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Date : 20050907

Dossier : IMM-1157-05

Référence : 2005 CF 1219

Ottawa (Ontario), le 7 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DE MONTIGNY

ENTRE :

SALEM CHAMO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), selon laquelle le demandeur n'avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

CONTEXTE

[2]                Le demandeur, Salem Chamo, est un citoyen syrien. Il est arrivé au Canada le 4 décembre 1999. Il prétend craindre d'être persécuté en Syrie du fait d'une poursuite qu'il a intentée à la suite d'un accident d'autobus qu'avait eu son père, dans ce pays.

[3]                Le demandeur prétend qu'il a intenté la poursuite contre un conducteur d'autobus et le gouvernement syrien après que son père ait été blessé par ce conducteur, le 24 mai 1999. La poursuite a été intentée au nom de son père. Le demandeur prétend qu'il a fait l'objet de menaces de la part de membres de la famille du conducteur d'autobus, afin de l'inciter à ne pas porter plainte. Il soutient également qu'il a été menacé par deux hommes (qui étaient, selon le demandeur, des agents du gouvernement) lorsque la poursuite a été intentée. Les hommes lui ont demandé d'abandonner l'action. Il a donc cessé de revenir à la maison après avoir été la cible de menaces de la part des deux hommes.

[4]                Le demandeur est arrivé au Canada le 4 décembre 1999 et il a demandé l'asile le 12 juillet 2004. La Commission a rendu une décision négative le 25 janvier 2005, laquelle décision fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

LA DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[5]                La Commission a conclu que le demandeur n'était pas crédible et elle a tiré une inférence négative du temps qui s'était écoulé entre l'arrivée du demandeur au Canada et sa demande d'asile.

[6]                La conclusion de la Commission en matière de crédibilité était fondée sur plusieurs facteurs :

            a)          La Commission a mentionné les explications contradictoires que le demandeur a données concernant le fait qu'il avait mal écrit son nom dans son passeport et dans son FRP. Non seulement avait-il mal écrit son nom dans sa demande de passeport, mais il a reconnu que cela n'empêcherait pas le gouvernement syrien de prendre connaissance de sa demande au Canada. En outre, la Commission n'a pas cru la raison invoquée par le demandeur, à savoir que le gouvernement syrien était à ce point puissant qu'il pouvait réussir à identifier toute personne qui présentait une demande d'asile au Canada;

b)          La Commission a affirmé que l'action en justice était au nom du père du demandeur plutôt qu'au nom du demandeur et elle a conclu que le père du demandeur, et non ce dernier, avait intenté la poursuite;

c)          La Commission a conclu que le demandeur n'avait fourni aucune preuve que les deux hommes qui l'avaient menacé étaient des agents du gouvernement et qu'il n'y avait aucune raison de croire que le gouvernement syrien s'intéressait au demandeur;

d)          La Commission a mentionné que le récit du demandeur concernant le moment où il avait intenté sa poursuite et son incapacité à fournir une copie du premier jugement allégué minaient encore plus sa crédibilité;

e)          La Commission s'est interrogée sur la raison pour laquelle certaines personnes s'en seraient pris au demandeur alors que c'était son père qui était la partie désignée à l'action;

f)           La Commission a également relevé les contradictions entre le témoignage du demandeur et sa déclaration écrite pour ce qui concerne son travail et la ferme dont son père était propriétaire et elle a conclu que les contradictions nuisaient davantage à la crédibilité du demandeur;

g)          La Commission s'est également demandée comment le demandeur avait pu obtenir un passeport en Syrie alors que, comme il l'alléguait, les autorités syriennes le recherchaient et elle a mentionné que le demandeur semblait avoir inventé cette histoire en se fondant sur l'accident qu'avait subi son père.

LES QUESTIONS LITIGIEUSES

[7]                La présente affaire soulève les deux questions suivantes :

1.    Le demandeur peut-il soulever la question de partialité et, dans l'affirmative, la Commission a-t-elle réellement été partiale?

2.    Les conclusions tirées par la Commission en matière de crédibilité étaient-elles manifestement déraisonnables?

ANALYSE

[8]                Le demandeur, qui s'est représenté lui-même à l'audience, a fait valoir avec conviction que le comportement de la Commission soulevait une crainte raisonnable de partialité. Il prétend que le président a fait en sorte que le climat était tendu au point où cela avait influé sur le témoignage du demandeur. Dans les affidavits qu'il a produits au soutien de sa demande, le demandeur présente plusieurs observations concernant les questions ou le ton du tribunal, le déroulement de l'audience, le comportement du commissaire et ses interventions et l'attitude de l'agent de protection des réfugiés.

[9]                Même si le demandeur était représenté par un avocat à l'audience devant la Commission, ses affidavits n'établissent pas que lui ou son avocat aient soulevé cette question devant la Commission. Je n'ai pas non plus trouvé, dans la transcription de l'audience, une quelconque allusion de sa part ou de la part de son avocat concernant la partialité. Néanmoins, la jurisprudence est très claire : une allégation de partialité doit être rejetée si elle n'a pas été soulevée à la première occasion raisonnable, à savoir pendant l'audience devant la Commission. L'omission de soulever une crainte raisonnable de partialité à la première occasion empêche de soulever cette allégation par la suite devant la Cour (Rodriguez et al. c. Canada (M.C.I.), [2005] C.F. 271; Mohinder Paul Singh c. Canada (M.C.I.), [2005] C.F. 35; Ranganathan c. Canada (M.C.I.), [2003] C.F. 1367).

[10]            Même si j'étais disposé à examiner l'allégation de partialité, une lecture attentive de la transcription ne m'a pas convaincu que les questions et les observations du président révèlent une étroitesse d'esprit ou un préjudice à l'égard du demandeur. Le critère de savoir s'il y a une crainte raisonnable de partialité est bien connu et il a été mentionné par le demandeur. Il s'agit d'un critère objectif qui a été décrit dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, et qui consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » .

[11]            Le critère a ensuite été appliqué dans le contexte de l'immigration (Ahumada c. Canada (M.C.I.), (2001), 199 D.L.R. (4th) 103 (C.A.F.), à la page 109; Arthur c. Canada (M.E.I.), (1992), 98 D.L.R. (4th) 254 (C.A.F.), à la page 260; Mahendran c. Canada (M.E.I.), (1991), 14 Imm. L.R. (2d) 30 (C.A.F.), [1991] A.C.F. no 549).

[12]            Il n'est pas suffisant d'examiner les mots pour lesquels le demandeur se plaint. Il faut également les mettre dans le contexte de l'instance dans son ensemble (Mihajlovics c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 248, au paragraphe 15). Il est vrai que le président a souvent interrompu le demandeur et qu'il a posé plusieurs questions. Cependant, un questionnement énergétique de la part d'un commissaire et de fréquentes interruptions ne soulèvent pas nécessairement une crainte raisonnable de partialité, tout particulièrement si l'intervention a pour objet de clarifier le témoignage d'un demandeur ou d'un témoin (Ithibu c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 499; Mahendran c. Canada (M.E.I.), précité; Quiora c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. no 338).

[13]            Le tribunal peut faire des observations dans le but d'aider le demandeur à clarifier certaines parties de son témoignage et des questions répétitives ne débordent pas nécessairement le cadre d'une intervention appropriée (Mohammad c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 319; Osuji c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. no 539). Dans le même ordre d'idées, l'expression d'une certaine frustration de la part d'un ou d'une commissaire qui n'arrive pas à bien comprendre la preuve dont il ou elle est saisie ne soulève pas nécessairement une crainte raisonnable de partialité (Martinez c. Canada (M.C.I.), [2004] C.F. 1043, [2004] A.C.F. no 1278; Galvez c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 2053).

[14]            Le demandeur n'a pas attiré l'attention de la Cour sur un passage en particulier de la transcription qui étayerait une crainte raisonnable de partialité. Le président a certes posé plusieurs questions de clarification, mais il semble l'avoir fait poliment et avec respect dans le but d'aider le demandeur. Hormis la brève mention de la « grimace » qu'aurait faite le président pendant l'un des arguments de l'avocat, il n'y a rien dans la transcription de l'audience qui puisse m'inciter à l'écouter.

[15]            Pour tous ces motifs, j'estime qu'il y a lieu de rejeter toutes les allégations de partialité, en tenant encore une fois pour avéré qu'elles ne peuvent plus être examinées à cette étape.

[16]            Pour ce qui concerne les conclusions de la Commission en matière de crédibilité, il faut se rappeler qu'il s'agit d'une question relevant de la Commission. Tant et aussi longtemps que la Commission peut raisonnablement tirer les conclusions et les inférences factuelles qu'elle a tirées, la Cour n'a aucune raison de modifier la décision de la Commission. Non seulement la Commission est un tribunal spécialisé, mais encore elle est beaucoup plus compétente que la Cour pour évaluer la crédibilité du demandeur et des témoins. Par voie de conséquence, la décision de la Commission ne doit être modifiée que si elle est fondée sur une conclusion de fait erronée tirée d'une manière abusive et arbitraire ou sans égard pour la preuve dont elle est saisie (Aguebor c. Canada (M.C.I.) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), [1993] A.C.F. no 732; RKL c. Canada (M.C.I.), [2003] CFPI 116; [2003] A.C.F. no 162).

[17]            Après avoir soigneusement examiné les motifs de la Commission ainsi que les observations du demandeur et du défendeur, je conclus qu'il n'y a rien, dans l'analyse de la Commission, qui puisse constituer une erreur susceptible de contrôle selon le critère de la décision manifestement déraisonnable. Je suis d'avis que les conclusions de la Commission, pour ce qui concerne la crédibilité et la crainte subjective du demandeur, ne sont pas déraisonnables au point de justifier l'intervention de la Cour. D'ailleurs, il me semble que le demandeur tente d'obtenir un réexamen de la preuve; malheureusement, ce n'est pas le rôle que joue la Cour dans l'exercice de sa compétence lors d'un contrôle judiciaire. Le critère applicable n'est pas de savoir si j'en serais arrivé à une conclusion différente. La Commission a examiné toute la preuve dont elle était saisie et les inférences qu'elle a tirées ne sont pas déraisonnables au point de justifier l'intervention de la Cour.

[18]            On peut en dire autant des conclusions qu'a tirées la Commission de la longue période de temps qui s'était écoulée entre l'arrivée du demandeur au Canada et la date à laquelle il avait demandé l'asile. La Commission a examiné et rejeté l'explication du demandeur selon laquelle il avait attendu que toute sa famille soit en sécurité au Canada avant de présenter sa demande. Il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion. La conclusion concernant l'absence de crainte subjective était entièrement liée à la crédibilité du récit du demandeur et une telle conclusion mérite beaucoup de retenue.

[19]            Les avocats n'ont proposé aucune question aux fins de certification et aucune question n'est certifiée.

[20]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

« Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-1157-05

INTITULÉ :                                                    SALEM CHAMO

                                                                        c.

                                                                        MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 30 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 7 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Salem Chamo                                                    POUR SON PROPRE COMPTE

Marie-Louise Courtemanche                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Salem Chamo                                                   POUR SON PROPRE COMPTE

Pierrefonds (Québec)

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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