Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20211221


Dossier : IMM‑2585‑20

Référence : 2021 CF 1453

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2021

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

FERDYNAND GLOWACKI

ZANETA LACKO

KONRAD LACKO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Ferdynand Glowacki, son épouse, Zaneta Lacko, et leur jeune fils [collectivement, les demandeurs] sont des citoyens polonais d’origine rom. Ils sollicitent le contrôle judiciaire du refus, par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR], de rouvrir leur demande d’asile après qu’ils eurent omis de se présenter à l’audience relative à leur demande d’asile puis à l’audience de justification relative au désistement.

[2] La SPR a déraisonnablement conclu qu’aucun manquement à un principe de justice naturelle ne justifiait la réouverture de la demande d’asile des demandeurs. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II. Contexte

[3] Les demandeurs sont arrivés au Canada le 1er avril 2019. Ils ont passé les deux premières semaines dans un refuge et ils ont ensuite emménagé dans un appartement en sous‑sol à Brampton, en Ontario. Ils ont obtenu un certificat d’aide juridique et ont retenu les services d’Howard C. Gilbert comme avocat.

[4] Les demandeurs adultes ne parlent pas l’anglais et sont, par ailleurs, analphabètes. Ils ont rempli le formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA] et les autres formulaires au bureau de leur avocat. Un interprète était présent, mais il s’agissait d’un Tchèque d’origine rom. Les demandeurs, qui parlent le dialecte des Polonais d’origine rom, affirment qu’ils n’arrivaient pas à bien comprendre l’interprète. Ils soutiennent qu’ils ont présumé que leur avocat s’occuperait de toutes les communications avec la CISR.

[5] Le formulaire FDA des demandeurs a été présenté à la CISR le ou vers le 24 avril 2019. Il était indiqué dans ce formulaire que les demandeurs étaient représentés par un avocat et que ce dernier les avait aidés à remplir le formulaire FDA. M. Gilbert avait ajouté la note suivante, rédigée à la main : [TRADUCTION] « On ne m’a pas encore mandaté pour représenter [les demandeurs d’asile] à leur audience, mais je prévois de l’être sous peu. Veuillez me transmettre, en copie, toute la correspondance envoyée [aux demandeurs d’asile]. »

[6] Mme Lacko est tombée enceinte, et la famille a déménagé dans un nouveau logement le 1er septembre 2019. Ils n’ont pas communiqué leur nouvelle adresse à la CISR. Cependant, ils l’ont communiquée au gouvernement de l’Ontario, leur fournisseur de services sociaux, et ils ont présumé que l’information serait transmise à la CISR et à tous les autres organismes gouvernementaux.

[7] Le 21 décembre 2019, la SPR a envoyé aux demandeurs un avis de convocation à l’adresse consignée dans le dossier. L’audience avait été fixée au 11 février 2020, et une audience de justification relative au désistement avait été fixée au 18 février 2020. L’avis de convocation a été retourné à la SPR le ou vers le 20 janvier 2020 avec la mention [traduction] « déménagé/inconnu ».

[8] Le 24 janvier 2020, la SPR a envoyé une télécopie à M. Gilbert pour l’informer que l’avis de convocation avait été retourné par le bureau de poste et pour lui demander l’adresse à jour des demandeurs. M. Gilbert a répondu à la CISR par une lettre datée du 27 janvier 2020 dans laquelle il a mentionné ce qui suit :

[traduction]
Veuillez prendre note que je ne suis plus chargé de représenter les demandeurs dans le cadre de l’affaire mentionnée ci‑dessus. Leur certificat d’aide juridique a été annulé. J’ai demandé à l’interprète de communiquer avec [les demandeurs d’asile] pour tenter de corriger la situation le plus rapidement possible. Si la situation est corrigée en temps opportun, je pourrais être en mesure de les représenter à l’audience qui se tiendra le 11 février 2010 [sic], ou à une date ultérieure. Je fournirai aux demandeurs d’asile une copie de leur dossier s’ils souhaitent poursuivre sans faire appel à mes services.

Au titre de l’article 15 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, veuillez retirer mon nom comme conseil inscrit au dossier dans l’affaire mentionnée ci‑dessus.

J’envoie une copie de la présente lettre au demandeur. J’espère que le tout sera à votre satisfaction.

[9] Il semble que M. Gilbert ait envoyé une copie de la lettre aux demandeurs à la même adresse que celle qui n’était plus à jour, comme la CISR venait de l’en informer.

[10] La CISR a accédé à la requête de M. Gilbert et l’a retiré du dossier. Ni les demandeurs ni M. Gilbert n’ont assisté à l’audience relative à la demande d’asile ou à l’audience de justification relative au désistement. Le désistement de la demande d’asile des demandeurs a été prononcé le 19 février 2020.

[11] Les demandeurs expliquent qu’ils ont été mis au courant d’un problème possible lorsqu’ils se sont présentés pour leur examen médical aux fins de l’immigration le 21 février 2020. Ils ont été informés que leur couverture médicale provisoire avait été refusée. Mme Lacko a été informée de la même chose lorsqu’elle s’est présentée à son rendez‑vous à la clinique de gynécologie. Les demandeurs sont retournés à leur ancienne adresse le 24 février 2020 et c’est alors qu’ils ont découvert la correspondance provenant de la CISR et de M. Gilbert.

[12] Les demandeurs ont communiqué avec M. Gilbert le 25 février 2020 et, le même jour, ils ont fourni leurs coordonnées mises à jour à la SPR. M. Gilbert a présenté une demande de réouverture de leur demande d’asile le 13 mars 2020. Cependant, les bureaux de la SPR étaient fermés en raison de la pandémie de COVID‑19.

[13] La SPR a pris connaissance de la demande de réouverture de la demande d’asile des demandeurs le 8 mai 2020 et elle l’a rejetée le 15 mai 2020.

III. La question en litige

[14] La seule question soulevée par la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision de la SPR de refuser de rouvrir la demande d’asile des demandeurs était raisonnable.

IV. Analyse

[15] La Cour effectue le contrôle de la décision de la SPR en fonction de la norme de la décision raisonnable. Elle n’interviendra que si « [la décision] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 100).

[16] Les demandeurs affirment que la SPR n’aurait pas dû autoriser M. Gilbert à se retirer du dossier sans d’abord s’assurer qu’il avait fourni à la CISR leurs coordonnées à jour et sans confirmer qu’ils étaient bien au courant des audiences à venir. Ils soutiennent donc que la conclusion de la SPR selon laquelle aucun manquement à un principe de justice naturelle ne justifiait la réouverture de leur demande d’asile était déraisonnable.

[17] Le défendeur affirme que, lorsqu’ils ont présenté leur demande de réouverture de leur demande d’asile, les demandeurs n’ont pas soulevé l’argument concernant la façon dont M. Gilbert s’était retiré du dossier ni le défaut de M. Gilbert et de la SPR de s’assurer qu’ils avaient bien été mis au courant de la tenue des audiences. Le défendeur souligne que les demandeurs ne se sont pas conformés au protocole concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger daté du 7 mars 2014 [le protocole] et qu’ils ne peuvent donc pas plaider la négligence ou l’incompétence de M. Gilbert.

[18] Les demandeurs mentionnent que le dossier certifié du tribunal ne contient pas suffisamment de renseignements pour étayer une allégation de négligence ou d’incompétence visant M. Gilbert. Ils affirment plutôt que la SPR a déraisonnablement conclu qu’il n’y avait eu aucun manquement à un principe de justice naturelle malgré la preuve non contredite démontrant qu’ils n’avaient pas été informés de la tenue de l’audience relative à leur demande d’asile ou de l’audience de justification relative au désistement. Les demandeurs attribuent la situation à une série d’événements malheureux dont eux‑mêmes, la SPR et M. Gilbert partagent la responsabilité.

[19] Les demandeurs soutiennent que la SPR était tenue de démontrer qu’elle avait « une connaissance complète du comportement qui a mené à la prise [de la] décision qu’il y avait désistement », ce qu’elle n’a pas fait (citant Albarracin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1143 au para 4). En outre, selon le paragraphe 62(7) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256, la SPR doit prendre en considération la question de savoir si la demande de réouverture a été faite en temps opportun et, le cas échéant, la justification du retard. En l’espèce, les demandeurs ont informé la SPR de leur nouvelle adresse le jour même où ils ont été mis au courant du problème, c’est‑à‑dire six jours après que le désistement de leur demande eut été prononcé.

[20] M. Gilbert a demandé à être retiré du dossier le 27 janvier 2020 sans fournir les coordonnées à jour des demandeurs. Cette demande a été présentée seulement 15 jours avant la date à laquelle l’audience avait été fixée. La lettre de M. Gilbert datée du 27 janvier 2020 peut avoir donné à la SPR la fausse impression que M. Gilbert et l’interprète étaient tous deux en contact avec les demandeurs et qu’ils les informeraient des dates des audiences à venir. M. Gilbert a inexplicablement envoyé une copie de sa lettre aux demandeurs à une adresse qui n’était plus à jour, comme on venait juste de l’en informer. La SPR n’a jamais réitéré sa demande à M. Gilbert de fournir la nouvelle adresse des demandeurs.

[21] Il aurait été préférable que le conseil actuel des demandeurs envoie un avis à M. Gilbert, suivant le protocole, de sorte que la Cour puisse entendre le point de vue de ce dernier sur les événements qui ont précédé le rejet de la demande d’asile des demandeurs pour cause de désistement. Il aurait aussi été utile d’entendre M. Gilbert concernant son approche à l’égard de la demande de réouverture de la demande d’asile des demandeurs, laquelle ne semble reconnaître aucun manquement de sa part.

[22] Les tribunaux devraient s’abstenir de critiquer les avocats sans les aviser adéquatement et sans leur offrir l’occasion de répondre. De même, on ne saurait permettre qu’une erreur judiciaire résulte de l’oubli ou de l’erreur d’un avocat (R c B (FF), [1993] 1 RCS 697 à la p 714, citant R v Guenot (1979), 51 CCC (2d) 315 à la p 320).

[23] Comme l’a déclaré le juge Diner au paragraphe 16 de la décision Huseen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 845 :

À mon avis, on ne doit pas fermer la porte au nez des personnes qui ne respectent pas des exigences procédurales ordinaires. Une interprétation aussi étroite nuirait à l’engagement du Canada envers son système de protection des réfugiés et ses obligations internationales sous‑jacentes (paragraphe 3(2) de la Loi). En fait, l’un des objectifs de la Convention relative aux réfugiés, dont le Canada est signataire, est d’assurer aux réfugiés l’exercice le plus large possible des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, au paragraphe 27).

[24] Vu les circonstances inhabituelles et malheureuses de l’espèce, il était déraisonnable pour la SPR de conclure qu’aucun manquement à un principe de justice naturelle ne justifiait la réouverture de la demande d’asile des demandeurs. L’affaire doit être renvoyée à la SPR pour nouvelle décision.

V. Conclusion

[25] La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SPR pour nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SPR pour nouvelle décision.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2585‑20

 

INTITULÉ :

FERDYNAND GLOWACKI, ZANETA LACKO ET KONRAD LACKO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE MISSISSAUGA, TORONTO ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er décembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 21 décembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Milan Tomasevic

 

Pour les demandeurs

 

Nick Continelli

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Milan Tomasevic

Avocat

Mississauga (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.