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     Date : 19990608

     Dossier : IMM-4457-97

Entre

     YEVGENI SAVVATEEV,

     demandeur,

     - et -

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défenderesse

     MOTIFS DU JUGEMENT

     (prononcés à l'audience tenue à

     Toronto (Ontario), le mardi 8 juin 1999)

Le juge McGILLIS

[1]      Il y a en l'espèce recours en contrôle judiciaire contre la décision en date du 16 septembre 1997 par laquelle une agente des visas a rejeté la demande de résidence permanente faite par le demandeur, sans lui avoir accordé une entrevue.

[2]      L'agente des visas lui a attribué 59 points d'appréciation à l'issue de l'instruction préliminaire sur pièces de sa demande, ce qui fait qu'il lui manquait un point pour atteindre le minimum de 60 points requis pour avoir droit à l'entrevue. En évaluant le demandeur au regard des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, modifié (le Règlement), elle ne lui a accordé aucun point pour le facteur 5, " Emploi réservé ou profession désignée ", par ce motif qu'il " n'avait pas une offre d'emploi permanent validée par un Centre d'emploi Canada ". Par suite, elle ne lui a " accordé aucun point pour le facteur Emploi réservé ".

[3]      Le demandeur avait joint à sa demande de résidence permanente une offre d'emploi authentique émanant d'une compagnie canadienne, pour sa profession envisagée de réparateur de matériel électronique. Cette demande de résidence permanente a été transmise à l'agente des visas, accompagnée d'une lettre de l'avocat du demandeur qui confirmait, entre autres, que celui-ci avait une " offre d'emploi authentique ".

[4]      Dans sa décision de rejeter la demande de résidence permanente, l'agente des visas n'a pas exercé le pouvoir discrétionnaire qu'elle tient du paragraphe 11(3) du Règlement.

[5]      L'avocat du demandeur soutient entre autres qu'elle a commis une erreur faute d'avoir exercé ce pouvoir discrétionnaire.

[6]      L'application de l'article 9 du Règlement, en vertu duquel l'agente des visas instruisait la demande de résidence permanente, est subordonnée aux dispositions de l'article 11. Il s'ensuit que dans le cas où le demandeur ne remplit pas les conditions prévues à l'article 9, l'agent des visas est quand même habilité par le paragraphe 11(3) à accorder le visa " s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de s'établir avec succès au Canada " [voir Shum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 30 Imm. L.R. (2d) 233 (C.F. 1re inst.)].

[7]      Dans Shum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), le juge McKeown était saisi d'un cas semblable à celui-ci : le demandeur s'était vu refuser une entrevue par ce motif que l'instruction préliminaire de sa demande dégageait une note inférieure aux 60 points requis par l'alinéa 11.1a)(i) du Règlement. Le juge McKeown a jugé qu'une entrevue n'était pas nécessaire pour que l'agent des visas exerce le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) du Règlement. Il a fait droit au recours en contrôle judiciaire et renvoyé l'affaire pour instruction par un autre agent des visas. Il a aussi certifié une question de portée générale, mais sa décision n'a pas été contestée en appel.

[8]      Dans Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1239 (1re inst.), le juge Rothstein était saisi de la question du pouvoir discrétionnaire conféré aux agents des visas par le paragraphe 11(3) du Règlement. Dans cette affaire aussi, la demande de résidence permanente a été rejetée sans qu'il y eût une entrevue. Le demandeur avait fait valoir la profession de chef-cuisinier, mais n'avait aucune expérience dans cette profession. Analysant les circonstances propres à l'exercice du pouvoir discrétionnaire susmentionné, le juge Rothstein s'est prononcé en ces termes :

     [Le paragraphe 11(3)] ne dit pas dans quelles conditions l'agent des visas exerce le pouvoir discrétionnaire qui y est prévu. Rien ne l'empêche de l'exercer de son propre chef s'il le juge indiqué. Mais si c'est le demandeur qui veut qu'il l'exerce, il semblerait qu'il faut qu'il en fasse la demande sous une forme ou sous une autre. Bien qu'il n'y ait pas une formule réglementaire à employer, il devrait à tout le moins présenter quelques bonnes raisons pour soutenir que la décision relative aux points d'appréciation ne reflète pas ses chances d'établissement au Canada. Il n'y a eu aucune demande de ce genre en l'espèce.         
         Le demandeur soutient qu'il ne pouvait savoir qu'il devait demander l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) qu'une fois informé que sa demande avait été rejetée faute de points d'appréciation du facteur professionnel, d'où la nécessité d'une entrevue. Cet argument est cependant hors de propos. L'agent des visas n'est pas tenu de donner au fur et à mesure des bribes de décision et d'en informer le demandeur à chaque étape, même en cas d'entrevue. L'attribution des points d'appréciation est la méthode conventionnelle par laquelle il décide s'il y a lieu de délivrer le visa d'immigrant. Le paragraphe 11(3) représente l'exception. Dans le cas où le demandeur a des raisons de penser qu'il pourra s'établir avec succès au Canada, abstraction faite des points d'appréciation attribués, il peut faire part de ces raisons à l'agent des visas pour lui demander d'exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3). Faute de demande, celui-ci peut l'exercer de son propre chef, mais il n'y est nullement tenu. Comme noté supra, le demandeur n'en a pas fait la demande à l'agent des visas en l'espèce.         

[9]      Bien que je partage dans l'ensemble les observations ci-dessus du juge Rothstein, il faut noter que c'est dans le contexte de l'affaire dont il était saisi et où le demandeur n'avait absolument aucune expérience dans la profession envisagée, qu'il faut saisir cette conclusion que le demandeur qui veut que l'agent des visas exerce le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) doit en faire la " demande sous une forme ou sous une autre ". En particulier, rien dans le dossier lui-même ne permettait de dire qu'il existait " de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances du demandeur de s'établir avec succès au Canada ". Les faits soumis au juge Rothstein dans Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) sont différents des faits dans l'affaire en instance, où le demandeur avait non seulement les qualités requises pour la profession envisagée de réparateur de matériel électronique, mais aussi une offre d'emploi authentique.

[10]      Vu les conclusions de l'avocat du demandeur et à la lumière de la jurisprudence en la matière, je conclus que l'agente des visas aurait dû examiner s'il y avait lieu ou non d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'accorder un visa au demandeur en application du paragraphe 11(3) du Règlement, étant donné les éléments d'information ressortant de la demande de résidence permanente.

[11]      Le recours en contrôle judiciaire est accueilli. La décision en date du 16 septembre 1997 de l'agente des visas est annulée, et l'affaire renvoyée pour nouvelle instruction par un autre agent des visas.

[12]      L'avocat du défendeur a demandé qu'il lui soit permis de consulter son client avant de présenter des conclusions sur la question de savoir si l'affaire soulève une question grave de portée générale. Les avocats de part et d'autre sont convenus de présenter sur cette question leurs conclusions par écrit, le cas échéant. L'avocat du défendeur signifiera et déposera le cas échéant, au 11 juin 1999 au plus tard, ses conclusions sur la question de la certification. Au cas où il proposerait une question à certifier, l'avocat du demandeur signifiera et déposera ses conclusions en la matière au 18 juin 1999 au plus tard.

[13]      L'avocat du demandeur a conclu aux frais et dépens. Il ne m'a pas convaincue qu'il y ait en l'espèce une raison spéciale qui les justifie. La Cour ne prononcera pas sur les frais et dépens.

     Signé : D. McGillis

     ________________________________

     J.C.F.C.

Toronto (Ontario),

le 8 juin 1999

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              IMM-4457-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Yevgeni Savvateev

                     c.

                     Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

DATE DE L'AUDIENCE :      Mardi 8 juin 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MME LE JUGE McGILLIS

LE :                      Mardi 8 juin 1999

ONT COMPARU :

M. Timothy E. Leahy              pour le demandeur

M. Toby J. Hoffmann              pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Timothy E. Leahy                  pour le demandeur

Avocat

5075 rue Yonge, Bureau 408

North York (Ontario)

M2N 6C6

Morris Rosenberg                  pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19990608

     Dossier : IMM-4457-97

Entre

YEVGENI SAVVATEEV,

     demandeur,

     - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur

     MOTIFS DU JUGEMENT


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