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     Date : 19980602

     Dossier : IMM-2344-97

ENTRE

     ROBERTO GUARDADO,

     demandeur,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SUPPLÉANT HEALD

[1]          Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 12 mai 1997 rendue par la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). Par cette décision, la Commission a conclu que le requérant était exclu de la protection des réfugiés en application de l'Article 1Fa) de l'Annexe de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. F-71.

[2]          Subsidiairement, le demandeur sollicite un jugement déclarant qu'il est un réfugié au sens de la Convention. Selon le demandeur, il est loisible à la Cour de rendre un tel jugement déclaratoire parce qu'un membre de la Commission a conclu qu'il était un réfugié au sens de la Convention sauf son exclusion en application de l'Article 1Fa) de l'Annexe de la Loi.

Les faits

[3]          Le demandeur est citoyen salvadorien. Il est arrivé au Canada le 3 juin 1995 avec son conjoint de fait Maria et son cousin Isaac. Tous les trois ont demandé le statut de réfugié au sens de la Convention. La Commission a reconnu Maria comme réfugiée au sens de la Convention, a rejeté la demande du cousin Isaac parce qu'il n'avait pas une crainte raisonnable de persécution. Du fait de l'exclusion prévue à l'Article 1Fa) de l'Annexe de la Loi, la demande du demandeur a également été rejetée parce qu'il existait des raisons sérieuses de penser qu'il avait participé à des crimes contre l'humanité.

[4]          Le demandeur a travaillé comme chauffeur civil dans une base militaire de San Salvador. Au cours de son emploi, il a été au courant des activités d'un escadron de la mort dans sa base. Entre 1988 et 1992, il a reçu l'ordre de conduire à l'occasion de cinq [TRADUCTION] "missions", habituellement de nuit. Il emmenait plusieurs hommes armés en civil dans une voiture civile vers un endroit désigné. Il attendait dans la voiture. Au moins à trois occasions, une personne a été ramenée à la voiture. Le demandeur a ramené les hommes et le captif à la base militaire. Il a dit ne pas savoir ce qu'était devenu du captif au retour à la base. À une occasion, le captif était encapuchonné. À une autre occasion, le captif saignait de son visage et semblait avoir été battu.

[5]          Après la première "mission" et à plusieurs occasions, il s'est plaint auprès du capitaine de la nature du travail. On lui a ordonné de continuer et ne l'a pas autorisé à [TRADUCTION] "démissionner". Le 10 décembre 1994, quatre hommes en civil armés de revolvers et d'armes automatiques sont venus chez lui. L'un des hommes était encapuchonné. Ces hommes, qui lui étaient inconnus, lui ont dit qu'il était membre de l'armée et devait se joindre à l'escadron de la mort. Ils lui ont donné l'ordre de les rencontrer sept jours plus tard à un coin de rue proche de chez lui.

[6]          Le jour suivant, le demandeur a signalé cet incident à son capitaine, qui a nié avoir connaissance de l'existence des escadrons de la mort. Il ne s'est pas venu à la rencontre prévue. Le soir du 30 décembre 1994, trois hommes sont venus chez lui. Le demandeur et sa femme se sont enfuis, et ils ont tiré sur eux et les ont blessés tous les deux, lui à son épaule et sa femme, à sa jambe.

[7]          Par la suite, le demandeur et sa femme ont pris la fuite et se sont rendus à un hôpital civil. Après avoir quitté l'hôpital, ils se sont rétablis chez la mère du demandeur. Des difficultés et des problèmes ont repris. Des membres de l'escadron de la mort ont été aperçus. En conséquence, le demandeur et sa femme se sont réfugiés au Canada.

La décision de la Commission

[8]          La Commission a conclu que le demandeur était exclu du Canada en application de l'Article 1Fa) de la Convention. Cette décision reposait sur le témoignage du demandeur selon lequel il a conduit à l'occasion des "missions" pour l'escadron de la mort, était un participant complice aux activités illégales des officiers militaires et était complice de leurs crimes contre l'humanité.

[9]          Le deuxième commissaire a souscrit à la conclusion [TRADUCTION] "les crimes contre l'humanité", mais il a conclu en outre que le demandeur avait une crainte raisonnable de persécution au Salvador. Il a jugé digne de foi le témoignage du demandeur sur les visites de l'escadron de la mort et le fait qu'on a par la suite tiré sur le demandeur et sa femme.

Les points litigieux

1.      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en concluant des éléments de preuve que le demandeur avait commis un crime contre l'humanité?
2.      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en mal interprétant le sens de "crime contre l'humanité", expression utilisée à l'Article 1Fa ), précité?

Analyse

1.      Crimes contre l'humanité

[10]          Je ne peux trouver aucune erreur susceptible de contrôle à cet égard. Compte tenu des faits de l'espèce, la Commission a décidé d'appliquer l'Article 1Fa) parce que le demandeur avait admis sa participation comme chauffeur à l'occasion de cinq missions pour les escadrons de la mort au Salvador. Il a également reconnu sa connaissance de ces activités et sa complicité dans celles-ci. La Commission a conclu que le demandeur ne s'était pas libéré de l'armée à la première occasion. Compte tenu du propre témoignage du demandeur, la Commission était en droit de tirer la conclusion à laquelle elle est parvenue.

[11]          Certes, la Commission a commis quelques erreurs dans sa relation des faits; mais je ne suis pas persuadé que ces erreurs soient importantes ou décisives de quelque façon que ce soit. Elles ont été découvertes seulement après un examen microscopique du témoignage du demandeur2.

[12]          En conséquence, tenant compte de la totalité des éléments de preuve, je conclus que la Commission avait largement assez de motifs pour conclure que le demandeur était à juste titre exclu conformément à l'Article 1Fa), précité.

2.      Le sens de l'expression "un crime contre l'humanité" figurant dans l'Article 1Fa), supra.

[13]          En l'espèce, la Commission a appliqué le critère de la complicité énoncé dans l'affaire Ramirez c. Canada (M.E.I.)3. Selon ce critère, il doit exister des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis des crimes contre l'humanité. La Commission a conclu que même si le demandeur était seulement un chauffeur, il était [TRADUCTION] "un participant complice aux missions militaires visant à capturer des gens. Il avait connaissance des activités illégales des officiers militaires et était complice de celles-ci."

[14]          À mon avis, une telle conclusion était celle qu'il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer compte tenu de ce dossier4. En conséquence, je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle.

[15]          La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Certification

[16]          Ni l'un ni l'autre des avocats n'a proposé que soit certifiée une question grave de portée générale en application de l'article 83 de la Loi sur l'immigration. J'en conviens. En conséquence, il n'y a pas lieu à certification.

                             Darrel V. Heald

                                     J.S.

Toronto (Ontario)

Le 2 juin 1998

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :                      IMM-2344-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :              ROBERTO GUARDADO

                             et

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 1re juin 1998
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :          le juge suppléant Heald

EN DATE DU                      2 juin 1998

ONT COMPARU :

    Roderick H. McDowell          pour le demandeur
    Godwin Friday                  pour le défendeur                     

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

    Marchand, Hagan, Hallett & McDowell
    Avocats
    29, rue Jarvis
    B.P. 68 Station Main
    Fort Érié (Ontario)
    L2A 5M6                          pour le demandeur
    George Thomson
    Sous-procureur général du Canada
                                 pour le défendeur

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19980602

     Dossier : IMM-2344-97

ENTRE

     ROBERTO GUARDADO,

     demandeur,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

__________________

     1      Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :          a) qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

     2      Comparer Boulis c. M.E.I. (1972), 26 D.L.R. (3d) p. 216, à la p. 223.

     3      Ramirez c. Canada (M.E.I.), [1992] 2 C.F.306 (C.A.).

     4      Dans l'affaire Sivakumar c. Canada (M.C.I.), [1996] 2 C.F. 872 (C.A.), il a été décidé que la participation à ces crimes était essentiellement une question de fait.

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