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Date : 20001129

Dossier : IMM-808-00

OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 29 NOVEMBRE 2000

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                                                             XING KANG CHEN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                                ORDONNANCE

Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                          Frederick E. Gibson                                                                                                                            J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.


Date : 20001129

Dossier : IMM-808-00

ENTRE :

                                                             XING KANG CHEN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]         Ces motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention selon le sens attribué à cette expression au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1]. La SSR a rendu sa décision le 4 février 2000.


[2]         Le demandeur est citoyen de la République populaire de Chine; il est originaire de la province de Fujian. Il est né le 25 juillet 1961; il avait donc 39 ans à la date de l'audience qui a eu lieu devant moi. Il a terminé sa troisième année. Il a travaillé comme agriculteur et dans l'industrie de la construction. Il est marié et a trois enfants. La troisième grossesse de sa conjointe n'était pas prévue, et ce, même s'ils avaient pris les mesures contraceptives obligatoires. Pour éviter un avortement obligatoire, le demandeur et sa famille ont quitté leur maison au cours de la troisième grossesse de la conjointe; ils se sont cachés pendant environ un an et le troisième enfant est né pendant cette période. La famille s'est rendu compte qu'elle ne pouvait pas subvenir à ses besoins pendant qu'elle vivait loin de chez elle et les enfants ne pouvaient pas aller à l'école. La famille est donc retournée vivre chez elle, mais pendant son absence les fonctionnaires avaient endommagé la maison.

[3]         Le demandeur a témoigné devant la SSR que lorsque la famille était retournée chez elle, on l'avait obligé à se faire stériliser. En outre, pour que le troisième enfant puisse aller à l'école, le demandeur s'est vu obligé de l'inscrire à titre de membre de la famille. Or, pour ce faire, le demandeur a été contraint à accepter l'imposition d'une amende passablement élevée par rapport à son revenu annuel. Il a versé un acompte sur l'amende mais il n'a pas pu payer le solde lorsqu'il a dû le faire, à la fin de l'année 1998.


[4]         Par suite de toutes ces circonstances, le demandeur a décidé de s'enfuir de son pays. Il est arrivé par bateau au large de la côte de la Colombie-Britannique le 31 août 1999 avec de nombreuses autres personnes. Il a ensuite revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention, en affirmant qu'il craignait d'être persécuté s'il était contraint à retourner en Chine parce que la famille avait violé la politique de l'enfant unique, parce qu'il n'avait pas payé l'amende et parce qu'il craignait qu'une autre amende soit imposée du fait qu'il avait illégalement quitté la Chine.

[5]         La SSR a rejeté la revendication du demandeur. Dans les motifs de sa décision, elle a défini les questions dont elle était saisie comme se rapportant à l'identité du demandeur, y compris la composition de sa famille, à la crédibilité du demandeur et à la question de savoir si la présumée crainte de persécution était objectivement fondée. La SSR a reconnu l'identité du demandeur et la composition de sa famille.

[6]         Quant à la question de la crédibilité, voici ce que la SSR a dit :

[TRADUCTION]

Compte tenu des nombreux éléments de preuve que nous avons examinés, et notamment des renseignements que vous avez fournis à Immigration Canada lors de votre arrivée, du contenu du Formulaire de renseignements personnels que vous avez rempli [...] et du témoignage oral que vous avez présenté, la formation conclut que vous n'êtes pas un témoin crédible ou digne de foi. La formation conclut que la preuve renferme de nombreuses incohérences et que votre témoignage renferme de nombreuses contradictions.

[7]         Une partie de l'histoire du demandeur que la SSR estimait non crédible se rapportait à l'allégation selon laquelle celui-ci avait été obligé de se faire stériliser. La SSR a conclu que l'explication que le demandeur avait donnée à l'appui de cet élément particulier de la revendication n'était tout simplement pas cohérente. Voici ce qu'elle a dit :

[TRADUCTION]


[...] la formation a passé énormément de temps à essayer d'obtenir un compte rendu cohérent au sujet de cette mesure [la stérilisation obligatoire]; elle a même invité l'intéressé à décrire ce qu'on avait censément fait. Même si l'intéressé est peu instruit, soit un fait dont la formation a tenu compte en appréciant ses réponses, il a décrit ce qui s'était passé d'une façon si peu adéquate et si peu crédible que la formation s'est vu obligée de conclure qu'il n'avait pas été assujetti à pareille mesure.

La SSR a noté [TRADUCTION] « [...] le compte rendu vague et embrouillé que le demandeur a[vait] fait au sujet de sa convalescence, à la suite de la présumée stérilisation [...] » . Elle a fait remarquer que le demandeur n'avait pas fourni de documents pour corroborer le fait qu'il avait été stérilisé et que pareils documents étaient normalement remis aux personnes qui étaient assujetties à cette mesure. Elle a en outre noté qu'il n'était pas fait mention de la stérilisation forcée dans les notes qui avaient été prises lors des deux entrevues que les agents d'immigration avaient eues avec le demandeur peu de temps après son arrivée au Canada, lesquelles étaient l'équivalent des entrevues normalement effectuées au « point d'entrée » . Voici ce que la SSR a dit :

[TRADUCTION]

La conclusion tirée par la formation selon laquelle cet événement [la stérilisation forcée] n'avait pas eu lieu est renforcée par le fait que, dans les notes qui ont été prises par Citoyenneté et Immigration Canada après que l'intéressé fut arrivé au Canada, il n'était pas fait mention de cet événement, et ce, même s'il s'agissait probablement de l'événement le plus dramatique et le plus importun sous-tendant la revendication.

La SSR a ensuite parlé d'une gamme d'autres problèmes que posait selon elle le témoignage oral du demandeur, son formulaire de renseignements personnels et les autres documents dont elle disposait, sur lesquels était également fondée la conclusion finale qu'elle a tirée au sujet de la crédibilité.


[8]         L'avocate du demandeur a soutenu qu'il avait été porté atteinte aux droits reconnus à son client à l'alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés[2] en ce sens que lorsque celui-ci était arrivé sur la côte ouest du Canada, il avait été arrêté et détenu, qu'il s'était vu refuser le droit de retenir sans délai les services d'un avocat et de lui donner des instructions et qu'on ne l'avait pas informé du droit qu'il avait à cet égard. L'avocate a en outre soutenu qu'il avait été porté atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne reconnu au demandeur à l'article 7 de la Charte. L'avocate a affirmé que, dans ces conditions, les notes prises lors des entrevues que les fonctionnaires de l'immigration avaient eues avec le demandeur étaient viciées et que la SSR avait donc commis une erreur susceptible de révision en se fondant sur ces notes viciées pour conclure au manque de crédibilité du demandeur.

[9]         Au début de l'audience qui a eu lieu devant moi, l'avocate du défendeur a soutenu que je ne devrais pas examiner les arguments que le demandeur invoquait au sujet de la violation des droits reconnus par la Charte parce que la question n'avait pas été soulevée devant la SSR.

[10]       Dans l'arrêt Poirier c. Canada (Ministre des Anciens combattants)[3], Monsieur le juge Marceau a dit ce qui suit, à la page 247 :


Les pouvoirs de la Cour dans l'exercice du rôle de surveillance et de contrôle de la légalité des décisions administratives que lui attribue l'article 28 [de la Loi sur la Cour fédérale], sont uniquement ceux d'annuler la décision qui lui paraîtrait ne pas avoir été rendue selon les exigences légales et de demander au tribunal de reconsidérer l'affaire en lui donnant les directives appropriées. La Cour ne peut pas se prononcer sur une question qui ne se posait pas à l'autorité administrative, ni ordonner à celle-ci de répondre de telle façon à une question qui ne la concerne pas. [Renvoi omis]

[11]       Dans l'arrêt Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration)[4], Monsieur le juge LaForest a dit ce qui suit, à la page 37 :

Au moment où l'intimée a soulevé la question constitutionnelle devant le conseil arbitral, la question de la compétence du conseil d'entendre une contestation de ce genre n'était pas réglée. Il est donc compréhensible qu'elle ait été tentée de soulever cette question directement à la Cour d'appel. Il ne faut toutefois pas oublier la nature spéciale des pouvoirs de révision conférés à la Cour d'appel fédérale par l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Ces pouvoirs se limitent à surveiller et à contrôler la légalité des décisions des organismes administratifs et à leur demander de reconsidérer l'affaire en leur donnant, le cas échéant, les directives appropriées; [...] Je suis donc d'avis que, bien que la question de la compétence ait été légitimement soumise à la Cour d'appel, celle-ci n'avait pas compétence pour trancher de façon définitive la question constitutionnelle. [Renvois omis]

À l'appui, Monsieur le juge LaForest a cité les motifs que le juge Marceau avait prononcés dans l'arrêt Poirier, supra.

[12]       Je suis convaincu qu'il faut dire exactement la même chose au sujet des pouvoirs que possède la Section de première instance de cette cour en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Étant donné que les arguments fondés sur la Charte qui ont été présentés pour le compte du demandeur n'ont pas été invoqués devant la SSR, je conclus que cette cour n'a pas compétence pour les examiner. Je souscris donc à la position prise par l'avocate du défendeur.


[13]       Il reste uniquement à savoir si la SSR pouvait à bon droit tirer les conclusions auxquelles elle est arrivée au sujet de la crédibilité du demandeur. L'avocate du demandeur a soutenu que la SSR ne pouvait pas tirer ces conclusions; qu'il s'agissait de conclusions abusives et arbitraires, tirées sans tenir compte de la totalité des éléments dont disposait la SSR. L'avocate m'a invité à examiner à la loupe les motifs de la SSR qui, même s'ils n'étaient pas tout à fait cohérents en tant que tels, l'étaient suffisamment pour justifier la conclusion relative au manque de crédibilité.

[14]       À la fin de l'audience, j'ai donc informé les avocates que je rejetterais cette demande de contrôle judiciaire; une ordonnance sera rendue en conséquence.

[15]       L'avocate du demandeur m'a demandé de certifier la question ci-après énoncée :

[TRADUCTION]

La SSR peut-elle à bon droit considérer les notes des agents d'immigration, qui sont de la nature de notes prises au point d'entrée, comme un facteur déterminant en vue d'apprécier la crédibilité du demandeur?

L'avocate du défendeur a affirmé que cette demande ne soulevait pas de questions à certifier.

[16]       Je souscris à la position que l'avocate du défendeur a prise. En particulier, j'ai décidé de ne pas certifier une question telle que celle qui a été proposée pour le compte du demandeur puisque cette question ne se pose tout simplement pas eu égard aux faits de l'affaire. Je suis

convaincu que la SSR n'a pas considéré les notes que les agents d'immigration avaient prises


lors des entrevues qu'ils avaient eues avec le demandeur, dans des circonstances plutôt uniques en leur genre et non satisfaisantes, comme un « facteur déterminant » lorsqu'elle a apprécié la crédibilité du demandeur. Aucune question ne sera certifiée.

                          Frederick E. Gibson                                                                                                                            J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 29 novembre 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE LA PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                                        IMM-808-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         XING KANG CHEN

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                             VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 22 NOVEMBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE GIBSON EN DATE DU 29 NOVEMBRE 2000.

ONT COMPARU :

Arlene R. Rimer                                             POUR LE DEMANDEUR

Brenda Carbonell                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rimer & Co.                                                     POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]         L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]         Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 (L.R.C. (1985), appendice II, no 44), qui constitue l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11.

[3]         [1989] 3 C.F. 233 (C.A.F.).

[4]         [1991] 2 R.C.S. 22.


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