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Date : 20211216


Dossier : IMM-1379-21

Référence : 2021 CF 1432

Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2021

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

MARITZA BAUTISTA MONTERO

DAFNE ISABELLA VERDUZCO BAUTISTA

NELLY ESMERALDA GARCIA BAUTISTA

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] La demanderesse, Maritza Bautista Montero et ses deux (2) enfants mineurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 8 février 2021 par la Section d’appel des réfugiés [SAR], dans laquelle la SAR confirme le rejet de leurs demandes d’asile en raison d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] ailleurs dans leur pays d’origine.

[2] Les demanderesses sont citoyennes du Mexique. Elles craignent que des délinquants seraient à la recherche de l’époux de la demanderesse, tout comme la criminalité généralisée dans leur pays d’origine.

[3] La demanderesse allègue qu’en octobre 2016, son époux est victime de vol. L’un des délinquants est arrêté par la police. Au mois d’avril suivant, l’époux de la demanderesse est intercepté et menacé de mort par un des délinquants ayant réussi à s’enfuir. L’époux de la demanderesse serait considéré responsable du sort du délinquant arrêté. En juillet 2018, des délinquants interceptent la demanderesse et sa famille et profèrent de nouvelles menaces de mort à l’époux de la demanderesse. Ce dernier quitte alors le Mexique pour le Canada en août 2018. En janvier 2019, la demanderesse reçoit des appels suspects. Craignant pour leur vie, les demanderesses quittent le Mexique pour le Canada le 2 février 2019. Elles déposent leurs demandes d’asile le 6 février 2019.

[4] Le 13 mars 2020, la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejette les demandes d’asile, estimant que les demanderesses disposent d’une PRI à deux (2) autres endroits au Mexique. Elle considère que le témoignage de la demanderesse et la preuve au dossier sont insuffisants pour démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les personnes que les demanderesses allèguent craindre iraient les rechercher et les retrouver dans les endroits suggérés. À cet égard, la SPR souligne que la demanderesse a elle-même affirmé lors de son témoignage que ces personnes n’iraient probablement pas les rechercher dans les PRI proposées et qu’il s’agissait plutôt d’une délinquance généralisée. La demanderesse a aussi admis qu’elle ne pouvait confirmer si les appels reçus étaient liés aux problèmes vécus par son époux. Enfin, la demanderesse n’a jamais elle-même vécu d’incident aux mains des agents de préjudice.

[5] La SPR rejette également l’argument de la demanderesse selon lequel les PRI proposées ne sont pas sécuritaires en raison de la présence de narcotrafiquants, de la délinquance et des disparitions et enlèvements de jeunes filles. Elle juge que la demanderesse n’a pas démontré qu’elle et les demanderesses mineures seraient personnellement exposées à un risque visé à l’alinéa 97(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[6] Quant à la raisonnabilité des PRI proposées, la SPR note que la demanderesse n’a soulevé aucun empêchement à y vivre, pourvu qu’elles soient sécuritaires. La demanderesse a également confirmé qu’elle serait en mesure de se trouver un emploi pour subvenir aux besoins de sa famille et un logement pour y habiter. La SPR examine néanmoins le profil de la demanderesse et conclut qu’il serait objectivement raisonnable pour les demanderesses de se relocaliser dans les PRI proposées.

[7] Les demanderesses interjettent appel de cette décision à la SAR, affirmant que la SPR a commis une erreur dans l’évaluation des PRI. Elles soutiennent que la SPR a erré en reprochant à la demanderesse de n’avoir pu donner des informations sur les délinquants. Il était tout à fait normal pour la demanderesse de ne pas être au courant des activités illégales des délinquants. Selon les demanderesses, la SPR aurait pu vérifier l’existence de ce groupe de délinquants dans le Cartable national de documentation [CND] sur le Mexique, ainsi que leur capacité et leur motivation à retrouver une personne à l’extérieur de leur zone d’activités.

[8] La SAR rejette l’appel et confirme la décision de la SPR. Après avoir énoncé les critères pour conclure à l’existence d’une PRI et le fardeau qui incombe aux demanderesses, la SAR indique que les demanderesses ne peuvent se référer uniquement aux informations comprises dans la preuve documentaire pour établir l’existence d’un risque en vertu de l’article 97 de la LIPR. Elles doivent, par leur témoignage et la preuve documentaire, établir l’existence d’un risque personnalisé.

[9] La SAR souligne que la SPR a jugé que les demanderesses n’avaient pas établi qu’elles seraient poursuivies par les membres du groupe criminel, qui étaient essentiellement engagés dans des activités de vol dans le nord de la ville de Mexico, si elles s’établissaient dans les PRI proposées. La SAR rappelle de plus que la demanderesse a elle-même témoigné que les membres du groupe criminel ne viendraient probablement pas les rechercher dans ces endroits. Elle conclut que, selon sa propre analyse du dossier, la SPR n’a pas commis d’erreur.

[10] La SAR rappelle ensuite le témoignage de la demanderesse selon lequel elle n’aurait pas d’empêchement à vivre dans les PRI proposées, pourvu qu’elles soient sécuritaires. La SAR ajoute que le SPR a jugé, après avoir analysé le profil personnel de la demanderesse et son témoignage, qu’il serait objectivement raisonnable pour les demanderesses de s’y établir. À nouveau, elle conclut que, selon sa propre analyse du dossier, la SPR n’a pas commis d’erreur.

[11] Les demanderesses soutiennent que la décision de la SAR est déraisonnable. Elles reprochent notamment à la SAR de ne pas avoir effectué une analyse indépendante du dossier et que ses motifs ne sont pas suffisamment transparents, intelligibles et justifiés pour comprendre son raisonnement. Selon les demanderesses, la SAR ne fait que répéter les conclusions de la SPR sans procéder à sa propre analyse. Enfin, les demanderesses réitèrent que la SPR devait analyser le CND sur le Mexique pour vérifier l’existence du groupe de délinquants. Elles soutiennent que la SPR et la SAR ont commis une erreur en omettant d’analyser la preuve pertinente dans le CND sur la capacité et la motivation du groupe à les retrouver dans les PRI proposées.

II. Analyse

[12] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. La Cour est du même avis.

[13] Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour s’intéresse « à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 83 [Vavilov]). Elle doit se demander si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov au para 99). La partie qui conteste la décision a le fardeau d’en démontrer le caractère déraisonnable. Elle doit convaincre la Cour que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’elle ne satisfait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou déficiences doivent être « suffisamment capitale[s] ou importante[s] pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov au para 100).

[14] La Cour ne peut souscrire aux arguments des demanderesses.

[15] La Cour reconnait que la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a commis les erreurs alléguées par un appelant. Ceci ne veut toutefois pas dire qu’elle est tenue de reprendre l’analyse à zéro, puisque l’appel auprès de la SAR ne constitue pas un véritable processus de novo (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 aux para 79, 98, 103; Gomes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 506 aux para 29, 34 [Gomes]).

[16] Il est par ailleurs bien établi que la SAR est présumée avoir considéré et apprécié l’ensemble de la preuve (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) (QL) au para 1; Gomes au para 34). Elle n’est pas non plus tenue de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif de son raisonnement ayant mené à sa conclusion finale (Vavilov au para 91; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16).

[17] Le fait que les motifs de la SAR soient succincts ne permet pas de conclure qu’elle n’a pas mené sa propre analyse du dossier des demanderesses, ou qu’elle n’a pas bien cerné les questions en litige ou la situation des demanderesses (Pintyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 117 au para 10; Gomes au para 34). Ce qui importe, c’est qu’elle fournisse des motifs qui possèdent les caractéristiques d’une décision raisonnable – soit la justification, la transparence et l’intelligibilité. La Cour doit être en mesure de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur administratif.

[18] En l’espèce, la SAR résume soigneusement les arguments des demanderesses et énonce correctement les principes juridiques applicables aux demanderesses en lien avec l’existence d’une PRI. Elle rejette l’argument de la demanderesse selon lequel il appartenait à la SPR de vérifier l’existence du groupe dans le CND sur le Mexique ainsi que sa capacité de développer des alliances stratégiques avec des groupes d’autres régions. Elle rappelle qu’il ne suffit pas de se référer uniquement aux informations comprises dans le CND pour établir l’existence d’un risque prévu à l’article 97 de la LIPR. Les demanderesses devaient plutôt démontrer, par leur témoignage et la preuve documentaire, l’existence d’un risque personnalisé.

[19] À cet égard, la SAR souligne que la demanderesse a elle-même déclaré que les membres du groupe de délinquants ne viendraient probablement pas les chercher dans les PRI proposées et qu’il s’agissait plutôt d’une délinquance généralisée. Elle juge donc que la SPR n’a pas erré en concluant que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle et ses filles seraient poursuivies par les membres du groupe, qui étaient essentiellement engagés dans des activités de vol dans le nord de la ville de Mexico. La SAR pouvait raisonnablement s’appuyer sur l’aveu de la demanderesse et l’absence de preuve spécifique au dossier démontrant un intérêt quelconque de la part des membres du groupe à poursuivre les demanderesses dans les PRI proposées pour conclure que la SPR n’avait pas commis d’erreur.

[20] Il était également raisonnable pour la SAR de conclure que les demanderesses ne pouvaient pas simplement s’appuyer sur la preuve documentaire objective. Il est bien établi qu’une crainte de criminalité généralisée ne suffit pas pour conclure à l’existence d’un risque prévu à l’article 97 de la LIPR. Les demanderesses devaient démontrer l’existence de conditions dans les PRI proposées qui mettraient en péril leur vie ou leur sécurité (Olvera Correa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 243 au para 17; Perez c Canada (Citoyenneté et Immigration, 2011 CF 8 au para 15). Elles ne se sont pas déchargées de leur fardeau et rien au dossier ne démontre qu’elles feraient l’objet d’une vengeance personnelle.

[21] La Cour convient que les motifs de la SAR auraient pu être plus étoffés. Toutefois, même si la ligne est parfois mince entre brièveté et insuffisance des motifs, l’approche adoptée par la SAR ne signifie pas pour autant qu’elle ait omis de conduire sa propre analyse (Gomes au para 52). En effet, après avoir lu la décision et considéré l’ensemble du dossier, plus particulièrement les observations des demanderesses en appel, la Cour estime que les motifs de la SAR sont suffisamment justifiés, transparents et intelligibles pour comprendre son raisonnement. La Cour est également persuadée que la SAR a procédé à sa propre analyse du dossier.

[22] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification, et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-1379-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1379-21

INTITULÉ :

MARITZA BAUTISTA MONTERO ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 OCTOBRE 2021

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 16 DÉCEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

Angela Pantiru

Pour les DEMANDERESSES

Claudia Gagnon

pour LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Angela Pantiru

Montréal (Québec)

Pour les DEMANDERESSES

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA DÉFENDERESSE

 

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