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     Date : 19980227

     Dossier : IMM-1213-97

Ottawa (Ontario), le vendredi 27 février 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

Entre :

     LOCHAN SOOKNANAN,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

     La Cour déboute le requérant de son recours en contrôle judiciaire.

     Signé : Frederick E. Gibson

     ________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon

     Date : 19980227

     Dossier : IMM-1213-97

Entre :

     LOCHAN SOOKNANAN,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge GIBSON

[1]      Les présents motifs concernent un recours en contrôle judiciaire contre la décision évoquée en ces termes dans la demande :

     [TRADUCTION]         
     La décision rendue le 24 février 1997 par P. Wright, membre de la Commission présidant l'audience, et notifiée au requérant le 12 mars 1997, décision par laquelle le premier a conclu qu'il n'y avait aucune raison d'ordre humanitaire d'accueillir la demande faite par le requérant sous le régime du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration.         

La Commission de l'immigration et du statut de réfugié, section d'appel de l'immigration (section d'appel), est correctement citée en l'espèce en qualité d'autorité juridictionnelle visée par le recours. Cependant, la décision attaquée est en fait une décision de la section d'appel, portant rejet de l'appel formé sous le régime de l'article 77 de la Loi sur l'immigration1, contre le rejet des demandes de droit d'établissement du père, de la mère et de la soeur du requérant, demandes que celui-ci parrainait.

[2]      Voici ce qu'on peut lire dans la décision portant rejet des demandes du père, de la mère et de la soeur (les demandeurs du droit d'établissement) du requérant :

     [TRADUCTION]

         Après examen attentif de votre dossier, je regrette d'avoir à vous informer du rejet de votre demande d'admission. Aux termes de l'alinéa 19(1)a) de la Loi sur l'immigration :         
         " 19.(1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :         
     a)      celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probables sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut :         
     (i)      soit que ces personnes constituent ou constitueraient vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques,         
     (iii)[sic]      soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé; "         
         Selon le diagnostic des médecins, votre fille Babita souffre d'arriération mentale grave. Son dossier médical comporte les indications suivantes :         
         " La demanderesse souffre d'une forme grave d'arriération mentale. Elle est absolument incapable d'autonomie. Avec un Q.I. de 20 à 34, elle a l'âge mental d'un enfant de 3 ans. Elle ne peut pas communiquer, ne sait pas manier l'argent, et a besoin de surveillance et d'aide constantes. Faute de soutien de la famille, elle ne pourrait pas prendre soin d'elle-même. Elle nécessitera les soins hospitaliers à long terme pour le restant de sa vie, et imposera un fardeau excessif aux services sociaux. Elle n'est donc pas admissible par application du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi. "         
     L'alinéa 6(1)a) du Règlement sur l'immigration de 1978 prévoit ce qui suit :         
         " 6.(1) " lorsqu'une personne appartenant à la catégorie de la famille présente une demande de visa d'immigrant, l'agent des visas peut lui en délivrer un ainsi qu'à toute personne à charge qui l'accompagne :         
     a)      si elle et les personnes à sa charge, qu'elles l'accompagnent ou non, ne font pas partie d'une catégorie de personnes non admissibles et satisfont aux exigences de la Loi et du présent règlement. "         
         Puisque votre fille fait partie d'une catégorie de personnes non admissibles, votre femme et vous-même ne pouvez pas avoir un visa d'immigrant.         
         Le 31 juillet 1991, votre femme et vous-même avez été convoqués à une entrevue spéciale qui visait à déterminer s'il y avait des raisons d'ordre humanitaire à invoquer dans votre cas. Il a été jugé à la lumière de cette entrevue que les raisons qu'on pourrait invoquer ne sont pas suffisantes pour justifier votre admission au Canada.         

[3]      La section d'appel a instruit l'appel du requérant sous l'angle des questions de droit, des questions de fait, des questions mixtes de droit et de fait, ainsi que des raisons d'ordre humanitaires, comme elle y est tenue par le paragraphe 77(3) de la Loi sur l'immigration. Les motifs de sa décision portent notamment ce qui suit2 :

     [TRADUCTION]

         Je conclus que je ne peux mettre en doute le diagnostic médical, sur lequel se sont entendus deux médecins agréés, et ce malgré le témoignage de Mlle Jaffer qui était basé sur ses 23 années d'expérience dans le domaine de l'arriération mentale. Mais si je ne peux pas remettre en question le diagnostic, je peux examiner le pronostic dans le contexte du soutien familial et examiner le caractère raisonnable ou déraisonnable de la conclusion tirée par l'agent des visas que, si ce soutien familial venait à cesser, il y aurait un fardeau excessif pour les services sociaux. Je n'ai été saisi d'aucune preuve que l'agent des visas ait examiné la probabilité ou l'improbabilité d'une interruption du soutien familial. Les preuves produites établissent que la demanderesse a vécu avec des membres de sa famille toute sa vie et dans la même maison pendant plus de 20 ans, bien que l'appelant ait fait état de difficultés avec les voisins. La demanderesse est manifestement très attachée à sa famille sur le plan affectif, et celle-ci a toujours pris soin d'elle dans la même demeure. Selon l'appelant, il n'y a aucune institution qui s'occupe des personnes dans son cas à Trinité-et-Tobago.         
     Je suis convaincu que le soutien affectif et matériel assuré par la famille à la demanderesse se poursuivra sans interruption. Je juge cependant que la conclusion faite par l'agent des visas que l'état de la demanderesse imposerait un fardeau excessif aux services sociaux est raisonnable et qu'elle est fondée sur le dossier médical tel qu'il le connaissait au moment de sa décision. Le dossier médical, qui demeure incontesté malgré le témoignage compétent de Mlle Jaffer, indique, entre autres explications de l'état grave d'arriération mentale de la demanderesse, qu'elle " est absolument incapable d'autonomie ". Je note que cet avis a été donné par les deux médecins agréés dans le contexte du soutien familial qui existait au moment de l'évaluation médicale et qui se poursuit. En conséquence, je trouve le rejet juridiquement valide.         
     J'ai également examiné l'appel au regard des raisons d'ordre humanitaire. L'appelant s'engage à subvenir aux besoins de la demanderesse au cas où elle serait autorisée à venir au Canada. Il témoigne que sa femme et lui-même ont les moyens de pourvoir aux besoins de sa soeur. En retenant les services de Mlle Jaffer, l'appelant a aussi proclamé et démontré que sa femme et lui-même entendent s'occuper des besoins en services sociaux de sa soeur et ne pas compter sur les services publics pour satisfaire les besoins de cette dernière. À ce sujet, il témoigne de son intention de retenir les services de Mlle Jaffer pour évaluer les besoins et mettre au point un programme de soins pour la demanderesse. Je constate cependant que ses moyens financiers et sa capacité de recourir aux services privés de ce genre ne présentent guère d'importance, puisque la demanderesse serait admissible aux services sociaux une fois qu'elle aurait acquis le droit d'établissement.         
     Je prends acte du professionnalisme et de l'objectivité manifestés par Mlle Jaffer dans son témoignage. Tout en concluant aux bonnes intentions de cette dernière, je conviens avec l'avocat de l'appelant que c'est une conjecture de la part de Mlle Jaffer que grâce à une intervention qui n'a pas été essayée jusqu'ici, l'état de la demanderesse pourra s'améliorer. Selon les preuves incontestées, la vie quotidienne de la demanderesse est soumise à des limitations considérables, qui se traduisent par le fait qu'elle n'arrive pas à être autonome et a besoin de surveillance constante. Bien que je sois convaincu qu'il n'est pas dans l'intention de l'appelant de recourir aux services auxquels la demanderesse aurait droit une fois qu'elle aurait acquis le droit d'établissement, je ne suis pas convaincu qu'il ne puisse y avoir aucune circonstance imprévue pour obliger la demanderesse à recourir aux services disponibles.         
     L'appelant témoigne qu'il n'y a pas d'institution pour prendre soin de sa soeur à Trinité-et-Tobago. Il y a cependant lieu de noter que si l'appelant est disposé à payer des services privés pour aider la demanderesse au Canada, je n'ai été saisi d'aucune preuve que sa famille et lui-même aient recherché ou utilisé, à supposer qu'ils soient disponibles à Trinité-et-Tobago, les services que Mlle Jaffer pourrait assurer au Canada.         
     Je prends acte que la famille est séparée, un frère et une soeur avec leur famille respective vivant au Canada, et la soeur et les parents de l'appelant vivant à Trinité-et-Tobago. L'appelant dit que la séparation est difficile et témoigne de la peine qu'éprouvent les membres de la famille au moment de la séparation après chaque visite. Je constate cependant que, aussi pénible que soit la séparation, l'appelant peut continuer à rendre visite à sa famille à Trinité et à communiquer avec elle par téléphone, comme il le fait de façon fréquente à l'heure actuelle. Il ressort du dossier que la famille restée à Trinité a rendu visite aux membres de la famille au Canada en 1982 et en 1987, avant le dépôt de la demande de résidence permanente. Je conclus aussi qu'il n'y a aucune raison que les membres de la famille restés à Trinité ne puissent demander à l'avenir l'autorisation de visite, bien que je note qu'ils se sont vu refuser des visas de visiteur en 1993 et 1994.         
     Je conclus que la demanderesse est bien établie à Trinité-et-Tobago. Elle y a vécu toute sa vie, et dans la même maison pendant plus de 20 ans. Elle ne dépend pas financièrement de l'appelant, et elle dépend de ses père et mère pour le soutien matériel et affectif et pour la surveillance de tous les jours.         

[4]      L'avocat du requérant soutient que la section d'appel a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire, en premier lieu, faute d'avoir pris en considération des preuves produites ainsi que des facteurs pertinents et, en second lieu, faute d'avoir observé le critère applicable dans l'interprétation de la Loi sur l'immigration sur la question de savoir si la soeur du requérant imposerait un fardeau excessif aux services sociaux au Canada.

[5]      La norme de contrôle judiciaire dans un cas comme celui-ci est relativement rigoureuse. Elle est parfaitement résumée dans ce passage des motifs de jugement prononcés par le juge McKeown dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Ram3 :

     Le critère applicable en l'espèce ne se réduit pas à la question de savoir si la Cour aurait tiré une conclusion différente, mais de savoir si la section d'appel de l'immigration était fondée à rendre sa décision à la lumière de toutes les preuves et témoignages produits.         

[6]      La section d'appel a eu raison de conclure qu'il ne lui appartenait pas de remettre en question la justesse du diagnostic médical. En outre, elle a judicieusement noté que la question n'en était pas résolue pour autant. Elle a entrepris d'examiner les conséquences probables en termes de pression sur les services sociaux si les demandeurs de droit d'établissement pouvaient venir au Canada. Dans Deol c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)4, le juge MacGuigan s'est prononcé en ces termes :

     L'arrêt Jiwanpuri devrait montrer d'une façon évidente que le simple fait d'invoquer la déficience mentale ne mène à aucune conclusion particulière. La déficience mentale est un état englobant une vaste gamme de possibilités, depuis l'incapacité totale de fonctionner indépendamment jusqu'à un état presque normal. Cette notion ne peut pas servir de stéréotype, parce qu'elle est loin d'être univoque. Ce n'est pas le seul fait de la déficience mentale qui est pertinent, mais le degré, et les conséquences probables en découlant lorsqu'il s'agit d'imposer un fardeau excessif aux services gouvernementaux.         

[7]      La section d'appel se dit convaincue que " le soutien affectif et matériel assuré par la famille à la demanderesse [c'est-à-dire la soeur du requérant à Trinité] se poursuivra sans interruption ". Dans la phrase suivante, elle juge " raisonnable " la conclusion de l'agent des visas que la demanderesse souffrant d'arriération mentale imposerait, à cause de son état, un fardeau excessif aux services sociaux au Canada. Par suite de ces deux conclusions, la section d'appel a jugé que le rejet de la demande de droit d'établissement des parents et de la soeur du requérant était juridiquement valide. À la lumière des motifs pris par la section d'appel jusqu'à ce point de sa décision, il est difficile de voir comment on pourrait concilier les deux conclusions qui servent de fondement juridique à la décision. Cependant, je ne vais pas scruter au microscope les motifs de décision de la section d'appel. Au contraire, je conclus que la question de savoir si sa décision est raisonnable ou non doit être examinée à la lumière de l'ensemble des motifs pris.

[8]      Dans le passage des motifs susmentionnés au sujet des raisons d'ordre humanitaire, la section d'appel a tiré la conclusion suivante :

     " je ne suis pas convaincu qu'il n'y ne puisse y avoir aucune circonstance imprévue pour obliger la demanderesse à recourir aux services disponibles.         

[9]      La section d'appel est raisonnablement en droit d'exprimer cette appréhension. Il ressort des preuves produites devant elle que les parents du requérant avaient assuré les soins multiples dont a besoin sa soeur. Il n'y a aucune preuve, et personne ne peut s'attendre à ce qu'il y en ait une, pour montrer qu'ils seraient capables de le faire indéfiniment, c'est-à-dire que la soeur du requérant serait morte avant qu'ils ne soient plus en mesure de prendre soin d'elle. Qui plus est, la section d'appel n'a été saisie d'aucune preuve montrant que le requérant et les autres membres de la famille avaient beaucoup d'expérience pour ce qui est de prendre soin de la soeur au cas où le père et la mère cesseraient de le faire.

[10]      Tout en prenant acte de l'engagement donné par le requérant d'assurer le soutien financier de sa soeur et de sa débrouillardise pour ce qui est de trouver un service privé ou supplémentaire de soins en dehors des services publics, la section d'appel a jugé que cet engagement et cette débrouillardise ne tirent pas à conséquence puisque sa soeur aurait accès de plein droit aux services sociaux d'assistance une fois qu'elle aurait acquis le droit d'établissement. Je trouve que c'est là une conclusion raisonnable. Comme noté supra, je conclus que la section d'appel était aussi raisonnablement en droit de décider, sur la foi des preuves produites, que des " circonstances imprévues " pourraient forcer le recours aux services médicaux publics au point d'imposer un fardeau excessif à ces derniers. Autrement dit, malgré les meilleures intentions de tous les membres de la famille, je conclus que la section d'appel était en droit de décider que des " circonstances imprévues " pourraient forcer le recours aux services sociaux publics auxquels la soeur du requérant aurait droit. Il en résulterait un fardeau excessif pour ces derniers.

[11]      Comme noté supra, je n'entends nullement disséquer la décision de la section d'appel. Bien que, comme noté également supra, sa décision sur le point de droit ne soit fondée sur rien dans le seul paragraphe consacré à ce point, je suis disposé à lire ce paragraphe dans le contexte de l'analyse plus détaillée qu'elle fait au titre des raisons d'ordre humanitaire. C'est donc avec grand regret que je conclus qu'elle était en droit de parvenir à sa décision relative aux raisons d'ordre humanitaire. Son raisonnement servant de base à sa décision sur les raisons d'ordre humanitaire constitue aussi un fondement solide pour sa décision sur le point de droit.

[12]      En conséquence, le recours en contrôle judiciaire est rejeté. Ni l'un ni l'autre des avocats en présence n'a recommandé la certification d'une question grave de portée générale à laquelle auraient donné lieu les faits de la cause. Aucune question ne sera donc certifiée.

     Signé : Frederick E. Gibson

     ________________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 27 février 1998

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-1213-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Lochan Sooknanan c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      21 janvier 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE GIBSON

LE :                      27 février 1998

ONT COMPARU :

Mme Robin Seligman                  pour le requérant

Mme Bridget O'Leary              pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Robin Seligman                  pour le requérant

Toronto (Ontario)

M. George Thomson                  pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      Dans les passages cités, " demanderesse " désigne la soeur du requérant, qui se trouve à Trinité-et-Tobago, et " appelant " désigne le requérant.

3      (1996), 114 F.T.R. 119.

4      (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.).

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