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Date : 20211215


Dossier : IMM-938-21

Référence : 2021 CF 1420

Ottawa (Ontario), le 15 décembre 2021

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

MIREILLE WEMBOLUA

DEBORAH LUTSHUMBA

EMMANUELLE LUTSHUMBA

GABRIELLA LUTSHUMBA

GEDEON LUTSHUMBA

AMOS DAVID LUTSHUMBA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1] Mme Mireille Wembolua, la demanderesse principale, et ses cinq enfants, les demandeurs associés, sont citoyens de la Belgique. Mme Wembolua est originaire de la République Démocratique du Congo (RDC). Mme Wembolua et les demandeurs associés (ensemble, « les demandeurs ») craignent retourner en Belgique en raison de la violence familiale perpétrée par le père de la famille à l’endroit de Mme Wembolua depuis leur mariage en 1999.

[2] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (« SAR ») le 26 janvier 2021, rejetant leur demande de protection (« Décision »). La Section de la protection des réfugiés (« SPR ») a conclu que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État belge. À l’instar de la SPR, la SAR est arrivée à la même conclusion. Par conséquent, la SAR a confirmé la décision de la SPR, soit que les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugié ni de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 21.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie.

I. Contexte

[4] Mme Wembolua a témoigné devant la SPR que son époux a commencé son comportement violent peu après leur mariage. En 2000 et 2001, elle et ses voisins en Belgique ont appelé la police plusieurs fois à la suite des violences perpétrées par son époux. Les policiers se sont présentés au domicile et son époux a été averti, sans toutefois être mis en état d’arrestation. La violence s’est aggravée et son mari lui a confisqué son téléphone. Au cours de la même période, Mme Wembolua a parlé avec des travailleurs sociaux qui lui ont offert de la relocaliser avec ses enfants. Elle a décliné l’offre parce qu’elle craignait d’être retracée par son époux. Mme Wembolua a aussi contacté des foyers pour femmes battues, mais ceux-ci n’avaient pas de place pour les demandeurs.

[5] De 2009 à 2011, les demandeurs ont vécu en RDC afin de fuir la violence familiale en Belgique. À la suite de l’intervention de sa famille, Mme Wembolua est retournée en Belgique avec les enfants en novembre 2011 et a repris la vie de couple avec son époux. Elle a continué à subir des violences jusqu’à ce que les demandeurs aient tous quitté la Belgique en juillet 2014 pour se rendre en RDC. Mme Wembolua allègue que son époux l’a retrouvée en 2015 et que les violences sont recommencées.

[6] Le 3 août 2017, les demandeurs ont quitté la RDC pour se rendre en Belgique et, trois jours plus tard, se sont rendus au Canada, où ils ont demandé l’asile.

[7] La décision de la SPR est datée du 22 juin 2020. Selon la SPR, la question déterminante dans le dossier était l’accès de Mme Wembolua à la protection de l’État en Belgique. Il incombait aux demandeurs de démontrer l’absence de la protection de l’État compte tenu du fait que la Belgique est présumée être démocratique. La SPR a souligné que Mme Wembolua a cessé de vivre en Belgique en 2014. Plus important encore, ses appels à la police dataient de 2000-2001. Depuis ce temps, elle n’a pas cherché d’aide auprès de la police belge. La SPR a conclu que les preuves datées des demandeurs ne l’emportaient pas sur la documentation objective concernant la protection offerte par l’État belge aux personnes victimes de violence. En outre, les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils n’auraient pas accès à ces services à cause de leur race.

[8] La SAR a rejeté l’appel des demandeurs de la décision de la SPR.

[9] La SAR est arrivée à la même conclusion que la SPR au sujet de l’existence de la protection adéquate de l’État belge pour les demandeurs. La SAR a retracé les conclusions de la SPR et a abordé l’argument que la SPR avait omis de prendre en considération la race de Mme Wembolua dans son analyse de la protection de l’État. La SAR a conclu :

[38] …, je ne vois pas où la SPR aurait erré dans son analyse globale de la protection de l’État dans ce dossier. À l’analyse de l’ensemble de la preuve présentée, j’arrive à la même conclusion, pour les mêmes motifs.

[10] La Décision de la SAR fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Analyse

[11] La question à trancher dans la présente demande est de savoir si la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle dans son analyse de la protection de l’État belge. Cette question doit être analysée selon la norme de contrôle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23 (Vavilov); Budai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 313 au para 9).

[12] Les demandeurs soutiennent que la Décision est déraisonnable en raison de l’absence de motifs. Ils déclarent que la Décision n’explique pas l’analyse de leur dossier par la SAR. À leur avis, la Décision se lit comme une décision d’un tribunal de révision plutôt qu’un tribunal d’appel. Ils soulignent que l’évaluation de la SAR de leur dossier et de la preuve est limitée à une déclaration selon laquelle la SAR a analysé « l’ensemble de la preuve présentée » et qu’elle « arrive à la même conclusion, pour les mêmes motifs » énoncés par la SPR.

[13] Je conviens avec les demandeurs que la Décision ne démontre pas l’analyse du dossier effectuée par la SAR et ne répond pas aux directives formulées par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, surtout celle de la justification.

[14] La SAR a résumé les principales conclusions de la SPR tout en faisant de brèves références aux éléments de preuve mentionnés par la SPR. La SAR a remarqué que la SPR a d’abord repris les principes jurisprudentiels pertinents à la détermination de la protection de l’État. Ensuite, la SPR a tenu compte du témoignage de Mme Wembolua au sujet de ses démarches auprès des autorités belges en 2000 et 2001. La SAR a noté que la SPR a analysé la preuve documentaire déposée et a constaté que l’État belge fait de sérieux efforts pour lutter contre la violence familiale. Selon la SPR, et malgré les démarches de la demanderesse principale, les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption que l’État belge était en mesure de leur offrir une protection adéquate. La SAR a également noté le rejet par la SPR de l’allégation de Mme Wembolua voulant que l’État n’a pas pu la protéger en raison de l’influence de son époux et celle de ses complices impliqués dans le crime organisé en Belgique.

[15] J’accepte qu’une confirmation par la SAR de la décision de la SPR n'est pas en soi une erreur révisable. Toutefois, la Décision et les motifs de la SAR doivent démontrer son examen de la décision de la SPR et sa propre analyse du dossier et des arguments principaux des demandeurs à l’appui de leur appel. Je ne suggère pas que les motifs doivent être longs ou détaillés dans tous les cas, mais les motifs doivent normalement s’étendre au-delà d'une déclaration globale selon laquelle le tribunal a examiné les preuves présentées.

[16] D’autre part, j’accepte l’argument du défendeur que la SAR a entrepris une analyse de fond de l’argument des demandeurs que la SPR a erré en omettant de prendre en considération la race de Mme Wembolua dans sa décision. Cependant, à mon avis, c’est le seul argument des demandeurs par rapport auquel la SAR a fourni ses propres motifs. À part de cette évaluation limitée, la SAR s’est contentée d’adopter les motifs et les conclusions de la SPR.

[17] Outre les préoccupations susmentionnées, la SAR a omis toute référence à la discussion de la SPR d’une décision rendue en 2017 par la SAR qui porte aussi sur une demanderesse et ses enfants de nationalité belge et d’origine congolaise et qui passe en revue la preuve documentaire sur la protection de l’État belge (« X (Re) »). Les demandeurs soutiennent que cette omission est une erreur suffisamment importante pour rendre la Décision déraisonnable (Vavilov au para 100).

[18] Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que l’omission par la SAR de considérer les arguments des demandeurs concernant la décision dans le dossier X (Re) et les motifs de la SPR pour distinguer cette décision, porte atteinte sur le fond à la justification de la Décision. De plus, et bien que la SAR ait mentionné les autres aspects pertinents de la décision de la SPR, la répétition des conclusions de la SPR ne fournit pas aux demandeurs le raisonnement de la SAR. Les motifs suggèrent, mais ne confirment pas aux demandeurs, qu’une seconde évaluation sous forme d’un appel a été faite conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93. Je conclus donc que la Décision de la SAR ne possède pas les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99).

[19] Par conséquent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire. La Décision doit être annulée, et le dossier des demandeurs doit être renvoyé à un autre décideur pour un nouvel examen.

[20] Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT DU DOSSIER DE LA COUR IMM-938-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La Décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-938-21

 

INTITULÉ :

MIREILLE WEMBOLUA, DEBORAH LUTSHUMBA, EMMANUELLE LUTSHUMBA, GABRIELLA LUTSHUMBA, GEDEON LUTSHUMBA, AMOS DAVID LUTSHUMBA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 novembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 DÉCEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

François Kasenda Kabemba

 

Pour les demandeurs

 

Julie Chung

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet François K. Kabemba Law Office

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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