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Date : 20040914

 

Dossier : IMM-7115-03

 

Référence : 2004 CF 1241

 

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2004

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH                                   

 

 

ENTRE :

 

                                                               BABAK BEIRAMI

 

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

 

 

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                             défendeur

 

 

                                MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Babak Beirami est citoyen iranien. Il affirme craindre avec raison d’être persécuté en Iran du fait de son appartenance au Front démocratique. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande d’asile au motif que, de façon générale, il n’était pas crédible. La Commission a aussi conclu que M. Beirami n’avait pas établi son identité.

 


[2]               M. Beirami demande que la décision soit annulée au motif que bon nombre des conclusions que la Commission a tirées sur la crédibilité étaient manifestement déraisonnables. Il affirme aussi que la Commission a commis une erreur en n’acceptant pas un document délivré par le gouvernement de l’Iran comme preuve de son identité.

 

Les allégations de M. Beirami

 

[3]               M. Beirami allègue qu’il exploitait un club vidéo à Téhéran avec Mohammad Abdullahzadeh. M. Abdullahzadeh avait des liens avec la police religieuse iranienne ou « baseej ». M. Beirami pensait que M. Abdullahzadeh remettait une partie des recettes du club à une mosquée locale. Il a cependant découvert ultérieurement que la mosquée ne recevait rien de M. Abdullahzadeh. Lorsque M. Beirami a demandé à M. Abdullahzadeh de lui rendre des comptes, M. Abdullahzadeh lui a dit que l’argent avait en fait été donné à la baseej.

 

[4]               M. Beirami affirme que, après cet aveu de la part de M. Abdullahzadeh, la baseej a commencé à lui faire des ennuis. Il a été arrêté et battu, puis forcé de céder sa part de l’entreprise à la baseej.

 

[5]               En juillet 1999, M. Beirami est entré à l’université Azad, à Téhéran, où il a fait la connaissance d’un autre étudiant, Farzod Amini. M. Amini faisait partie d’un groupe politique appelé Front démocratique, et M. Beirami affirme qu’il a commencé à travailler pour cette organisation.

 

[6]               M. Beirami a aperçu M. Abdullahzadeh sur le campus de l’université et il a pensé qu’il travaillait pour la baseej comme agent d’infiltration. Après que M. Beirami eut fait part à M. Amini de ses soupçons, le Front démocratique a distribué des dépliants aux étudiants de l’université pour les mettre en garde contre la présence d’espions sur le campus.

 

[7]               M. Beirami affirme qu’il a été arrêté par la baseej en juillet 2000. Il soutient qu’il a été détenu pendant 40 jours, au cours desquels il a été interrogé au sujet de la publication des dépliants. Il a témoigné que, après qu’il eut admis avoir fait part à M. Amini de ses soupçons au sujet de la présence de M. Abdullahzadeh sur le campus, il a été roué de coups et a eu le nez brisé.

 

[8]               M. Beirami allègue qu’il a ensuite été menotté et emmené à l’hôpital pour être traité. Il affirme que, après avoir été traité pour ses blessures, il a pu échapper à la vigilance du gardien qui le retenait par un bout des menottes : il quitte l’hôpital en courant et le long de la route un motocycliste s’arrête et le fait monter, puis le conduit chez l’un de ses amis.

 

[9]               Après cette évasion, le père de M. Beirami a pris des arrangements pour faire sortir son fils du pays. M. Beirami est d’abord allé en Belgique, où sa demande du statut de réfugié a été rejetée. Il est ensuite entré au Canada le 10 janvier 2003 en présentant un faux passeport et a demandé l’asile peu de temps après.

 

[10]           La seule pièce d’identité que M. Beirami a pu produire à l’audience de sa demande d’asile est son livret militaire iranien. Selon M. Beirami, son certificat de naissance original a soit été perdu, soit été saisi en Iran. Il affirme qu’il a fourni une photocopie de son certificat de naissance aux autorités belges et qu’il avait aussi remis une autre copie de ce certificat, en plus de son permis de conduire, à un ami en Belgique. Il affirme en outre que cet ami lui a envoyé certains documents au Canada par la poste. Ces documents lui auraient été expédiés en trois envois distincts parce qu’il était plus économique de procéder ainsi. M. Beirami a témoigné que, bien que les documents eussent été censément mis à la poste quelque trois mois avant l’audience sur la demande d’asile et que l’un des envois eût été fait par courrier recommandé, il n’avait encore rien reçu.

 

La décision de la Commission

 

[11]           La Commission a rejeté l’explication fournie par M. Beirami pour ne pas pouvoir produire plus d’une carte d’identité. Elle n’a pas accepté que les envois contenant apparemment les documents de M. Beirami ne soient toujours pas arrivés quelque trois mois après leur prétendue mise à la poste. Par conséquent, la Commission a conclu qu’il y avait lieu de sérieusement mettre en doute l’identité de M. Beirami.

 


[12]           La Commission a souligné que M. Beirami n’avait fourni que son livret militaire comme pièce d’identité et que les renseignements qu’il contenait contredisaient son témoignage. M. Beirami affirme que ses ennuis ont commencé alors qu’il fréquentait l’université Azad, juste après avoir terminé son service militaire. Cependant, le livret militaire qu’il a produit montre qu’il a fait seulement deux années d’école secondaire. M. Beirami a témoigné qu’il était à Shiraz pour la dernière partie de son service militaire et qu’il n’était pas présent au moment où le livret a été délivré. Selon lui, un bureau de l’armée a inscrit des renseignements erronés dans le livret. La Commission n’a pas accepté cette explication. Selon la Commission, si l’armée ne savait pas quel était le niveau d’éducation de M. Beirami, la partie du livret portant sur l’éducation aurait vraisemblablement été laissée simplement en blanc.

 

[13]           La Commission a aussi conclu que la description que M. Beirami avait faite de son évasion de l’hôpital n’était pas vraisemblable. Plus spécialement, la Commission a conclu qu’il était peu vraisemblable que M. Beirami ait pu échapper à un gardien, alors qu’il venait d’être roué de coups, qu’il saignait abondamment et qu’il était menotté. La Commission a conclu qu’il était tout aussi peu vraisemblable qu’un motocycliste passant par hasard prendrait le risque d’affronter le régime répressif iranien en faisant monter sur sa motocyclette une personne qui lui était complètement étrangère et qui, de toute évidence, fuyait les autorités.

 

[14]           La Commission a aussi conclu que M. Beirami n’avait pas fait preuve du niveau de connaissance du Front démocratique auquel il était normal de s’attendre de la part d’une personne qui y avait milité activement pendant un an. Selon la Commission, le témoignage de M. Beirami sur ce point était « sommaire et déconcertant ».

 

[15]           En raison des graves doutes qu’elle entretenait quant à la crédibilité de M. Beirami et de l’incapacité de l’intéressé d’établir son identité selon la prépondérance des probabilités, la Commission a conclu que M. Beirami n’avait pas établi qu’il était un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger.

 

Les questions en litige

 

[16]           Dans sa demande de contrôle judiciaire, M. Beirami soulève deux questions :

1.         Les conclusions que la Commission a tirées sur la crédibilité (à part celles se rapportant à l’identité) étaient-elles manifestement déraisonnables?

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que M. Beirami n’avait pas fourni une preuve suffisante de son identité?

Je suis d’avis qu’il est possible de statuer sur la demande uniquement en répondant à la première question. Il ne sera donc pas nécessaire d’examiner la seconde.

 

Les conclusions que la Commission a tirées sur la crédibilité (à part celles se rapportant à l’identité) étaient-elles manifestement déraisonnables?

 


[17]           La Commission possède une expertise bien établie pour ce qui est de décider les questions de fait, y compris évaluer la crédibilité des demandeurs d’asile. En effet, ces décisions sont au coeur même de sa compétence. Comme juge des faits, la Commission est habilitée à tirer des conclusions raisonnables sur la crédibilité du récit d’un demandeur en se fondant sur la vraisemblance, le bon sens et la rationalité. Par conséquent, avant qu’une conclusion de fait tirée par la Commission puisse être annulée par la Cour, il faut faire la preuve que cette conclusion est manifestement déraisonnable; voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au par. 40, et Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

 

[18]           En l’espèce, la Commission a rejeté le témoignage de M. Beirami sur sa participation aux activités du Front démocratique au motif que sa connaissance du Front et de ses activités était « sommaire et déconcertant[e] ». L’avocat de M. Beirami admet qu’il y avait bien des choses que son client ne savait pas au sujet de l’organisation, mais soutient que, compte tenu de la nature secrète de l’organisation, il n’était pas déraisonnable que son client ne sache pas quel en était le nombre de membres. Il fait en outre observer que son client a été membre de ce groupe pendant seulement un an.

 

[19]           J’examiné la transcription du témoignage de M. Beirami sur ce point. Bien que M. Beirami affirme avoir participé aux activités du groupe pendant seulement un an, il s’est décrit comme un participant très actif : présence aux réunions et rassemblements politiques et distribution de pamphlets. Par conséquent, il était tout à fait raisonnable que la Commission considère comme suspect le peu de connaissance que M. Beirami avait du Front démocratique.

 


[20]           M. Beirami soutient également que la conclusion de la Commission selon laquelle son évasion de l’hôpital n’était pas vraisemblable ne peut pas résister à un examen judiciaire. Invoquant l’arrêt de la Cour d’appel Attakora c. M.E.I. (1989), 99 N.R. 168, M. Beirami affirme que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il ne pouvait pas échapper à son gardien compte tenu des blessures qu’il avait dit avoir reçues. Aux dires de M. Beirami, la Commission ne pouvait pas tirer une telle conclusion sans s’appuyer sur une preuve médicale.

 

[21]           Dans Attakora, le juge Hugessen a signalé quun tribunal ne peut tout simplement pas considérer que la mesure dans laquelle un genou fracturé empêche de marcher est de connaissance judiciaire. Comme il l’a fait remarquer : « cette situation dépend de la nature et du degré de la fracture ainsi que des circonstances dans lesquelles se trouve la personne blessée ».

 

[22]           Ce n’est pas ce qui est arrivé en l’espèce. Si d’une part la Commission entretenait évidemment un doute quant à la crédibilité du récit que M. Beirami avait fait de son évasion, vu ce qu’il avait dit au sujet de la gravité de ses blessures, la Commission était en outre clairement déconcertée par le fait que M. Beirami avait dit que, au moment de son évasion, il était alors menotté et surveillé par un gardien qui se trouvait juste à côté de lui. Dans les circonstances, la conclusion de la Commission que le récit n’était pas vraisemblable n’était pas manifestement déraisonnable.

 

[23]           Enfin, M. Beirami soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle il n’était pas vraisemblable qu’un motocycliste le ferait monter au passage alors qu’il s’enfuyait de l’hôpital était à la fois conjecturale et manifestement déraisonnable. Selon M. Beirami, si l’on suit la logique de la Commission, la parabole du bon Samaritain n’est guère vraisemblable.


 

[24]           Sans vouloir me lancer dans une exégèse des paraboles de la Bible, je ferais remarquer que, en l’espèce, M. Beirami était un fugitif menotté. Vu la nature du régime actuel en Iran, la Commission a conclu qu’il était peu vraisemblable qu’un passant s’arrêterait et aiderait M. Beirami à s’échapper, se mettant lui-même en danger. La Commission a trouvé cela d’autant moins vraisemblable que M. Beirami était apparemment un inconnu pour le conducteur de la motocyclette, qui n’avait aucun moyen de savoir pourquoi il fuyait les autorités. Même en prenant en considération l’affirmation de M. Beirami selon laquelle les motocyclistes de Téhéran offrent souvent de servir de taxi, je ne vois pas sur quelle base je m’appuierais pour intervenir à l’encontre de la conclusion de la Commission sur ce point.

 

[25]           Vu que la Commission n’a pas cru le témoignage de M. Beirami quant aux questions centrales sur lesquelles reposait sa demande, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de l’identité, sauf pour faire observer que même si la Commission avait accepté le livret militaire de M. Beirami comme preuve suffisante de son identité, les renseignements que contenait ce livret quant à son niveau d’éducation minaient encore davantage la crédibilité de son récit.

 

[26]           Pour ces motifs, la demande est rejetée.

 


Certification

 

[27]           Aucune partie n’a demandé la certification d’une question et l’affaire n’en soulève aucune.

                                                                             

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

 

 

                 « Anne L. Mactavish »               

                              Juge

 

 

 

 

                                                                             

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                             COUR FÉDÉRALE

 

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                       IMM-7115-03

 

INTITULÉ :                                      BABAK BEIRAMI

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :               TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :              LE MARDI 31 AOÛT 2004     

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                    LE 14 SEPTEMBRE 2004

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

Micheal Crane                                    POUR LE DEMANDEUR

 

Robert Bafaro                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane                                    POUR LE DEMANDEUR

Avocat

166, rue Pearl,

Bureau 100

Toronto (Ontario)

M5H 1L3

 

 

Morris Rosenberg                               POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 


COUR FÉDÉRALE

 

                                                      Date : 20040831

 

                  Dossier : IMM-7115-03

 

 

ENTRE :

 

 

BABAK BEIRAMI

 

                                                                demandeur

 

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE LIMMIGRATION

 

                                                                   défendeur

 

 

 

                                                                                    

MOTIFS DE LORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

                                                                                    

 

 

 


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