Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20000627

Dossier : T-1284-99

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2000

EN PRÉSENCE DE :             M. LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

GUOHUA WANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Cet appel, interjeté par Guohua Wang (le demandeur) en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, 1974-75-76, ch. 108 (la Loi), porte sur la décision de la juge de la citoyenneté Doreen Wicks datée du 2 juillet 1999, par laquelle elle a rejeté la demande de citoyenneté du demandeur. Le rejet de la demande de citoyenneté est fondé sur le fait que le demandeur ne répondait pas aux critères de résidence énoncés à l'alinéa 5(1)c) de la Loi.


[2]                Le demandeur est devenu un résident permanent du Canada le 26 décembre 1994. Après son arrivée au Canada, il a loué une maison à Toronto. Il a résidé au Canada du jour où il a obtenu le droit d'établissement jusqu'au 14 octobre 1996.

[3]                Durant l'essentiel de la période allant de décembre 1994 au 14 octobre 1996, le demandeur a assuré la gestion d'un bar-restaurant sur la rue Dundas (est) à Toronto.

[4]                Le demandeur, qui a un doctorat en génie des systèmes, a obtenu un poste en août 1996 chez Platform Computing, une compagnie d'informatique canadienne qui a ses bureaux à North York (Ontario). Le nouvel employeur du demandeur l'a chargé de mettre sur pied sa filiale en propriété exclusive en Chine, la Platform Software (Beijing) Co. Ltd. Étant donné cette responsabilité, le demandeur a dû se rendre en Chine et il s'est donc absenté du Canada du 14 octobre 1996 au 4 avril 1997 et du 4 mai 1997 au 12 décembre 1997. Ces absences étaient liées uniquement à son travail et le demandeur s'est procuré un permis de retour pour résident permanent chaque fois qu'il a quitté le Canada. Lorsque le demandeur représentait son employeur en Chine, son salaire était versé directement dans son compte bancaire au Canada.

[5]                Lorsque le demandeur s'est absenté du Canada, il a conservé sa résidence et est resté en contact étroit avec son épouse et sa fille qui étaient toujours au Canada. L'épouse et la fille du demandeur ont obtenu le droit d'établissement au Canada en même temps que ce dernier et elles sont devenues citoyennes canadiennes le 29 juillet 1999.


[6]                Le demandeur a des comptes bancaires au Canada, il produit ses déclarations d'impôt sur le revenu au Canada, il est couvert par l'OHIP, il a une carte d'assurance sociale, un permis de conduire en cours de validité et une assurance-vie. Rien de ceci n'a été modifié lors de ses absences du Canada.

[7]                Le demandeur a déclaré que la juge de la citoyenneté croyait qu'il était originaire de Hong Kong, alors qu'il est originaire de la République populaire de Chine. Le demandeur a aussi noté les aspects suivants de l'audience :

1.          Au début, la juge de la citoyenneté Wicks ne pouvait trouver le questionnaire relatif à la résidence.

2.          La juge de la citoyenneté Wicks a quitté l'audience pour traiter d'une autre question et elle a aussi laissé entendre que le bail de sa résidence n'était pas conforme à la norme.

[8]         Les questions en litige

1.          Quelle est la norme de contrôle appropriée lors d'un appel en vertu de la Loi sur la citoyenneté?

2.          La juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur de droit en interprétant l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté?


3.          La juge de la citoyenneté a-t-elle enfreint les droits du demandeur à l'équité procédurale et à la justice naturelle en ne se familiarisant pas avec les faits de la demande et en interprétant incorrectement la preuve?

Le droit

[9] Le paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté est rédigé comme suit :



5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

(a) makes application for citizenship;

(b) is eighteen years of age or over;

(c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;        

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

(f) is not under a deportation order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois_:

a) en fait la demande;

b) est âgée d'au moins dix-huit ans;

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante_:           

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

d) a une connaissance suffisante de l'une des langues officielles du Canada;

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

f) n'est pas sous le coup d'une mesure d'expulsion et n'est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l'article 20.


Analyse et décision

[10]             Question no 1

Quelle est la norme de contrôle appropriée lors d'un appel en vertu de la Loi sur la citoyenneté?

Le juge Lutfy (alors juge puîné), déclare ceci dans Lam c. Canada (1999) 164 F.T.R. 177 (C.F. 1re Inst.), aux pages 187 et 188 :

En l'espèce, les facteurs objectifs ayant trait au rôle du juge de la citoyenneté appelé à se prononcer sur la condition en matière de résidence exigent une retenue plus grande que la norme de la décision correcte. Comme le juge de la citoyenneté est saisi d'une question de fait et de droit, la norme, encore une fois en termes objectifs, peut aller jusqu'à la décision déraisonnable simpliciter. J'hésite toutefois à tirer une conclusion aussi définitive dans l'état actuel des choses.


Une fois de plus, le présent appel en matière de citoyenneté est entendu durant une période unique de transition probable. Comme le juge Muldoon l'a déclaré dans l'affaire Harry, Re, « [l]'application judiciaire [de ce critère législatif] [...] fait l'objet d'une controverse depuis au moins deux décennies » [voir note de bas de page no 40]. Le critère juridique est embrouillé par les décisions contradictoires rendues par la Cour. L'appel est désormais formé au moyen d'une demande. Rien ne permet de conclure que les juges de la citoyenneté conduisent les instances différemment depuis l'entrée en vigueur des nouvelles Règles de la Cour. L'absence d'un enregistrement contenant les renseignements communiqués de vive voix au juge de la citoyenneté est plus inquiétante depuis qu'il n'y a plus de procès de novo. Le contenu de la décision portée en appel ne permet pas toujours de savoir quelle décision de la Cour a été suivie. L'examen du projet de loi C-63 par le Parlement pourrait entraîner des changements considérables au chapitre de l'examen et du règlement des demandes de citoyenneté, et du contrôle des décisions qui en résultent. Bref, même si les facteurs objectifs exigeaient que le contrôle des décisions des juges de la citoyenneté se fasse avec un plus haut degré de retenue, il ne convient pas, dans les circonstances, de s'écarter radicalement de la norme de contrôle actuelle.

La justice et l'équité, tant pour les demandeurs de citoyenneté que pour le ministre, appellent la continuité en ce qui concerne la norme de contrôle pendant que la Loi actuelle est encore en vigueur et malgré la fin des procès de novo. La norme appropriée, dans les circonstances, est une norme qui est proche de la décision correcte. Cependant, lorsqu'un juge de la citoyenneté, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence. C'est dans cette mesure qu'il faut faire montre de retenue envers les connaissances et l'expérience particulières du juge de la citoyenneté durant la période de transition.

[11]       La décision dans Lam, précité, place la norme de contrôle des décisions des juges de la citoyenneté entre la décision juste et la décision raisonnable simpliciter en la situant plus près de la décision juste. Même si la norme applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter dans le cas de questions de droit et de fait (voir Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., (1997) 1 R.C.S. 748), ceci n'influe pas sur le règlement de cette demande. J'ajouterais qu'on convient généralement que les tribunaux doivent interpréter correctement le droit.

[12]             Question no 2

La juge de la citoyennetéa-t-elle commis une erreur de droit en interprétant l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté?


L'alinéa 5(1)c) de la Loi exige du demandeur qu'il ait résidé pendant au moins trois ans (1 095 jours) en tout au Canada dans les quatre ans qui ont précédé la date de la demande de citoyenneté. Durant la période pertinente, le demandeur a été physiquement présent au Canada pendant 707 jours.

[13]       La jurisprudence de cette Cour prévoit qu'en certaines circonstances, des absences du Canada peuvent être comptabilisées dans les 1 095 jours de résidence prévus à l'alinéa 5(1)c) de la Loi. Le demandeur doit avoir fait du Canada le centre de son mode de vie avant de s'absenter et il doit y avoir gardé ses attaches (voir In Re Papadogiorgakis [1978] 2 C.F. 208 (C.A.F.)). Dans Koo (Re) (1993) 1 C.F. 286 (C.F. 1re Inst.), Mme le juge Reed déclare ceci, aux pages 293 et 294 :

La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante: le critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement » . Le critère peut être tourné autrement : le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence? Il y a plusieurs questions que l'on peut poser pour rendre une telle décision:

1)              la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2)              où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3)              la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

4)              quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?


5)              l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

6)              quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada: sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[14]       Je vais maintenant examiner la preuve en l'instance au vu de chacun des facteurs énoncés par Mme le juge Reed dans Koo (Re), précité, afin de déterminer la période de résidence du demandeur :

1.          Le demandeur a été physiquement présent au Canada durant à peu près une année et dix mois avant sa première absence. Durant cette période, il a assuré la gestion d'un restaurant à Toronto.

2.          Lpouse du demandeur et sa famille immédiate étaient physiquement présentes au Canada depuis leur arrivée avec le demandeur. Elles sont toutes deux des citoyennes canadiennes. Sa fille va à lcole publique à Toronto et sa femme, qui a d'abord travaillépour Husky, travaille présentement pour Air Canada.


3.          L'activité du demandeur dénote qu'il n'est pas un visiteur mais qu'il revient dans son pays. Il a une maison et des comptes bancaires au Canada. Il travaille pour une compagnie canadienne, paie ses impôts sur le revenu au Canada, et il a un permis de conduire canadien, un N.A.S. et est couvert par l'OHIP. Son traitement est versé directement dans son compte bancaire au Canada.

4.          Le demandeur ne s'est absenté physiquement qu'au cours de deux périodes, pour un total de 394 jours. Il ne lui manque donc pas une période très longue pour arriver aux 1 095 jours requis.

5.          Les absences du demandeur sont imputables àune situation manifestement temporaire, puisque son employeur comptait sur lui pour mettre sur pied ses opérations à Beijing, en Chine.

6.          Les seules attaches du demandeur se trouvent au Canada. Son épouse et sa fille sont ici. Son employeur est au Canada. Il a géré un restaurant au Canada. Il n'a pas d'attaches avec un autre pays.

[15]             Dans sa décision, la juge de la citoyenneté a déclaré tout simplement que :

[traduction]

. . . au vu de la preuve documentaire et des témoignages, je ne peux conclure que vous avez établi une résidence au Canada en y centralisant votre mode de vie dans les quatre ans qui ont précédévotre demande de citoyenneté canadienne.


[16]       Selon moi, en arrivant à cette conclusion la juge de la citoyenneté a commis une erreur ouvrant droit au contrôle. Mon examen de la preuve au paragraphe 14, au vu des facteurs contenus dans Koo (Re), précité, m'amène à conclure que le demandeur avait fait du Canada le centre de son mode de vie avant sa première absence et qu'il y a gardé ses attaches. Je suis aussi d'avis que la décision de la juge de la citoyenneté peut faire l'objet d'un contrôle, soit selon la norme de la « décision raisonnable simpliciter » , ou selon le critère « proche de la décision correcte » , énoncé par le juge Lutfy (alors juge puîné) dans Lam c. Canada, précité.

[17]       En conséquence, comme le demandeur a fait du Canada le centre de son mode de vie avant sa première absence et qu'il y a gardé ses attaches, les périodes d'absence peuvent être comptées lorsqu'il s'agit dtablir les 1 095 jours de résidence. Je conclus donc que le demandeur satisfait aux critères de résidence établis par l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

[18]             Question no 3

La juge de la citoyennetéa-t-elle enfreint les droits du demandeur à lquitéprocédurale et à la justice naturelle en ne se familiarisant pas avec les faits de la demande et en interprétant incorrectement la preuve?

Selon moi, le retard à retrouver le questionnaire de résidence, le fait de s'absenter de la salle d'audience pour traiter d'une autre question, ainsi que les questions posées au sujet du bail et les références au fait que le demandeur était originaire de Hong Kong, ne constituent pas une violation de lquité procédurale ou de la justice naturelle.

[19]       L'appel du demandeur est accueilli et le ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire de façon positive et accorder la citoyenneté canadienne au demandeur.


[20]       Le demandeur réclame les dépens. Toutefois, dans les circonstances de cette affaire, je ne suis pas disposé à les accorder. On ne m'a pas présenté de motifs qui pourraient justifier l'octroi des dépens.

ORDONNANCE

Pour les motifs précités :

[21]       LA COUR ORDONNE que l'appel est accueilli.

[22]       ELLE ORDONNE AUSSI qu'il n'y aura pas d'octroi de dépens.

                                                                                  John A. O'Keefe              

                                                                                               J.C.F.C.                     

Ottawa (Ontario)

Le 27 juin 2000

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                              T-1284-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :               Guohua Wang c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le 19 juin 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE M. le juge O'Keefe

EN DATE DU :                                   27 juin 2000

ONT COMPARU

Mme Nancy Elliott                                                                    POUR LE DEMANDEUR

M. James Brender                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Nancy Myles Elliott

Avocate et procureur                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                            POUR LE DÉFENDEUR

Ottawa (Ontario)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.