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Date : 20000830


Dossier : IMM-6184-99



CALGARY (ALBERTA), LE MERCREDI 30 AOÛT 2000


EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE TEITELBAUM


ENTRE :


     USMAN RANA


     demandeur

     et


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

    

     défendeur


     O R D O N N A N C E

     Pour les raisons énoncées dans mes motifs d'ordonnance, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                             Max M. Teitelbaum

                        

                                 J.C.F.C.



Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.





Date : 20000830


Dossier : IMM-6184-99



ENTRE :


     USMAN RANA


     demandeur

     et


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

    

     défendeur


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]      Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, datée du 8 décembre 1999, par laquelle la SSR a conclu que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention selon le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1. L'autorisation de procéder à cette demande de contrôle judiciaire a été accordée le 26 juin 2000.

Le contexte

[2]      Le demandeur, Usman Rana, est âgé de 42 ans. Il est citoyen du Pakistan. Il craint d'être persécuté par les fondamentalistes musulmans du fait de sa religion, étant donné que son père était musulman et sa mère catholique. Le demandeur craint aussi d'être persécuté par les policiers, suite à l'influence supposée d'un certain Choudhry Ghazanfar2.

[3]      Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur raconte les événements qui l'ont amené à demander l'asile au Canada3. Il soutient qu'il a fait l'objet de discrimination et de violences corporelles à l'école, de la part de la majorité musulmane sunnite, et qu'il a donc dû terminer ses études secondaires dans une école privée chrétienne. Il soutient qu'il faisait face à une discrimination de tous les instants, du fait que sa mère était chrétienne dans un pays à prédominance musulmane.

[4]      Le demandeur déclare qu'il avait son propre commerce d'alimentation et qu'il avait l'aide d'un de ses amis d'école chrétien, Tahir Masiah. Le demandeur déclare aussi dans son FRP qu'il vivait selon les normes de la classe moyenne, alors que Tahir habitait dans un secteur plus pauvre comme la plupart des chrétiens.

[5]      Le 30 juin 1997, le père du demandeur est décédé. Avant sa mort, il avait fait don d'un petit terrain sur lequel on devait construire une école pour les enfants chrétiens. Dans son témoignage devant la SSR, le demandeur a déclaré que son père avait stipulé que le terrain en question ne devait pas être cédé à un individu, mais plutôt à un organisme de bienfaisance. Bien qu'il existe de telles organisations, le titre du terrain est toujours la propriété de la succession de son père, étant donné que les chrétiens n'ont pas de ressources et qu'ils craignent l'opposition de la municipalité. Toutefois, quatre personnes ont reçu une procuration aux fins de la construction d'une école sur le terrain4.

[6]      Dans son FRP, le demandeur déclare que le 15 mai 1998, Choudhry Ghazanfar, un homme riche et influent, a violé une chrétienne de 20 ans qui travaillait chez lui comme femme de ménage. Elle fait partie de la famille de Tahir, l'ami du demandeur. Selon le demandeur, il s'est rendu à la station de police avec Tahir à ce sujet, mais rien n'a été fait. Le demandeur soutient qu'il a par la suite reçu des menaces de Ghazanfar, qui l'aurait aussi semble-t-il menacé pour qu'il renonce au terrain que son père avait donné.

[7]      Dans son FRP, le demandeur déclare qu'il ne s'est jamais rendu dans une mosquée ou dans une église, puisque ses parents ne désiraient pas forcer leurs enfants à choisir une religion. À l'audience devant la SSR, le demandeur a témoigné qu'il allait à l'église avec sa mère chaque Noël et qu'il accompagnait son père aux prières annuelles de l'Eit. Il a témoigné qu'il était plutôt porté vers le christianisme et qu'à l'occasion, il allait dans une petite église catholique au Pakistan dédiée à Saint-Pierre5. Toutefois, le demandeur ne pouvait identifier aucun sacrement ou jour saint et il n'avait pas grand-chose à dire à la SSR au sujet de la religion catholique. Il a aussi témoigné qu'il était très près de sa mère et qu'elle lui avait donné une bible, mais qu'il ne pouvait pratiquer sa religion ouvertement au Pakistan puisque les conditions ne le permettaient pas6. Toutefois, il a témoigné plus tard qu'il ne pratiquait aucune religion, n'avait aucune croyance religieuse profonde et qu'il n'était pas présentement membre d'une église7. Dans sa demande pour obtenir le statut de réfugié, il déclare aussi être de religion islamique8.

[8]      Le demandeur soutient que Ghazanfar, le prêtre musulman local et certaines autres personnes, lui auraient dit qu'il devait choisir entre la chrétienté et l'Islam et qu'il devait se rendre à la mosquée pour les prières du vendredi. On lui demandait aussi de faire don du terrain de son père à la mosquée et de cesser d'appuyer la victime présumée du viol. Il n'est pas allé aux prières et il a refusé d'obtempérer à leurs autres demandes, suite à quoi il prétend qu'on l'a menacé de mort.

[9]      Le demandeur soutient que les fondamentalistes musulmans auraient appris qu'il avait été invité à une réunion à Chicago par l'évangéliste Morris Cerullo, suite à quoi ils auraient déposé une plainte à son sujet auprès des policiers le 3 juillet 1998. Pour l'essentiel, la plainte porte que le demandeur agit contre l'Islam, ainsi que contre la République islamique du Pakistan. Le demandeur soutient que les policiers l'ont arrêté le 4 juillet 1998, qu'ils l'ont détenu pendant six jours et qu'il a été battu et maltraité à ce moment-là. Il soutient aussi que son commerce d'alimentation a été incendié par les fondamentalistes musulmans. Avant qu'on le relâche, son oncle a signé un engagement portant que le demandeur serait un bon musulman.

[10]      Un autre mandat de police a été délivré contre le demandeur le 13 juillet 1998. L'un de ses cousins, qui est policier, lui a conseillé d'entrer dans la clandestinité9. Le demandeur soutient aussi que sa mère aurait dit à son ami, dans la maison duquel il se cachait, qu'une fatwa avait été délivrée contre lui le 15 juillet 1998 à la mosquée, et qu'il devait être exécuté.

[11]      L'ami du demandeur lui a déclaré que sa mère croyait qu'il devait quitter le pays, ce qu'il a fait le 16 juillet 1998. Arrivé à Montréal le 25 juillet 1998, il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention le 14 août 1998.

La décision du tribunal

[12]      Dans sa décision, la SSR a conclu que le demandeur n'est pas un chrétien et qu'il n'est affilié à aucune religion. La formation a décidé qu'il cherchait à valoriser sa revendication en affirmant qu'il était affilié aux chrétiens et qu'il était persécuté en conséquence. La formation a conclu que le demandeur ne pratiquait aucune religion au Pakistan et qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves crédibles indiquant que les fondamentalistes musulmans s'intéressaient à son affiliation à une religion. De plus, la formation a conclu qu'il n'y avait pas de preuves crédibles indiquant que le demandeur aurait été perçu comme un chrétien.

[13]      Quant au terrain donné par le père du demandeur, la formation a conclu qu'il n'y avait aucun droit et qu'il ne pouvait donc le céder à la mosquée. La formation n'a accordé que peu de poids, sinon aucun, à une lettre de son frère qu'il a produite portant que le conflit du demandeur avec Ghazanfar se réglerait s'il faisait don du terrain à la mosquée. La formation a conclu que cette lettre était intéressée et rédigée de façon à influencer la décision sur la revendication.

[14]      La formation a conclu que l'allégation que le demandeur aurait été persécuté par Ghazanfar parce qu'il appuyait la présumée victime de viol, à supposer qu'elle soit vraie, n'est rien d'autre que le signe d'une vendetta personnelle. Selon la formation, il ne s'agit pas là de persécution et il n'y a aucun lien avec un motif prévu dans la Convention.

Le point de vue du demandeur

[15]      Le demandeur soutient que la SSR a utilisé un critère erroné, ainsi que mal interprété la définition de réfugié au sens de la Convention. Il semble que le demandeur soutienne que la formation a mal interprété la preuve en concluant qu'on ne pouvait le percevoir comme un chrétien.

[16]      Le demandeur soutient que la formation n'a pas examiné l'effet cumulatif du harcèlement auquel il était soumis depuis l'école. Selon le demandeur, la preuve prise dans son ensemble démontre clairement l'existence d'une persécution liée aux motifs prévus dans la Convention.

[17]      Le demandeur soutient aussi que sa revendication est fondée sur sa race et son origine ethnique. Toutefois, le demandeur n'a présenté aucune preuve ou argument à l'appui de cette déclaration. En fait, ces motifs n'étaient pas mentionnés dans son FRP. Le demandeur soutient aussi que sa réclamation est fondée sur le fait qu'il ne pouvait pratiquer sa religion au Pakistan. Cette allégation est assez difficile à interpréter étant donné que son témoignage à savoir s'il était chrétien ou s'il pratiquait la religion chrétienne est contradictoire. Encore une fois, je rappelle que le demandeur a déclaré dans sa revendication de statut de réfugié qu'il était de religion islamique.

Le point de vue du défendeur

[18]      Le défendeur soutient que la SSR a abordé correctement la question de savoir si le demandeur était un chrétien et si on pouvait le percevoir comme tel, et qu'elle a conclu qu'il n'y avait pas de preuves crédibles indiquant que le demandeur avait une crainte fondée de persécution pour l'un ou l'autre de ces motifs.

[19]      Le défendeur soutient que la preuve du demandeur était contradictoire sur plusieurs points, notamment celui de savoir s'il pratiquait une religion au Pakistan, s'il était chrétien, et s'il était déjà allé dans église ou dans une mosquée au Pakistan. Le défendeur soutient que même si cette preuve n'avait pas été contradictoire, le demandeur n'a démontré aucune affiliation avec la religion chrétienne, non plus qu'il aurait souffert de la discrimination qui vise les chrétiens au Pakistan. Contrairement à la plupart des chrétiens dans ce pays, il vivait au sein de la classe moyenne et il avait fait des études secondaires et post-secondaires.

Les questions en litige

[20]      La SSR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'est pas un chrétien et qu'on ne pouvait le percevoir comme tel?

[21]      La SSR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'a pas établi de lien entre le traitement qu'il aurait reçu de Choudhry Ghazanfar et l'un des motifs prévus dans à la Convention?

Analyse

[22]      La formation a examiné l'affiliation et les pratiques religieuses du demandeur, qui sont l'essence même de sa revendication, et elle a conclu qu'il n'avait pas d'affiliation précise à une religion. La formation a conclu qu'il n'y avait pas de preuves crédibles que les fondamentalistes musulmans s'intéressaient à son affiliation religieuse. Elle a aussi conclu qu'il n'était pas un chrétien, et qu'on ne pouvait le percevoir comme tel. Un examen de la FRP du demandeur et de la transcription de son témoignage devant la SSR ne fait ressortir aucune erreur de la part de la SSR à ce sujet. En fait, les conclusions de la formation sont raisonnables et il n'y a pas lieu d'intervenir à leur sujet.

[23]      Quant à la question portant sur le terrain du père du demandeur, aucune preuve crédible n'a été présentée à la SSR qui indiquerait que les fondamentalistes musulmans s'intéressaient au demandeur ou à ce terrain. La formation n'a donné que peu de poids à ce qu'elle a dit être une lettre intéressée du frère du demandeur, qui cherchait à établir un motif justifiant l'intérêt présumé de Ghazanfar pour le demandeur et le terrain. La formation avait tout à fait compétence pour tirer une telle conclusion et rien n'indique qu'elle l'aurait fait de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[24]      La conclusion de la formation portant que si Ghazanfar cherche à se venger du demandeur parce qu'il a accordé son soutien à la victime présumée du viol, il s'agit d'une vendetta personnelle, est aussi raisonnable et il n'y a pas lieu d'intervenir à son sujet. La jurisprudence établit clairement qu'il doit y avoir un lien entre les atteintes et la persécution appréhendées et l'un des facteurs de la définition de réfugié au sens de la Convention. La revendication ne peut être admise en l'absence d'un tel lien. L'existence de ce lien est une question du fait, qui ressort à l'expertise de la formation10.

[25]      L'essence même des conclusions de la formation est justifiée au vu des faits au dossier. Le demandeur n'a pas démontré que la formation avait fondé sa décision sur des conclusions de fait tirées de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. Très simplement, la formation pouvait tout à fait conclure, comme elle l'a fait, que le demandeur n'était affilié à aucune religion et qu'on ne pouvait le percevoir comme chrétien. De plus, la SSR pouvait tout à fait conclure qu'on n'avait établi aucun lien entre les gestes de Ghazanfar et un motif prévu dans la Convention.

[26]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[27]      Les parties n'ont soumis aucune question à certifier.


                             Max M. Teitelbaum

                        

                                 J.C.F.C.



Calgary (Alberta)

Le 30 août 2000





Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.



COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-6184
INTITULÉ DE LA CAUSE :      USMAN RANA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


LIEU DE L'AUDIENCE :          CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 23 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE TEITELBAUM

EN DATE DU :              30 août 2000



ONT COMPARU

M. Satnam S. Aujla                          POUR LE DEMANDEUR

Mme Tracy King                          POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Satnam S. Aujla

Yanko & Company

Calgary (Alberta)                          POUR LE DEMANDEUR


Le procureur général du Canada

Justice Canada

Edmonton (Alberta)                          POUR LE DÉFENDEUR

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      Dans son mémoire le demandeur avance, pour la première fois semble-t-il, des motifs additionnels de persécution : la race, l'origine ethnique et le fait qu'il ne puisse pratiquer sa religion. Dossier du demandeur, p. 53 à 63, aux par. 1, 17 et 18.

3      Dossier du demandeur, p. 17 à 28.

4      Transcription, p. 331 à 333.

5      Transcription, p. 322 et 323. Toutefois, le demandeur a déclaré dans son FRP qu'il était de religion islamique. Dossier du demandeur, p. 18.

6      Transcription, p. 307.

7      Transcription, p. 325 et 326.

8      Dossier du tribunal, p. 000013

9      À l'audience devant la SSR, le demandeur a témoigné qu'il était entré dans la clandestinité dès qu'il avait été relâché par les policiers. Transcription, p. 312 à 315.

10      Mia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (IMM-2677-99) (le 26 janvier 2000), aux par. 14 et 15.

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