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Date : 19991108

Dossier : T-2434-98

Ottawa (Ontario), le lundi 8 novembre 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

LISA HUAN LIAN LI

défenderesse

ORDONNANCE

L'appel est accueilli. La décision du juge de la citoyenneté qui fait l'objet du présent appel est annulée. En conséquence, la demande que la défenderesse avait présentée le 1er novembre 1997 ou vers cette date en vue d'obtenir la citoyenneté canadienne est rejetée.

FREDERICK E. GIBSON

juge

Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

Date : 19991108

Dossier : T-2434-98

ENTRE :

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

LISA HUAN LIAN LI

défenderesse

MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1] Les présents motifs font suite à un appel qui a été interjeté contre la décision, datée du 29 octobre 1998, dans laquelle un juge de la citoyenneté a déterminé que la défenderesse satisfaisait aux exigences applicables en vue d'obtenir la citoyenneté canadienne.

[2] Dans sa décision, le juge de la citoyenneté a écrit :

[TRADUCTION]


À l'audition tenue devant moi le 29 octobre 1998, j'ai conclu que la demanderesse satisfaisait à toutes les exigences prévues par la Loi sur la citoyenneté, sauf peut-être à l'exigence en matière de résidence. Il manquait 949 jours à la demanderesse pour satisfaire à l'exigence minimale, prévue par la Loi, selon laquelle elle devait avoir résidé pendant trois ans au Canada, vu qu'elle s'était temporairement absentée du Canada à un certain nombre d'occasions au cours de la période de quatre années qui avait précédé la date du dépôt de sa demande.

Après avoir examiné le questionnaire relatif à la résidence et d'autres documents qui m'ont été soumis, et sur la base de la déclaration d'intention crédible que la demanderesse a faite à l'audition, j'ai conclu qu'elle a établi sa résidence à Calgary et centralisé son mode de vie au Canada au 8, Sienna Park, S.W., qu'elle a maintenu sa résidence et son mode de vie centralisé au Canada, et que pendant ses absences temporaires, elle n'avait pas eu l'intention de résider ailleurs.

Le fait que Mme Li a bel et bien établi sa résidence au Canada est étayé par tous les documents d'accompagnement qui ont été soumis. Il ne fait aucun doute qu'elle a établi sa résidence au Canada, malgré le fait qu'elle passe beaucoup de temps avec son époux en Chine. Elle s'est trouvée là-bas parce qu'elle pouvait voyager avec son jeune fils. À l'heure actuelle, elle doit rester plus souvent à la maison parce que son fils a commencé à fréquenter l'école. Elle estime que son foyer se trouve au Canada de façon permanente et elle a depuis acquis une propriété au pays. Ses séjours en Chine ne sont, en fait, que des visites.

DÉCISION

J'ai conclu que la demanderesse, Lisa Huan Lian, satisfait à toutes les exigences en matière de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, dans le cadre que le juge en chef adjoint Thurlow avait établi dans In Re Papadogiorgakis, no T-872-78.

[3] Le juge de la citoyenneté paraît avoir écrit de sa main le paragraphe qui commence par les mots « Le fait que Mme Li ... » . Les autres paragraphes paraissent avoir été tirés d'un modèle imprimé contenant des espaces vides que le juge aurait remplis à la main.

[4] La défenderesse est arrivée au Canada en tant que résidente permanente le 22 mai 1992. La demande dans laquelle elle avait sollicité le droit de s'établir au pays avait été parrainée par son époux qui, en compagnie de sa mère, son père, sa soeur et son frère, vivait à Calgary.

[5] Après son arrivée, la défenderesse a obtenu un emploi et elle est demeurée au Canada pendant quelques dix-sept mois. Il semble qu'elle et son époux ont vécu chez sa belle-soeur pendant cette période.


[6] Le fils de la défenderesse est né à Calgary le 8 avril 1993.

[7] La défenderesse a présenté une demande de citoyenneté canadienne le 1er novembre 1997 ou vers cette date. La période de quatre années pertinente pour déterminer si la défenderesse a satisfait aux exigences en matière de résidence prévues par la Loi sur la citoyenneté[1] a donc débuté le 31 octobre 1993 ou vers cette date.

[8] La défenderesse est retournée pour la première fois en République populaire de Chine, son pays d'origine, le 1er novembre 1993. Elle y est demeurée pendant 225 jours [TRADUCTION] « pour vendre sa résidence » . En outre, comme son époux travaillait en Chine, semble-t-il, l'objet de son séjour visait aussi à [TRADUCTION] « accompagner son époux » .


[9] La défenderesse est retournée au Canada le 14 juin 1994 et y est demeurée pendant quelques trente-sept jours. Elle est ensuite retournée en Chine pour « accompagner son époux » à l'occasion d'un séjour qui a duré 159 jours. Elle est rentrée au Canada le 30 décembre 1994 et y est demeurée, cette fois, pendant seize jours. Encore une fois, elle est retournée en Chine pour « accompagner son époux » , pour une période de 126 jours. Cette situation s'est répétée de nombreuses fois, la défenderesse faisant des séjours supplémentaires de 6, 17, 23, 25 et 18 jours au Canada séparés par des séjours de 174, 149, 180, 142 et 160 jours en Chine, le dernier de ces séjours se terminant à la date à laquelle elle a présenté sa demande de citoyenneté canadienne. Chaque fois qu'elle a séjourné en Chine, elle s'est trouvée à la même adresse. Au Canada, elle a séjourné d'abord chez sa belle-soeur, comme il a déjà été mentionné, puis dans deux demeures qu'elle et son époux ont tour à tour possédées.

[10] En conséquence, il manquait 949 jours à la défenderesse pour satisfaire à l'exigence, prévue à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, selon laquelle elle devait avoir résidé au Canada pendant 1 095 jours au cours de la période de quatre années qui avait précédé la date du dépôt de sa demande de citoyenneté.

[11] Dans Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[2], M. le juge Lutfy a écrit, au paragraphe 33 :

La justice et l'équité, pour ceux qui cherchent à acquérir la citoyenneté canadienne comme pour le ministre, requièrent une certaine continuité dans la norme de contrôle tant que la loi actuelle demeure en vigueur, et ce bien que le procès de novo n'ait plus cours en la matière. La norme qui s'impose dans ces conditions est toute proche de celle du bien-jugé. Dans le cas cependant où le juge de la citoyenneté, par des motifs clairs qui attestent sa connaissance de la jurisprudence, conclut légitimement des faits que le demandeur remplit la condition légale de l'alinéa 5(1)c), telle qu'il la comprend, il ne faut pas que le juge saisi de l'appel substitue arbitrairement à cette décision sa propre conception de la condition de résidence. Telle est la limite de la retenue à observer par le juge judiciaire durant cette période transitoire, eu égard aux connaissances et à l'expérience spécialisées du juge de la citoyenneté.


[12] Par conséquent, la question litigieuse que je dois trancher dans le cadre du présent appel est de savoir si, compte tenu de la brève description des faits qui précède, le juge de la citoyenneté a exprimé des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence et a décidé à bon droit que les faits satisfaisaient sa conception du critère législatif prévu par l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.

[13] En l'espèce, le juge de la citoyenneté a adopté l'interprétation du critère prévu à l'alinéa 5(1)c) énoncée dans In re Citizenship Act et Papadogiorgakis[3]. Dans cette décision, le juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son titre) a écrit, aux pages 213 et 214 :

Il me semble que les termes « résidence » et « résident » employés dans l'alinéa 5(1)b) de la nouvelle Loi sur la citoyenneté [maintenant l'alinéa 5(1)c)] ne soient pas strictement limités à la présence effective au Canada pendant toute la période requise, ainsi que l'exigeait l'ancienne loi, mais peuvent aussi comprendre le cas de personnes ayant un lien de résidence au Canada, qu'elles utilisent comme un lieu de domicile dans une mesure suffisante [sic] fréquente pour prouver le caractère effectif de leur résidence dans ce lieu pendant la période pertinente, même si elles en ont été absentes pendant un certain temps. [Non souligné dans l'original.]


[14] Avec égards, compte tenu des faits de la présente affaire qui sont décrits dans les présents motifs, je suis convaincu que le juge de la citoyenneté n'a pas démontré qu'il comprenait la jurisprudence lorsqu'il a décidé qu'il ressortait des faits qu'il avait été satisfait au critère prévu à l'alinéa 5(1)c), tel que le juge en chef adjoint Thurlow avait interprété ce dernier. En d'autres termes, j'estime que, compte tenu des passages précités des motifs du juge Lutfy et du juge en chef adjoint Thurlow, le juge de la citoyenneté n'a pas conclu à bon droit qu'il ressortait des faits de la présente affaire qu'il avait été satisfait au critère prévu par la loi. La défenderesse paraît avoir établi sa résidence au Canada avant de retourner pour la première fois en République populaire de Chine. Cependant, aucun élément de preuve dont disposait le juge de la citoyenneté n'établit que par la suite, et jusqu'à la date de sa demande de citoyenneté, la défenderesse a passé suffisamment de temps au Canada, et ce tant sur les plans qualitatif que quantitatif, pour y maintenir sa résidence ou, pour reprendre les paroles du juge en chef adjoint Thurlow, « pour prouver le caractère effectif de [sa] résidence [au Canada] pendant la période pertinente » .

[15] Pour ces motifs, l'appel est accueilli et la décision du juge de la citoyenneté datée du 29 octobre 1998 est annulée au motif qu'à la date où elle a présenté sa demande de citoyenneté, la défenderesse ne satisfaisait pas à l'exigence en matière de résidence prévue à l'alinéa 5(1)c) de la Loi. En conséquence, la demande que la défenderesse avait présentée le 1er novembre 1997 ou vers cette date en vue d'obtenir la citoyenneté canadienne est rejetée.

FREDERICK E. GIBSON

juge

Ottawa (Ontario)

Le 8 novembre 1999.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                T-2434-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :         Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c.

Lisa Huan Lian Li

LIEU DE L'AUDIENCE :             Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :             le 26 octobre 1999

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                 8 novembre 1999

ONT COMPARU :

Brad Hardstaff                          POUR LE DEMANDEUR

Peter W. Wong                           POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                          POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureuer général du Canada

Major Caron                                    POUR LA DÉFENDERESSE

Calgary (Alberta)



1      L.R.C. (1985), ch. C-29.

2           [1999] J.C.F. 410 (Q.L.) (C.F. 1re inst.).

3           [1978] 2 C.F. 204 (C.F. 1re inst.).

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