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Date : 20211210

Dossiers : T‑1420‑18

T‑567‑20

Référence : 2021 CF 1395

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2021

En présence de monsieur le juge Manson

Dossier : T‑1420‑18

ENTRE :

NCS MULTISTAGE INC.

demanderesse/défenderesse reconventionnelle

et

KOBOLD CORPORATION, KOBOLD COMPLETIONS INC. et 2039974 ALBERTA LTD.

défenderesses/demanderesses reconventionnelles

Dossier : T‑567‑20

ET ENTRE :

NCS MULTISTAGE INC.

demanderesse/défenderesse reconventionnelle

et

PROMAC INDUSTRIES LTD.

défenderesse/demanderesse reconventionnelle


JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS

I. Introduction

[1] Il s’agit d’une requête qu’a présentée la demanderesse dans les deux actions, NCS Multistage Inc. [NCS], au titre de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], afin d’interjeter appel de deux ordonnances rendues le 23 novembre 2021 par la protonotaire Ring, juge responsable de la gestion des instances [la juge] [collectivement, les « ordonnances »]. Les ordonnances concernent deux requêtes présentées par NCS le 1er novembre 2021 : une requête en modification des actes de procédure de NCS et une requête en production de documents [collectivement, les requêtes].

[2] La demanderesse sollicite une ordonnance :

  1. annulant les ordonnances de la juge et accordant la réparation que NCS sollicite dans ses requêtes;
  2. adjugeant à NCS ses dépens du présent appel;
  3. toute autre réparation que la Cour estime juste.

II. Les faits à l’origine du litige

A. Les actions sous‑jacentes

[3] En juillet 2018, NCS a intenté devant la Cour fédérale une action portant le numéro T‑1420‑18 [l’action Kobold] contre les défenderesses Kobold Corporation, Kobold Completions Inc. et 2039974 Alberta Ltd. [collectivement, Kobold]. Dans l’action Kobold, NCS reproche à celle‑ci d’avoir contrefait sept brevets.

[4] Kobold a répliqué par une demande reconventionnelle dans laquelle elle soutient que NCS contrefait deux de ses brevets. Kobold a laissé tomber sa demande reconventionnelle relative à l’un des brevets.

[5] En mai 2020, NCS a intenté devant la Cour fédérale une action portant le numéro T‑567‑20 contre la défenderesse Promac relativement à la contrefaçon des sept mêmes brevets de NCS visés dans l’action Kobold [l’action Promac]. Promac a également déposé une demande reconventionnelle contre NCS.

[6] Ces deux actions doivent être instruites ensemble à compter du 12 janvier 2022.

[7] NCS et Kobold ont mené une première série d’interrogatoires préalables dans l’action Kobold au cours de l’été 2020 et ont plaidé des requêtes découlant des interrogatoires de novembre 2020 à février 2021. Les parties ont mené d’autres interrogatoires préalables en mai et juin 2021. Au cours de ces interrogatoires, une première comparution a eu lieu dans l’action Promac et une deuxième dans l’action Kobold. Les parties ont plaidé des requêtes relatives à un refus de répondre à des questions par suite des interrogatoires préalables à la fin de juillet et vers la fin d’août 2021.

[8] Entre les deux actions, 20 jours ont été consacrés à des interrogatoires préalables et huit, à des requêtes relatives à un refus de répondre à des questions. À la fin de la dernière journée consacrée à ces requêtes, soit le 20 août 2021, les parties et la Cour ont convenu qu’il n’y aurait plus d’autres comparutions et les interrogatoires préalables ont été clos.

B. Les requêtes

[9] La juge a instruit trois requêtes le 10 novembre 2021. Kobold et Promac ont présenté ensemble une requête visant à modifier leurs défenses et demandes reconventionnelles. La juge a accueilli cette requête dans l’ordonnance no 1 du 23 novembre 2021. NCS n’a pas interjeté appel de cette ordonnance no 1.

[10] NCS a présenté les deux autres requêtes, qui ont été instruites le 10 novembre 2021. La première visait à exiger la production d’un nouvel affidavit de documents plus complet [la requête en production] et la seconde, à modifier les déclarations de NCS dans les deux actions [la requête en modification].

[11] La juge a rejeté les deux requêtes dans des ordonnances distinctes rendues le 23 novembre 2021 : l’ordonnance no 2 pour la requête en production et l’ordonnance no 3 pour la requête en modification.

[12] Les ordonnances nos 2 et 3 font l’objet de la présente requête en appel.

C. La présente requête en appel

(1) Appel de l’ordonnance no 2 ‑ Requête en production

[13] La juge a rejeté la requête de NCS en vue d’exiger la production d’un nouvel affidavit de documents plus complet relativement aux trois catégories de documents que NCS sollicitait. Dans le présent appel, la seule catégorie à l’examen concerne les documents relatifs à la période allant de 2010 à septembre 2014. NCS s’est désisté de son appel concernant les deux autres catégories.

[14] La réparation initiale sollicitée (qui concernait la catégorie visée par l’appel) dans la requête en production portée devant la juge est exposée ci‑dessous :

  • a) Que les défenderesses produisent les dossiers, dessins techniques et dessins d’assemblage de Solidworks qui montrent le concept de tout outil qu’elles ont fabriqué ou vendu au cours de la période allant de 2010 à septembre 2014, dans la mesure où ces concepts sont différents de ceux qui sont déjà illustrés dans les documents montrant la forme des soupapes multifonction dans les documents des défenderesses KOB0431 CEO (Solidworks); KOB0144 CEO (schéma d’assemblage, 29 janvier 2015); KOB0426 CEO (schéma d’assemblage, 5 août 2015) et KOB0379 CEO (schéma d’assemblage, 25 septembre 2014).

NCS sollicite un dossier, un dessin technique et un dessin d’assemblage de Solidworks (soit trois documents au total) pour chacun de ces concepts commercialisés au cours de la période allant de 2010 à 2013.

[15] Dans la présente requête en appel, NCS a modifié en ces termes la réparation sollicitée :

  • b) Que les défenderesses produisent les dossiers, dessins techniques et dessins d’assemblage de Solidworks qui montrent le concept de la/des soupape(s) d’égalisation qu’elles ont fabriquée(s), vendue(s) ou utilisée(s) au cours de la période allant de janvier à septembre 2014,

i. cependant, cette production n’est sollicitée que dans la mesure où ces concepts sont différents de ceux qui sont déjà illustrés dans les documents montrant la forme des soupapes multifonction dans les documents des défenderesses KOB0431 CEO (Solidworks); KOB0144 CEO (schéma d’assemblage, 29 janvier 2015); KOB0426 CEO (schéma d’assemblage, 5 août 2015) et KOB0379 CEO (schéma d’assemblage, 25 septembre 2014);

  • c) pour chaque concept de tout outil que les défenderesses ont fabriqué ou vendu au cours de la période allant de 2010 à 2013, NCS demande aux défenderesses de produire un dossier, un dessin technique et un dessin d’assemblage de Solidworks (soit trois documents au total).

[16] NCS a apporté trois principaux changements à l’ordonnance sollicitée dans la présente requête en appel :

  1. le remplacement, dans le nouvel élément « b », de « tout outil » par « de la/des soupape(s) d’égalisation »;

  2. le remplacement, dans le nouvel élément « c », de « commercialisés » par « tout outil qu’elles ont fabriqué ou vendu » de 2010 à 2013;

  3. le remplacement, dans le nouvel élément « b », de la période « allant de 2010 à septembre 2014 » par la période « allant de janvier 2014 à septembre 2014 ».

[17] Dans son ordonnance no 2, la juge a rejeté la requête de NCS en vue de contraindre les défenderesses à produire les documents demandés par NCS pour la période allant de 2010 à 2013.

[18] La juge a conclu qu’il ne convient pas, à la veille de l’instruction, d’entreprendre une évaluation du bien‑fondé des allégations de la demanderesse. Si NCS avait considéré les actes de contrefaçon reprochés aux défenderesses avant 2014 comme de véritables questions en litige, elle les aurait sérieusement examinés au cours des interrogatoires préalables, plutôt que de conserver ses allégations précises selon lesquelles la contrefaçon aurait débuté en 2014 et de convenir avec les défenderesses, lors de la présentation de requêtes en production précédentes, que la période en litige était la période débutant en 2014 [ordonnance no 2 à la page 5].

(2) Appel de l’ordonnance no 3 – requête en modification

[19] NCS a présenté une requête visant à modifier ses déclarations dans l’action Kobold et l’action Promac. Les défenderesses dans les deux actions, Kobold et Promac, ont consenti à la plupart des modifications proposées. Les modifications qui demeuraient en litige figuraient au paragraphe 12 de l’action Kobold [la modification concernant la fiducie par interprétation] et aux paragraphes 40 et 29 respectivement de l’action Kobold et l’action Promac [les modifications concernant la période de contrefaçon alléguée].

a) Modification concernant la fiducie par interprétation

[20] La modification concernant la fiducie par interprétation portait sur la dernière phrase du paragraphe 12 de la déclaration déposée dans l’action Kobold :

[traduction]

12. […] Les profits que les trois défenderesses ont réalisés par suite des activités de contrefaçon ont été transférés de Kobold Completions à Kobold Corp. et 2039974 Alberta Ltd. et tous ces profits découlant de produits ou services contrefaits de toute entité Kobold font l’objet d’une fiducie par interprétation au profit de NCS.

[21] C’était la première fois que la réparation de la fiducie par interprétation était soulevée dans le présent litige.

[22] Dans son ordonnance no 3, la juge a refusé la modification proposée par NCS concernant la fiducie par interprétation pour les raisons suivantes :

  • L’allégation que NCS formule au sujet de l’existence d’une fiducie par interprétation ne satisfait pas à la condition préliminaire qui s’applique à la requête en modification. NCS affirme simplement que les profits de Kobold devraient faire l’objet d’une fiducie par interprétation, mais elle ne fournit pas les renseignements et les faits nécessaires à l’appui de cette allégation [ordonnance no 3 aux para 27 à 30].

  • La mention par NCS de « toute entité Kobold » dans la modification qu’elle propose au paragraphe 12 est trop imprécise et ambiguë. Elle ne permet pas aux avocats de Kobold [traduction] « de conseiller leurs clients, de préparer leur dossier et d’établir une stratégie en vue de l’instruction » [ordonnance no 3 au para 31].

  • Même si NCS alléguait à bon droit l’existence d’une fiducie par interprétation, il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de lui permettre de modifier à ce moment‑ci le paragraphe 12 pour alléguer l’existence d’une « fiducie par interprétation ». NCS n’a fourni aucune explication raisonnable au sujet de son retard à solliciter la modification au paragraphe 12 [ordonnance no 3 au para 33].

  • La modification proposée au paragraphe 12 a pour effet d’élargir sensiblement la portée des questions de droit et de fait en litige et créera un fardeau et un préjudice supplémentaires pour les défenderesses, compte tenu, surtout, des délais serrés prévus dans les ordonnances d’établissement du calendrier qui ont été rendues avant l’instruction [ordonnance no 3 au para 34].

  • Le fait de permettre la modification proposée au paragraphe 12 ne facilitera pas l’examen par Cour du véritable fond des questions en litige à l’étape de la responsabilité de l’action [ordonnance no 3 aux para 35 à 37].

[23] La juge a conclu que, lorsque les parties passeront à l’étape de la quantification, le cas échéant, NCS pourra présenter une nouvelle requête en vue de modifier sa déclaration par l’ajout de son allégation concernant la fiducie par interprétation [ordonnance no 3 aux para 38 à 40].

b) Les modifications concernant la période de contrefaçon alléguée

[24] Les modifications proposées au paragraphe 40 dans l’action Kobold et au paragraphe 29 dans l’action Promac étaient les suivantes (d’après le suivi des modifications) :

L’action Kobold (T‑1420‑18)

[traduction]

40. Depuis environ janvier 2016 pour l’outil G5 et depuis environ 2013 2014 jusqu’en 2016 pour l’outil G3, Kobold a contrefait le brevet ‘676 en fabriquant, utilisant, louant ou mettant par ailleurs à la disposition du public les outils G3 et G5, qui sont utilisés dans le cadre des services d’achèvement de puits de forage pour déplacer les manchons G3 ou G5, pour perforer le tubage et pour injecter un fluide de traitement dans une formation. Tel qu’il est mentionné aux paragraphes 49, 72 et 80, NCS formule une réclamation à l’égard de toutes les activités de contrefaçon poursuivies depuis la date d’accessibilité au public de chacun des brevets qu’elle invoque.

L’action Promac (T‑567‑20)

[traduction]

29. Promac a fabriqué et vendu les outils G5 et les outils connexes depuis environ janvier 2016 et, dans le cas de l’outil G3, depuis environ 2014 2012 jusqu’en 2016; cependant, tel qu’il est mentionné aux paragraphes 54, 62 et 69, NCS soutient qu’il y a contrefaçon et sollicite une indemnité raisonnable sous forme de dommages‑intérêts pour toutes les activités de contrefaçon de Promac.

[25] Dans son ordonnance no 3, la juge a rejeté les modifications proposées par NCS au sujet de la période de contrefaçon alléguée pour les raisons suivantes :

  • La modification au paragraphe 29 (dans l’action Promac) n’a aucune possibilité raisonnable de succès, parce qu’elle est prescrite [ordonnance no 3 aux para 43 et 44].

  • Il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de permettre à NCS de modifier le paragraphe 40 (dans l’action Kobold) ou le paragraphe 29 (dans l’action Promac) afin d’étendre la période de contrefaçon alléguée dans les deux actions. NCS a soutenu de façon explicite et répétée dans les deux actions que la période de contrefaçon a débuté en 2014. Au cours des interrogatoires préalables (que les parties ont clos), NCS s’est comportée d’une façon compatible avec l’allégation selon laquelle la contrefaçon avait débuté en 2014. De plus, au cours de la présentation de requêtes en production précédentes, NCS a convenu que la période en litige était la période débutant en 2014 [ordonnance no 3 aux para 46 et 47].

  • NCS n’a pas fourni à la Cour une explication satisfaisante au sujet de son retard à solliciter ces modifications [ordonnance no 3 au para 47].

  • Les modifications proposées ont pour effet d’élargir la portée du litige et causeront un préjudice aux défenderesses [ordonnance no 3 au para 48].

  • Le fait de permettre les modifications proposées ne facilitera pas l’examen par la Cour du véritable fond des questions en litige entre les parties [ordonnance no 3 au para 49].

III. Questions en litige

[26] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La Cour a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la requête présentée par NCS en vue d’ajouter la modification concernant la fiducie par interprétation?

  3. La Cour a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la requête présentée par NCS en vue d’ajouter les modifications concernant la période de contrefaçon alléguée?

  4. La Cour a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la requête présentée par NCS en vue d’exiger la production de documents additionnels pour la période allant de 2010 à septembre 2014?

IV. Norme de contrôle

[27] La norme de contrôle applicable à une requête fondée sur l’article 51 des Règles en vue d’interjeter appel d’une décision du protonotaire est la norme d’appel que la Cour suprême du Canada a énoncée dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33 aux paragraphes 7 à 36 [Housen] [Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 aux para 63, 65, 79 et 83].

[28] Selon l’arrêt Housen, les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont assujetties à la norme de l’erreur manifeste et dominante, tandis que les questions de droit et les questions mixtes, lorsqu’il existe une question de droit isolable, sont assujetties à la norme de la décision correcte [Packers Plus Energy Services Inc. c. Essential Energy Services Ltd., 2021 CF 986 au para 15].

[29] La demanderesse soutient que les questions à trancher au sujet de la requête en modification sont des questions de droit ou des questions de droit isolables et qu’elles sont assujetties à la norme de la décision correcte et que la question à trancher au sujet de la requête en production de documents pour la période allant de janvier à septembre 2014 porte également sur une erreur de droit et est assujettie à la norme de la décision correcte. La question à trancher au sujet de la requête en production de documents pour la période allant de 2010 à 2013 est une question mixte de fait et de droit qui est assujettie à la norme de l’erreur dominante et manifeste, mais dépend d’une erreur de droit antérieure soulevée dans la requête en modification.

[30] Les défenderesses font valoir que la seule question à trancher en appel qui constitue une question de droit isolable réside dans la formulation des règles de droit régissant les fiducies par interprétation. Selon les défenderesses, toutes les autres erreurs alléguées portent sur des questions de fait ou sur des questions mixtes de fait et de droit et sont assujetties à la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[31] Je souscris à la position des défenderesses. Chaque question en litige est une question mixte de fait et de droit et est assujettie à la norme de l’erreur dominante et manifeste. La seule question de droit isolable dans la présente instance semble être celle de la formulation des règles de droit régissant les fiducies par interprétation. Lorsqu’il s’agit de savoir si la juge a mal interprété les principes de droit applicables aux fiducies par interprétation, la norme est celle de la décision correcte.

[32] La norme de l’erreur manifeste et dominante est une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue. Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente. À titre d’exemples, mentionnons l’illogisme évident dans les motifs (notamment les conclusions de fait qui ne vont pas ensemble), les conclusions tirées sans éléments de preuve admissibles ou éléments de preuve reçus conformément à la doctrine de la connaissance d’office, les conclusions fondées sur des inférences erronées ou une erreur de logique, et le fait de ne pas tirer de conclusions en raison d’une ignorance complète ou quasi complète des éléments de preuve. [Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 [Mahjoub] aux para 61 et 62].

[33] Même si l’erreur est manifeste, le jugement rendu par l’instance inférieure ne doit pas nécessairement être infirmé. L’erreur doit également être dominante. Par erreur « dominante », on entend une erreur qui a une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire. Il se peut qu’un fait donné n’aurait pas dû être tenu comme avéré parce qu’il n’existe aucun élément de preuve pour l’étayer. Si ce fait manifestement erroné est exclu, mais que la décision tient toujours sans ce fait, l’erreur n’est pas « dominante ». Le jugement du tribunal de première instance demeure. [Mahjoub aux para 63 et 64].

V. Les positions des parties

A. La Cour a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la requête présentée par NCS en vue d’ajouter la modification concernant la fiducie par interprétation?

[34] La demanderesse soutient que la juge a mal interprété les règles de droit régissant les fiducies par interprétation qui sont énoncées dans la décision Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro‑Industries Ltd., 2001 CFPI 889 [Baker Petrolite] et dans l’arrêt Soulos c. Korkontzilas, [1997] 2 RCS 217 [Soulos].

[35] Plus précisément, la demanderesse fait valoir que le raisonnement de la juge consistait à dire qu’une obligation devait avoir existé avant l’introduction de la présente action, ce qui va directement à l’encontre de la conclusion tirée dans la décision Baker Petrolite et dans l’arrêt Moore c. Sweet, 2018 CSC 52 [Moore]. La conclusion selon laquelle la demanderesse devait établir l’existence d’une obligation en equity distincte entre les parties a conduit à une autre erreur, soit l’élargissement considérable de la portée des questions de droit et de fait en litige par suite du fait de permettre la modification concernant la fiducie par interprétation.

[36] La demanderesse affirme également que la détermination de l’existence d’une relation de fiducie et de la nécessité d’un suivi au cours de l’étape de la quantification est placée à juste titre pour examen à l’étape de la responsabilité, contrairement aux conclusions que la juge a tirées dans l’ordonnance no 3.

[37] Selon la demanderesse, les défenderesses n’ont présenté aucun élément de preuve établissant que le fait de permettre cette modification causerait un préjudice.

[38] Les défenderesses affirment que la juge n’a pas commis d’erreur en refusant de permettre la modification concernant la fiducie par interprétation. Selon les défenderesses,

  • la modification proposée n’a aucune possibilité raisonnable de succès. Elle est imprécise et a une portée excessive et, si elle était autorisée, d’autres interrogatoires préalables seraient nécessaires pour clarifier certains points;

  • la demanderesse n’a pas plaidé les faits importants nécessaires pour étayer l’existence d’une obligation en equity entre les parties;

  • la juge a correctement interprété et appliqué les règles de droit régissant les fiducies par interprétation qui sont énoncées dans les décisions Baker Petrolite, Soulos et Moore et dans l’arrêt Pro‑Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, 2013 CSC 57 [Pro‑Sys];

  • la juge a correctement appliqué les facteurs énoncés dans l’arrêt Canderel Ltd. c. Canada, [1994] 1 CF 3 (CAF) [Canderel]. Plus précisément, elle a conclu que la demanderesse n’avait fourni aucune explication raisonnable au sujet de son retard à solliciter la modification concernant la fiducie par interprétation; la modification proposée donnait lieu à un élargissement important de la portée des questions de droit et de fait en litige, ce qui alourdira la tâche des défenderesses et causera un préjudice à celles‑ci; le fait de permettre la modification proposée ne facilitera pas l’examen par la Cour du véritable fond des questions en litige à l’étape de la responsabilité de l’action;

  • la juge a eu raison de conclure que la question de l’existence d’une fiducie par interprétation est une question à examiner à l’étape de la quantification de l’action.

B. La Cour a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la requête présentée par NCS en vue d’ajouter les modifications concernant la période de contrefaçon alléguée?

[39] La demanderesse reproche à la juge d’avoir commis une erreur en refusant les modifications qu’elle voulait apporter à la période de contrefaçon. Selon la demanderesse, les déclarations comportent des allégations de contrefaçon [traduction] « survenant après la date d’accessibilité au public », laquelle contrefaçon pourrait remonter aussi loin que 2010 dans le cas de quatre des brevets invoqués. Par conséquent, la juge a commis une erreur en interprétant les actes de procédure de la demanderesse et les concessions qu’elle a faites lors des interrogatoires préalables de façon à conclure que la contrefaçon a commencé en 2014.

[40] La demanderesse fait également valoir qu’elle a examiné en profondeur les allégations de contrefaçon antérieures à 2014 (c.‑à‑d. au cours d’un interrogatoire préalable concernant une soupape que les défenderesses auraient pu avoir commercialisée dès juin 2013). Cependant, elle s’est heurtée à de la résistance lors de ces démarches. En conséquence, la juge a commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas persisté à faire valoir ses allégations de contrefaçon antérieure. La demanderesse ajoute que la preuve d’une contrefaçon antérieure démontre qu’elle subira un grave préjudice en cas de refus de cette modification.

[41] De plus, la demanderesse affirme que les modifications concernant la période de contrefaçon alléguée ont simplement pour effet de clarifier les actes de procédure sans en élargir la portée. En conséquence, elles ne risquent pas d’être radiées pour cause de prescription. La demanderesse ajoute que la règle de la possibilité de découvrir s’applique.

[42] Enfin, la demanderesse soutient que les défenderesses n’ont présenté aucun élément de preuve indiquant le nouveau fardeau qui pourrait leur être imposé si les modifications proposées concernant la période de contrefaçon alléguée étaient autorisées.

[43] Les défenderesses répondent que la juge n’a pas commis d’erreur en refusant de permettre les modifications concernant la période de contrefaçon alléguée. À leur avis, la juge s’est fondée à bon droit sur sa grande connaissance des faits et des questions en litige dans les présentes actions pour déterminer la nature des actes de procédure. Compte tenu de l’ensemble des actes de procédure et de la conduite de NCS pendant le long processus d’interrogatoires préalables, la période de contrefaçon alléguée est la période débutant en 2014, de sorte que les modifications représentent un changement de position.

[44] De plus, les défenderesses affirment que le préjudice qu’elles subiraient si les modifications étaient permises est évident au vu du dossier : NCS demande à la Cour de les contraindre à mener des recherches approfondies dans leurs documents couvrant la dernière décennie à la veille de l’instruction. De l’avis des défenderesses, la juge a eu raison de dire qu’il s’agissait d’une recherche à l’aveuglette.

[45] Les défenderesses ajoutent que NCS ne subira aucun préjudice grave si ces modifications sont refusées. Selon elles, NCS a convenu, lors de la présentation de requêtes en production précédentes, que la période en litige était la période débutant en 2014 et le présent appel constitue une tentative de revenir sur cette entente et de contester de façon indirecte des ordonnances précédentes de la juge.

[46] En dernier lieu, les défenderesses soulignent que la juge a eu raison de conclure que le fait d’étendre la période de contrefaçon alléguée de 2014 à 2012 dans l’action Promac ne respecte pas le délai de prescription de six ans prévu à l’article 55.01 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4. De plus, NCS n’a pas invoqué l’argument concernant la règle de la possibilité de découvrir lors de la présentation des requêtes sous‑jacentes et n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui de cet argument. Selon les défenderesses, l’acceptation de l’interprétation que la demanderesse donne aux actes de procédure aurait pour effet de nier à Promac le droit d’alléguer en réponse que le délai de prescription s’applique et de mener un interrogatoire préalable sur ces questions.

C. La Cour a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la requête présentée par NCS en vue d’exiger la production de documents additionnels pour la période allant de 2010 à septembre 2014?

(1) De janvier 2014 à septembre 2014

[47] La demanderesse soutient que la Cour a commis une erreur en refusant d’exiger la production de documents pertinents quant à une soupape précédente fabriquée de janvier 2014 à septembre 2014. Selon la demanderesse, la juge n’a pas examiné en profondeur la réparation qu’elle sollicite. De plus, les défenderesses n’ont présenté aucun élément de preuve afin de contester sa preuve indiquant qu’une soupape avait été utilisée pendant cette période.

[48] La demanderesse affirme que, si l’erreur de la Cour avait été commise à l’égard de la preuve, cette omission d’examiner des éléments pertinents donnerait lieu à la conviction rationnelle que la juge a oublié, négligé d’examiner ou mal interprété la preuve, de telle manière que sa conclusion en a été affectée, ce qui constituerait une erreur manifeste et dominante.

[49] La défenderesse répond que cette réparation n’a pas été présentée comme une demande séparée dans la requête de NCS, mais plutôt comme une seule demande de production de documents relatifs à la période allant de 2010 à septembre 2014. La juge a examiné cette réparation sollicitée lorsqu’elle a rejeté la demande de NCS en vue d’obtenir la production de documents pour la période allant de 2010 à 2013. NCS sollicite une ordonnance contraignant Kobold à produire des documents pour la période allant de janvier à septembre 2014 à titre de catégorie distincte de documents et a remplacé, dans sa demande, le mot « outils » par « soupape(s) d’égalisation » pour la période allant de janvier à septembre 2014 seulement. Cette demande ne faisait pas partie de la requête initiale de NCS que la juge a rejetée.

[50] De plus, des demandes de production semblables ont été examinées dans le cadre de requêtes précédentes relatives à un refus de répondre à des questions.

(2) Période allant de 2010 à 2013

[51] La demanderesse soutient que la Cour a refusé d’exiger la production de documents pour la période allant de 2010 à 2013 pour la même raison pour laquelle elle a refusé de permettre les modifications concernant la période de contrefaçon alléguée. La position de la demanderesse au sujet des modifications en question a déjà été exposée.

[52] Les défenderesses répondent que la demanderesse ne reproche pas à la juge d’avoir commis une erreur dans son exposé des principes de droit régissant la requête en production d’un nouvel affidavit de documents plus complet, ni ne soutient que la juge a mal compris les faits présentés en preuve.

[53] Les défenderesses ajoutent que, même si la demanderesse obtenait l’élargissement de la période en cause, elle doit prouver la pertinence d’une demande de documents remontant jusqu’à 2010. Qui plus est, tel qu’il est mentionné plus haut, la demanderesse a modifié la réparation qu’elle sollicite dans le présent appel par rapport à celle qu’elle demandait dans la requête sous‑jacente.

[54] En conséquence, la juge s’est fondée à juste titre sur son expérience liée à la présente affaire et a tenu compte du contexte et des circonstances dans lesquels la demande de NCS a été présentée. Elle a souligné les observations formulées lors du processus précédent d’interrogatoires préalables et de la présentation de requêtes relatives à un refus de répondre à des questions, ainsi que l’imminence de l’instruction.

VI. Analyse

A. La Cour a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la requête présentée par NCS en vue d’ajouter la modification concernant la fiducie par interprétation?

[55] Tel qu’il est mentionné plus haut, cette question est une question mixte de fait et de droit et est assujettie à la norme de l’erreur manifeste et dominante. La seule question de droit isolable est celle de la formulation des règles de droit régissant les fiducies par interprétation, qui est assujettie à la norme de la décision correcte.

[56] Dans l’ordonnance no 3 relative à la question de la modification concernant la fiducie par interprétation, la juge a formulé correctement les règles de droit régissant les fiducies par interprétation. La demanderesse n’a pas prouvé l’existence d’une erreur manifeste ou dominante.

[57] La juge a correctement énoncé les principes de droit régissant la modification des actes de procédure. Selon l’article 75 des Règles, la Cour peut, à tout moment, autoriser une partie à modifier un document aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties. La règle générale est qu’« une modification devrait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu notamment, que cette autorisation ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu’elle serve les intérêts de la justice » [Canderel; Enercorp Sand Solutions Inc. c. Specialized Desanders Inc., 2018 CAF 215 au para 19].

[58] La juge précise ensuite qu’il y a une question préalable à trancher, soit celle de savoir si l’acte de procédure présente une possibilité raisonnable de succès [Teva Canada Limitée c. Gilead Sciences Inc., 2016 CAF 176 aux para 29‑32].

[59] Une fois qu’il est établi que la modification proposée présente une possibilité raisonnable de succès, les autres facteurs énoncés dans l’arrêt Canderel doivent être examinés. Le critère fondé sur les intérêts de la justice permet à une Cour d’examiner des facteurs tels que le moment auquel est présentée la requête visant la modification, la mesure dans laquelle la modification proposée retarderait l’instruction expéditive de l’affaire, la mesure dans laquelle la thèse adoptée à l’origine par une partie a amené une autre partie à suivre dans le litige une ligne de conduite qu’il serait difficile, voire impossible, de modifier, et la mesure dans laquelle les modifications demandées faciliteront l’examen par la Cour du véritable fond du différend [Canderel à la page 8; Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2014 CAF 65 au para 17; Janssen Inc. c. Abbvie Corporation, 2014 CAF 242 au para 3].

[60] La juge a tiré les conclusions suivantes :

  1. les modifications proposées par NCS ne satisfaisaient ni à la condition préalable selon laquelle l’acte de procédure doit présenter une possibilité raisonnable de succès ni à la condition selon laquelle il doit être dans l’intérêt de la justice de permettre les modifications;

  2. NCS devrait obtenir l’autorisation de présenter une nouvelle requête au sujet de la modification concernant la fiducie par interprétation si l’action atteint l’étape de la quantification;

[61] la modification concernant la fiducie par interprétation ne satisfaisait pas à la condition préalable, parce que l’acte de procédure est imprécis et a une portée excessive en ce qui concerne l’allégation couvrant « toute entité de Kobold » et parce que NCS n’a pas allégué les faits substantiels nécessaires pour étayer une allégation de fiducie par interprétation. NCS n’a pas interjeté appel de la première conclusion.

[62] NCS n’a pas fait valoir que la conclusion d’imprécision et de portée excessive était erronée. Elle n’a apporté aucun éclairage sur cette question dans son dossier de la requête. De plus, elle ne commente nullement cette conclusion de la juge et ne relève aucune erreur manifeste ou dominante que celle‑ci aurait commise à cet égard.

[63] À mon avis, la juge a conclu à juste titre que cette allégation est imprécise et cause un préjudice à Kobold, qui a le droit de connaître ce qu’elle doit établir. Cette allégation nécessiterait d’autres communications préalables, eu égard au caractère imprécis de l’allégation de NCS.

[64] Je conclus également que la juge a formulé correctement les règles de droit régissant les fiducies par interprétation dans son examen de la question de savoir si NCS avait, à ce stade préliminaire, établi les faits substantiels nécessaires pour étayer l’allégation de fiducie par interprétation qu’elle propose.

[65] La demanderesse ne semble pas nier que les principes de droit découlant des décisions Baker Petrolite, Soulos, Moore et Pro‑Sys énoncent le fondement des règles régissant les fiducies par interprétation et sont pertinents en l’espèce. Elle reproche plutôt à la juge d’avoir commis une erreur de droit en disant qu’une obligation doit avoir existé avant l’introduction de la présente action, ce qui va directement à l’encontre des décisions Baker Petrolite et Moore.

[66] Au soutien de son allégation, la demanderesse cite les observations suivantes que la juge a formulées dans l’ordonnance no 3 :

[traduction]

NCS n’a mentionné aucun fait substantiel dans son acte de procédure qui démontrerait que Kobold était assujettie à une obligation en equity, soit une obligation du type de celles dont les tribunaux d’equity ont assuré le respect, relativement aux activités donnant lieu aux profits qui font l’objet de la fiducie par interprétation, ou que Kobold a manqué à son obligation en equity envers NCS.

Une interprétation juste de ce paragraphe ne permet pas de conclure à une formulation erronée des règles de droit régissant les fiducies par interprétation de la part de la juge.

[67] La jurisprudence décrit deux « types » de fiducies par interprétation : la fiducie par interprétation visant à remédier à l’enrichissement sans cause et la fiducie par interprétation visant à remédier à une conduite fautive.

[68] Au cours des plaidoiries orales relatives à la requête en modification, NCS a invoqué l’arrêt Soulos et soutenu que seule la fiducie par interprétation visant à remédier à une conduite fautive était en litige et qu’il n’était pas nécessaire de satisfaire aux exigences applicables aux actes de procédure en l’espèce. La juge a souligné que cette affirmation était surprenante, étant donné que la modification concernant la fiducie par interprétation que proposait NCS était fondée sur la décision Baker Petrolite, qui portait sur une fiducie par interprétation visant à remédier à l’enrichissement sans cause.

[69] Dans l’arrêt Soulos, la Cour suprême énonce quatre conditions à remplir pour établir une fiducie par interprétation visant à remédier à une conduite fautive. Ces conditions figurent dans l’ordonnance no 3. Selon la première condition, « le défendeur doit avoir été assujetti à une obligation en equity ».

[70] À mon avis, la juge a conclu à juste titre que NCS n’a pas invoqué dans son acte de procédure des faits étayant l’existence d’une obligation en equity entre les parties. NCS ne conteste pas cette conclusion. Elle ne nie pas non plus qu’elle n’a pas invoqué les faits substantiels nécessaires pour établir une fiducie par interprétation visant à remédier à l’enrichissement sans cause du type des fiducies examinées dans les arrêts Pro‑Sys ou Moore.

[71] NCS semble soutenir qu’il existe un troisième type de fiducie par interprétation fondée sur une comptabilisation des profits et que la Cour a commis une erreur en exigeant de la demanderesse qu’elle invoque d’autres faits substantiels en plus de l’établissement du droit à une comptabilisation des profits découlant de la contrefaçon commise par les défenderesses.

[72] L’argument a été rejeté à juste titre : il est nécessaire d’établir un motif valable en equity comme fondement d’un droit sur un bien pour obtenir la réparation en equity, lequel motif n’existe pas au vu des faits mis en preuve en l’espèce.

[73] Un droit à une comptabilisation des profits ne donne pas automatiquement lieu à l’imposition d’une fiducie par interprétation [Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 RCS 574 [Lac Minerals] au para 678]. Indépendamment de la question de savoir s’il existe un autre type de fiducie par interprétation découlant d’une comptabilisation des profits, NCS n’a mentionné aucun bien précis dans sa modification proposée. Une fiducie par interprétation est un droit de propriété, qualifié de « possibilité de faire respecter ses droits à l’égard d’un bien en particulier » [Moore au para 90]. Il ne s’agit pas d’une charge grevant l’actif général d’une société, ce que NCS semble tenter d’obtenir.

[74] Quel que soit le type de fiducie par interprétation dont elle revendique l’existence, NCS n’a pas invoqué les faits substantiels nécessaires pour l’étayer. De plus, même si l’allégation relative à la fiducie par interprétation était acceptable, il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de permettre la modification proposée concernant la fiducie par interprétation.

[75] Plus précisément, la juge a conclu que (1) NCS n’a donné aucune explication raisonnable au sujet de son retard à demander la modification en question, (2) la modification proposée donnait lieu à un élargissement important de la portée des questions de droit et de fait en litige et cet élargissement créera un fardeau additionnel pour les défenderesses et leur causera un préjudice et (3) le fait de permettre la modification proposée ne faciliterait pas l’examen par la Cour du véritable fond des questions en litige à l’étape de la responsabilité de l’action.

[76] Dans son dossier de requête relatif au présent appel, NCS n’a toujours fourni aucune explication au sujet du retard à présenter cette demande et n’interjette pas appel non plus de cette conclusion. La juge gère ce litige depuis 2018 et a présidé pendant plus de huit jours des audiences portant sur des requêtes relatives à des refus de répondre à des questions, après 20 jours consacrés à des interrogatoires préalables dans les deux actions, avant d’instruire la requête en modification. Il y a lieu de faire montre de retenue à l’égard de la compréhension qu’a la juge du contexte de l’action et des questions litigieuses, laquelle compréhension a influencé son examen des facteurs militant en faveur et à l’encontre de l’octroi de la modification.

[77] De plus, la juge a conclu à juste titre que la question de l’existence d’une fiducie par interprétation serait une question à trancher au cours de l’étape de la quantification de l’action et a permis à NCS de demander à nouveau l’autorisation de présenter la modification en question si le litige atteignait cette étape.

[78] La juge a souligné à juste titre que la fiducie par interprétation est d’abord et avant tout une réparation. Plus précisément, il appert de la jurisprudence qu’une fiducie par interprétation ne sera pas imposée à moins qu’il ne soit établi qu’une réparation financière est insuffisante. La question de la réparation qui convient ne se pose qu’une fois que l’on a démontré qu’il y avait lieu à restitution [Lac Minerals], ce qui surviendrait à l’étape de la quantification de cette action disjointe.

[79] Il n’est pas interdit à tout jamais à NCS de soulever la question de la fiducie par interprétation. NCS aura la possibilité de demander à nouveau l’autorisation de modifier son acte de procédure afin de traiter cette question, si l’action atteint l’étape de la quantification.

[80] Dans l’ordonnance no 3 relative à la question de la modification concernant la fiducie par interprétation, la juge a formulé correctement les règles de droit applicables aux fiducies par interprétation et les principes juridiques régissant la modification des actes de procédure. La demanderesse n’a pas prouvé l’existence d’une erreur dominante ou manifeste. La juge possède une très longue expérience dans ce litige et, dans son ordonnance no 3, elle a interprété le droit et les faits en tenant compte de l’ensemble du contexte de l’action Kobold.

B. La Cour a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la requête présentée par NCS en vue d’ajouter les modifications concernant la période de contrefaçon alléguée?

[81] La question de savoir si le critère de droit régissant les requêtes en modification a été correctement appliqué aux faits est une question mixte de fait et de droit qui est assujettie à la norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante.

[82] NCS reproche à la juge d’avoir mal décrit la nature des actes de procédure comportant une allégation de contrefaçon débutant en 2014.

[83] Tel qu’il est mentionné plus haut, la juge connaît très bien les circonstances et les questions en litige dans les présentes actions. Elle s’est fiée à bon escient sur sa compréhension des questions en litige pour déterminer la nature des actes de procédure.

[84] En qualité de juge responsable de la gestion de l’instance, la juge a présidé un long processus d’interrogatoires préalables au cours duquel elle a eu pour tâche d’évaluer les actes de procédure des deux parties afin de déterminer la pertinence des questions ayant fait l’objet d’un refus lors des interrogatoires préalables. Tout au long de ce processus et de la présentation des requêtes relatives au refus de répondre à des questions, NCS a convenu à maintes reprises que la période en litige était la période débutant en 2014. La juge a conclu que la conduite de NCS démontre que les allégations de contrefaçon antérieure à 2014 n’étaient pas considérées comme de véritables questions litigieuses.

[85] Après avoir examiné les actes de procédure dans leur ensemble et tenu compte de la conduite de NCS pendant le long processus d’interrogatoires préalables, la juge a conclu que la période de contrefaçon alléguée était la période débutant en 2014 et que les modifications proposées constituent un changement de position. La juge affirme à juste titre que la Cour peut examiner la conduite des parties pour déterminer si une modification demandée concerne une véritable question litigieuse.

[86] La juge a conclu que les facteurs du critère énoncé dans l’arrêt Canderel militaient à l’encontre de l’octroi des modifications proposées et qu’il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de les autoriser, compte tenu, surtout, de la présentation tardive des requêtes à la veille de l’instruction sans explication raisonnable. NCS n’a relevé aucune erreur manifeste ou dominante dans la décision de la juge.

[87] En raison de sa longue expérience liée au présent litige, la juge connaissait les circonstances et le contexte lorsqu’elle a conclu qu’il n’était pas dans l’intérêt de la justice de permettre cette modification à ce stade du litige.

[88] Enfin, la juge a conclu que le fait d’étendre la période de contrefaçon alléguée de 2014 à 2012 dans l’action Promac ne respectait pas le délai de prescription de six ans prévu à l’article 55.01 de la Loi sur les brevets.

[89] L’action Promac a été introduite en mai 2020. La demanderesse soutient aujourd’hui que le principe de la possibilité de découvrir s’applique. Or, cet argument n’a pas été invoqué devant la juge dans la requête sous‑jacente.

[90] La demanderesse n’a pas établi que la juge avait commis une erreur manifeste et dominante en rejetant la requête en modification de la demanderesse et en refusant de lui permettre d’ajouter les modifications concernant la période de contrefaçon alléguée.

[91] En ce qui a trait à l’ensemble de la requête en modification de la demanderesse, il n’appartient pas à la Cour de « remanier » un acte de procédure d’une partie afin de tenter de rendre valide ce qui est par ailleurs une allégation imprécise et ambiguë ou dont la portée est excessive. Ainsi qu’il a été souligné à plusieurs reprises plus haut, la juge s’est fondée à juste titre sur sa longue expérience à l’égard des parties ainsi que des circonstances et du contexte du présent litige pour en arriver à ses décisions. Elle connaît très bien les positions des parties, la nature des actes de procédure et le fond du litige.

C. La Cour a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la requête présentée par NCS en vue d’exiger la production de documents additionnels pour la période allant de 2010 à septembre 2014?

[92] NCS soutient que la juge a commis une erreur en ne tranchant pas la question de la production de documents pour la période allant de janvier 2014 à septembre 2014 dans l’ordonnance no 2. Cependant, il s’agit là d’une qualification erronée des questions que la juge devait trancher d’après la requête en production sous‑jacente.

[93] Tel qu’il est mentionné plus haut, la demanderesse a modifié la réparation sollicitée dans la présente requête en appel par rapport à celle qui était demandée dans la requête en production sous‑jacente. Cette dernière ne comportait qu’une seule demande de production de documents pour la période allant de 2010 à 2014 ainsi qu’un paragraphe visant apparemment à clarifier la demande en précisant qu’il s’agissait de documents pour la période allant de 2010 à 2013 que la demanderesse souhaitait obtenir. La portée et la nature de l’ordonnance que NCS sollicite aujourd’hui sont différentes de la réparation que NCS a sollicitée devant la juge lors de la présentation de la requête sous‑jacente.

[94] NCS ne soutient pas qu’une erreur a été commise dans la formulation des principes de droit régissant une requête en vue d’obtenir la production d’un nouvel affidavit de documents plus complet, ni ne fait valoir que la juge a mal compris les faits mis en preuve.

[95] Tel qu’il est mentionné plus haut, la juge a qualifié à bon droit les allégations formulées dans les actes de procédure d’allégations relatives à la période débutant en 2014. NCS n’a relevé aucune erreur manifeste ou dominante dans la décision de la juge.

VII. Conclusion

[96] En conclusion, la requête de la demanderesse en vue d’interjeter appel des ordonnances de la juge portant la date du 23 novembre 2021 est rejetée. Les ordonnances demeurent en vigueur.

[97] Il convient de répéter que les requêtes sous‑jacentes et le présent appel ont été présentés à la veille de l’instruction. Il s’agit d’une instance au cours de laquelle des concessions ont été faites pour permettre le respect des délais prescrits et le début de l’instruction le 12 janvier 2021, échéance que la demanderesse jugeait essentielle. La demanderesse est consciente des longs interrogatoires préalables et des requêtes connexes qui ont inondé le présent litige ainsi que de la connaissance approfondie que possède la juge au sujet des circonstances et du contexte de la présente affaire.

[98] La Cour continuera à décourager ces différends de nature procédurale présentés tardivement, qui l’obligent à trancher ces querelles de dernière minute à la veille de l’instruction.


JUGEMENT MODIFIÉ dans les dossiers T‑1420‑18 et T‑567‑20

LA COUR STATUE que:

  1. après avoir reçu aujourd’hui (le 10 décembre 2021) une réponse qui ne figurait pas dans la directive donnée par la juge McVeigh au sujet de l’examen de la présente requête jugée sur dossier, le dépôt de la réponse a néanmoins été accepté. J’ai pris connaissance de la réponse et je conclus que la protonotaire n’a commis aucune erreur manifeste ou dominante;

  2. la requête de la demanderesse en vue d’interjeter appel des ordonnances de la juge au titre de l’article 51 des Règles est rejetée;

  3. des dépens de 7 500 $ sont adjugés aux défenderesses.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


dossier :

T‑1420‑18

 

intitulé :

NCS MULTISTAGE INC. c. KOBOLD

CORPORATION, KOBOLD COMPLETIONS

INC. et 2039974 ALBERTA LTD.

 

ET DOSSIER :

T‑567‑20

 

INTITULÉ :

NCS MULTISTAGE INC. c. PROMAC

INDUSTRIES LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

DATE DE L’AUDIENCE :

 

OTTAWA (ONTARIO)

requête JUGÉE SUR DOSSIER

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

 

LE 10 DÉCEMBRE 2021

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS MODIFIÉS :

lE 10 DÉCEMBRE 2021

COMPARUTIONS :

PATRICK SMITH

SCOTT FOSTER

SHARN MASHIANA

BEN PEARSON

MIKE MYCHYSHYN

MAT BRECHTEL

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

CHRISTOPHER J. KVAS

WILLIAM REGAN

EVAN REINBLATT

RACHEL MELAND

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SEASTONE IP LLP

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

PIASETZKI NENNIGER KVAS LLP

TORONTO (ONTARIO)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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