Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 


IMM-1065-96

 

 

OTTAWA (ONTARIO), LE 15 JANVIER 1997.

 

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARC NOËL

 

 

ENTRE :

 

 

IFTIN ABDIRIZAK SHEIKH-AWAIS,

REPRÉSENTÉE PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE,

ZAHRA ABDIRIZAK SHEIKH,

 

 

requérante,

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION,

 

 

intimé.

 

 

 

O R D O N N A N C E

 

 

            La demande est rejetée.

 

 

 

                                                                                                                   Marc Noël            

                                                                                                            Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                ___________________

                                                                                                Bernard Olivier, LL. B.


 

IMM-1065-96

 

 

ENTRE :

 

 

IFTIN ABDIRIZAK SHEIKH-AWAIS,

REPRÉSENTÉE PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE,

ZAHRA ABDIRIZAK SHEIKH,

 

 

requérante,

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION,

 

 

intimé.

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

 

LE JUGE NOËL

 

 

            Il s’agit de la demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la requérante n’était pas une réfugiée au sens de la Convention.

 

ILES FAITS

 

            Les faits de l’espèce ne sont pas contestés et ils sont relatés de la façon suivante dans les motifs de décision de la Commission et le dossier de la requérante.


            La revendicatrice de statut est née à Kismayo, en Somalie, en mai 1992.  Sa mère est née en Somalie et son père, qui est aussi le père de la représentante désignée, est né à Jigjiga, en Éthiopie.  D’un point de vue ethnique, c’est un Somalien du clan darod, sous-clan ogaden.

 

            En 1977 ou 1978, après le décès de sa première épouse, le père de la requérante a quitté Jigjiga pour se rendre en Somalie en compagnie de leur fille (la représentante désignée) et de leurs trois fils.  Il s’est remarié en 1982, à Mogadiscio, avec une citoyenne de la Somalie.  Ils ont eu six enfants, dont la requérante, cadette de la famille.

 

            En 1987, la représentante désignée et l’un de ses deux frères cadets ont quitté la Somalie et revendiqué le statut de réfugiés au sens de la Convention en s’adressant à l’Ambassade du Canada à Rome (Italie).  Ils ont obtenu le statut et sont arrivés au Canada en 1989.  Par la suite, en août 1990, son frère naturel aîné est arrivé au Canada directement en provenance de la Somalie et il a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention en 1991.  Le plus jeune de ses trois frères naturels est décédé en Somalie en 1988.

 

            Quelque temps après la chute du régime de Siad Barre survenue en janvier 1991, les membres du clan hawye, après s’être emparé du pouvoir à Mogadiscio, se sont mis à tuer ceux du clan darod, sans distinction.  La mère et le père de la requérante se sont donc enfuis, entraînant avec eux leur famille, à Kismayo, dans le sud de la Somalie, où la requérante est née en mai 1992.

 

            Lorsque les forces hawye ont commencé à assiéger Kismayo, la famille s’est enfuie au Kenya, en décembre 1993.  En 1994, le père a réussi à gagner Nairobi.  Cependant, jugeant la situation qui régnait à Nairobi trop dangereuse pour leur plus jeune enfant, les parents de la requérante ont pris les dispositions nécessaires pour qu’une autre femme somalienne l’amène au Canada, en mai 1994, chez sa demi-soeur qui, entre-temps, était devenue citoyenne canadienne.

 

 

IILA DÉCISION DE LA COMMISSION

 

            D’abord, la Commission s’est demandée si la requérante était citoyenne de la Somalie ou de l’Éthiopie.  Aux termes du paragraphe 31(1) de la constitution éthiopienne de février 1987, [TRADUCTION] «toute personne dont l’un ou l’autre parent ou les deux ont la citoyenneté éthiopienne est éthiopienne», peu importe son lieu de naissance.  Il s’ensuit que la question litigieuse devant la Commission était celle de savoir si le père de la requérante était citoyen de l’Éthiopie au moment de la naissance de celle-ci.

 

            Le mémoire de l’intimé fait état des éléments de preuve examinés par la Commission :

[TRADUCTION] La représentante désignée de la requérante, Zahra Abdirizak Sheikh, est sa demi-soeur.  En 1987, la représentante désignée et son frère cadet ont revendiqué le statut de réfugiés au sens de la Convention, en Italie.  Leur frère aîné a revendiqué le statut au Canada.  Dans son Formulaire de renseignements personnels, il a déclaré être de nationalité éthiopienne, comme son père.

 

On a remarqué que les récits concernant l’incapacité du père d’obtenir la citoyenneté somalienne, même avec le concours de la famille de sa deuxième épouse (la mère de la requérante), son emprisonnement à deux reprises pour s’être opposé à Siad Barre alors que celui-ci était toujours au pouvoir, et son emprisonnement au début d’août 1990, dans le FRP de la requérante, dans celui de son demi-frère et celui de la demi-soeur de celui-ci (la représentante désignée) étaient compatibles.

 

Le tribunal a remarqué que le père de la requérante a été emprisonné à deux reprises car on le soupçonnait de s’opposer à Siad Barre et il a conclu à l’improbabilité que le père de la requérante obtienne la citoyenneté somalienne alors que Siad Barre était au pouvoir.

 

Se fondant sur le témoignage de la représentante désignée, la partie narrative du FRP du demi-frère et la preuve documentaire relative au droit somalien en matière de citoyenneté, le tribunal a conclu que le père de la requérante était incapable d’obtenir la citoyenneté somalienne par l’effet de la loi ou par l’octroi de celle-ci.

 

La représentante désignée de la requérante, Zahra Abdirizak Sheikh (sa demi-soeur) a témoigné que son père lui avait dit avoir été incapable d’obtenir la citoyenneté somalienne après sa libération.  La représentante désignée a tenté d’obtenir de la preuve documentaire pour étayer son affirmation.  Cependant, elle n’a pu obtenir qu’une copie télécopiée d’une carte d’identité somalienne.  La copie n’était pas claire, elle ne comportait pas de date de délivrance et certaines de ses caractéristiques étaient incompatibles avec la grande majorité de cartes d’identité somaliennes que les membres de la formation avaient déjà vues, cartes dont tous les numéros de référence différaient.  En l’espèce, le numéro de la carte d’identité était identique au numéro de référence du fichier principal ce qui, de l’avis du tribunal, était peu probable.  En outre, aucun timbre fiscal indiquant le paiement des droits exigibles n’avait été apposé sur la carte.  Ces inconsistances ont été portées à l’attention de l’avocate.

 

Vu l’absence du document original, les irrégularités manifestes que comportait la copie télécopiée et la preuve selon laquelle le père de la requérante était toujours citoyen de l’Éthiopie, du moins jusqu’en août 1990, le tribunal a conclu que le document d’identité n’établissait aucunement la citoyenneté somalienne du père de la requérante.

 

Le tribunal a conclu que le requérante était citoyenne de l’Éthiopie et, sur ce fondement, s’est demandé si elle avait une crainte bien fondée d’y être persécutée.

 

III LES QUESTIONS LITIGIEUSES

 

            Voici les questions litigieuses en l’espèce :

 

1)La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la requérante était citoyenne de l’Éthiopie?

 

2)La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a omis de se demander si la requérante était apatride?

 

3)La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la requérante n’avait pas de crainte raisonnable d’être persécutée si on la renvoyait en Éthiopie?

 

 

IVANALYSE

 

1)La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la requérante était citoyenne de l’Éthiopie?

 

            La requérante soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu’elle était citoyenne de l’Éthiopie sur le fondement d’une «simple possibilité» que son père n’ait pas obtenu la citoyenneté somalienne au moment où elle est née.

 

            La Commission a conclu que le père de la requérante n’avait pas réussi à obtenir la citoyenneté somalienne avant le mois d’août 1990, mois pendant lequel le demi-frère de la requérante est arrivé au Canada et a déclaré dans sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention que son père était de nationalité éthiopienne.  La représentante de la requérante soutient, cependant, que le père de cette dernière a pu obtenir sa citoyenneté par la suite.  La télécopie d’une carte d’identité somalienne a été produite à l’appui.  Cependant, la Commission, pour des motifs exposés dans sa décision qui semblent parfaitement raisonnables, a décidé de n’accorder aucune force probante à ce document.

 

            Il s’ensuit que la seule preuve relative à la citoyenneté du père est le témoignage sous serment de la représentante de la requérante, témoignage qui, selon la requérante, doit être accepté, la crédibilité de sa représentante n’ayant pas été mise en doute.  En outre, elle prétend que la conclusion tirée par la Commission était fondée sur de simples hypothèses car celle-ci ne disposait d’aucune preuve concernant la véritable citoyenneté du père au moment de la naissance de la requérante.  Se fondant sur la jurisprudence, la requérante soutient que la Commission a commis une erreur de droit en tirant sa conclusion à la lumière de simples hypothèses[1]

 

            En ce qui concerne cette dernière prétention, je remarque que, en l’espèce, la Commission disposait d’éléments de preuve pour étayer sa conclusion et que celle-ci n’était pas le résultat de simples hypothèses.  En ce qui concerne la représentante désignée, la Commission a considéré que son témoignage, bien que non contesté, n’était pas compatible avec les autres éléments de preuve disponibles :

Il est bien établi que la SSR peut rejeter un témoignage non contesté si cette preuve ne concorde pas avec les probabilités qui influencent l'affaire dans son ensemble : Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A.C.-B.); Alizadeh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, (décision non publiée), no A-26-90 (11 janvier 1993)[2].

 

La Commission a clairement identifié la preuve dont elle a tenu compte avant de rendre sa décision, dont le témoignage de la représentante, les tentatives infructueuses du père d’obtenir la citoyenneté somalienne, la durée de son emprisonnement qui rendait difficile l’obtention de la citoyenneté, etc.  À mon avis, ces considérations pouvaient fonder la conclusion selon laquelle le père de la requérante était toujours citoyen de l’Éthiopie au moment de la naissance de la requérante.

 

            2)Condition d’apatride / État de résidence habituelle

 

            La requérante prétend également que si la Commission a conclu à l’insuffisance de la preuve établissant sa citoyenneté somalienne, elle aurait dû la tenir pour apatride et évaluer sa revendication du statut de réfugiée au sens de la Convention en fonction du dernier pays où elle a eu une résidence habituelle, soit la Somalie.

 

            Cependant, après un examen attentif de la transcription de l’audience, j’ai conclu que ni la représentante de la requérante ni son avocate n’a soulevé devant la Commission la question de l’apatridie de la requérante.  Si la requérante voulait que la Commission étudie cette question, elle devait présenter des observations à cet égard à l’audience.  Il s’ensuit que, cette possibilité n’ayant pas été invoquée devant la Commission, celle-ci n’a pu commettre d’erreur lorsqu’elle a omis de l’examiner.  Je n’ai pas compétence pour examiner l’affaire en fonction d’une question dont la Commission n’était pas saisie et qu’elle n’a pas examinée.

 

            3)La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la requérante n’avait pas de crainte raisonnable d’être persécutée si on la renvoyait en Éthiopie?

 

            Les faits que la Commission a examinés en évaluant si la requérante avait une crainte d’être persécutée si on la renvoyait en Éthiopie sont bien décrits dans les  motifs de la décision.  Je ne vois à cet égard aucune erreur susceptible de faire l’objet d’un contrôle.

 

            À la fin de l’audience, l’avocate de la requérante a demandé que deux questions soient certifiées.  Pour les motifs exposés par l’avocate de l’intimé à l’encontre de cette requête, ni l’une ni l’autre question ne sera certifiée.

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

                                                                                                                   Marc Noël          

                                                                                                                             Juge             

 

Ottawa (Ontario)

Le 15 janvier 1997           

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                ____________________

                                                                                                Bernard Olivier, LL. B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

NO DU GREFFE :    IMM-1065-96

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :         Iftin Abdirizak Sheikh-Awais et al.

- c. -

M.C.I.

                                                    

                                                    

 

LIEU DE L’AUDIENCE :       Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :     le 7 janvier 1997

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE NOËL

 

 

EN DATE DU :15 janvier 1997

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

Mme Geraldine Sadoway                                                         pour la requérante

 

 

Mme Kathryn Hucal                                                     pour l’intimé

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Mme Geraldine Sadoway                                                        

Toronto (Ontario)                                                                    pour la requérante

 

 

M. George Thomson

Sous-procureur général du Canada                                         pour l’intimé



     [1]               Satiacum c. M.E.I., (non publiée, 16 juin 1989) (A-544-87) (C.A.F.).

                               Frimpong c. M.E.I., 99 N.R. 164 (C.A.F.).

                               Dumitru c. M.E.I.,  (non publiée, 25 février 1994) (IMM-911-93) (C.F. 1re inst.).

                               Campos et al. c. M.C.I., (non publiée, 21 décembre 1994) (IMM 4598-93) (C.F. lre inst.).

     [2]      Alza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1996) (non publiée,                          IMM‑3657‑94, 26 mars 1996) juge MacKay.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.