du décideur administratif, et non de tiers (Tsleil‑Waututh, au para 111);
  3. dans la plupart des cas, elle ne vise que les éléments matériels dont disposait le décideur au moment de rendre la décision faisant l’objet du contrôle. Il existe des exceptions à cette règle générale, notamment lorsqu’une partie prétend qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale ou partialité de la part du décideur; en pareil cas, il peut être nécessaire d’élargir la portée de la communication de la preuve pour permettre à la Cour d’apprécier le bien‑fondé de l’allégation (Humane Society of Canada Foundation c Canada (Revenu national), 2018 CAF 66, aux para 4 à 6 [Humane Society]);
  4. elle ne sert pas la même fonction que la communication de la preuve dans une action et ne peut être invoquée pour mener une recherche à l’aveuglette (Tsleil‑Waututh, au para 115).

[24] L’arrêt CN nous rappelle que l’interprétation de l’article 317 des Règles doit prendre appui sur le rôle fondamental du dossier de preuve, qui est de permettre aux tribunaux judiciaires d’effectuer un contrôle valable de la décision administrative :

[12] L’article 317 consacre le principe selon lequel le contrôle judiciaire est fondé sur l’examen du dossier dont disposait le tribunal; en outre, le certiorari sert à la production du dossier. Ce texte donne le droit à une partie de recevoir tous les éléments dont disposait le décideur lorsqu’il a rendu sa décision. L’exigence voulant qu’un tribunal produise, sans hésitation, le dossier complet a longtemps été au cœur du processus de contrôle judiciaire. Cette exigence est tempérée par le fait, tout pragmatique, qu’il arrive souvent que de grandes parties du dossier du tribunal, particulièrement dans le cas d’instances permanentes et hautement spécialisées, ne soient pas pertinentes pour le règlement des questions soulevées en appel.

[Renvois omis.]

[25] Dans l’arrêt Tsleil‑Waututh, la Cour d’appel replace la règle relative à la communication du dossier dans le contexte plus large des assises constitutionnelles du contrôle judiciaire :

[78] La cour saisie d’un contrôle judiciaire a pour mandat d’assurer la primauté du droit, dont un aspect consiste à assurer « la responsabilité de l’exécutif devant l’autorité légale » et à constituer « un rempart contre l’arbitraire [de l’exécutif] ». Autrement dit, ceux à qui des pouvoirs publics ont été conférés doivent pouvoir répondre de l’exercice de tels pouvoirs, un principe qui est au cœur de notre gouvernement démocratique et de la primauté du droit. À moins de préoccupations concernant la justiciabilité, lorsque le contrôle judiciaire d’un acte de l’exécutif est demandé, les cours sont habilitées, tant sur le plan institutionnel que pratique, à décider si l’exécutif a agi de manière raisonnable ou non, c’est‑à‑dire, si sa décision appartient aux issues acceptables et justifiables. Ce rôle relève des cours, conformément à la Constitution et au principe du partage des compétences. Toutefois, à tout le moins dans la situation où la cour saisie du contrôle ne dispose pas du dossier de preuve qui était devant le décideur administratif, c’est‑à‑dire en l’absence de résumé ou de toute indication sur la preuve soumise au décideur administratif, ou que le dossier est muet sur un élément essentiel, il se peut qu’émergent des préoccupations concernant la possibilité que des décisions administratives se trouvent de ce fait à l’abri du contrôle.

[Renvois omis.]

[26] La considération dominante consiste à déterminer si la communication des documents permettra un contrôle judiciaire valable de la décision; de même, « [i]l est important que la capacité des parties à défendre leurs positions […] ne soit pas restreinte ou mise en péril par un dossier inadéquat. Il est également important de s’assurer que la Cour dispose de tous les éléments de preuve nécessaires, ou constate l’absence de ceux‑ci, pour rendre une décision dans l’espèce ». (CN, au para 23) Si un document est pertinent pour l’analyse portant sur l’un des motifs de contrôle, cela fera généralement pencher la balance en faveur de sa production.

[27] Si une partie s’oppose à la transmission d’un document selon l’article 318 des Règles, la cour doit veiller à concilier, autant que possible, trois objectifs : (i) l’examen valable de la décision administrative qui fait l’objet d’un contrôle, auquel la cour de révision ne pourra se livrer sans être satisfaite que le dossier dont elle dispose est suffisant pour procéder à cet examen; (ii) l’équité procédurale; et (iii) la protection de tout intérêt légitime à l’égard de la confidentialité tout en garantissant la plus grande publicité possible des procédures judiciaires (Girouard c Conseil canadien de la magistrature, 2019 CAF 252, au para 18, citant le para 15 de l’arrêt Lukács [Girouard])

B. Application de l’article 317 en cas d’allégation de partialité

[28] Il existe des exceptions à la règle générale voulant que la communication de la preuve se limite aux éléments matériels dont disposait le décideur. L’une d’elles intervient lorsque la demande de contrôle judiciaire comporte une allégation selon laquelle le décideur s’est montré partial à l’endroit du demandeur. Comme l’explique la Cour d’appel fédérale au paragraphe 98 de l’arrêt Tsleil‑Waututh, l’exception repose sur la nécessité d’assurer un contrôle judiciaire valable, de sorte que « lorsqu’un motif de contrôle défendable ne peut être établi qu’à partir d’éléments de preuve qui ne figurent pas au dossier du décideur administratif, la preuve est recevable ».

[29] Toutefois, il ressort clairement de la jurisprudence qu’une simple allégation de partialité formulée dans le dessein d’amorcer une recherche à l’aveuglette ne justifiera pas d’étendre la portée de l’obligation de communication de la preuve (Tsleil‑Waututh, au para 99; Right to Life Association of Toronto and Area v Canada (Employment, Workforce and Labour), 2019 CanLII 9189 (CF), au para 23 [Right to Life]). Comme on peut le lire au paragraphe 23 de la décision Right to Life, [TRADUCTION] « la partie qui exige une divulgation plus complète a le fardeau de mettre de l’avant des éléments de preuve qui justifient sa demande ».

[30] En l’espèce, la prétention de GCT s’articule autour de l’allégation de partialité effective dont l’APVF a fait preuve à son endroit en privilégiant son propre projet d’agrandissement portuaire et en refusant d’examiner la proposition de GCT. GCT soutient que cet argument fondé sur la partialité étaye son allégation concernant l’insuffisance de la preuve communiquée par l’APVF et qu’à défaut d’ordonnance obligeant cette dernière à fournir d’autres documents, la cour de révision ne pourra pas évaluer le bien‑fondé de sa demande. GCT prétend que la communication de la preuve ne devrait pas se limiter aux documents dont disposait le décideur au moment de rendre sa décision : elle estime au contraire qu’elle devrait comprendre d’autres documents susceptibles de révéler que l’APVF avait préjugé de la question et qu’elle était animée par un biais persistant à son endroit.

[31] Par ailleurs, GCT prétend que l’APVF a constamment cherché à faire obstacle à tout examen véritable de ses décisions, notamment en produisant, au soutien de son dossier de requête, des affidavits souscrits par des auxiliaires juridiques employés par des cabinets juridiques externes plutôt que par ses propres hauts dirigeants, ce qui rendait futile le contre‑interrogatoire des affiants. GCT affirme que cette pratique faisait partie d’une tendance générale qui, selon elle, devrait permettre de conclure qu’il est nécessaire d’exiger la production d’autres documents.

[32] L’APVF soutient avoir communiqué pleinement la preuve et avance qu’en réalité, GCT cherche à obtenir des documents qui touchent au fond des décisions relatives au projet et qui, selon elle, ne présentent pas d’intérêt dans le cadre du contrôle judiciaire. Elle nie avoir tenté de se soustraire à un contrôle judiciaire; au contraire, elle souhaite simplement que l’attention continue d’être portée là où elle devrait l’être, c’est‑à‑dire sur le processus décisionnel et les motifs de la décision, plutôt que sur le fond de la décision.

C. Les demandes de communication de GCT

[33] GCT demande la communication de documents supplémentaires appartenant à sept catégories : (i) documents du conseil d’administration et procès‑verbaux de ses réunions, (ii) analyses de la concurrence et des parts de marché, (iii) communications avec les experts, (iv) communications avec les ministères gouvernementaux, (v) accords avec les tiers, (vi)ºdocuments se rapportant à la décision de septembre 2019, et (vii) communications internes non protégées.

[34] Pour les motifs exposés plus loin, j’estime que plusieurs de ces catégories de documents n’ont pas à faire l’objet d’une analyse détaillée, car GCT n’a pas établi qu’il était justifié de les soumettre à une obligation de divulgation élargie. Je me propose de traiter en premier de ces catégories de documents, puis d’analyser les aspects qui nécessitent la communication d’autres documents, pour terminer par l’examen des éventuels privilèges fondés sur le secret professionnel de l’avocat.

(1) Les catégories de documents qui ne feront pas l’objet d’une ordonnance de production supplémentaire

[35] Comme je le souligne plus haut, une considération essentielle de l’évaluation du caractère suffisant de la preuve communiquée est de savoir si les documents qui n’ont pas été fournis sont nécessaires pour que les parties puissent défendre leurs arguments et que la Cour soit en mesure de procéder à un contrôle judiciaire valable. Cette évaluation s’amorce avec les moyens invoqués dans la demande de contrôle judiciaire. En cas d’allégation de partialité, la question se pose de savoir si le dossier révèle quelque fondement à l’allégation (Right to Life, au para 23; Humane Society, au para 10). Si la partie requérante établit que le parti pris allégué constitue un « motif de contrôle défendable », cela peut donner naissance à une obligation de communiquer d’autres documents en plus de ceux dont disposait le décideur (voir Tsleil‑Waututh, au para 98).

[36] S’agissant de l’analyse de la concurrence et des parts de marché, des communications avec les experts et des accords avec les tiers, je ne constate aucun fondement factuel suffisant qui puisse justifier la communication d’autres documents pour cause de partialité et je conclus que les documents communiqués par l’APVF permettent de procéder à un contrôle judiciaire valable. En revanche, j’estime que certains de ces documents auraient dû être produits sous leur forme originale.

[37] Pour chacune de ces catégories, je vais exposer brièvement les arguments invoqués par GCT pour étayer sa demande production et les raisons pour lesquelles je ne rends pas d’ordonnance en ce sens.

(2) Les analyses de la concurrence et des parts de marché

[38] L’avis modifié de demande de contrôle judiciaire de GCT contient des références précises à l’analyse des parts de marché réalisées par l’APVF. GCT affirme que l’analyse de l’APVF est [traduction] « superficielle, insuffisamment développée et peu crédible », avant tout au motif que la conclusion de l’APVF repose sur une conception erronée du marché applicable (avis modifié de demande de contrôle judiciaire, aux para 31 à 34).

[39] La question de la part de marché se pose parce que dans sa décision de mars 2019, l’APVF mentionne que l’une des réserves qu’elle entretient à propos du projet de GCT concerne le fait que [traduction] « l’agrandissement de Deltaport [l’installation portuaire de GCT] suppose qu’un exploitant unique aurait le contrôle d’une part considérable du marché des services pour conteneurs du terminal » (décision de mars 2019, à la p 4). Cette préoccupation est réitérée dans la décision de septembre 2019.

[40] GCT soutient que l’analyse de l’APVF est fondée sur une définition erronée de la notion de part de marché et que, par conséquent, ses réserves quant à la possibilité que GCT acquière une position dominante sur le marché sont injustifiées. GCT souhaite obtenir la production de documents supplémentaires pour étayer son argument selon lequel la conclusion à laquelle est arrivée l’APVF sur la question des parts de marché et de la concurrence traduit son sentiment négatif général à l’endroit de GCT. Essentiellement, cette dernière fait valoir que l’APVF [traduction] « a trafiqué les chiffres » en optant pour une définition inexacte du marché en cause et en s’aidant de données permettant d’asseoir les conclusions souhaitées. GCT demande que lui soient remis tous les éléments matériels se rapportant à l’analyse que l’APVF a réalisée au sujet des facteurs liés à la concurrence et aux parts de marché et ayant un lien direct ou indirect avec la décision de mars 2019.

[41] Par ailleurs, la preuve communiquée par l’APVF comprend plusieurs exposés et tableaux portant sur les prévisions du trafic conteneurisé, notamment des analyses de la proportion de conteneurs manutentionnés par GCT comparativement aux autres exploitants de terminaux de la Colombie‑Britannique en fonction de divers scénarios de marché. GCT fait observer que les données ou feuilles de calcul étayant ces exposés n’ont pour l’essentiel pas été produites et ajoute que les documents communiqués l’ont été sous forme de PDF et non de fichiers Excel, leur forme originale, de sorte qu’il est impossible d’analyser les données sous‑jacentes des feuilles de calcul. GCT fait valoir qu’en produisant les documents en format PDF plutôt que sous la forme présentée au décideur, l’APVF cherche à dissimuler les hypothèses qui sous‑tendent l’analyse, ce qui serait révélateur de sa partialité selon GCT.

[42] GCT prétend que les documents doivent lui être fournis sous leur forme originale, parce que c’est sous cette même forme qu’ils ont été présentés au décideur. Elle ajoute qu’elle doit être en mesure de vérifier d’où viennent les données des feuilles de calcul pour pouvoir faire ressortir les biais inhérents à la méthodologie et aux données retenues. Elle affirme que les données sous‑jacentes aux feuilles de calcul divulguées par l’APVF dans les pièces no 00031 et no 00086 et d’autres feuilles de calcul Excel devraient lui être remises sous forme de fichiers .xlsx, et non en format PDF.

[43] Je ne suis pas convaincu que la communication de nouveaux documents soit justifiée relativement à cette question. En revanche, j’estime en effet que l’APVF devrait transmettre sous leur forme originale les documents déjà produits, une mesure qui lui sera ordonnée.

[44] La question de l’analyse de la concurrence et des parts de marché constitue à l’évidence l’un des éléments d’un tableau global à partir duquel GCT espère démontrer que l’APVF s’est montrée partiale à son endroit. Le dossier renferme nombre de documents confirmant que l’APVF a pris en compte les parts de marché et leurs effets sur la concurrence globale et que les décisions de l’APVF traduisent les conclusions qu’elle a tirées sur la base des analyses que ses représentants et des experts‑conseils ont réalisées sur la question. La décision de septembre 2019 confirme que ces facteurs demeurent une préoccupation.

[45] Dans son argumentation, GCT n’attaque pas le caractère déraisonnable de la décision; il s’ensuit que la question de savoir si cette conclusion reposait sur une bonne définition du marché en cause n’a pas à être tranchée dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. En effet, la seule question qui se pose est celle de savoir si l’analyse et les conclusions de l’APVF traduisent l’existence de partialité à l’endroit de GCT. Je ne suis pas convaincu qu’il soit nécessaire d’ordonner la production d’autres documents pour permettre à GCT de construire son argumentation sur ce point ou pour que la Cour soit en mesure de procéder à un examen valable de la question.

[46] En revanche, je conviens avec GCT que les documents devraient lui être remis sous la même forme que celle ayant servi à les présenter au décideur. Cela tient au fait que l’APVF a fourni les documents en format‑image (sous forme de fichier PDF) plutôt que sous la forme examinée par le décideur (feuilles de calcul Excel).

[47] En général, on s’acquitte de l’obligation de communication de la preuve de l’article 317 des Règles en transmettant aux parties et à la Cour une copie certifiée conforme des documents sous leur forme originale, à moins qu’il existe une raison valable de déroger à cette règle. L’alinéa 318(1)b) des Règles prévoit que l’office fédéral transmet « au greffe [l’original des] documents qui ne se prêtent pas à la reproduction et les éléments matériels en cause ». En l’espèce, l’APVF n’a pas communiqué l’original des documents, sans dire pourquoi. En pareilles circonstances, je suis convaincu que la modification du format était susceptible de priver GCT de la possibilité d’analyser en profondeur les données sous‑jacentes et, partant, d’éléments de preuve pouvant démontrer que la conclusion de l’APVF traduit l’existence d’un parti pris contre GCT.

[48] Par conséquent, l’APVF doit produire les pièces no 00031 et no 00086 ainsi que d’autres feuilles de calcul Excel sous forme de fichier .xlsx plutôt qu’en format PDF. GCT fera l’inventaire des feuilles de calcul que l’APVF a produites en sus des pièces no 00031 et no 00086 et qui relèvent de cette catégorie dans les sept (7) jours suivant l’ordonnance en ce sens et l’APVF disposera ensuite de sept (7) jours pour fournir ces documents sous forme de fichier .xlsx.

(3) Les communications avec les experts

[49] GCT affirme qu’il lui faut consulter les communications que l’APVF a eues avec des experts‑conseils externes afin de démontrer que les instructions qu’elle leur a données traduisent son parti pris. L’APVF a fourni certains documents liés aux rapports que les experts ont produits au sujet du projet DP4. Néanmoins, GCT dit avoir besoin de toutes les communications échangées entre l’APVF et les experts et consultants qui ont produit ces rapports pour permettre à la cour de révision d’établir si ces experts ont été orientés vers des conclusions particulières ou s’ils ont fondé leur analyse sur des données que l’APVF avait altérées pour qu’elles aillent dans le sens du résultat qu’elle souhaitait.

[50] Je ne suis pas convaincu que GCT puisse trouver dans la preuve de quoi motiver cette demande. L’APVF ne nie pas le fait qu’elle s’en est remise à certains experts de l’extérieur et les documents qu’elle a produits comprennent plusieurs rapports et analyses rédigés par ces cabinets‑conseils. Dans la mesure où ces rapports et analyses sont pertinents pour trancher l’allégation de partialité, GCT peut s’y référer et le juge saisi du contrôle judiciaire sera en mesure de les examiner. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’examiner les instructions remises à ces experts pour juger de l’allégation de partialité. À mon sens, cela reviendrait à mener une recherche à l’aveuglette.

[51] Si le dossier de divulgation renferme des documents étayant l’argument selon lequel l’APVF a orienté les experts vers certaines conclusions ou leur a fourni des informations partiales dans le but de biaiser leur analyse, GCT peut les porter à l’attention de la cour de révision, qui pourra alors les évaluer. Si tant est que l’APVF ait omis de produire d’autres documents qu’elle avait en sa possession et qui auraient pu permettre d’écarter une telle inférence, cette omission est la conséquence de ses propres choix concernant son processus décisionnel et les documents à divulguer.

[52] Cela étant, comme dans le cas de la catégorie précédente, je suis convaincu qu’il y a lieu d’ordonner à l’APVF de produire sous sa forme originale un document particulier déjà compris dans le dossier de divulgation. La pièce no 00132 de l’APVF est un document provisoire auquel des commentaires semblent avoir été ajoutés. Il reste qu’elle a été produite sous une forme qui, si elle révèle à quels endroits des commentaires ont été formulés, ne permet pas d’en prendre connaissance. Le document doit donc être présenté sous une forme rendant possible la lecture de ces commentaires.

(4) Les accords avec les tiers

[53] GCT souhaite obtenir tous les accords intervenus entre l’APVF et des tiers qui se rapportent, directement ou indirectement, à son projet DP4. Elle explique qu’elle a sans cesse entendu parler d’accords que l’APVF aurait conclus avec des communautés autochtones des environs; en vertu de ces accords, ces communautés sont tenues d’appuyer le projet RBT2 de l’APVF et il leur est interdit de soutenir le projet DP4. Aucun accord de cette nature n’a été produit, et je n’ai connaissance d’aucune autre preuve permettant de croire à leur existence.

[54] L’allégation n’est pas étayée par le dossier et tout ce que GCT parvient à faire est d’affirmer qu’elle a [traduction] « entendu parler » de tels accords. Selon moi, il s’agit très exactement de ce qu’on peut qualifier de « simple affirmation » et qui revient à mener une recherche à l’aveuglette; par conséquent, aucune ordonnance de production supplémentaire ne sera rendue.

(5) Les catégories de documents qui feront l’objet d’une ordonnance de production supplémentaire

[55] J’estime qu’il est indiqué que certaines catégories de documents fassent l’objet d’une divulgation plus poussée parce qu’elles touchent directement au cœur de la demande de contrôle judiciaire de GCT et que la preuve déjà au dossier justifie d’exiger que l’APVF effectue une recherche dans ses banques de renseignements et produise les documents supplémentaires qu’elle a en sa possession.

[56] Comme j’entends l’expliquer, cette mesure obligera l’APVF à effectuer une recherche pour trouver tous les documents relevant de ces catégories et correspondant à la période pertinente. Elle devra garder la trace des paramètres de recherche utilisés et produire les documents que ses recherches auront permis de découvrir. L’APVF doit désigner un haut dirigeant qui sera chargé d’encadrer les recherches; ce haut dirigeant souscrira un affidavit dans lequel il fera état de la nature et de l’étendue des recherches documentaires effectuées et expliquera les raisons pour lesquelles certains documents correspondant aux catégories et à la période pertinentes ne sont pas divulgués, le cas échéant.

(6) Les documents du conseil d’administration et les procès‑verbaux de ses réunions

[57] L’APVF a produit les ordres du jour et procès‑verbaux des réunions de son conseil d’administration ainsi que la documentation relative à certaines des réunions de ce conseil. Toutefois, n’ont pas été produits les documents afférents aux réunions qui ont eu lieu à l’époque où l’APVF a rendu sa décision par laquelle elle a refusé d’étudier le projet de GCT.

[58] GCT prétend avoir droit à cette information pour deux raisons. D’abord, elle affirme que les documents révéleraient si le conseil d’administration est intervenu dans le processus décisionnel. Selon GCT, il serait normal de s’attendre à ce que le conseil ait pris part à une décision d’une telle importance, et ces documents permettraient de prendre connaissance de la teneur discussions. Ensuite, GCT soutient que ces documents seraient utiles pour évaluer la nature et l’importance du parti pris affiché par l’APVF, lesquelles seraient révélées dans les exposés présentés par la direction au conseil d’administration et les discussions en découlant.

[59] L’APVF affirme que tout cela n’est que pure conjecture de la part de GCT, ajoutant qu’elle a produit tous les documents pertinents.

[60] Comme je l’explique plus haut, ce sont les moyens invoqués dans la demande de contrôle judiciaire qui dictent la portée de la communication de la preuve exigée par l’article 317 des Règles. En cas d’allégation de partialité, c’est à la partie s’estimant lésée qu’il incombe d’étayer cette allégation.

[61] L’allégation de partialité de GCT constitue un aspect fondamental de son avis modifié de demande de contrôle judiciaire. Elle prétend que le processus décisionnel de l’APVF a été entaché de partialité jusqu’ici et qu’il continuera de l’être. Elle signale avoir présenté son projet DP4 à l’occasion d’une rencontre avec les représentants de l’APVF et une majorité des administrateurs de cette dernière. Selon elle, il est normal de s’attendre à ce que le conseil d’administration se prononce quant à la décision de ne pas autoriser ce projet, ou du moins, qu’il en soit informé.

[62] GCT souligne que les documents produits par l’APVF font abstraction de plusieurs réunions lors desquelles il a été question du projet DP4 et d’autres qui ont eu lieu non loin de la date à laquelle a été rendue la décision concernant ce projet. Elle ajoute qu’aucun document n’a été produit en lien avec les réunions de 2019 du conseil d’administration.

[63] Certains des documents du dossier de production révèlent que le conseil d’administration a discuté du projet à sa réunion du 21 mars 2018, mais sont absents de ce dossier l’ordre du jour et le procès‑verbal de cette réunion de même que la documentation entière du conseil se rapportant à cette réunion (voir la pièce no 00230 de l’APVF, à la p 5).

[64] De plus, l’APVF a produit un courriel avisant de la tenue d’une réunion du conseil d’administration le 25 février 2019, soit une semaine avant la décision de refuser de donner suite à l’enquête de projet de GCT, mais les documents relatifs à cette réunion n’ont pas été produits (pièce no 00028 de l’APVF). À ce sujet, l’APVF explique que le courriel en question fait référence non pas au conseil d’administration, mais plutôt à un « conseil » constitué en interne pour assurer la surveillance du projet RBT2.

[65] GCT affirme que ces omissions l’empêcheront d’évaluer si le conseil d’administration est intervenu dans le processus décisionnel, que ce soit directement ou au moyen d’instructions adressées à la direction. En réponse à l’argument de l’APVF, qui prétend que les décisions ont été prises par des hauts dirigeants, GCT prétend que ces dirigeants devaient répondre de leurs décisions devant le conseil d’administration et que tout ce que disait ce dernier exerçait probablement une influence sur leurs décisions. Elle ajoute que les documents pourraient révéler si l’APVF était fermée à l’idée de procéder à un examen équitable de son projet. Elle soutient qu’il lui faut obtenir d’autres documents pour pouvoir défendre sa cause et permettre au juge d’effectuer un examen valable du dossier.

[66] Je suis du même avis.

[67] L’allégation de partialité est clairement énoncée dans l’avis modifié de demande de contrôle judiciaire, et il s’agit d’une allégation « défendable » (pour reprendre l’expression employée par le juge Stratas au paragraphe 98 de la décision Tsleil‑Waututh), compte tenu du libellé des décisions. La preuve au dossier indique que le conseil d’administration ou certains de ses administrateurs ont pris part au projet à au moins deux occasions.

[68] La première allusion à la participation du conseil d’administration figure dans l’affidavit de Doran Grosman, président et chef de la direction de GCT. M. Grosman y déclare que le 5 octobre 2018, il a assisté à une réunion à laquelle étaient présents des hauts dirigeants de l’APVF et la majorité des membres de son conseil d’administration (dont son président, son vice‑président et le président du comité des grands projets d’immobilisations); lors de cette réunion, le projet DP4 a été présenté.

[69] Par ailleurs, les documents produits par l’APVF comprennent une série de courriels échangés à partir de la fin d’octobre 2018 entre M. Xotta et d’autres responsables de l’APVF concernant la préparation des diapositives requises pour la [traduction] « discussion avec le conseil d’administration au sujet du [projet] DP4 » (pièce no 00036 de l’APVF, reproduite dans la pièce no 00377 de l’APVF). L’APVF a aussi produit le texte d’un exposé présenté au conseil d’administration au sujet du projet RBT2 le 21 mars 2018, texte qui mentionne l’opposition de GCT au projet et qualifie cette dernière de [traduction] « concurrente » (voir la pièce no 00233 de l’APVF). Enfin, l’APFV a produit divers autres documents du conseil d’administration dont on peut présumer qu’elle les a jugés utiles au contrôle judiciaire.

[70] Cela justifie amplement de procéder à un examen de ce que l’APVF a dit au conseil d’administration au sujet des deux projets, de la manière dont elle a décrit le projet de GCT et le projet DP4 de ce que les discussions du conseil révèlent, le cas échéant, de son point de vue sur la question ou des instructions qu’il a données à la direction.

[71] Dans cette perspective, je conclus que la production des documents liés au conseil d’administration est incomplète, et il est troublant de constater l’absence totale de documents relatifs à 2019, puisque c’est au cours de cette année qu’ont été prises les décisions contestées.

[72] L’APVF doit, à tout le moins, compléter le dossier de divulgation qu’elle a déjà produit, en y ajoutant notamment l’ordre du jour et le procès‑verbal de la réunion du conseil d’administration du 21 mars 2018 et tous les autres documents relatifs à cette réunion qui mentionnent le projet DP4. L’APVF doit également produire le contenu du dossier compressé (.zip) joint au courriel qui fait référence à la réunion du 25 février 2019 du « conseil » constitué pour le projet (pièce no 00028 de l’APVF), de même que le procès‑verbal de cette réunion, s’il en est, ce qui permettra au juge chargé du contrôle judiciaire de vérifier s’il s’agit d’une référence à une réunion du conseil d’administration, ou à une réunion du conseil constitué pour le projet, comme le prétend l’APVF. D’après la jurisprudence, si un document divulgué porte la mention « pièces jointes », ces dernières doivent également être produites (1185740 Ontario Ltd c Canada (Ministre du Revenu national), 1999 CanLII 8774 (CAF), au para 6).

[73] Par ailleurs, je suis d’avis d’ordonner qu’un haut dirigeant de l’APVF examine les ordres du jour, procès‑verbaux et documents relatifs aux réunions du conseil d’administration pour 2019 pour y repérer les références aux projets RBT2 ou DP4 et de produire toutes les pièces qui en contiennent.

[74] Les passages des documents du conseil d’administration dans lesquels figurent des renseignements confidentiels n’ayant pas de lien avec ces projets pourront être caviardés, à l’instar de ce qui a été fait pour les documents déjà produits.

(7) Les communications avec des représentants du gouvernement

[75] Le dossier de production de l’APVF comporte plusieurs documents présentant des communications avec des représentants du gouvernement. Or, GCT affirme que cette sélection est déraisonnable, car deux des documents retenus sont des ébauches de lettres destinées à être expédiées, mais que ni la version définitive de ces lettres ni la réponse du gouvernement ne figurent au dossier. GCT demande à obtenir toutes les lettres échangées entre l’APVF et les ministères et organismes du gouvernement du Canada au sujet du projet DP4, au motif que ces documents sont susceptibles de fournir d’autres éléments prouvant la partialité de l’APVF à son endroit.

[76] L’APVF prétend avoir communiqué tous les documents pertinents et fait valoir que la demande de GCT tient de la conjecture. Elle ajoute que sa demande s’apparente davantage à la demande de production de documents qu’à une demande de transmission fondée sur l’article 317 des Règles.

[77] Pour déterminer la catégorie à laquelle appartiennent les documents en question, il est opportun de relever que l’APVF a elle‑même décidé de divulguer certains documents lorsqu’elle a produit une première série de documents conformément à l’article 317 des Règles. Cette série de documents comprenait les ébauches de lettres adressées au ministre des Transports et au sous‑ministre des Pêches et Océans (pièces no 00296, no 00297 et no 00385 de l’APVF), de même qu’un courriel envoyé à un membre du personnel du cabinet du ministre des Finances (pièce no 00370 de l’APVF).

[78] Je suis convaincu qu’il y a lieu d’ordonner la divulgation des documents de cette catégorie pour deux principales raisons. Premièrement, la production des ébauches de lettres soulève évidemment la question de savoir si des versions définitives de ces lettres ont été rédigées et envoyées. L’APVF n’a pas donné d’explications à ce sujet. Deuxièmement, le courriel envoyé à l’employé du cabinet du ministre des Finances s’ouvre sur ces mots : [TRADUCTION] « Pour faire suite à notre brève discussion concernant la possibilité évoquée par GCT de procéder à l’agrandissement de Deltaport… » (pièce no 00370 de l’APVF). Le libellé suggère qu’une discussion a eu lieu, mais on ne sait pas trop si des documents internes révélant la teneur de cette conversation ont été divulgués, ni si l’APVF a reçu une réponse à ce message.

[79] Qui plus est, le courriel et l’ébauche d’une des lettres ont pour même auteur Robin Silvester qui, selon l’APFV, est celui qui a rendu la décision de septembre 2019 visée par la demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, il est d’autant plus important que le juge chargé du contrôle judiciaire dispose d’un dossier mieux étayé pour cette catégorie de communications.

[80] C’est pourquoi j’ordonnerai à l’APVF d’effectuer une recherche dans ses dossiers afin de vérifier si des versions définitives de chaque lettre ont été rédigées et envoyées et, le cas échéant, de produire ces versions. L’APVF devra également effectuer une recherche de ses dossiers afin de confirmer si des réponses à ces lettres et au courriel du 11 mai 2018 ont été reçues et, le cas échéant, elle devra produire ces réponses.

[81] De plus, j’ordonnerai à l’APVF d’examiner ses dossiers et de divulguer toute la correspondance à destination et en provenance de ministres, représentants et employés du gouvernement fédéral (y compris les courriels) qui concerne le projet DP4. Cette recherche devra comprendre la correspondance envoyée et reçue et le haut dirigeant qui souscrira l’affidavit relatif aux recherches effectuées devra préciser leur nature et leur étendue en plus de motiver l’absence de tout document non divulgué.

(8) Les documents relatifs à la décision de septembre 2019

[82] Comme je le mentionne plus haut, dans son avis modifié de demande de contrôle judiciaire, GCT conteste à la fois la décision de mars 2019 de l’APVF, portant refus de donner suite à l’EPP pour le projet DP4, et la décision de septembre 2019, visant à annuler la décision initiale. Or, l’APVF n’a produit aucun document se rapportant à la décision de septembre 2019. Le seul document offrant un certain éclairage sur cette décision est un courriel qu’un conseiller en communications de l’APVF a envoyé, le 15 août 2019, au directeur des finances de l’APVF, et auquel il a joint une note de service traitant de position dominante sur le marché (pièce no 00183 de l’APVF). Cette note de service n’a toutefois pas été produite, alors qu’elle aurait dû l’être.

[83] GCT demande à obtenir la totalité des documents et communications qui font partie du processus ayant abouti à la prise de la décision de septembre 2019 ou qui s’y rattachent.

[84] L’APVF soutient qu’elle a entièrement répondu à cette demande en produisant tous les documents non visés par un privilège. Elle fait remarquer que, dans l’avis modifié de demande de contrôle judiciaire qu’elle a déposé à la Cour le 3 juillet 2020, GCT n’a pas demandé l’annulation de la décision de septembre 2019. Les deux parties ont présenté des observations sur ce point. Au bout du compte, cette déplorable querelle au sujet de la procédure est sans conséquence, puisque l’erreur effectuée lors du dépôt a été rapidement corrigée et que l’APVF savait déjà pertinemment, bien avant l’audience, que GCT attaquait les deux décisions.

[85] Je traite des privilèges revendiqués à l’égard des communications entre avocat et client un peu plus loin. Pour l’heure, je me contenterai de signaler que l’APVF a produit 478 documents en réponse à la demande fondée sur l’article 317 des Règles, dont seulement 33 portent une date située entre le 1er mars 2019 et le 23 septembre 2019, soit l’intervalle séparant les deux décisions. La plupart de ces documents sont simplement des copies des décisions de mars et septembre 2019 ou des réponses de GCT à ces décisions. Quelques‑uns d’entre eux sont susceptibles d’apporter un éclairage concernant les motifs pour lesquels l’APVF a rendu la décision de septembre 2019 (p. ex. la pièce no 00384 de l’APVF), mais il est difficile de savoir s’ils ont été pris en compte dans le processus décisionnel, et le cas échéant, de quelle manière ils l’ont été.

[86] Bien que M. Xotta ait attesté que l’APVF avait produit tous les documents dont disposait le décideur pour rendre la décision de septembre 2019, le dossier de production ne comporte pas un seul document qui soit ainsi désigné ou dont on puisse manifestement conclure qu’il a servi de fondement à la décision portant annulation. J’examine plus loin les documents pour lesquels le privilège du secret professionnel de l’avocat est revendiqué.

[87] En conséquence, j’ordonne à l’APVF de passer une nouvelle fois en revue les documents en sa possession dans le but de trouver et de divulguer tous ceux qui traitent de la question de savoir s’il convient ou non d’annuler la décision initiale de mars 2019, y compris les analyses, recommandations et propositions produites par ses employés. Elle devra divulguer tous les documents qu’elle découvrira et qui ne sont pas protégés par un privilège. Comme pour les autres catégories de documents, le haut dirigeant qui souscrira un affidavit devra préciser les paramètres de recherche utilisés et la nature des recherches réalisées, et il devra aussi expliquer les raisons pour lesquelles certains documents correspondant à cette catégorie et à la période pertinente, c’est‑à‑dire 2019, ont été exclus, le cas échéant.

[88] De plus, l’APVF doit produire la note de service traitant de la question de position dominante sur le marché qui était annexée à la pièce no 00183 de son dossier de production. Cette note de service figurant en pièce jointe du courriel semble exister sous deux formes différentes; elle pourra être incluse dans le dossier de production supplémentaire sous l’une ou l’autre forme, sans distinction.

(9) La correspondance interne relative au projet DP4

[89] GCT demande à obtenir toutes les communications internes de l’APVF qui ne sont pas protégées par un privilège et qui ont trait au projet DP4 et aux décisions de mars et septembre 2019. Il s’agit selon elle de la catégorie de documents la plus importante, et elle fait observer que le dossier de production de l’APVF ne contenait pratiquement aucune correspondance interne quant à la manière dont les décisions ont été prises et aux motifs de ces décisions.

[90] GCT souligne le fait qu’elle a collaboré très activement avec l’APVF au cours de la période précédant la décision de mars 2019. En prévision de la présentation de son EPP, elle a organisé une rencontre avec des représentants de l’APVF, qui s’est tenue le 24 janvier 2019. Toutefois, à la réunion, l’APVF a déclaré que les conditions préalables à la tenue d’une rencontre portant sur l’EPP n’étaient pas remplies, et elle a proposé de reporter la rencontre. Aucun des documents internes figurant dans le dossier de divulgation n’explique pourquoi l’APVF est arrivée à la conclusion que les conditions applicables à une telle rencontre n’étaient pas remplies.

[91] Le 5 février 2019, GCT a présenté son EPP pour le projet DP4; le dossier de production comprend un courriel envoyé par un haut dirigeant de l’APVF pour l’informer que son personnel procéderait à un premier examen du projet (pièce no 00174 de l’APVF). En revanche, aucun courriel ni aucun autre document n’a été produit au sujet de cet examen. Le 7 février 2019, dans un courriel adressé à GCT, un autre haut dirigeant de l’APVF a accusé réception de son EPP pour ensuite déclarer : [traduction] « Un membre du personnel procédera à un examen de votre proposition afin de mieux comprendre le projet et de déterminer si votre proposition respecte les critères qui nous autoriseront à en poursuivre le traitement » (pièce KK jointe à l’affidavit de Todd Croll, dossier de requête de GCT, aux p 528‑559). Quatre jours plus tard, l’APVF a annulé la rencontre prévue avec GCT, expliquant que [traduction] « [l]e personnel poursuivait l’examen des renseignements soumis » (pièce LL jointe à l’affidavit de Todd Croll, dossier de requête de GCT, aux p 531‑533). Elle n’a produit aucun document exposant les résultats de cet examen.

[92] L’APVF soutient que GCT ne fait que répéter sa demande fondée sur l’article 317 des Règles et affirme avoir produit tous les documents pertinents qui ne sont pas visés par un privilège.

[93] Je souscris à l’argument principal de GCT, qui consiste à dire que le dossier même tend à corroborer l’idée qu’il existe d’autres documents internes devant être divulgués. Par exemple, je remarque que GCT a produit des courriels de l’APVF qui n’ont pas été inclus dans le dossier de production, dont les courriels susmentionnés des 5 et 7 février 2019. S’il est vrai que l’article 317 des Règles exige seulement la transmission de documents que le demandeur n’a pas en sa possession et, partant, que l’APVF n’était pas tenue de produire les courriels qu’elle a envoyés à GCT, il reste que ces courriels nous apprennent qu’un examen et une analyse de l’EPP de GCT ont été réalisés sans qu’aucun document s’y rapportant ne soit produit.

[94] Certes, l’APVF a raison de dire que la demande de GCT est formulée en termes trop généraux; cela étant, je ne suis pas convaincu qu’elle doive être intégralement rejetée à ce titre. Je suis plutôt d’avis d’ordonner à l’APVF d’effectuer une recherche et de produire tous les documents internes portant sur les analyses concernant l’EPP de GCT que ses responsables ont réalisées après sa présentation, le 5 février 2019, et avant la décision de mars 2019. Comme pour les autres catégories, un haut dirigeant de l’APVF devra souscrire un affidavit pour expliquer les recherches effectuées, décrire les paramètres de recherches utilisés et justifier l’absence de tout document.

[95] Les documents en question sont pertinents pour déterminer si l’APVF était fermée à l’idée de procéder à un examen équitable de l’EPP de GCT ou si elle avait un préjugé défavorable à son égard. Comme je l’explique précédemment, puisque les documents déjà divulgués par l’APVF mentionnent expressément l’analyse de l’EPP qui est en cours, la Cour devrait avoir en main ces documents pour que le juge chargé du contrôle judiciaire puisse en prendre connaissance.

[96] Voilà pour l’examen des catégories de documents visées par une ordonnance de production supplémentaire. Je passe maintenant à l’étude des privilèges revendiqués au titre du secret professionnel de l’avocat.

D. Les revendications fondées sur le secret professionnel de l’avocat

[97] Rappelons, pour commencer, qu’en plus des 478 documents versés au dossier, l’APVF a également présenté une liste de 30 documents pour lesquels elle revendique l’application du privilège du secret professionnel de l’avocat. À la suite de l’audience, l’APVF a produit un relevé plus précis et circonstancié des documents en question, en plus d’en remettre des versions confidentielles à la Cour pour qu’elle les examine. Les parties ont présenté des observations écrites au sujet des revendications.

[98] Avant de me plonger dans les détails des privilèges revendiqués par l’APVF, il me paraît utile de résumer les grands principes qui doivent présider à cette analyse. Aucune des parties ne met sérieusement en doute les règles de droit établissant ces principes généraux; le débat se situe plutôt sur le plan de leur application aux faits de l’espèce, dans le cadre d’un contrôle judiciaire faisant intervenir une allégation de partialité effective.

(1) Les principes généraux

[99] Le secret professionnel de l’avocat, qui vise à la fois les conseils juridiques et le privilège relatif au litige, est désormais reconnu comme une règle juridique de fond qui « est essentiel[le] au bon fonctionnement du système de justice » (Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, au para 9 [Blood Tribe]).

[100] Les critères à appliquer pour déterminer si le secret professionnel de l’avocat peut être invoqué pour une communication sont les suivants : (i) il doit s’agir d’une communication entre un avocat et son client; (ii) qui comporte une consultation ou un avis juridiques; (iii) que les parties considèrent de nature confidentielle; (iv) qui ne vise pas à faciliter un comportement illégal (Solosky c La Reine, [1980] 1 RCS 821, à la p 837; Pritchard c Ontario (Commission des droits de la personne), 2004 CSC 31, au para 15 [Pritchard]; Canada (Procureur général) c Slansky, 2013 CAF 199, au para 74 [Slansky]; Right to Life, au para 70).

[101] Le privilège s’applique aux communications entre avocats et ministères clients ou représentants ministériels, y compris les décideurs administratifs, qui ont le droit d’obtenir des avis juridiques et de s’y fier pour rendre leurs décisions (Pritchard, aux para 19‑21). Cela dit, dans l’arrêt Pritchard, la Cour suprême du Canada précise que, comme l’avocat interne peut avoir à la fois des fonctions juridiques et non juridiques, il convient d’évaluer chaque situation de manière individuelle. En dernière analyse, le privilège « s’appliquera ou non selon la nature de la relation, l’objet de l’avis et les circonstances dans lesquelles il est demandé et fourni » (Pritchard, au para 20).

[102] Le privilège avocat‑client est un privilège « générique » : ainsi, dès que l’existence de la relation est établie et que les critères susmentionnés sont remplis, le tribunal n’a pas à pousser plus loin l’exercice de pondération des intérêts (Pritchard, au para 18). La Cour suprême du Canada a souligné à maintes reprises combien il était important que ce privilège jouisse d’une forte protection pour préserver la possibilité pour les justiciables de consulter un avocat en ayant l’assurance que leurs communications demeureront confidentielles. Dans l’arrêt Pritchard, la Cour a déclaré que « [l]e privilège est jalousement protégé et ne doit être levé que dans les circonstances les plus exceptionnelles, notamment en cas de risque véritable qu’une déclaration de culpabilité soit prononcée à tort » (au para 17). Autrement dit, le privilège avocat‑client « doit être quasi absolu et ne doit souffrir que de rares exceptions » (Pritchard, au para 18).

[103] En outre, lorsqu’il s’applique, le privilège avocat‑client « protège une vaste gamme de communications entre avocat et client » (Pritchard, au para 21). Il a été jugé « applicable à toutes les communications entre un client et son avocat lorsque ce dernier donne des conseils juridiques ou agit, d’une autre manière, en qualité d’avocat et non en qualité de conseiller d’entreprise ou à un autre titre que celui de spécialiste du droit » (Blood Tribe, au para 10). Dès qu’une relation avocat‑client est établie, une présomption réfragable intervient, selon laquelle l’ensemble des communications entre le client et l’avocat doivent être considérées de prime abord comme étant de nature confidentielle (Blood Tribe, au para 16).

[104] La jurisprudence désigne parfois cette notion du terme de « continuum des communications » pour traduire le fait que les communications protégées entre un avocat et son client peuvent être nombreuses et que le privilège couvre à la fois la consultation et l’avis juridiques (voir par exemple l’arrêt Canada (Commissariat à l’information) c Canada (Premier ministre), 2019 CAF 95, aux para 51‑54 [Commissariat à l’information]). Cette notion reflète l’idée que le privilège confère le degré de protection essentiel à la relation entre un client et son avocat.

[105] Dans l’arrêt Girouard, la Cour d’appel fédérale a confirmé la procédure à suivre pour déterminer si un document est protégé par le privilège avocat‑client dans le contexte d’une demande de production de documents au titre de l’article 317 des Règles. Dans ses motifs, la Cour d’appel fédérale note que si, conformément à l’article 318 des Règles, une partie s’oppose à la communication de documents sur le fondement du secret professionnel de l’avocat, le tribunal n’a pas à consulter les documents en question, à moins qu’il s’estime incapable de statuer sur les privilèges revendiqués sur la seule base des représentations des parties, par exemple l’affidavit qui aurait été déposé pour expliquer le fondement et le contexte d’un privilège revendiqué par rapport à un document particulier (Girouard, aux para 22‑24). Il convient par ailleurs de tenir compte de la taille des documents afin d’évaluer si un examen individuel est susceptible de retarder indûment les procédures ou de porter autrement préjudice aux parties (Girouard, au para 27).

[106] À la lumière des indications susmentionnées, j’ai décidé d’examiner chacun des documents pour deux principales raisons : (i) l’APVF n’a pas produit d’affidavit circonstancié expliquant la nature des documents et le motif pour lequel le privilège est revendiqué; et (ii) il n’y avait que trente documents à examiner, ce qui n’a causé aucun retard indu.

(2) L’application du droit aux faits

[107] D’entrée de jeu, il importe de préciser que GCT ne conteste pas réellement l’existence d’une relation avocat‑client entre l’APVF et ses avocats salariés, dans la mesure où ceux‑ci fournissent des avis juridiques, ou ses avocats externes (Lawson Lundell LLP, au départ, et plus récemment, McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l.). GCT fait plutôt valoir que la revendication du privilège doit être examinée au regard du lien qui existe entre le dossier présenté à la cour de révision et la capacité de cette dernière à procéder à un contrôle valable des décisions. CGT soutient par ailleurs que l’APVF s’appuie sur une conception beaucoup trop large du privilège.

[108] Selon GCT, la jurisprudence établit que si un tribunal administratif délègue le processus décisionnel à ses avocats, il ne peut s’attendre à en revendiquer la confidentialité, car cela compromettrait l’équité et l’intégrité du processus décisionnel. En outre, le décideur n’est pas autorisé à mettre son processus décisionnel à l’abri d’un examen ni à soustraire des documents importants à la divulgation en les confiant à ses avocats. À cet effet, GCT cite les propos du juge Michael Phelan, au paragraphe 16 de la décision Lafond c Ledoux, 2008 CF 1369 [Lafond] : « L’argument du secret professionnel de l’avocat n’est pas une invitation à jouer à “cache‑cache” avec les documents en question » (voir aussi, au même effet, l’arrêt Commissariat à l’information, au para 55).

[109] GCT soutient qu’en l’espèce, puisque l’APVF revendique un privilège à l’égard des seuls documents qui sont contemporains aux décisions visées par le contrôle judiciaire, le privilège revendiqué ne peut être accordé, car cela reviendrait en fait à soustraire les décisions de l’APVF au contrôle judiciaire.

[110] Le paragraphe suivant des observations écrites de GCT expose l’essentiel de son argument sur ce point :

[traduction]

27. Le décideur administratif n’est pas autorisé à tenter de mettre ses décisions à l’abri d’un examen en bonne et due forme. Il ne peut arrêter ses décisions en se fondant sur des considérations qui ne sont pas apparentes dans le dossier du tribunal déposé à la Cour. Si un décideur tente de soustraire ses décisions au contrôle en omettant du dossier les renseignements portant sur des aspects essentiels de ces décisions, la Cour n’a alors d’autre choix que d’en ordonner la production ou d’annuler la décision.

[Notes en bas de page omises.]

[111] Dans la présente affaire, GCT affirme que les communications pour lesquelles l’APVF revendique le privilège du secret professionnel de l’avocat constituent l’unique preuve du processus décisionnel qu’elle a suivi. Autrement, le dossier est vide, particulièrement en ce qui a trait à la décision de septembre 2019. Par conséquent, GCT soutient que [traduction] « l’APVF ne peut prétendre avoir eu quelque attente que ce soit en matière de confidentialité concernant les documents qui constituent le fondement même de la décision visée par le contrôle » (paragraphe 32 du mémoire de GCT traitant du privilège du secret professionnel de l’avocat, déposé le 28 décembre 2020). Cela vise autant les communications entre l’APVF et ses avocats en interne que celles avec ses avocats externes.

[112] S’appuyant sur la description des documents donnée dans la liste circonstanciée déposée par l’APVF, GCT affirme que l’abondance des communications avec les avocats externes qui ont précédé la décision de septembre 2019 constitue un signe évident que la décision d’annuler la décision antérieure était une stratégie des avocats destinée à soustraire les décisions de l’APVF à un contrôle judiciaire en cas de litige. GCT prétend qu’il s’agit [traduction] « précisément du préjudice relevé dans la décision du juge Phelan au sujet de la décision du 23 septembre. Dans une poursuite en instance contre un organisme public à qui on reproche sa partialité, il ne peut y avoir d’attente de confidentialité par rapport à de telles communications » (paragraphe 40 du mémoire de GCT traitant du privilège du secret professionnel de l’avocat, déposé le 28 décembre 2020).

[113] À l’issue de l’examen des documents soumis par l’APVF, je ne suis pas convaincu que les arguments de GCT justifient de déroger au principe du caractère quasi absolu du privilège avocat‑client.

[114] Il n’est pas nécessaire ni indiqué d’entreprendre une analyse approfondie des documents. Qu’il suffise de préciser qu’ils concernent, dans une très large proportion, un client (l’APVF) qui, soit demande, soit obtient un avis juridique de ses avocats salariés ou externes, ce qui suffit à justifier l’application du privilège. Les documents se voulaient confidentiels (la plupart d’entre eux portent les mentions « privilège avocat‑client » et « confidentiel ») et rien ne permet de conclure que les avis donnés visaient à faciliter un comportement illégal. Par conséquent, je conclus que c’est à juste titre que l’APVF a revendiqué le privilège des communications entre avocat et client pour ces documents.

[115] Rappelons que la Cour suprême du Canada a souligné que le secret professionnel de l’avocat doit être « quasi absolu » et « aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent » (Pritchard, au para 18, citant Lavallee, Rackel & Heintz c Canada (Procureur général), 2002 CSC 61, au para 36).

[116] Les précédents invoqués par GCT diffèrent de la présente affaire quant aux faits. Nous n’avons pas affaire ici à une situation où un décideur a remis ses documents clés à ses avocats dans le but de les soustraire à un examen. En ce sens, la décision Lafond ne nous est d’aucune aide.

[117] Bien que dans l’arrêt Slansky, la Cour d’appel fédérale traite de la question du privilège avocat‑client, sa décision ne m’autorise pas à déroger au privilège dans le but d’assurer l’adéquation du dossier aux besoins du contrôle judiciaire. S’exprimant au nom des juges majoritaires, le juge Evans a expressément conclu que la recherche de la vérité dans le cadre de la procédure « ne devrait pas être vue comme étant le seul “vrai” principe, auquel les demandes de protection de la confidentialité des communications fondées sur le secret professionnel de l’avocat seraient subordonnées, celles‑ci étant [traduction] “un mal nécessaire ne devant être toléré que dans les situations les plus claires” » (Slansky, au para 72). Le juge Stratas, dissident dans cette affaire, est le seul à traiter de la question de la divulgation destinée à pallier l’insuffisance du dossier de preuve, au paragraphe 276, et son analyse se concentre sur le privilège d’intérêt public, et non sur celui qui vise les communications entre un avocat et son client.

[118] Dans le même ordre d’idées, il n’est pas dit que la pondération des facteurs à prendre en considération suivant l’article 318 des Règles peut servir de fondement pour déroger au privilège du secret professionnel de l’avocat. S’il est impossible de caviarder certains passages des documents en cause afin de protéger la confidentialité des renseignements qu’ils contiennent, il s’ensuit que « la confidentialité inconditionnelle doit être maintenue, y compris à l’égard de la Cour. Le secret professionnel de l’avocat en est un exemple » (Lukács, au para 16). En l’espèce, je suis convaincu de l’impossibilité de caviarder des passages des documents en cause, parce que tout ce qui resterait visible aurait pour effet indirect de rendre publics des éléments de l’avis juridique donné ou sollicité.

[119] Enfin, dans l’arrêt Pritchard, la Cour suprême du Canada a reconnu expressément qu’une allégation fondée sur les principes de l’équité procédurale ne justifiait pas en soi d’écarter le privilège des communications avocat‑client :

31 L’équité procédurale n’exige pas la divulgation d’un avis juridique protégé par le privilège avocat‑client. Son respect s’impose dans le cadre d’une instance tant judiciaire qu’administrative. Elle ne compromet pas l’application du privilège avocat‑client; les deux principes peuvent coexister sans que l’un ne nuise à l’autre. De plus, même si l’avis juridique n’a pas été produit, l’appelante connaissait la preuve qu’elle devait réfuter. La notion d’équité imprègne tous les aspects du système de justice, et l’un de ses aspects fondamentaux est le privilège avocat‑client.

[120] En dernier lieu, il me faut souligner que les documents ne permettent pas de conclure que l’APVF a délégué son pouvoir décisionnel à ses avocats. Par conséquent, sans me prononcer sur la question de savoir si une telle situation pourrait faire obstacle à l’application du privilège avocat‑client, je conclus simplement que ce n’est pas le cas d’après la preuve dont je dispose.

[121] Je rejette donc les prétentions de GCT voulant que les documents au sujet desquels l’APVF revendique le privilège avocat‑client doivent lui être divulgués.

[122] Voilà qui conclut mon analyse des motifs d’opposition formulés en vertu de l’article 318 des Règles.

IV. Conclusion

[123] Pour les motifs qui précèdent, j’accueille en partie la requête de GCT visant la communication de documents supplémentaires.

[124] Comme je l’ai mentionné au paragraphe 31 de la décision GCT no 3, « [l]a jurisprudence est claire : un tribunal dispose “d’une grande souplesse en matière de redressement” pour trouver une solution relativement à une requête visant à obtenir plus de documents en vertu du paragraphe 318(2) [des Règles] » (citant les arrêts Lukács, au para 13 et Girouard, au para 18). Compte tenu de la façon dont la présente affaire a évolué jusqu’à maintenant, et afin de donner aux parties les indications les plus claires possible pour disposer de la présente requête et faire progresser l’instance vers l’étape de l’audience, je me dois de formuler mon ordonnance en termes précis en descendant jusqu’aux détails pour chaque catégorie de documents.

[125] L’APVF passera en revue ses fonds documentaires, y compris ses dossiers et archives conservés sur support électronique et papier, afin de déterminer s’il s’y trouve d’autres documents se rapportant au projet d’agrandissement portuaire DP4 proposé par GCT et correspondant aux catégories et aux périodes précisées ci‑dessous.

[126] Si d’autres documents sont découverts, l’APVF devra en déposer des copies certifiées conformes au greffe et en remettre des exemplaires à GCT et au procureur général du Canada, conformément au paragraphe 318(4) des Règles. En outre, l’APVF devra signifier et déposer un affidavit établi par un de ses hauts dirigeants. L’affidavit précisera, pour chaque catégorie de documents, la nature et l’étendue des recherches de documents effectuées, les paramètres de recherche utilisés et les raisons de la non‑divulgation de tout document correspondant aux catégories et aux périodes pertinentes.

[127] S’agissant des documents et procès‑verbaux du conseil d’administration, l’APVF devra compléter le dossier qu’elle a déjà produit, en y ajoutant notamment les ordres du jour et procès‑verbaux des réunions du conseil d’administration du 21 mars 2018 et du 25 février 2019 et tous les autres documents relatifs à ces réunions qui mentionnent le projet DP4. L’APVF devra aussi passer en revue l’ensemble des documents liés au conseil d’administration pour l’année 2019, y compris les ordres du jour et procès‑verbaux de ses réunions, afin d’y relever toute référence aux projets RBT2 ou DP4, et divulguer ces documents, sous réserve des mesures de caviardage nécessaires pour en protéger la confidentialité.

[128] S’agissant des communications avec des représentants gouvernementaux, l’APVF procédera à une recherche de ses dossiers afin de vérifier si des versions définitives de l’une ou l’autre des ébauches de lettres (pièces no 00296, no 00297 et no 00385 de l’APVF) ont été rédigées et envoyées et, le cas échéant, elle produira ces versions définitives. Si ces lettres ont été envoyées, l’APVF divulguera toutes les lettres de représentants du gouvernement qui ont été reçues en réponse. De plus, l’APVF examinera également ses dossiers et divulguera toute la correspondance à destination et en provenance de ministres, représentants et employés du gouvernement fédéral (y compris les courriels) qui concerne le projet DP4.

[129] S’agissant des documents se rapportant à la décision de septembre 2019, l’APVF divulguera les documents traitant de la question de savoir s’il convient ou non d’annuler la décision initiale de mars 2019, y compris les analyses, recommandations et propositions produites par ses employés.

[130] S’agissant de la correspondance interne relative au projet DP4, l’APVF effectuera une recherche et produira tous les documents internes portant sur les analyses de l’EPP de GCT que ses responsables ont réalisées après sa présentation, le 5 février 2019, et avant la décision de mars 2019.

[131] En plus des recherches que devra effectuer le haut dirigeant de l’APVF conformément à ce qui précède, j’ordonne la divulgation de documents particuliers.

[132] Premièrement, l’APVF devra produire les pièces no 00031 et no 00086 sous leur forme originale. Dans les sept (7) jours suivant la date de la présente ordonnance, GCT fera l’inventaire des feuilles de calcul Excel que l’APVF a produites en sus des pièces no 00031 et no 00086 et qui relèvent de la catégorie des analyses de la concurrence et des parts de marché, et l’APVF disposera ensuite de sept (7) jours pour divulguer ces documents sous forme de fichier .xlsx.

[133] L’APVF devra produire la pièce no 00132 sous une forme permettant de prendre connaissance des commentaires.

[134] En outre, l’APVF devra produire le fichier .zip joint à la pièce no 00028, ainsi que la note de service traitant de la question de position dominante sur le marché, qui était annexée à la pièce no 00183 de son dossier de production.

[135] Si l’exécution de la présente ordonnance lui pose problème, l’APVF pourra demander la tenue d’une conférence de gestion de l’instance pour en discuter.

[136] Je termine par quelques commentaires. En premier lieu, j’aimerais signaler qu’en règle générale, devant la Cour fédérale, la transmission des dossiers certifiés des tribunaux administratifs sous le régime de l’article 317 des Règles est chose courante. Cela tient peut‑être au fait que certains décideurs ont l’habitude que leurs décisions soient soumises à un contrôle, à tel point que la pratique est désormais ancrée dans leur procédure. Il se peut aussi que cette pratique soit motivée par un ensemble de principes supérieurs qui traduisent la volonté du décideur de s’acquitter de son rôle en veillant à ce que l’autorité publique soit exercée de manière responsable et de reconnaître que l’indépendance de la magistrature est l’un des piliers fondamentaux et essentiels du principe de la primauté du droit qui n’est effectif que si les dossiers dont disposait le décideur sont divulgués pour permettre un contrôle judiciaire véritable de sa décision. Il se peut enfin que la pratique s’explique par des raisons plus banales, à savoir l’idée que la communication du dossier pourra contribuer à faire la démonstration du caractère raisonnable de la décision, ce qui présente l’avantage de décharger le décideur de l’obligation de reprendre le dossier depuis le début.

[137] Quelles qu’en soient les raisons, il faut souligner que les oppositions formulées sous le régime de l’article 318 des Règles ne sont pas fréquentes. En l’espèce, GCT a décidé de s’opposer à la demande de transmission et a obtenu en partie gain de cause.

[138] En second lieu, j’ajouterais qu’au bout du compte, si l’APVF ne parvient pas à convaincre la Cour du caractère raisonnable de ses décisions à partir du dossier qu’elle a (et qu’elle aura) divulgué, ces décisions seront annulées. Si les décisions pouvaient se justifier au regard d’un élément pour lequel elle a revendiqué le privilège des communications entre avocat et client ou qu’elle a par ailleurs omis de divulguer, l’APVF en sera l’unique responsable, en ce sens qu’il lui était possible de se doter d’un processus décisionnel qui lui aurait permis de présenter un dossier plus favorable.

[139] De ce point de vue, la situation se compare à celles que doivent parfois affronter les gouvernements lorsque le secret du Cabinet est invoqué. Si les seules raisons expliquant la décision figurent dans des documents qui ne peuvent être divulgués du fait du secret des délibérations du Cabinet, cette décision pourra être annulée et l’exécutif devra alors élaborer un mécanisme permettant de produire des documents qu’il sera autorisé à divulguer sans déroger au privilège (voir p. ex. RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1995] 3 RCS 199, au para 101; Babcock c Canada (Procureur général), 2002 CSC 57). Puisque chacune des parties a obtenu en partie gain de cause dans la requête, je n’adjugerai pas de dépens.


ORDONNANCE dans le dossier T‑538‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête présentée par GCT en vertu de l’article 318 des Règles en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à l’APVF de produire des documents supplémentaires est accueillie en partie.

  2. L’APVF produira des copies certifiées conformes des documents expressément mentionnés ci‑dessous, ainsi que tout autre document qu’elle découvre à la suite des recherches décrites ci‑dessous, et tout document ainsi découvert devra être déposé au greffe et des copies devront être remises à GCT et au procureur général du Canada, conformément au paragraphe 318(4) des Règles.

  3. Est ordonnée la divulgation des documents suivants :

    1. Analyses de la concurrence et des parts de marché :

      1. L’APVF devra produire les pièces no 00031 et no 00086 sous leur forme originale de document Excel.

      2. GCT fera l’inventaire de toutes les autres feuilles de calcul que l’APVF a produites en sus des pièces no 00031 et no 00086 et qui relèvent de la catégorie des analyses de la concurrence et des parts de marché dans les sept (7) jours suivant la date de la présente ordonnance, et l’APVF disposera dès lors de sept (7) jours pour divulguer ces documents sous forme de fichier .xlsx.

    2. Communications avec les experts externes :

      1. L’APVF devra produire la pièce no 00132 sous une forme permettant de prendre connaissance des commentaires.

    3. Documents du conseil d’administration et procès‑verbaux de ses réunions :

      1. L’APVF devra divulguer les ordres du jour et procès‑verbaux des réunions du conseil d’administration du 21 mars 2018 et du 25 février 2019 et tous les autres documents relatifs à ces réunions qui mentionnent le projet DP4.

      2. L’APVF devra également divulguer le contenu du fichier .zip figurant en pièce jointe du courriel qui fait référence à la réunion du 25 février 2019 du conseil d’administration, qui portait sur le projet (pièce no 00028 de l’APVF).

    4. Documents relatifs à la décision de septembre 2019 :

      1. L’APVF devra divulguer la note de service traitant de la question de position dominante sur le marché annexée à la pièce no 00183. Cette note de service figurant en pièce jointe du courriel semble exister sous deux formes différentes; elle pourra être incluse dans le dossier de production supplémentaire dans l’une ou l’autre forme, sans distinction.

  4. Il est enjoint à l’APVF de désigner un haut dirigeant qui sera chargé d’encadrer l’examen des fonds documentaires, sur support papier et électronique (fonds documentaires courants et archives compris), en vue d’effectuer une recherche des documents relevant des catégories suivantes :

    1. Documents du conseil d’administration et procès‑verbaux de ses réunions :

      1. L’APVF passera en revue les documents liés au conseil d’administration pour l’année 2019, y compris les ordres du jour et procès‑verbaux de ses réunions, afin d’y relever toute référence aux projets RBT2 ou DP4, et divulguer ces documents.

      2. Les passages des documents du conseil d’administration dans lesquels figurent des renseignements confidentiels n’ayant pas de lien avec ces projets pourront être caviardés.

    2. Communication avec des représentants du gouvernement :

      1. L’APVF effectuera une recherche de ses dossiers afin de vérifier si des versions définitives de l’une ou l’autre des ébauches de lettres (pièces no 00296, no 00297 et no 00385 de l’APVF) ont été rédigées et envoyées et, le cas échéant, elle produira ces versions définitives.

      2. Si ces lettres ont été envoyées, l’APVF divulguera toutes les lettres de représentants du gouvernement qui ont été reçues en réponse.

      3. L’APVF examinera également ses dossiers et divulguera toute la correspondance à destination et en provenance de ministres, représentants et employés du gouvernement fédéral (y compris les courriels), qui concerne le projet DP4.

    3. Documents relatifs à la décision de septembre 2019 :

      1. L’APVF divulguera les documents traitant de la question de savoir s’il convient ou non d’annuler la décision initiale de mars 2019, y compris les analyses, recommandations et propositions produites par ses employés.

    4. Correspondance interne relative au projet DP4 :

      1. L’APVF effectuera une recherche et produira tous les documents internes portant sur les analyses de l’EPP de GCT que ses responsables ont réalisées après sa présentation, le 5 février 2019, et avant la décision de mars 2019.

  5. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« William F. Pentney »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑538‑19

INTITULÉ :

GCT CANADA LIMITED PARTNERSHIP c ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER ET PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 NOVEMBRE 2020

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 17 JUIN 2021

COMPARUTIONS :

Matthew B. Lerner

Christopher Yung

Margaret Robbins

POUR LA DEMANDERESSE

Joan Young

Grace Shaw

POUR LA DÉFENDERESSE

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER

Gwen MacIsaac

Jordan Marks

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lenczner Slaght Royce Smith Griffin LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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