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     Date : 19990429

     Dossier : IMM-127-98

     OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 29 AVRIL 1999

    

     EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

     ABRAHAM CORNELIUS GRANT,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

Pour les raisons que j'ai mentionnées dans les motifs de l'ordonnance, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     " Max M. Teitelbaum "

                                         J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19990429

     Dossier : IMM-127-98

ENTRE :

     ABRAHAM CORNELIUS GRANT,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle et d'annulation d'une décision de la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section d'appel), datée du 3 décembre 1997, par laquelle il a été statué que le demandeur doit être renvoyé du Canada.

LES FAITS

[2]      Le demandeur est un citoyen de la Jamaïque. Arrivé pour la première fois au Canada en 1980 comme visiteur, il est ensuite devenu résident permanent du Canada en 1987, à l'âge de 28 ans. Au Canada, il a été accusé et reconnu coupable des infractions suivantes : en 1990, de possession de stupéfiants, infraction pour laquelle il a été condamné à une amende de 200 $ et à une période de probation de deux ans; en 1994, de voies de fait et d'avoir proféré des menaces, infractions pour lesquelles il a purgé une peine de trente jours par intermittence avec une période de probation de douze mois; et, en 1996, de trafic de stupéfiants, infraction pour laquelle il a purgé quatre mois de prison après avoir été condamné à une peine de dix mois. M. Grant a commis cette dernière infraction en vendant cinq livres de marijuana à un policier banalisé à la demande d'un ami.

[3]      Comme conséquence de cette dernière infraction, il a été jugé que le demandeur était une personne visée par l'alinéa 27(1)d) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, soit une personne qui a été déclarée coupable d'une infraction pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été imposée ou qui peut être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans. Une mesure d'expulsion a été prise contre lui le 19 février 1997.

[4]      La légalité de la mesure d'expulsion n'a pas été contestée devant la Section d'appel. Le demandeur a plutôt interjeté appel devant la Section afin qu'elle exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 70(1)b) de la Loi pour suspendre la mesure d'expulsion. Dans un tel appel, l'appelant a le fardeau de prouver, compte tenu de la probabilité la plus forte, qu'eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, il ne devrait pas être renvoyé du Canada. La Section d'appel doit exercer son pouvoir discrétionnaire conformément aux objectifs de la Loi, qui sont notamment de reconnaître la nécessité de maintenir et de garantir la santé, la sécurité et l'ordre public au Canada. Dans l'affaire Ribic c. Canada (M.E.I.), (20 août 1985), dossier no T84-9623 SAI, la Section d'appel a énoncé six facteurs qui doivent être pris en considération pour accueillir une telle demande. Ces facteurs ne sont pas exhaustifs et le poids qu'il faut attribuer à chacun dépend des circonstances particulières de la cause. Ces facteurs sont :

     1.      la gravité de l'infraction entraînant l'expulsion;
     2.      les chances de réadaptation;
     3.      le temps passé au Canada et le degré d'enracinement de l'appelant;
     4.      la présence de membres de la famille au pays et la séparation que l'expulsion de l'appelant pourrait leur occasionner;
     5.      l'appui offert à l'appelant non seulement dans la famille mais également dans la collectivité;
     6.      l'importance des épreuves que l'appelant subirait en retournant dans le pays dont il a la nationalité.

LA DÉCISION DE LA SECTION D'APPEL

1. La gravité du crime

[5]      La Section d'appel a statué que le trafic de drogues fait en 1996 constitue une infraction grave. La longue peine imposée reflétait la gravité du crime.

2. Les chances de réadaptation

[6]      La Section d'appel a jugé que le demandeur n'était pas un témoin crédible et digne de foi. Son témoignage était incohérent, voire contradictoire, et son attitude évasive. La Section d'appel n'était pas convaincue de la franchise du demandeur lorsqu'il a décrit les circonstances entourant l'infraction commise en 1996. Tout d'abord, le demandeur a déclaré ne pas avoir consommé de marijuana depuis le milieu des années 80 et ne rien connaître au trafic de drogues. La Section d'appel a jugé que cette déclaration était peu plausible. L'ami du demandeur ne se serait pas adressé à une personne qui ne connaissait rien au trafic de drogues pour obtenir les quarante livres de marijuana que désirait acheter une autre personne disposée à payer jusqu'à 10 000 $ pour les cinq premières livres. M. Grant a reconnu avoir vendu de la drogue pour profiter de l'occasion de faire de l'argent rapidement. Sous la pression des questions de l'avocat du défendeur, il a fini par prétendre qu'il ne savait pas pourquoi son ami s'était adressé à lui pour obtenir de la drogue.

[7]      Le demandeur a pu se procurer cinq livres de marijuana en deux semaines. Devant la Section d'appel, il a témoigné que, pour ce faire, il a simplement traîné dans une boîte de nuit. Ce témoignage vient contredire une déclaration antérieure faite à un agent d'immigration à qui il avait expliqué avoir fait la rencontre d'un pourvoyeur en effectuant une livraison de fruits et de légumes. Par conséquent, la Section d'appel a rejeté la prétention du demandeur suivant laquelle il n'avait jamais fait le trafic de drogues auparavant, d'autant plus qu'en 1990, il avait été accusé de possession de cocaïne dans le but d'en faire le trafic, chef d'accusation qui a été réduit à une inculpation de possession en échange d'un plaidoyer de culpabilité.

[8]      De plus, le demandeur n'a pas réussi à convaincre la Section d'appel qu'il disait la vérité en ce qui concerne les circonstances entourant sa condamnation en 1990. Il a prétendu qu'il était simplement en train de jouer aux cartes dans un appartement au moment où les policiers ont enfoncé la porte pour trouver de la cocaïne sur les lieux et une somme de plus de 200 $ en sa possession. Il a plaidé coupable comme le lui conseillait son avocat afin d'éviter de faire de la prison. En fait, le demandeur a expliqué qu'il s'était seulement trouvé au mauvais endroit au mauvais moment et qu'il avait reçu de mauvais conseils juridiques. La Section d'appel n'a pas cru le demandeur lorsqu'il a affirmé qu'il ignorait que de la drogue se trouvait sur les lieux. Le demandeur connaissait le propriétaire de l'appartement où il s'était rendu au moins huit fois peu de temps auparavant.

[9]      En ce qui concerne sa condamnation en 1994 pour avoir commis des voies de fait et proféré des menaces, le demandeur a témoigné qu'aucune violence n'avait été exercée et qu'il avait seulement dit à un ami qu'il allait lui " casser la gueule ". Il n'a pas le sentiment d'avoir fait quelque chose de mal. Ce n'est qu'à la suite de questions répétées que le demandeur a admis avoir eu des contacts physiques avec la victime.

[10]      Le demandeur a été libéré conditionnellement quatre mois après l'imposition de la peine. Les conclusions de la Commission des libérations conditionnelles ont été présentées à l'audience. La Commission des libérations conditionnelles était aussi d'avis que le demandeur avait tendance à minimiser la gravité de ses infractions. Toutefois, le fait que le demandeur a accepté la responsabilité de ses actes a contribué à dissiper les doutes de la Commission des libérations conditionnelles. La Section d'appel ne pouvait pas arriver à la même conclusion. Le demandeur n'a pas été franc au sujet des circonstances entourant sa condamnation de 1996. La Section d'appel a également constaté que le demandeur cherchait constamment à blâmer les autres pour son sort. Son manque de sincérité relativement aux infractions qu'il a commises a miné la preuve concernant ses possibilités de réadaptation.

[11]      La Section d'appel n'était pas convaincue que le demandeur avait reconnu le lien entre ses actes et les dommages que les stupéfiants causent à la société. Le demandeur a insisté pour que ses filles comprennent l'importance de ses séances de counselling, mais il a omis de les informer du danger que représentaient les stupéfiants.

[12]      La Section d'appel ne doute pas que le demandeur n'a pas aimé son séjour en prison, mais compte tenu du fait qu'il n'accepte pas la responsabilité de ses actes, ses remords n'ont pas suffi à la convaincre.

[13]      M. Alvin Constantine Grant, le père du demandeur, a témoigné à l'audience. M. Grant père est arrivé au Canada en 1982. Il était convaincu que le demandeur éprouvait vraiment des remords pour ses actes. Il a également informé la Section d'appel que l'arrestation du demandeur en 1996 avait déshonoré les membres de la famille, qui sont des citoyens respectueux des lois. M. Grant père a été bouleversé quand il a appris que son fils avait été arrêté pour trafic de drogues. Il n'était pas au courant des condamnations précédentes de son fils. Le demandeur avait témoigné auparavant que les membres de sa famille connaissaient cette partie de son passé. Étant donné que le demandeur n'a jamais été franc avec son père dans le passé, la Section d'appel a accordé peu de valeur au témoignage de M. Grant père au sujet des remords qu'éprouverait son fils.

[14]      Mme Judith Pilowsky est la psychologue clinicienne qui a évalué le demandeur à la demande de son avocat. Elle a parlé avec M. Grant et la description du casier judiciaire de ce dernier lui a été fournie. À son avis, M. Grant acceptait la responsabilité de ses actes et éprouvait réellement des remords. Il avait particulièrement honte d'avoir perdu le respect des membres de sa famille. Sa honte et son horreur de la prison exerçaient un effet dissuasif important quant à une récidive. La Section d'appel a jugé qu'elle était un témoin crédible. Elle a cependant noté qu'elle était une psychologue clinicienne et non pas une psychologue judiciaire. En conséquence, plutôt que de la considérer comme un témoin expert pour évaluer le risque de récidive et la possibilité de réadaptation, elle l'a considérée comme un témoin qui possède de l'expérience dans le vaste domaine de la psychologie clinique. Mme Pilowsky a également mentionné que ses conclusions était valables dans la mesure où le demandeur avait été franc avec elle. Vu le témoignage trompeur du demandeur à l'audience, la Section d'appel a conclu, compte tenu de la probabilité la plus forte, qu'il n'avait pas été honnête avec Mme Pilowsky. Le test psychologique a révélé que le demandeur n'était pas prédisposé à commettre des actes criminels. Cependant, ces tests n'ont pas tenu compte de certains facteurs comme celui de l'appât du gain facile. La Section d'appel a également noté que la honte d'être arrêté et l'humiliation des membres de sa famille n'ont jamais dissuadé le demandeur de récidiver une deuxième et troisième fois. C'est pourquoi la Section d'appel a accordé peu de valeur aux conclusions de la psychologue.

[15]      La Section d'appel n'était pas convaincue que le demandeur avait été réadapté. Ce qui, avec la gravité des infractions et la possibilité d'une récidive, a amené la Section d'appel à considérer que la présence du demandeur au Canada constituait une menace inacceptable pour la société.

Le degré d'enracinement du demandeur au Canada

[16]      M. Grant a un emploi depuis son arrivée au Canada. Au début, il a surtout vécu à Winnipeg où il a été arrêté avec un ami pour introduction par effraction. L'inculpation a été retirée. En 1985, il a déménagé à Toronto où il est resté quelques mois chez sa soeur Paulette. Il a ensuite habité deux ou trois ans avec la mère de ses filles à Toronto, puis avec une compagne. Après, il est retourné quelque temps à Winnipeg avant de revenir à Toronto. Il vit maintenant avec sa soeur Maxine. Il travaille actuellement à temps plein depuis mai 1995, comme camionneur et réceptionnaire/expéditeur. Son employeur est satisfait de son travail.

La famille du demandeur

[17]      Le demandeur a trois filles dont une qui vit en Jamaïque. Les jumelles du demandeur habitent au Canada ainsi que son père, sa mère et ses deux soeurs. Le père du demandeur a témoigné que sa famille est très unie et a le sens des valeurs. Bien qu'ils le soutiennent en ce moment, les membres de la famille du demandeur refuseraient de l'aider s'il récidivait.

[18]      Le demandeur a constitué un fonds d'études dont la valeur actuelle s'établit à 8 000 $ pour ses filles. Il verse des pensions alimentaires lorsque c'est possible, mais personne ne dépend de lui au Canada pour obtenir de l'aide financière.

[19]      Les filles du demandeur n'ont pas témoigné. C'est pourquoi la Section d'appel a refusé de tirer une conclusion en ce qui concerne les difficultés émotionnelles excessives qu'elles subiraient. Le demandeur manquerait sûrement aux membres de sa famille, mais ils pourraient toujours rester en contact avec lui en lui téléphonant, en lui écrivant ou en le visitant.

Les épreuves que le demandeur subirait en retournant dans son pays

[20]      Le demandeur a une fille de vingt ans en Jamaïque. Il a une bonne relation avec la mère de cette dernière qui vit aussi en Jamaïque. Il a lui-même été élevé dans ce pays où il a complété deux années de collège. Cependant, il n'y possède aucun bien. Même s'il serait difficile pour le demandeur de recommencer sa vie en Jamaïque, la Section d'appel a jugé qu'il pourrait bénéficier du soutien de sa famille.

[21]      La Section d'appel a conclu que le demandeur n'avait pas réussi à la convaincre que, dans les circonstances particulières de l'espèce, il ne devrait pas être renvoyé du Canada.

QUESTIONS EN LITIGE

[22]      Les questions en litige sont les suivantes :

     1.      La Commission a-t-elle commis une erreur en considérant que Mme Pilowsky n'était pas un témoin expert en psychologie judiciaire? (La Commission a accepté de la considérer comme une experte de la psychologie clinique.)
     2.      La Section d'appel a-t-elle commis une erreur en décidant quelle valeur accorder à la preuve émanant de Mme Pilowsky?
     3.      Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit en accordant peu d'importance au rapport de Mme Pilowsky parce que l'opinion qui y était exprimée était fondée sur des renseignements que lui avait fournis le demandeur?
     4.      Le tribunal a-t-il mal interprété la preuve produite ou a-t-il omis d'en tenir compte?     

ANALYSE

1. La qualification de Mme Pilowsky

[23]      Le demandeur conteste la façon dont la Commission a qualifié Mme Pilowsky, soit comme " un témoin qui possède de l'expérience dans le vaste domaine de la psychologie clinique ". Il allègue que la Section d'appel est revenu sur sa décision antérieure de considérer Mme Pilowsky comme un témoin expert pour la considérer ensuite comme un témoin ordinaire qui possède de l'expérience en psychologie clinique, et ce sans préciser pour quel motif et sans en aviser le demandeur pour lui permettre de formuler une objection. Le fait d'avoir qualifié Mme Pilowsky de témoin ordinaire a eu un effet négatif sur la capacité du tribunal d'accorder suffisamment d'importance aux conclusions de Mme Pilowsky, conclusions suivant lesquelles le demandeur semblait véritablement éprouver des remords, acceptait la responsabilité de ses actes et risquait peu de récidiver.

[24]      Je rejette l'affirmation suivant laquelle la Section d'appel a changé son fusil d'épaule. Les motifs de la Section d'appel doivent être examinés dans leur contexte. À l'audience, la Section d'appel a conclu que Mme Pilowsky était une experte dans le domaine de la psychologie clinique par opposition à une experte en psychologie judiciaire. Elle a mentionné de nouveau cette conclusion dans ses motifs aux termes desquels :

         [Traduction]         
         Mme Pilowsky a confirmé qu'elle est psychologue clinicienne et non psychologue judiciaire. Je ne l'ai pas considérée comme un témoin expert en matière d'évaluation du risque de récidive et de la possibilité de réadaptation. Elle a témoigné à titre de témoin qui possède de l'expérience dans le vaste domaine de la psychologie clinique.

[25]      La Section d'appel a quand même considéré Mme Pilowsky comme un témoin expert. Elle a tout simplement qualifié la nature et déterminer l'étendue de son expertise.

2. La Section d'appel a-t-elle commis une erreur en décidant quelle valeur accorder à la preuve émanant de Mme Pilowkdy?

[26]      Le demandeur soutient que la Section d'appel a commis une erreur de droit en décidant qu'il fallait accorder peu d'importance au témoignage de Mme Pilowsky parce qu'elle ne portait pas l'étiquette précise d'une psychologue judiciaire. Il estime que l'expérience, la formation et la compétence de Mme Pilowsky la qualifiaient pour témoigner sur des sujets comme l'évaluation du risque et la possibilité de réadaptation. Mme Pilowsky a témoigné que ces questions n'étaient pas réservées aux psychologues judiciaires, mais qu'elles relevaient aussi de la psychologie clinique et de la psychologie de réadaptation. En fait, traiter des personnes qui ont des casiers judiciaires représente 20 pour 100 de son travail. Le fait de ne pas être une psychologue judiciaire ne lui enlevait pas sa capacité et sa compétence pour témoigner au sujet de l'évaluation du risque. La Section d'appel a donc commis une erreur de droit en accordant moins de valeur à son témoignage parce que cette désignation particulière ne lui était pas applicable et parce que la preuve qu'elle a offerte était celle d'un témoin ordinaire.

[27]      D'après le témoignage de Mme Pilowsky, il est clair que certains aspects de la psychologie clinique et de la psychologie judiciaire peuvent se chevaucher. Toutefois, le fait est qu'elle n'est pas psychologue judiciaire. À l'audience, il a été clairement expliqué aux avocats qu'un certain poids serait donné à son témoignage. À la page 99 de la transcription, il est possible de voir comment le président de l'audience a informé les avocats :

         [Traduction]
         [...] avec l'appelant et Mme Pilowsky a passé au moins deux heures, vraisemblablement assez bien ciblées, avec l'appelant. C'est pourquoi, j'ai cru que les avocats pouvaient juger son témoignage utile et sous réserve de la valeur que le tribunal lui accordera puisqu'elle n'offre pas - lui accordera de la valeur étant donné qu'elle n'est pas un témoin expert en psychologie judiciaire. C'était le premier point.
         Le second point concerne sa désignation en tant qu'experte en psychologie clinique. J'accepte la prétention du défendeur suivant laquelle les termes psychologie clinique sont des termes très généraux qui incluent de nombreuses désignations, comme l'a expliqué le témoin. Étant donné son témoignage au sujet de sa formation et de son expérience en psychologie clinique et le fait que le défendeur a clairement reconnu cette expérience, le tribunal juge qu'elle est un témoin expert dans le vaste domaine de la psychologie clinique.
         En tirant cette conclusion, le tribunal souhaite répéter que même s'il a jugé qu'elle n'était pas un témoin expert en psychologie judiciaire, il accordera évidemment de la valeur à son témoignage en ce qui concerne le risque de récidive et la possibilité de réadaptation.

[28]      Le président de l'audience a ensuite précisé que le mot " réadaptation " allait de pair avec le mot " remords ". Les avocats des deux parties ne se sont pas opposés à cette qualification. Il est évident que les avocats ont eu l'occasion de formuler une objection en ce qui concerne la conclusion de la Section d'appel. Il est inopportun et injustifié d'intervenir maintenant.

[29]      Deux raisons autres que son étiquette de psychologue clinicienne expliquent pourquoi le rapport de Mme Pilowsky n'a pas beaucoup compté. Premièrement, elle a reconnu que ses conclusions seraient fausses si le demandeur n'avait pas été franc avec elle. Deuxièmement, le test qui a été administré au demandeur ne tenait pas compte d'un facteur de stress additionnel, soit celui de l'appât du gain facile, facteur qui l'a incité en 1996 à commettre un crime. Pour ces motifs, j'estime qu'il n'existe aucun motif valable d'intervenir en ce qui concerne la valeur accordée à cette preuve.

3. Le tribunal a-t-il commis une erreur dans son évaluation de la preuve que renfermait le rapport de Mme Pilowsky étant donné que ce rapport était fondé sur des renseignements que lui avait fournis le demandeur?

[30]      Le demandeur allègue que la Section d'appel a commis une erreur de droit en donnant peu de poids au rapport de Mme Pilowsky parce qu'il était fondé sur des renseignements fournis par le demandeur. Il est important de rappeler que la Section d'appel a jugé qu'étant donné les réponses évasives du demandeur à l'audience, il avait probablement manqué de franchise avec la psychologue.

[31]      Selon le demandeur, cette conclusion est très abusive puisque le tribunal ne disposait d'aucune preuve qui lui permettait de conclure que le demandeur n'avait pas révélé tous les détails relatifs à son passé criminel. Mme Pilowsky a déclaré à plusieurs reprises que son avis professionnel était que le demandeur était franc et sincère, avis que confirmaient les résultats du test MMP1 administré au demandeur. Le test MMP1 est utilisé couramment pour déterminer si, suivant sa personnalité, une personne a une tendance naturelle à se livrer à des activités criminelles ou s'il s'agit d'un acte isolé ou d'une série d'incidents isolés. Ce test est considéré comme le plus fiable à l'heure actuelle en psychologie et en psychiatrie.

[32]      Le test MMP1 comprend deux échelles. La première permet d'évaluer si une personne ment. Mme Pilowsky a expliqué que ce test est très difficile à fausser. Ce test permet de déterminer si une personne ment, à moins qu'elle soit vraiment bien informée, psychopathe ou exceptionnellement intelligente. La seconde échelle permet d'évaluer la tendance aux activités psychopathiques. L'incapacité d'accepter ses responsabilités, un comportement antisocial, l'invention d'excuses, la tendance à être très charmeur et liant, ainsi que le désir de créer une bonne impression permettent d'identifier cette tendance. À son avis, le demandeur n'a pas essayé d'embellir la réalité ou de nier les faits. Il semblait sincère. Le temps passé en prison, la perte de son emploi et du respect des membres de sa famille et le risque d'être expulsé du pays lui fournissaient de bonnes raisons pour ne pas récidiver.

[33]      Mme Pilowsky administre ce test depuis dix ans. Elle possède une formation de douze ans en psychologie, en particulier dans le domaine de l'évaluation de la personnalité. Au cours des années, elle a procédé à plus de trois mille évaluations de la personnalité dont trente concernaient des personnes qui avaient un casier judiciaire. Au cours de ces évaluations, elle examinait les causes du comportement, son contexte, le niveau de compréhension des événements par la personne en cause, ses remords et sa vision de l'avenir. Environ 20 pour 100 de son travail consiste à traiter des personnes qui ont des casiers judiciaires. Elle est donc qualifiée pour interpréter les résultats du test MMP1.

[34] Le demandeur signale que le rapport ne se limite pas aux renseignements qu'il a fournis à Mme Pilowsky. L'avocat du demandeur l'a informée des chefs d'accusation dont il avait été reconnu coupable. Le demandeur conclut qu'il est très abusif d'affirmer qu'il ne disait probablement pas la vérité au sujet de son passé criminel. En plus de ne pas avoir eu l'occasion de mentir, il est probable, selon la psychologue, qu'il éprouvait sincèrement des remords et qu'il ne représentait aucun danger pour la société canadienne.

[35]      Une fois de plus, le demandeur demande à la Cour de réévaluer la preuve produite devant la Section d'appel et de déterminer à nouveau quelle valeur lui accorder. Il est de droit constant que la cour qui procède au contrôle refuse d'intervenir si le tribunal n'a pas tiré une conclusion abusive ou arbitraire. Dans l'affaire Azad c. M.C.I. (26 janvier 1995), IMM-1582-94 (C.F. 1re inst.), le juge Cullen a déclaré ce qui suit à la page 4 :

         Dans ses observations, l'avocate du requérant a repoussé chacun des motifs pour lesquels la Commission n'a pas jugé crédible le témoignage du requérant. Après avoir soigneusement lu le dossier et avoir entendu les plaidoiries, je ne puis dire que j'en serais arrivé à la même conclusion que la Commission. Toutefois, le rôle du tribunal qui procède au contrôle ne consiste pas à peser et à apprécier de nouveau la preuve dont disposait la Commission. Cette Cour doit, au contraire, se garder d'intervenir si les conclusions relatives à la crédibilité et à la vraisemblance sont justifiées par la preuve.

[36]      Suivant la preuve produite devant la Section d'appel, le demandeur a menti à un agent d'immigration et a induit les membres de sa famille en erreur en ce qui concerne son passé criminel. À l'audience, il a donné des réponses évasives au sujet des circonstances entourant ses condamnations. La possibilité que le demandeur n'ait pas été franc avec la psychologue existait, ce qui a pu fausser ses conclusions. À la lumière de l'ensemble des circonstances, je ne juge pas que la conclusion de la Commission est à tel point injustifiée par la preuve qu'il faille la considérer abusive.

4. La Section d'appel a-t-elle mal analysé la preuve produite?

[37]      Pour appuyer sa prétention suivant laquelle la Section d'appel a mal compris la preuve produite, le demandeur a énuméré les erreurs qu'elle aurait commises.

[38]      Tout d'abord, la Section d'appel a conclu que le demandeur est arrivé au Canada pour la première fois en 1986 en tant que visiteur. Elle a également conclu que le demandeur avait épargné 800 $ pour les études de sa fille. Ces conclusions sont erronées. Le demandeur est arrivé au Canada pour la première fois en 1980. De plus, en réalité, il a économisé 8 000 $ pour sa fille. De toute façon, ces erreurs sont loin d'être déterminantes en ce qui concerne la décision de la Section d'appel. Elles sont, j'en suis convaincu, sans conséquence.

[39]      La Section d'appel a également conclu que le demandeur n'acceptait pas sa responsabilité en ce qui concerne ses condamnations. Le demandeur prétend que cette conclusion est fausse puisqu'il se souvient avoir dit le contraire dans son témoignage. Suivant ses motifs, il est clair que la Section d'appel ne l'a pas cru. Aucun argument convaincant qui justifierait mon intervention en ce qui concerne une conclusion sur la crédibilité ne m'a été présenté.

[40]      Le demandeur soutient également que, contrairement à la conclusion de la Section d'appel, il a parlé à ses filles de la drogue. Cela est faux. Voici la réponse du demandeur lorsqu'il a été interrogé à ce sujet, à la page 73 de la transcription :

         [Traduction]
         [...] j'ai eu une très longue discussion au sujet de la drogue, comme le fait d'être arrêté... , ce qui en partie m'a fait parler de ce sujet, le fait qu'il faut éviter d'avoir des problèmes avec les policiers. Nous n'avons jamais vraiment parlé de la drogue en tant que telle de cette façon; nous avons seulement parlé du fait qu'il fallait éviter d'avoir des problèmes avec les policiers en général.
         (non souligné dans l'original)

[41]      En me fondant sur cet extrait, je conclus que la conclusion de la Section d'appel est juste.

[42]      La Section d'appel a conclu que le demandeur a n'admis que sous la pression qu'il ignorait la raison pour laquelle son ami s'était adressé à lui en particulier pour obtenir de la drogue. Selon le demandeur, cette conclusion est abusive. Il a expliqué plusieurs fois que son ami lui avait seulement mentionné que quelqu'un voulait de la drogue et qu'il ne lui avait pas demandé son aide afin de faciliter la transaction. Encore une fois, je n'estime pas que la conclusion de la Section d'appel est erronée. Le demandeur a témoigné que son ami lui avait mentionné l'affaire et lui avait demandé à cinq ou six reprises s'il avait réussi à établir des contacts. Selon les pages 51 à 54 de la transcription, il semble que la Section d'appel ait été obligée de le questionner longtemps avant qu'il finisse par prétendre n'avoir aucune idée de la raison pour laquelle son ami aurait songé à lui pour se procurer de la marijuana.

[43] Selon le demandeur, la Section d'appel a commis une erreur en concluant qu'il avait fait une déclaration contradictoire à un agent d'immigration. Il a témoigné qu'il n'avait jamais dit à l'agent qu'il avait fait la rencontre d'un revendeur de drogues en effectuant une livraison de fruits et de légumes et que l'agent avait dû mal comprendre. Il est clair que la Section d'appel ne l'a pas cru. Je ne vois aucune raison valable de modifier cette conclusion.

[44]      Le demandeur allègue également que la Section d'appel a commis une erreur en concluant que le demandeur avait reçu de mauvais conseils juridiques. Le demandeur nie avoir fait cette affirmation. L'examen de la transcription (p. 70) révèle que le demandeur avait l'impression d'avoir été reconnu coupable parce qu'il se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment. Il a plaidé coupable et a il été déclaré coupable même s'il n'avait commis aucun crime parce qu'il a fait ce que son avocat lui avait conseillé s'il voulait éviter la prison. Après avoir examiné la transcription, je conclus que la Section d'appel a correctement paraphrasé le témoignage du demandeur.

[45]      De plus, le demandeur estime que la Section d'appel a tiré des faits des conclusions qui n'étaient pas justifiées par la preuve. D'abord, la Section d'appel a conclu qu'il avait fait le trafic de drogue avant son arrestation de 1996. Selon le demandeur, il ne s'agit que d'une supposition puisqu'il n'a jamais été reconnu coupable de trafic avant 1996. Je ne constate pas d'erreur. Voici cette conclusion précise de la Section d'appel :

         [Traduction]
         Je ne suis pas convaincu que M. Grant a fait preuve de franchise envers l'agent d'immigration ou à l'audience en appel. Compte tenu de la probabilité la plus forte, je juge que le témoignage de M. Grant n'est pas crédible lorsqu'il affirme n'avoir jamais auparavant été impliqué dans le trafic de stupéfiants.

[46]      Ce qui a permis de conclure que M. Grant n'était pas crédible est le fait que son ami s'est adressé directement à lui pour obtenir une quantité importante de marijuana. M. Grant savait qu'il devait aller à une boîte de nuit précise de Toronto pour se procurer de la drogue. Il a réussi à fournir un échantillon au policier banalisé, puis cinq livres de marijuana d'une valeur marchande d'environ 24 000 $ dans un court laps de temps. Qui plus est, en 1990, il a été accusé de trafic de cocaïne, chef d'accusation qui a été réduit à une inculpation de possession en échange d'un plaidoyer de culpabilité. La Section d'appel était donc en droit de tirer cette conclusion compte tenu de la probabilité la plus forte.

[47]      Le demandeur conteste également le fait que la Section d'appel a conclu qu'il avait tendance à être violent malgré les témoignages de son père et de Mme Pilowsky suivant lesquels il n'est pas une personne agressive. Encore une fois, je conclus que la Section d'appel était en droit de tirer cette conclusion. La preuve démontre que le demandeur a été reconnu coupable de voies de fait et d'avoir proféré des menaces. La Commission des libérations conditionnelles et la Section d'appel ont toutes deux conclu qu'il avait tendance à minimiser la gravité de ses infractions.

[48]      Enfin, selon la Section d'appel, le rapport de Mme Pilowsky ne précisait pas qu'il ne récidiverait pas en la présence d'un facteur de stress additionnel comme la possibilité de faire beaucoup d'argent. Le demandeur soutient, qu'en tirant une telle conclusion, la Section d'appel a exigé une trop grande preuve qu'il ne récidiverait pas. De plus, cette conclusion ne tiendrait pas compte de la preuve de Mme Pilowsky suivant laquelle le demandeur a compris que les raisons financières ne justifient pas un comportement criminel.

[49]      De nouveau, la Cour refuse d'intervenir. Le fait de ne pas avoir tenu compte de la question de l'argent était un point important puisque c'est ce qui a poussé le demandeur à commettre son crime le plus grave. De même, le assurances relatives à la réadaptation du demandeur sont insuffisantes pour justifier l'intervention de la Cour étant donné les conclusions sur son manque de crédibilité.

[50]      En conclusion, la Section d'appel a examiné tous les documents qui lui ont été présentés et ses conclusions sont justifiées par la preuve. La demande est rejetée.


[51]      Aucune question à certifier n'a été proposée.

     " Max M. Teitelbaum "

                                         J.C.F.C.

Ottawa(Ontario)

Le 29 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

    

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :              IMM-127-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          ABRAHAM CORNELIUS GRANT c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 23 AVRIL 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR M. le juge Teitelbaum

EN DATE DU :                  29 avril 1999

ONT COMPARU :

Me Lorne Waldman                   POUR LE DEMANDEUR

Me Jeremiah Eastman              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Marie-Claude Rigaud              POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Me Morris Rosenberg              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

du Canada

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