Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040123

Dossier : T-1003-02

Référence : 2004 CF 99

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                                         DAVID GOODENOUGH

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Commission de la fonction publique du Canada (la Commission) a refusé d'effectuer, en vertu de l'article 7.1 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (la LEFP), une enquête sur sa propre décision de lancer un concours public pour le poste de directeur général du Centre canadien de télédétection du ministère des Ressources naturelles du Canada. La décision de refuser d'effectuer une enquête a été communiquée au demandeur par Françoise Huneault, dans une lettre datée du 29 mai 2002. Le demandeur a reçu cette lettre le 3 juin suivant.

CONTEXTE

[2]                Le 27 septembre 2001, la Commission a lancé un concours pour le poste de directeur général du Centre canadien de télédétection, un poste de catégorie EX-03. Le concours était ouvert [traduction] « au public dans l'ensemble du Canada » .

[3]                Le demandeur prétend qu'il a compris que cela signifiait qu'il s'agissait d'un concours « interne » tenu concurremment avec un concours externe ou « public » .

[4]                Le demandeur a posé sa candidature et a été convoqué à une entrevue le 18 décembre 2001. Soixante-six candidatures ont été reçues et sept candidats ont été convoqués à une entrevue.

[5]                Un comité de sélection composé de six hauts fonctionnaires a porté son choix sur Robert Ryerson, une personne de l'extérieur de la fonction publique du Canada.

[6]                Le 1er mars 2002, le demandeur a décidé d'en appeler de la nomination de M. Ryerson en vertu de l'article 21 de la LEFP, pour les motifs suivants :


1.          la nomination du candidat retenu n'était pas fondée sur le mérite, contrairement à ce que prévoit la LEFP;

2.          le demandeur était le candidat le plus qualifié pour le poste;

3.          le concours n'a pas été mené conformément aux règles de pratique et de procédure prévues par la LEFP;

4.          d'autres motifs pourraient apparaître clairement après que tous les renseignements auront été communiqués en vertu de la LEFP.

[7]                Le 10 avril 2002, la Commission a répondu au demandeur que le concours avait été un [traduction] « concours public » . Le demandeur prétend qu'il ignorait jusque-là que le concours était seulement public. L'article 21 de la LEFP ne confère pas un droit d'appel à l'égard des nominations par concours public.

[8]                La Commission a alors examiné les prétentions du demandeur afin de déterminer si elle devait effectuer une enquête sur sa plainte en application de l'article 7.1 de la LEFP.


[9]                La Commission a fait savoir au demandeur que ses allégations n'étaient pas étayées, et elle lui a demandé de présenter d'autres prétentions. En réponse à cette demande, le demandeur a produit, le 29 avril 2002, des prétentions additionnelles dans lesquelles il invoquait deux motifs justifiant l'enquête visée à l'article 7.1 de la LEFP. En premier lieu, il demandait que la Commission effectue une enquête dans le but de savoir pourquoi on avait procédé par concours public plutôt que par concours interne. En deuxième lieu, il demandait que la Commission effectue une enquête dans le but de savoir pourquoi une personne de l'extérieur de la fonction publique avait été choisie alors qu'elle n'était pas plus qualifiée que lui.

DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE

[10]            La Commission a annoncé au demandeur qu'elle n'effectuerait pas d'enquête le 29 mai 2002 :

[traduction] Examinons maintenant la possibilité d'effectuer une enquête en vertu de l'article 7.1 de la LEFP afin de déterminer s'il était dans l'intérêt de la fonction publique de nommer une personne de l'extérieur de celle-ci en conformité avec l'article 11 de la LEFP. Comme c'est la Commission qui a décidé qu'il était dans l'intérêt de la fonction publique de tenir un concours public pour ce poste de EX-03, vous comprendrez que nous n'enquêterons pas sur cette affaire en son nom.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[11]            L'article 2.1 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33, indique ce qui suit :


2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

[...]

2. (1) In this Act,

...

« concours interne » Concours réservé aux personnes employées dans la fonction publique.

[...]

"closed competition" means a competition that is open only to persons employed in the Public Service;

...


« concours public » Concours ouvert tant aux personnes faisant partie de la fonction publique qu'aux autres.

[...]

"open competition" means a competition that is open to persons who are employed in the Public Service as well as to persons who are not employed in the Public Service;

...

« fonction publique » S'entend au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

...

"Public Service" has the same meaning as in the Public Service Staff Relations Act.

...


[12]            L'article 7.1 de la LEFP confère à la Commission le pouvoir d'effectuer des enquêtes sur des questions relatives aux nominations :


7.1 La Commission peut effectuer les enquêtes et vérifications qu'elle juge indiquées sur toute question relevant de sa compétence.

7.1 The Commission may conduct investigations and audits on any matter within its jurisdiction.


[13]            L'article 11 de la LEFP prévoit ce qui suit :


11. Les postes sont pourvus par nomination interne sauf si la Commission en juge autrement dans l'intérêt de la fonction publique.

11. Appointments shall be made from within the Public Service except where, in the opinion of the Commission, it is not in the best interests of the Public Service to do so.


QUESTIONS EN LITIGE

Le demandeur fait valoir que le présent contrôle judiciaire soulève les deux questions suivantes :

Quelle est la norme de contrôle qui s'applique à la décision de la Commission de refuser d'effectuer une enquête en vertu de l'article 7.1 de la LEFP?

La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle a conclu qu'elle ne pouvait pas enquêter sur cette affaire car c'est elle qui avait décidé de tenir un concours public?


ANALYSE

[14]            Les parties reconnaissent que la Commission a le pouvoir, en vertu de l'article 7.1 de la LEFP, d'effectuer des enquêtes sur ses propres décisions. Après avoir examiné les dispositions législatives pertinentes, les décisions antérieures de la Commission et de la Cour et les politiques publiées par la Commission, j'en arrive aussi à cette conclusion.

[15]            Je n'accorde pas une grande importance aux déclarations du demandeur selon lesquelles il n'était pas au courant de la véritable nature du concours jusqu'à ce qu'il reçoive la lettre de la Commission du 10 avril 2002. L'avis de concours inscrit le 27 septembre 2001 et fixant au 10 octobre 2001 la date limite de dépôt des candidatures indique très clairement que le concours est ouvert [traduction] « au public dans l'ensemble du Canada » . Si le demandeur ignorait qu'il s'agissait d'un concours entièrement public, il n'a que lui à blâmer, et le fait qu'il n'a pas contesté la nature du concours mais a simplement choisi d'y participer ne peut être retenu contre la Commission.


[16]            À mon avis, il y a seulement deux motifs invoqués par le demandeur pour contester la décision qui méritent d'être examinés. En premier lieu, il dit que la Commission a commis une erreur de compétence en refusant d'effectuer l'enquête. En d'autres termes, il laisse entendre que le passage de la décision indiquant [traduction] « nous n'enquêterons pas sur cette affaire [au] nom [de la Commission] » devrait vouloir dire [traduction] « nous ne pouvons enquêter sur cette affaire au nom de la Commission » .

[17]            Subsidiairement, il prétend que, même si le refus d'enquêter n'est pas fondé sur une erreur de compétence mais constitue un refus d'exercer un pouvoir discrétionnaire, il s'agit toujours d'une erreur susceptible de contrôle puisque le refus reposait sur un fait non pertinent (la décision de la Commission de tenir un concours public) et ne tenait pas compte des facteurs pertinents qu'il avait invoqués.

[18]            Je ne vois rien dans les documents qui étaie la prétention du demandeur concernant la compétence. À mon avis, la preuve semble indiquer que la Commission était disposée à effectuer une enquête sur sa propre décision et qu'elle a encouragé activement le demandeur à expliquer pourquoi elle devrait le faire. Outre la décision elle-même, qui indique clairement [traduction] « nous n'enquêterons pas sur cette affaire [au] nom [de la Commission] » et non [traduction] « nous ne pouvons enquêter sur cette affaire au nom de la Commission » , les différents échanges entre la Commission et le demandeur qui ont mené à la décision ne laissent aucun doute dans mon esprit sur le fait que la Commission a considéré qu'elle pouvait effectuer une enquête et qu'elle était disposée à le faire, pourvu que le demandeur puisse la convaincre qu'une telle enquête était justifiée.

[19]            Le demandeur a interjeté appel à la Commission du résultat du concours au moyen d'une lettre de son avocat datée du 1er mars 2002. La Commission a accusé réception de la plainte du demandeur et lui a écrit ce qui suit le 27 mai 2002 :

[traduction] Cette demande sera étudiée au cours des prochaines semaines afin de déterminer si elle peut être acceptée. L'acceptabilité d'une demande est fondée sur la Politique concernant les conditions régissant la décision d'enquêter en vertu de l'article 7.1 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (ci-jointe), qui a été adoptée par la Commission de la fonction publique et qui est entrée en vigueur le 28 juin 2001.

[20]            La Commission a écrit ce qui suit au demandeur dans une lettre de suivi datée du 10 avril 2002 :

[traduction] Veuillez noter que le droit d'appel prévu à l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique n'existe pas en ce qui concerne les concours publics. En effet, le droit d'appel conféré par cette disposition ne peut être exercé qu'à l'égard de nominations consécutives à un concours interne (ou à une sélection interne sous réserve de certaines conditions). La Direction générale des recours peut cependant, si demande lui en est faite, effectuer une enquête sur de prétendues irrégularités survenues dans le cadre d'un concours public. Il faut cependant que cette enquête soit justifiée par des motifs raisonnables.

Votre demande a été étudiée à la lumière de la politique de la Commission de la fonction publique sur les conditions qui régissent la décision d'enquêter en vertu de l'article 7.1 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, dont copie vous a été remise, et on a déterminé que vous n'avez pas fourni de motifs étayant vos allégations.

Par conséquent, si M. Goodenough veut aller de l'avant avec sa plainte, des motifs raisonnables étayant ses allégations doivent être présentés par écrit au plus tard le 30 avril 2002. Si cela n'est pas fait, je conclurai que M. Goodenough a laissé tomber sa plainte et je fermerai notre dossier. Si le plaignant décide de fournir des motifs, ceux-ci seront examinés afin de savoir s'ils justifient une enquête. Nous vous informerons ensuite de notre décision.


[21]            Dans une lettre datée du 29 avril 2002, l'avocat du demandeur a fait savoir clairement à la Commission que celui-ci souhaitait seulement savoir pourquoi un concours public, et non un concours interne, avait eu lieu et pourquoi un candidat de l'extérieur n'étant pas plus qualifié que lui avait été choisi.

[22]            Il y a lieu de noter que le demandeur s'est plaint de la tenue d'un concours public uniquement après que la nomination a été faite. Ainsi, il a choisi de participer au concours sans en contester la nature.

[23]            Dans sa réponse à la lettre du demandeur du 29 avril 2002, la Commission souligne que le comité d'appel n'a pas compétence pour entendre un appel fondé sur l'article 21 de la LEFP parce que le concours en cause n'était pas un concours interne. La Commission ajoute :

[traduction] Examinons maintenant la possibilité d'effectuer une enquête en vertu de l'article 7.1 de la LEFP afin de déterminer s'il était dans l'intérêt de la fonction publique de nommer une personne de l'extérieur de celle-ci en conformité avec l'article 11 de la LEFP. Comme c'est la Commission qui a décidé qu'il était dans l'intérêt de la fonction publique de tenir un concours public pour ce poste de EX-03, vous comprendrez que nous n'enquêterons pas sur cette affaire en son nom.

Nous avons appris que Guyanne Sauvé, consultante des programmes de la haute direction, pourra répondre à vos questions concernant ce processus (tél. : 995-7623). Nous ne réexaminerons pas la décision de la Commission de nommer cette personne.

Compte tenu de ce qui précède, nous n'effectuerons pas d'enquête en vertu de l'article 7.1 de la LEFP et nous fermerons nos dossiers (02-PSC-0153 et 02-RSN-0076).


[24]            À mon avis, on peut résumer cette correspondance en disant que la Commission a considéré qu'elle pouvait effectuer une enquête en vertu de l'article 7.1 de la LEFP, mais qu'elle a refusé de le faire parce que le demandeur n'a pas été en mesure d'étayer ses allégations. En conséquence, la Commission a refusé d'entreprendre une enquête, mais a chargé Guyanne Sauvé, consultante des programmes de la haute direction, de [traduction] « répondre à vos questions concernant ce processus » .

[25]            J'estime que la Commission n'a pas refusé d'exercer sa compétence et qu'elle n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle sur ce point.

[26]            Le demandeur fait cependant valoir également que le refus de la Commission d'effectuer une enquête en vertu de l'article 7.1 de la LEFP reposait uniquement sur le fait qu'elle avait auparavant déterminé qu'il était dans l'intérêt de la fonction publique de tenir un concours public pour le poste de EX-03.

[27]            La lettre du 29 mai 2002 ne peut cependant pas être lue totalement hors contexte. Le demandeur savait bien, grâce à la correspondance citée plus haut, que la Commission lui avait demandé d'expliquer les motifs justifiant une enquête. Ces motifs devaient ensuite être examinés pour déterminer si une enquête était réellement justifiée. Or, le demandeur n'a donné aucun motif qui, selon la Commission, justifiait une enquête.

[28]            Il est vrai, comme le demandeur le dit, que la lettre du 29 mai 2002 n'indique pas expressément qu'il n'a pas fourni de motifs suffisants. Le demandeur affirme que la Commission ne peut pas maintenant prétendre qu'il y avait d'autres motifs qui justifiaient son refus d'effectuer une enquête que ceux mentionnés dans la lettre du 29 mai 2002.


[29]            Cette lettre indique cependant que la consultante des programmes de la haute direction [traduction] « répondr[a] à vos questions concernant ce processus » , ce qui signifie clairement, à mon avis, que la Commission avait examiné les motifs invoqués par le demandeur et que ces motifs pouvaient justifier une explication, mais pas une enquête complète. L'importance de cette lettre ne fait aucun doute : la Commission avait déjà déterminé pourquoi un concours public était dans l'intérêt de la fonction publique et le demandeur n'avait donné aucun motif convainquant la Commission qu'elle devait exercer son pouvoir de réexaminer cette question. Cette position devient même plus claire lorsque la lettre du 29 mai 2002 est considérée dans le contexte de l'ensemble de la correspondance échangée entre le demandeur et la Commission sur cette question. Aucune erreur susceptible de contrôle n'a été commise à cet égard.

[30]            Les parties ne s'entendaient pas sur la norme de contrôle qui devrait s'appliquer à une décision de cette nature. Il est possible qu'il faille éventuellement procéder à une rationalisation complète de la jurisprudence pertinente et des différents arguments. Ce n'est toutefois pas l'occasion de le faire puisque ma décision reste la même, peu importe la norme de contrôle qui s'applique. Aucune erreur susceptible de contrôle n'est manifeste dans la décision de la Commission de ne pas effectuer une enquête. La Commission a traité comme elle le devait les plaintes du demandeur concernant le concours.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Le demandeur paie les dépens au défendeur.

                                                                                 _ James Russell _             

                                                                                                     Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 T-1003-02

INTITULÉ :                                                                DAVID GOODENOUGH

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 4 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                               LE 23 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Christopher Rootham                                                     POUR LE DEMANDEUR

J. Sanderson Graham                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O'Brien Payne LLP                                          POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.