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Date : 20041129

Dossier : T-762-03

Référence : 2004 CF 1674

ENTRE :

                                                                AMANDA DAY

                                                                                                                                                                                                                                                            demanderesse

                                                                             et

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                                        défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]         La présente instance en contrôle judiciaire, qui a été introduite le 12 mai 2003, vise une décision rendue le 4 avril 2003 par le Tribunal canadien des droits de la personne, qui portait notamment sur le harcèlement sexuel dont Mme Day affirmait avoir été victime alors qu'elle travaillait pour le ministère de la Défense nationale en 1994 et 1995.

[2]         En octobre 2003, la Cour a ordonné que l'action soit gérée à titre d'instance à gestion spéciale, étant donné que son déroulement ne suivait pas son cours normal. Plus précisément, Mme Day avait ignoré la suggestion de l'avocate du Procureur général du Canada de constituer


M. Michael Hortie à titre de défendeur acceptable. Mme Day avait refusé de constituer cette personne partie à l'instance malgré le fait que l'avocate de M. Hortie avait offert d'accepter la signification. Mme Day n'avait donné aucune suite à la demande d'éclaircissements formulée par Sa Majesté, elle n'avait produit aucun affidavit et elle n'avait pas répondu aux lettres que lui avait adressées l'avocate du Procureur général. Les personnes chargées de la gestion de l'instance ont été désignées le 19 novembre 2003.

[3]         La présente instance est un examen provisoire de l'état de l'instance qui a été entamé aux termes d'une ordonnance prononcée le 16 juillet 2004, à la suite de l'incapacité, voire du refus de la demanderesse de faire progresser l'affaire normalement et avec célérité vers son dénouement final. Je tiens ici à signaler que les faits survenus et le peu de progrès accompli avant que la Cour n'ordonne la gestion de l'instance à l'automne 2003 et qui se sont traduits par des retards inacceptables ressemblent à bien des égards à ce qui s'est produit au cours de la dernière année. Ce ne sont toutefois que les faits survenus et le peu de progrès constaté au cours de la dernière année qui sont pertinents dans le cadre du présent examen provisoire de l'état de l'instance fondé sur le paragraphe 385(2) des Règles.

GENÈSE DE L'INSTANCE


[4]         À la suite de la désignation des personnes chargées de la gestion de l'instance, une conférence sur la gestion de l'instance a eu lieu le 10 février 2004. À cette date, la Cour a prorogé au 20 février 2004 le délai imparti à la demanderesse pour déposer et signifier une requête en prorogation du délai prescrit pour déposer les affidavits visés à l'article 306 des

Règles. Une autre conférence sur la gestion de l'instance devait être organisée après le dépôt des affidavits. La requête en prorogation de délai n'était pas en la forme exigée, mais elle a été acceptée en vertu de l'alinéa 72(2)b), qui permet l'acceptation conditionnelle de documents non conformes.

[5]         La demanderesse a été déboutée de sa requête en prorogation de délai par une ordonnance motivée rendue le 13 avril 2004. À ce moment-là, comme aucun appel n'avait été interjeté, l'avocate du défendeur a informé la demanderesse que le défendeur ne déposerait pas d'affidavit et que la demanderesse devait envisager la possibilité de déposer et de signifier le dossier prévu à l'article 309. Avec le choix du bon défendeur, cette question faisait partie des sujets discutés lors de la conférence sur la gestion de l'instance du 18 mai 2004. Mme Day s'est dite d'avis qu'elle n'avait pas à s'occuper du choix du bon défendeur. À l'issue de cette conférence sur la gestion de l'instance, la demanderesse devait déposer et signifier le dossier prévu à l'article 309 dans un délai de 20 jours. La conférence sur la gestion de l'instance a toutefois connu une fin prématurée lorsque la communication téléphonique avec Mme Day a pour une raison ou pour une autre été coupée. Le délai de 20 jours dans lequel le dossier prévu à l'article 309 devait être déposé a été inscrit dans une ordonnance formelle le 18 mai 2004.


[6]         L'avocate du défendeur a signifié puis déposé, le 25 juin 2004, une requête écrite visant à obtenir l'examen provisoire de l'état de l'instance. La demanderesse n'a pas répondu. L'examen provisoire de l'état de l'instance a été accordé aux termes d'une ordonnance motivée prononcée le 16 juillet 2004. Cette ordonnance prévoyait la participation du défendeur.

[7]         J'ai maintenant en main les observations écrites de la demanderesse et du défendeur. J'ai examiné et j'ai admis, en vertu du paragraphe 380(2), l'affidavit souscrit par M. David Houston au nom de Sa Majesté le 10 août 2004. Aux termes d'une ordonnance prononcée le 26 octobre 2004, j'ai autorisé le contre-interrogatoire de l'auteur de cet affidavit, ainsi que le dépôt d'autres pièces par Mme Day, qui n'en a déposé aucune.

L'ÉTAT DU DROIT

[8]         Je passe maintenant à la jurisprudence relative à l'appréciation des pièces déposées lors de l'examen de l'état de l'instance. Cette jurisprudence peut nous aider à décider du sort du présent examen provisoire de l'état de l'instance. Je ne suis pas convaincu que la présente instance devrait se poursuivre et, comme la charge de la preuve repose sur la demanderesse, il se peut que l'instance soit rejetée pour cause de retard. Il s'agit d'une décision discrétionnaire.

Critère du jugement Baroud

[9]         Le critère que doit appliquer la Cour pour rendre une décision discrétionnaire sur l'état de l'instance est énoncé dans les termes suivants dans le jugement Baroud c. R. (1998), 160 F.T.R. 91 (C.F. 1re inst.) par le juge Hugessen :


4.          En décidant de la façon dont elle doit exercer le large pouvoir discrétionnaire qu'elle tient de la règle 382 à la fin d'un examen de l'état de l'instance, la Cour doit, à mon avis, se préoccuper principalement de deux questions :

1) Quelles sont les raisons pour lesquelles l'affaire n'a pas avancé plus vite et justifient-elles le retard qui a eu lieu?

2) Quelles mesures le demandeur propose-t-il maintenant pour faire avancer l'affaire?

5.         Les deux questions sont clairement en corrélation en ce sens que s'il existe une excuse valable justifiant que l'affaire n'ait pas progressé plus rapidement, il n'est pas probable que la Cour soit très exigeante en requérant un plan d'action du demandeur. D'autre part, si aucune raison valable n'est invoquée pour justifier le retard, le demandeur devrait être disposé à démontrer qu'il reconnaît avoir envers la Cour l'obligation de faire avancer son action. De simples déclarations de bonne intention et du désir d'agir ne suffit clairement pas. De même, le fait que la défenderesse puisse avoir été négligente et ne s'être pas acquittée de ses obligations procédurales est, dans une grande mesure, sans rapport : la principale obligation de voir à ce que l'affaire se déroule normalement incombe au demandeur et, à un examen de l'état de l'instance, la Cour lui demandera des explications.

Il y a de nombreux points importants qui sont relevés dans cet extrait du jugement Baroud, y compris la reconnaissance du fait que c'est au demandeur qu'il incombe de faire avancer l'action, que de simples déclarations de bonne intention ne suffisent pas et que l'obligation de voir à ce que l'affaire se déroule normalement incombe principalement au demandeur. C'est donc vers le demandeur ou, en l'espèce, vers la demanderesse, Mme Day, que la Cour doit se tourner pour demander des explications et ce, même si le défendeur n'a, sciemment ou non, pas fait toutes les diligences nécessaires. En l'espèce, l'avocate du défendeur a précisé que son client ne déposerait pas d'affidavits, ce qui fait jouer l'article 314, qui prévoit que le demandeur dépose une demande d'audience * [d]ans les 10 jours après avoir reçu signification du dossier du défendeur ou dans les 10 jours suivant l'expiration du délai de signification de ce dossier, selon celui de ces délais qui est antérieur à l'autre + (voir, par exemple, l'arrêt Netupsky c. Canada, 2004 CAF 239).


[10]       Au paragraphe 15 de l'arrêt Succession Manson c. Canada (MRN), [2003] 1 C.T.C. 13 (C.A.F.), autorisation d'appel refusée [2002] CSCA no 542 (QL), la Cour d'appel ajoute ce qui suit :

Quand des ordonnances ou des instructions de la Cour ne sont pas respectées au moment où l'avis d'examen de l'état de l'instance est rendu, ces questions en suspens devraient également être traitées dans la réponse à l'avis d'examen de l'état de l'instance.

Application plus généreuse du critère

[11]       La juge Snider a retenu une conception plus souple, s'agissant du critère de l'arrêt Baroud. Elle a expliqué cette conception au paragraphe 12 du jugement Precision Drilling International, B.V. c. BBC Japan (Le), 2004 CF 701 :

12. Compte tenu des répercussions profondes que comporte le rejet d'une action pour cause de retard, j'estime qu'il y a lieu de s'en tenir à l'intérêt supérieur de la justice en l'espèce et de ne pas accorder trop d'importance aux omissions ou vices de procédure mineurs. La principale question devrait être celle de savoir si les demanderesses reconnaissent l'obligation qui leur incombe de voir à ce que l'action se déroule normalement et à faire le nécessaire en ce sens. À mon avis, les questions posées dans l'arrêt Baroud visent simplement à répondre à ces préoccupations et ne doivent pas être appliquées de manière à occulter la question plus globale. Ainsi, selon ma vision de ces deux questions eu égard aux faits de l'espèce, je suis portée à adopter une approche libérale en ce qui concerne cette analyse.


[12]       Aux yeux de la juge Snider, ce qui importe c'est de savoir si le demandeur reconnaît l'obligation qui lui incombe de voir à ce que l'action se déroule normalement et à faire le nécessaire en ce sens. Dans l'affaire Precision Drilling, le retard était court et, malgré le fait que les demanderesses n'avaient pas fait avancer l'action de manière professionnelle, la juge Snider a accepté la raison avancée par leur avocat pour expliquer pourquoi l'action n'avait pas vraiment progressé, à savoir que les demanderesses avaient entamé des pourparlers et qu'elles étaient confiantes que l'affaire serait réglée sans qu'il soit nécessaire de poursuivre le procès. Je citerai maintenant, à titre d'exemple, certaines affaires plus précises.

[13]       La décision Fabrikant c. Canada, [1999] A.C.F. no (QL), qui a été rendue le 11 février 1999 par le juge Lutfy (maintenant juge à la Cour d'appel fédérale) dans le dossier T-1783-94, portait sur l'examen de l'état de l'instance dans une action dans laquelle les autorités carcérales étaient accusées d'inconduite. Dans l'affaire Fabrikant, la Cour avait informé amplement le demandeur, sous forme de directives, des diligences qu'il devait faire. Cette situation s'apparente à la présente affaire, où des directives et des suggestions ont été données au cours de la procédure de gestion de l'instance et où des suggestions et des compromis ont été offerts et proposés par l'avocate du défendeur.

[14]       Dans l'affaire Fabrikant (précitée), parmi les raisons invoquées pour justifier le défaut de faire avancer l'affaire, il y avait l'état de santé du demandeur, qui avait été victime d'une crise cardiaque au cours des mois précédents et son incapacité à retenir les services d'un avocat. Le juge Lutfy a estimé que ni l'état de santé du demandeur ni son incapacité à se trouver un avocat, par l'entremise de l'aide juridique ou autrement, ne constituait une explication satisfaisante du défaut de faire progresser l'action. L'action a été rejetée pour cause de retard.


[15]       Une autre décision qui s'applique directement au cas qui nous occupe est le jugement Pascal c. Canada (PG) (2002), 228 F.T.R. 210 (C.F. 1re inst.), dans laquelle l'explication offerte par le demandeur était qu'il était trop pris par d'autres affaires personnelles et que, pour s'occuper de ce procès, il devait être dans un « état d'esprit paisible » . Pour rendre sa décision dans l'affaire Pascal, la Cour s'est fondée tant sur le jugement Baroud (précité) que sur l'arrêt Grenier c. Canada, [2001] N.R. Uned. 99, [2001] A.C.F. no 47 (QL). Je mentionne l'arrêt Grenier parce que la Cour d'appel fédérale y souligne que le fond de l'affaire en litige ne doit

pas être abordé lors de l'examen de l'état de l'instance. Quoi qu'il en soit, dans le jugement Pascal, le juge Pinard déclare que des allégations générales, telles que des questions personnelles et la nécessité d'être dans un état d'esprit paisible, ne constituent pas des explications suffisantes pour justifier le retard. Le juge a rejeté l'instance pour cause de retard.

[16]       J'ai déjà fait allusion à l'affaire Manson (précitée) en rapport avec les questions en suspens au moment de la publication de l'avis d'examen de l'état de l'instance. J'ai précisé que les questions laissées en suspens doivent être traitées dans la réponse à l'avis d'examen de l'état de l'instance. L'arrêt Manson est aussi à propos pour une autre raison : la Cour y souligne, en déboutant les appelantes de leur appel pour cause de retard, que leur défaut de respecter les instructions et ordonnances de la Cour constitue un facteur important qui justifie le rejet de l'instance pour cause de retard et qu'en fait, si les appelantes avaient respecté les instructions et ordonnances de la Cour, il y a longtemps que l'affaire aurait été mise en état. D'ailleurs, comme il n'y avait rien au dossier qui justifiait les omissions des appelantes, la Cour d'appel a confirmé le rejet de leur action prononcé par la Section de première instance.


[17]       Dans l'arrêt Rogers (exploitant une entreprise sous la raison sociale Lairds Aircraft Support) c. Canada, 2001 CAF 382, 2001 A.C.F. no 1857, revenant sur certains propos tenus pas la Cour fédérale dans le jugement Baroud (précité), la Cour d'appel fédérale a fait allusion à l'examen du jugement Baroud par le juge de première instance dans l'affaire Rogers. Dans cette affaire, le juge Pinard, qui était saisi d'une demande de réexamen du rejet d'un avis d'examen de l'état de l'instance, faisait remarquer, comme la Cour d'appel l'avait également signalé aussi, que l'intimé avait à plusieurs reprises attiré l'attention de l'appelant sur l'applicabilité des Règles de

la Cour fédérale et lui avait conseillé d'obtenir de l'aide auprès de la Cour ou de consulter un avocat. Le juge Pinard a notamment relevé ce qui suit :

4.       [¼]

a)    l'appelant n'a pris aucune mesure réelle pour faire progresser l'instance, au-delà de vagues assurances selon lesquelles il commencerait de réunir des documents, de communiquer avec des témoins et de rédiger des propositions de compromis, sans que rien de tout cela ne se soit encore concrétisé;

b)    l'appelant n'a proposé aucune mesure concrète pour faire avancer la procédure, se limitant à affirmer qu'il est disposé à aller de l'avant;

c)    la Cour devrait se défier des allégations d'impécuniosité avancées par l'appelant, vu que, une fois le contrat rompu, l'appelant avait des ressources qui lui ont permis de demander à un avocat expérimenté d'introduire une instance pour rupture de contrat;

d)    la correspondance envoyée par l'appelant à l'intimée a été vague et brève, et « elle ne contribue pas à faire avancer la procédure » ;

e)    puisque l'appelant n'a avancé aucune présomption sérieuse pouvant justifier l'annulation du débouté et n'a proposé aucune mesure concrète pour faire avancer l'instance, on ne peut dire que l'appelant répond aux conditions de la règle 399 pour l'annulation du débouté.

La Cour d'appel a signalé que l'appelant n'avait pris aucune mesure réelle pour faire progresser l'instance. C'est en grande partie ce qui s'est produit dans le cas qui nous occupe, car Mme Day n'a proposé aucune mesure concrète, se contentant de vagues affirmations suivant lesquelles elle était en mesure de produire les documents demandés, sans préciser lesquels, au plus tôt dans un délai de cinq semaines.


[18]       Dans ses pièces, Mme Day laisse clairement entendre qu'elle n'a pas les moyens de recourir aux services d'un avocat. Je crois comprendre que c'est la raison pour laquelle elle agit pour son propre compte, ce qui peut justifier la lenteur de la procédure, comme l'a Cour d'appel fédérale l'a souligné dans l'arrêt Grenier (précité). Or, dans le cas qui nous occupe, la demanderesse n'a rien fait, ou si peu, pour améliorer la situation. Ainsi, elle n'a pas profité des conseils pratiques, directives et ordres qui lui ont été donnés. Je passe maintenant au résumé des observations de la demanderesse et de Sa Majesté que l'on trouve dans leur mémoire respectif.

OBSERVATIONS ÉCRITES DES PARTIES

[19]       Je paraphrase comme suit les raisons invoquées par la demanderesse pour expliquer les retards :

a)          manque de temps libre au cours de la dernière année en raison de ses préparatifs en vue de s'installer dans un autre logement et du temps consacré à contester une action en éviction devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique;

b)          complications découlant du syndrome complexe de stress post-traumatique qui s'est aggravé par suite d'une introduction par effraction survenue en mai 2004 ou vers cette date et par suite des actions présentement en instance devant la Cour fédérale, dans la mesure où elle estime qu'elle n'est pas capable de lire et de comprendre les actes de procédure, qu'elle souffre d'un déficit de traitement de l'information verbale et que son médecin lui a conseillé de réduire et d'éviter le stress;


c)          le fait qu'au cours des ans, elle n'a pas réussi à obtenir de l'aide des Services d'aide juridique, de la commission d'indemnisation des accidents du travail ou des services d'aide aux victimes;

d)          son incapacité à obtenir l'appui de sa collectivité ou de son médecin de famille, de sorte qu'elle évite de se « surmener » pour écarter tout risque de rechute.

Pour faciliter le déroulement de l'instance, la meilleure chose que Mme Day puisse faire consiste à préciser quand elle estime pouvoir produire les documents que l'on exige d'elle. La date la plus rapprochée qui a été proposée est le 6 août 2004.

[20]       Suivant le défendeur, aucune raison acceptable n'a été avancée pour expliquer le retard. En effet, selon lui :

            a)          tant avant qu'après que les instances ne deviennent des instances à gestion spéciale, le défendeur et la Cour avaient expliqué la procédure à la demanderesse, lui avaient fait des rappels et avaient fait des compromis pour lui permettre de déposer tardivement ses pièces;

b)          contrairement à l'obligation qui lui incombait, la demanderesse n'a pas pris et ne prend toujours pas l'initiative pour faire progresser l'affaire. Le défendeur cite à cet égard le passage suivant du jugement Sebastian c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1996) 115 F.T.R. 268 (C.F. 1re inst.) à la page 274 :


[33]      La décision de rejeter une action pour défaut de poursuivre ne doit pas être prise à la légère. C'est une mesure très sévère qui prive une partie de l'occasion de se faire entendre. Toutefois, dans tout litige, le demandeur a des obligations et le défendeur a des droits. L'une des obligations du demandeur est de poursuivre son action à un rythme raisonnable; le défendeur a le droit de s'attendre à ce que l'action soit jugée sans retard excessif, pour ne pas subir de préjudice en devenant incapable de présenter sa meilleure défense et, qu'il gagne ou qu'il perde, pour dissiper toute incertitude et avoir la possibilité de retourner à ses affaires dans un délai raisonnable.

L'essentiel de ce passage est l'obligation faite au demandeur de faire avancer l'affaire et le droit du défendeur de s'attendre à ce que l'action soit jugée sans retard excessif pour pouvoir ainsi retourner à ses affaires dans un délai raisonnable.

c)        Les excuses que la demanderesse invoque au sujet du procès relatif à son éviction et le fait qu'elle n'a pas d'avocat pour s'occuper de ses plaintes en matière de droits de la personne ne résistent pas à une analyse rigoureuse des faits (ainsi qu'il ressort de l'affidavit de Me David Houston). Suivant Me Houston, un avocat qui agit pour le compte de M. Michael Hortie, les recherches qu'il avait effectuées au greffe de la Cour suprême au sujet du procès en éviction opposant Waterside Housing Co-operative à Amanda Day faisaient uniquement état d'une comparution de Mme Day, qui ne semblait pas avoir participé à une audience judiciaire. De plus, Me Houston a relevé le nom de divers avocats qui avaient agi pour le compte de la demanderesse et qui l'avaient aidée jusqu'au 10 janvier 2003 environ.


d)          La Cour est dotée de Règles qui lui permettent de juger les affaires dont elle est saisie de la façon la plus juste, expéditive et économique possible et c'est ainsi qu'elle doit procéder pour ne pas miner la réputation et l'efficacité de la justice. Voici l'article 3 des Règles de la Cour fédérale :

Les présentes règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.            

These Rules shall be interpreted and applied so as to secure the just, most expeditious and least expensive determination of every proceeding on its merits.

Dans le jugement Multibond Inc. c. Duracoat Powder Manufacturing Inc. (1999), 177 F.T.R. 226 (C.F. 1re inst.), la juge McGillis fait observer, à la page 229 :

[10]    Les Règles ont pour effet de mettre à la disposition de la Cour divers outils procéduraux qui lui permettent de jouer un rôle actif en ce qui concerne la gestion et la surveillance des instances en vue de garantir un déroulement rapide et efficace des instances.

et

e)          La demanderesse ne s'est pas acquittée de la charge qui lui incombait de « proposer des mesures tangibles, concrètes et positives » pour faciliter le déroulement de l'instance (voir l'arrêt Importations Alimentaires Stella Inc. c. National Cheese Co. (2000), 10 CPR (4th) 392, à la page 393, où la Cour d'appel fait observer que l'appelante devait prendre des mesures concrètes pour faire avancer l'affaire).


[21]         Le défendeur poursuit en affirmant que la demanderesse n'a pas satisfait au critère à deux volets du jugement Baroud, mais il s'agit là d'une question qu'il m'appartient de trancher.

ANALYSE

[22]         Comme je l'ai déjà signalé, la demanderesse a reçu de l'aide par le biais des nombreuses offres, suggestions et concessions qui lui ont été faites. Si seulement quelques-unes d'entre elles avaient été mises en application, Mme Day aurait peut-être pu reprendre la conduite du procès et en assurer le bon déroulement. À titre d'exemple, on trouve le passage suivant dans les motifs que la Cour a prononcés en réponse à la requête en examen provisoire de l'état de l'instance dont elle était saisie :

[9]            La demanderesse aura jusqu'à la fermeture du greffe le 9 août 2004 pour déposer et signifier des observations écrites qui porteront sur les deux questions suivantes : premièrement, est-ce que les raisons qui sont invoquées pour expliquer pourquoi la demande de contrôle judiciaire n'a pas progressé justifient le retard, et, en second lieu, quelles mesures la demanderesse propose-t-elle pour faire avancer l'affaire. Ainsi que le juge Hugessen l'a expliqué dans le jugement Baroud c. Canada (Procureur général), (1998) 160 F.T.R. 91, à la page 92, ces deux questions sont en corrélation :

Les deux questions sont clairement en corrélation en ce sens que s'il existe une excuse valable justifiant que l'affaire n'ait pas progressé plus rapidement, il n'est pas probable que la Cour soit très exigeante en requérant un plan d'action du demandeur. D'autre part, si aucune raison valable n'est invoquée pour justifier le retard, le demandeur devrait être disposé à démontrer qu'il reconnaît avoir envers la Cour l'obligation de faire avancer son action. De simples déclarations de bonne intention et du désir d'agir ne suffit clairement pas. De même, le fait que la défenderesse puisse avoir été négligente et ne s'être pas acquittée de ses obligations procédurales est, dans une grande mesure, sans rapport : la principale obligation de voir à ce que l'affaire se déroule normalement incombe au demandeur et, à un examen de l'état de l'instance, la Cour lui demandera des explications.


L'obligation imposée à la demanderesse est d'expliquer pourquoi l'affaire n'a pas progressé plus rapidement et ce, en vue de justifier le retard et d'exposer les mesures qu'elle se propose de prendre pour faciliter la mise en état de l'affaire. On ne saurait y voir une occasion de revenir sur ce qui s'est passé antérieurement, sauf, comme la Cour d'appel fédérale l'a souligné dans l'arrêt Rosen c. Sa Majesté la Reine, [2000] 2 C.T.C. 422, pour évoquer l'intention de faire les diligences nécessaires dans les délais prescrits, pour vérifier s'il existe des arguments défendables, pour préciser l'ampleur du retard et pour exposer tout préjudice causé par le retard qui peut avoir une incidence sur le débat. J'ajouterais que les observations du demandeur ou du défendeur, en réponse à une ordonnance d'examen de l'état de l'instance, ne peuvent se résumer à de vagues assurances : les mesures proposées doivent être aussi tangibles, concrètes et positives que possible (Importations Alimentaires Stella Inc. c. National Cheese Co., (2000) 273 N.R. 392 (C.A.F.), à la page 393).

Ce sont là des indications claires et simples sur ce que doit contenir une réponse à l'examen de l'état de l'instance. Certes, la demanderesse parle de problèmes de logement, de son état de santé et du déficit du traitement de l'information verbale dont elle serait atteinte, mais rien d'autre dans ses observations écrites n'est pertinent. D'ailleurs, le défendeur cite l'affidavit de M. Houston, qui affirme que la demanderesse a consacré relativement peu de temps à ses problèmes de coopérative de logement, qui faisaient l'objet d'un procès devant la Cour suprême, et qu'elle avait déjà obtenu de l'aide de professionnels du droit dans le passé, et qui ajoutait que la demanderesse posait ses propres diagnostics. Même en faisant abstraction des observations du défendeur, la preuve de la demanderesse est faible : les raisons qu'elle invoque pour justifier le retard qu'accuse l'action sont loin d'être solides et les mesures qu'elle propose pour faciliter le déroulement de l'instance sont vagues. Aux termes de l'alinéa 382(2)a), c'est au demandeur ou à l'appelant qu'il incombe de convaincre la Cour que l'instance doit être poursuivie.


[23]         Vu ce qui précède, je dois décider si les raisons invoquées sont justifiées ou si elles expliquent de façon convaincante pourquoi l'instance n'a pas progressé. En l'espèce, la demanderesse n'a pas réussi à répondre au critère posé dans les jugements Fabrikant (précité) et Pascal (précité). Dans l'affaire Fabrikant, la Cour a estimé que de graves problèmes de santé et l'incapacité à retenir les services d'un avocat ne constituaient pas des explications satisfaisantes pour justifier le défaut de faire les diligences nécessaires dans une action. À mon avis, ce type

d'explications doit être jugé au cas par cas. En l'espèce, il est juste de dire que la demanderesse avait en tête d'autres préoccupations plus urgentes : pour reprendre le critère établi dans le jugement Pascal, ce n'est pas une raison acceptable ou satisfaisante qui justifierait la poursuite de l'instance.

[24]         Même en interprétant le jugement Baroud et la jurisprudence connexe d'une façon relativement généreuse, il n'en demeure pas moins que les raisons avancées pour expliquer le retard sont très faibles. Dans l'ensemble, le retard est important : en fait, bien peu de mesures ont été prises depuis le début de la gestion de l'instance. Il est vrai qu'il arrive souvent qu'on offre des concessions au plaideur profane, mais le présent procès a été ponctué de rappels et de lettres répétés de l'avocat de la partie adverse que la demanderesse a ignorés, en plus de ne pas se conformer aux Règles et aux échéanciers fixés et imposés par la Cour. En résumé, par ses agissements, la demanderesse a témoigné d'une reconnaissance minimale de son obligation de faire avancer son action. Il semble aussi qu'elle soit totalement incapable d'assurer le bon déroulement de l'instance et de respecter les délais prescrits. Il est donc difficile d'interpréter le jugement Baroud (précité) d'une façon aussi généreuse que la Cour l'a fait dans l'arrêt Precision Drilling (précité).


DISPOSITIF

[25]         L'examen de l'état de l'instance ne devrait pas être considéré comme un moyen de clore une affaire mais plutôt, dans la mesure du possible, comme un moyen de faciliter le déroulement de l'instance, si cela est raisonnablement juste et possible, eu égard aux circonstances de

l'espèce. Il me faut cependant mettre en balance le droit que possède le demandeur ou le requérant de se faire entendre de manière à pouvoir obtenir réparation et à ce que le litige prenne fin avec le droit du défendeur ou de l'intimé de s'attendre à ce que l'action soit jugée sans retard excessif, pour être en mesure de présenter sa meilleure défense, pour dissiper toute incertitude et pour pouvoir retourner à ses affaires dans un délai raisonnable, ainsi qu'il est précisé dans le jugement Sebastian (précité).

[26]         Les raisons avancées par Mme Day pour justifier le retard et les mesures incomplètes qu'elle a proposées pour faire progresser l'action sont insuffisantes tant pour satisfaire à une interprétation généreuse des exigences posées dans le jugement Baroud (précité) que pour convaincre la Cour que l'action devrait être poursuivie, ainsi qu'il est précisé à l'alinéa 382(2)a). La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour cause de retard.

« John A. Hargrave »

                                                                                                      Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 29 novembre 2004

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AFFAIRE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

DOSSIER :                                        T-762-03

INTITULÉ :                                     AMANDA DAY c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                    Le 29 novembre 2004

OBSERVATIONS ÉCRITES :      

Amanda Day                                    

Joyce Thayer

LA DEMANDERESSE,

POUR SON PROPRE COMPTE

POUR LE DÉFENDEUR

                                      

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Amanda Day

Victoria (Colombie-Britannique)

Joyce Thayer Law Corporation

Avocate

Vancouver (Colombie-Britannique)

LA DEMANDERESSE,

POUR SON PROPRE COMPTE     

                                

POUR LE DÉFENDEUR

                                


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