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Date : 20040121

Dossier : DES-2-03

Référence : 2004 CF 86

Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé conformément au paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le renvoi de ce certificat à la Cour fédérale du Canada conformément au paragraphe 77(1) et aux articles 78 et 80 de la Loi et ERNST ZÜNDEL

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Le 1er mai 2003, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et le solliciteur général du Canada (les ministres) ont signé, conformément à l'article 77 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR), un certificat indiquant qu'Ernst Christof Friedrich Zündel (M. Zündel), résident permanent du Canada, est interdit de territoire pour raison de sécurité. Ils ont également lancé, conformément au paragraphe 82(1) de la LIPR, un mandat pour l'arrestation de M. Zündel, en vertu duquel celui-ci est détenu depuis.

[2]                 À titre de juge désigné conformément à l'article 76 et au paragraphe 83(1) de la LIPR, j'ai entrepris le contrôle des motifs justifiant le maintien en détention de M. Zündel dans les 48 heures suivant son arrestation. La seule question à trancher en l'espèce est de savoir si M. Zündel devrait être maintenu en détention jusqu'à ce que la décision soit rendue au sujet du caractère raisonnable du certificat de sécurité.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[3]                 Les dispositions qui suivent de la LIPR s'appliquent à la présente affaire.

[4]                 Les ministres ont signé un certificat attestant que M. Zündel est interdit de territoire en vertu du paragraphe 77(1) :


77. (1) Le ministre et le solliciteur général du Canada déposent à la Section de première instance de la Cour fédérale le certificat attestant qu'un résident permanent ou qu'un étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée pour qu'il en soit disposé au titre de l'article 80.

77. (1) The Minister and the Solicitor General of Canada shall sign a certificate stating that a permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality and refer it to the Federal Court--Trial Division, which shall make a determination under section 80.


[5]                 M. Zündel est détenu conformément au paragraphe 82(1) :


82. (1) Le ministre et le solliciteur général du Canada peuvent lancer un mandat pour l'arrestation et la mise en détention du résident permanent visé au certificat dont ils ont des motifs raisonnables de croire qu'il constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.

82. (1) The Minister and the Solicitor General of Canada may issue a warrant for the arrest and detention of a permanent resident who is named in a certificate described in subsection 77(1) if they have reasonable grounds to believe that the permanent resident is a danger to national security or to the safety of any person or is unlikely to appear at a proceeding or for removal.


[6]                 Reconnaissant les droits du détenu, le législateur a prévu dans la LIPR un contrôle de la détention dans les 48 heures suivant le début de celle-ci.


83. (1) Dans les quarante-huit heures suivant le début de la détention du résident permanent, le juge entreprend le contrôle des motifs justifiant le maintien en détention, l'article 78 s'appliquant, avec les adaptations nécessaires, au contrôle.

83. (1) Not later than 48 hours after the beginning of detention of a permanent resident under section 82, a judge shall commence a review of the reasons for the continued detention. Section 78 applies with respect to the review, with any modifications that the circumstances require.


[7]                 Deux critères s'appliquent au maintien en détention de l'intéressé, comme le prévoit le paragraphe 83(3) :


83.(....)

(3) L'intéressé est maintenu en détention sur preuve qu'il constitue toujours un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.

83.(...)

(3) A judge shall order the detention to be continued if satisfied that the permanent resident continues to be a danger to national security or to the safety of any person, or is unlikely to appear at a proceeding or for removal.


ANALYSE

[8]                 Il convient de souligner dès le départ que les motifs justifiant le maintien en détention de l'intéressé sont beaucoup plus restreints que les faits emportant interdiction de territoire. En effet, l'interdiction de territoire définie aux articles 33 à 37 couvre davantage que la sécurité et englobe des motifs comme la violation de droits de la personne ou la criminalité, tandis que le critère que le juge doit appliquer pour savoir s'il y a lieu de maintenir l'intéressé en détention se limite aux deux questions suivantes :

a)          la question de savoir si l'intéressé constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui,

b)          la question de savoir si l'intéressé se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.


1)          La question de savoir si M. Zündel constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui

[9]                 Les dispositions de la LIPR qui concernent le certificat et la détention dont M. Zündel fait actuellement l'objet se trouvent à la section 9 - Examen de renseignements à protéger. Pour l'application de cette partie de la LIPR, le mot « renseignements » est défini comme suit à l'article 76 :


« renseignements » Les renseignements en matière de sécurité ou de criminalité et ceux obtenus, sous le sceau du secret, de source canadienne ou du gouvernement d'un État étranger, d'une organisation internationale mise sur pied par des États ou de l'un de leurs organismes.

"information" means security or criminal intelligence information and information that is obtained in confidence from a source in Canada, from the government of a foreign state, from an international organization of states or from an institution of either of them.


[10]            Il appert implicitement de la façon dont la Loi est structurée que le certificat sera fondé, du moins en partie, sur des renseignements qui peuvent rester secrets pour des raisons de sécurité. Seul le juge a accès à ces renseignements et ni la personne visée par le certificat non plus que son avocat ne pourront en être informés dans les cas où la divulgation desdits renseignements porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. Cependant, l'alinéa 78h) prévoit ce qui suit :


h) le juge fournit au résident permanent ou à l'étranger, afin de lui permettre d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu au certificat, un résumé de la preuve ne comportant aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

(h) the judge shall provide the permanent resident or the foreign national with a summary of the information or evidence that enables them to be reasonably informed of the circumstances giving rise to the certificate, but that does not include anything that in the opinion of the judge would be injurious to national security or to the safety of any person if disclosed; (...)



[11]            Les ministres ont fourni des renseignements qui, pour des raisons de sécurité nationale, ne peuvent être divulgués. M. Zündel et son avocat ont obtenu un résumé de ces renseignements, conformément à l'alinéa 78h) de la LIPR. Les ministres n'ont présenté aucun témoin relativement à la partie publique de leur preuve et ni M. Zündel non plus que son avocat n'ont eu la possibilité de contre-interroger l'un ou l'autre des auteurs de l'abondante documentation déposée en preuve.

[12]            Compte tenu de la nature de la preuve, qui est tenue partiellement secrète, et du fait que M. Zündel n'a pu procéder à aucun contre-interrogatoire, je dois me montrer particulièrement vigilant au moment d'évaluer la preuve présentée et de déterminer l'importance qu'il convient de lui accorder. En plus de demeurer impartial, le juge qui se trouve dans ce genre de situation doit examiner avec minutie tous les éléments de preuve qui lui sont présentés sans que l'autre partie ait pu en vérifier la crédibilité. D'autres juges de la Cour fédérale se sont trouvés dans une situation inconfortable similaire, où il y a incompatibilité entre l'intérêt du public à la publicité des débats judiciaires et les impératifs liés à la sécurité nationale. J'aimerais préciser que la tâche additionnelle imposée au juge n'est pas prise à la légère. J'ai examiné de façon très minutieuse les renseignements qui m'ont été présentés à huis clos et je les ai soupesés attentivement en tenant compte également de la qualité et du nombre de sources d'information.


[13]            Cela étant dit, j'en suis arrivé à la conclusion, sur la foi des renseignements qui m'ont été présentés à huis clos, que M. Zündel constitue un danger pour la sécurité du Canada et devrait demeurer détenu pour l'instant. Au moment de rédiger les présents motifs, je suis contraint par la nature des motifs liés à la sécurité nationale, qui m'empêche d'exprimer pleinement les raisons du maintien en détention. Cependant, dans la mesure où je puis le faire, j'aimerais expliquer davantage les raisons pour lesquelles j'en arrive à cette décision.

[14]            Auparavant, je précise qu'il n'a pas encore été statué sur la question du caractère raisonnable du certificat et que la présente décision n'a pas pour effet de trancher cette question. Pour l'instant, je désire faire preuve de prudence et dire que suffisamment de renseignements ont été portés à mon attention pour me permettre de conclure que les ministres « ont des motifs raisonnables de croire qu'il (le résident permanent) constitue un danger pour la sécurité nationale » . La question de savoir si le certificat est raisonnable devra être tranchée un autre jour.

[15]            Compte tenu du libellé du paragraphe 83(3), « L'intéressé est maintenu en détention sur preuve qu'il constitue toujours un danger... » , il semble évident qu'il appartient aux ministres de prouver que le résident permanent constitue un danger. Selon le paragraphe 82(1), le mandat est lancé lorsque les ministres ont « des motifs raisonnables de croire... » .

[16]            Dans Charkaoui (Re), [2003] A.C.F. n ° 1119, le juge Noël, de la Cour fédérale, devait décider, en se fondant sur les mêmes dispositions législatives, s'il y avait lieu de maintenir en détention M. Charkaoui, citoyen marocain au sujet duquel un certificat avait été délivré et qui était détenu conformément au paragraphe 82(1). Voici comment le juge Noël s'est exprimé au sujet de la norme de preuve applicable, au paragraphe 39 :


Il ne s'agit donc pas pour le juge désigné de rechercher la preuve de l'existence des faits mais plutôt d'analyser l'ensemble de la preuve tout en se demandant si elle permet à une personne d'avoir une croyance raisonnable qu'il y a un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou que l'intimé évitera la procédure ou le renvoi. Bien qu'elle ne soit pas au niveau de la prépondérance des probabilités, cette norme doit tendre vers une possibilité sérieuse de l'existence de faits tenant compte de preuves fiables et fondées. À cet effet, le juge Evans de la Cour d'appel dans l'arrêt Chiau c. Canada (M.C.I.), [2001] 2 C.F. 297, écrivait au paragraphe 60 :

Quant à savoir s'il existait des "motifs raisonnables" étayant la croyance de l'agent, je souscris à la définition que le juge de première instance donne à l'expression "motifs raisonnables" (affaire précitée, paragraphe 27, page 658). Il s'agit d'une norme de preuve qui, sans être une prépondérance des probabilités, suggère néanmoins "la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi". Voir Le procureur général du Canada c. Jolly [1975] C.F. 216 (C.A.).

[17]            La norme est donc définie comme une « croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » . Si les ministres présentent suffisamment d'éléments de preuve démontrant que l'intéressé doit demeurer détenu pour des raisons liées à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui, il appartiendra à M. Zündel de fournir des éléments de preuve réfutant cette conclusion quant à son maintien en détention. Je comprends que M. Zündel et son avocat se trouvent dans une situation fâcheuse du fait qu'ils n'ont pas été informés de tous les éléments de preuve existant contre l'intéressé. Toutefois, M. Zündel a eu la possibilité de présenter des éléments de preuve et savait qu'on lui reprochait essentiellement son association avec des groupes et personnes qui prônent la violence à l'encontre de certains groupes de notre société. Dans la présente affaire, j'estime que les ministres se sont acquittés du fardeau de preuve qui pesait sur eux, mais non M. Zündel.


[18]            Dans la décision Charkaoui, la preuve présentée au sujet du passé du défendeur comportait de sérieuses lacunes. Même si le témoignage que certaines personnes ont présenté en faveur de celui-ci était convaincant, le juge Noël a précisé que cette preuve portait sur une période récente et n'expliquait pas une partie de la vie de M. Charkaoui au cours de laquelle il aurait eu des liens avec des activités terroristes. La preuve indiquait une situation « d'agent dormant » et le juge Noël a conclu à l'existence d'une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi. Compte tenu de la nature secrète d'une partie de la preuve, il a insisté sur la prudence que le juge doit exercer au cours de l'examen de ces renseignements.

[19]            Dans la même veine, il existe des lacunes qui doivent être expliquées dans le cas de M. Zündel, dont la majeure partie des activités étaient publiques. M. Zündel n'a jamais prôné la violence dans le cadre de ces démarches publiques. C'est ce qu'il a soutenu tout au long de l'audience. En quoi la défense d'idées, si impopulaires ou insultantes qu'elles soient, constitue-t-elle une menace pour la sécurité du Canada? Après tout, ajoutent ses avocats, M. Zündel répète les mêmes propos depuis plus de vingt ans et n'a jamais été poursuivi pour quelque crime que ce soit, y compris la propagande haineuse. Il a été accusé d'une infraction, soit la publication de fausses nouvelles, et la Cour suprême du Canada a statué que la disposition législative prévoyant cette infraction est inconstitutionnelle (voir R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731). Le Tribunal canadien des droits de la personne lui a ordonné de modifier le contenu du site web Zundelsite (voir Citron c. Zundel, [2002] C.H.R.D. n ° 1) mais, encore là, une contravention commise dans un cadre réglementaire est bien différente d'une menace touchant la sécurité nationale.


[20]            Cependant, il existe des motifs raisonnables de croire que M. Zündel constitue une menace pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d'autrui. Même s'il n'a pour ainsi dire commis aucun acte de violence grave ni ne s'est engagé personnellement à commettre des actes de cette nature, son statut au sein du mouvement en faveur de la suprématie blanche est tel que les adeptes de ce mouvement sont incités à agir conformément à l'idéologie qu'il prône. Les ministres sont d'avis que, en agissant de la sorte en qualité de dirigeant et idéologue, M. Zündel désire que son influence se traduise par des actes de violence grave.

[21]            Il convient de préciser que la preuve publique présentée au sujet de M. Zündel ne suffirait peut-être pas à conclure qu'il constitue une menace pour la sécurité du Canada. Le fait que ses publications aient été trouvées parmi d'autres articles saisis à l'occasion de descentes visant des groupes violents et extrémistes ne suffit pas non plus. M. Christie a dénoncé à juste titre l'illogisme du raisonnement que les ministres invoquent dans leur mémoire et selon lequel des extrémistes lisent les publications de M. Zündel et commettent des actes de violence, de sorte qu'il y a lieu de conclure à l'existence d'un lien entre les deux.

[22]            Telle n'est pas la nature des renseignements dont je suis saisi et que je ne puis divulguer. Il s'agit plutôt d'une question de contradiction entre les réponses que M. Zündel a décidé de donner en contre-interrogatoire, alors qu'il a eu l'occasion de décrire clairement l'association qu'il avait avec différents groupes et personnes qui ont été reconnus coupables de crimes violents, et la réalité de ces liens.

[23]            M. Zündel a été interrogé au sujet d'un certain nombre de personnes qui font partie de mouvements dangereux et violents, que ce soit ici ou à l'étranger et, dans chaque cas, il a décrit les liens qu'il entretenait avec ces personnes comme des liens superficiels, temporaires et mineurs et mentionné qu'il n'avait nullement été question de financement avec ces personnes. La preuve au dossier est trop volumineuse pour que je puisse me permettre d'ignorer ce qui saute aux yeux et les renseignements que j'ai lus vont tout à fait à l'encontre du témoignage de M. Zündel. Celui-ci est investi d'un pouvoir beaucoup plus important que celui qu'il donne à entendre au sein du mouvement de droite extrémiste et violent appelé mouvement en faveur de la suprématie blanche (quelle qu'en soit la définition, le seul aspect qui me préoccupe étant celui du danger qu'il représente pour la société). M. Zündel voudrait nous faire croire qu'il s'intéresse uniquement aux idées et que les autres utilisent ses idées comme bon leur semble et qu'il ne peut être responsable des actes des autres.

[24]            Les renseignements mis à ma disposition indiquent que la situation est tout à fait différente. M. Zündel n'est pas l'observateur indulgent des excès commis par des rebelles qui ne comprennent pas son message de non-violence. La preuve indique plutôt qu'il a des liens directs avec des groupes qu'il prétend très peu connaître.


[25]            Dans différentes décisions portant sur le certificat de sécurité ou sur la détention connexe, la Cour fédérale a dû se pencher sur le problème d'une personne qui présente à l'extérieur le profil d'un citoyen paisible tout en maintenant des liens avec des groupes ou individus qui sont connus comme des terroristes ou comme des personnes qui prônent la violence. Comme je l'ai mentionné dans Re Ikhlef, [2002] A.C.F. n ° 352, au paragraphe 57, « Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es » . Selon M. Zündel, ce type de raisonnement fait de lui une personne [traduction] « coupable par association » . Je conviens qu'il ne faut pas confondre la connaissance et la complicité. Cependant, le critère à appliquer en l'espèce est celui de l'existence d'une croyance raisonnable et je crois que le critère a été établi très clairement. M. Zündel représente une menace qui va beaucoup plus loin que la menace découlant de la simple culpabilité par association.


[26]            Dans plusieurs décisions (MCI c. Singh, [1998] A.C.F. n ° 1147; MCI c. Mahjoub, [2001] 4 C.F. 644; Re Ikhlef, [2002] A.C.F. n ° 352; et Re Jaballah, [2003] A.C.F. n ° 822), la Cour fédérale a conclu que la personne nommée dans le certificat avait en réalité avec différents agents secrets principaux de certaines organisations terroristes des liens beaucoup plus étroits que ceux qu'elle avait admis. Dans chaque cas, le défendeur avait déclaré qu'il ne connaissait pas ou qu'il ne connaissait que très vaguement des personnes qui étaient des terroristes connus ou des agents principaux connus d'organisations terroristes. Il faut se demander à un certain moment pourquoi un individu qui ne connaît que vaguement une personne serait appelé ou consulté. Il est difficile d'imaginer que, lorsque cet individu se trouve en présence de personnes qui sont connues par les autorités en raison de leurs activités violentes et illégales, il discute uniquement de questions banales et non de politique, d'actions ou d'activités. Ainsi, dans Re Jaballah, le juge MacKay conclut, après avoir passé en revue tant la preuve publique que la preuve présentée à huis clos, que M. Jaballah avait des contacts importants avec des groupes de terroristes :

L'inférence qui s'en dégage et qui est maintenant renforcée par les nouveaux renseignements est défavorable à M. Jaballah, et à moins qu'il ait été un agent secret principal d'AJ-Al Qaida, il ne pouvait avoir des contacts avec autant d'autres personnes qui étaient des membres importants et actifs au sein de ces organisations. (Paragraphe 85, non souligné à l'original)

[27]            Il convient de faire un parallèle avec le cas de M. Zündel. Les ministres ont présenté une preuve abondante qui ne peut être divulguée pour des raisons liées à la sécurité nationale et qui indique que M. Zündel a des contacts importants avec le mouvement raciste et extrémiste axé sur la violence. Au cours de son témoignage, M. Zündel a déclaré qu'il connaissait très peu les personnes suivantes, qu'il avait eu des contacts professionnels avec elles ou qu'il les avait interrogées comme journaliste. Cependant, il appert des renseignements qu'il les connaissait beaucoup plus que ce qu'il prétend, qu'il a financé leurs activités dans certains cas, et que, de façon générale, il entretenait avec elles des liens beaucoup plus étroits que ceux qu'il a admis au cours de son interrogatoire ou de son contre-interrogatoire. Ces personnes comprennent Tom Metzger, Richard Butler, Dennis Mahon et William Pierce aux États-Unis, Christian Worch, Ewald Althans, Gottfied Kuessel et Oliver Bode en Allemagne, Siegfried Verbeke en Belgique, Terry Long, Christopher Newhook, Tony McAleer, Bernard Klatt, Wolfgang Droege et Marc Lemire au Canada, Nick Griffin en Grande-Bretagne et des membres du Mouvement de Résistance Afrikaner.


[28]            M. Zündel connaît Wolfgang Droege, une autre « connaissance » qui est aussi cofondateur du Heritage Front. Avant de venir au Canada et de fonder ce mouvement, M. Droege a été condamné à trois ans d'emprisonnement aux États-Unis après avoir été reconnu coupable d'une tentative de coup d'état à la République de Dominique. M. Zündel soutient qu'il ne discutait que de questions d'histoire avec M. Droege. J'ai du mal à le croire, ne serait-ce qu'en raison des contacts fréquents qu'il avait avec lui et du rôle assez direct que celui-ci a joué dans des activités terroristes.

[29]            M. Zündel voudrait aussi nous faire croire qu'il connaissait Marc Lemire en raison des « travaux de photocopie » que celui-ci a faits pour lui. Pourtant, Marc Lemire a joué et joue encore un rôle actif au sein de l'organisation Heritage Front, qu'il dirige maintenant, et participe à la prestation de services Internet, notamment le « Freedom Site » , qui offre des liens à des groupes d'extrême droite du Canada. Marc Lemire a effectivement reçu un appui financier de M. Zündel et, encore là, je crois que la nature de la relation entre ces deux personnes est beaucoup plus étroite que ce que M. Zündel admet. Je ne puis concevoir que ces deux individus n'auraient jamais discuté entre eux de questions touchant le Heritage Front ou l'Internet, compte tenu de leur présence sur le cyberespace par l'entremise de différents sites. Dans la même veine, je crois que M. Zündel a eu des contacts beaucoup plus importants que ce qu'il a avoué avec Bernard Klatt, spécialiste en informatique qui a fourni des services Internet à plusieurs groupes extrémistes.


[30]            De toute évidence, la description que M. Zündel a donnée n'est qu'un pâle reflet de la réalité en ce qui concerne la relation véritable qu'il entretient depuis plusieurs décennies avec les personnes nommées ci-dessus et d'autres personnes dont il est fait mention dans les documents déposés en preuve par les ministres et qui ont participé à des activités criminelles violentes. Un élément commun caractérise les paroles et les gestes de toutes ces personnes : la haine à l'endroit des Juifs et des minorités non blanches et l'affirmation selon laquelle les Blancs sont menacés par notre société multiculturelle. M. Zündel peut nier qu'il prône la violence, mais il ne peut nier qu'il partage les mêmes idées que celles de groupes violents extrémistes. Les renseignements que les ministres ont fournis à huis clos à la Cour vont encore plus loin : dans bien des cas, M. Zündel tire les ficelles qui mènent à des actes de violence.

[31]            Je suis convaincu que M. Zündel était bien au courant du résultat de ses publications et de ses commentaires publics. De plus, il savait bien à l'avance à quel moment auraient lieu certaines activités, actions et démonstrations auxquelles participeraient des skinheads qui non seulement seraient peu restreints, mais seraient effectivement encouragés par les membres plus effacés du mouvement qui prétendraient ne pas être au courant de ces actions et ne pas les approuver. Non seulement le savait-il à l'avance, mais il lui arrivait souvent de participer à la planification.


[32]            D'après l'ensemble de la preuve que j'ai examinée, M. Zündel me semble vouloir à la fois le beurre et l'argent du beurre : il veut être perçu comme un penseur qui rejette la violence à titre de moyen d'obtenir le pouvoir, mais il ne fait rien pour s'éloigner des groupes et personnes d'ici et d'ailleurs qui ont participé à des activités violentes et continuent à le faire. Ainsi, tout en condamnant ouvertement l'utilisation de la violence, il l'accepte à mots couverts en maintenant ses contacts avec des groupes qui prônent la violence et se livrent à des actes de violence et en demeurant crédible auprès de ces groupes.

[33]            Dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, la Cour suprême du Canada a décrit, au paragraphe 90, la situation d'une personne qui constitue un « danger pour la sécurité du Canada » :

...une personne constitue un « danger pour la sécurité du Canada » si elle représente, directement ou indirectement, une grave menace pour la sécurité du Canada, et il ne faut pas oublier que la sécurité d'un pays est souvent tributaire de la sécurité d'autres pays. La menace doit être « grave » , en ce sens qu'elle doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve, et en ce sens que le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable.

[34]            En raison des restrictions inhérentes à la sécurité nationale, les ministres n'ont pu présenter une preuve publique liant M. Zündel à l'un ou l'autre des actes de violence qui ont été commis par des groupes racistes et extrémistes. Cependant, compte tenu des renseignements dont j'ai été saisi, je suis convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire que ce lien existe. Je suis également convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire que, si M. Zündel était libéré, il serait en mesure de rétablir des liens avec des groupes qui constituent une menace pour la sécurité du Canada.


2)          La question de savoir si M. Zündel se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi

[35]            Selon le paragraphe 83(3) de la Loi, l'intéressé sera maintenu en détention s'il est prouvé qu'il constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi. Étant donné que la preuve de l'une ou l'autre des conditions, fondée sur des motifs raisonnables, suffit pour justifier le maintien de la détention, il n'est pas nécessaire que je décide si M. Zündel se soustrairait vraisemblablement à la procédure ou au renvoi. Cependant, je formulerai les commentaires suivants.

[36]            M. Zündel soutient qu'il a toujours respecté les conditions dont étaient assorties les ordonnances de cautionnement qui ont été rendues à son endroit dans le cadre des différentes instances judiciaires le concernant. Il a également comparu lorsqu'une audience avait lieu au sujet de son expulsion.

[37]            Pour leur part, les ministres font valoir que M. Zündel se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi pour trois raisons : la confiance minime qu'il ressent à l'endroit du système juridique allemand, où il risque d'être poursuivi s'il devait être renvoyé dans ce pays; le mépris qu'il éprouve à l'endroit du système de justice en général, compte tenu des commentaires peu élogieux qu'il a formulés au sujet du Tribunal canadien des droits de la personne et, enfin, ses problèmes de visa aux États-Unis, qui indiquent qu'il est peu disposé à se conformer aux exigences qu'un État impose à ses résidents.

[38]            Je ne suis pas persuadé du bien-fondé des arguments des ministres sur ce point. Il appert de la conduite antérieure de M. Zündel qu'il a respecté jusqu'à maintenant les conditions qui lui ont été imposées et ses opinions concernant les différents systèmes de justice ne sont pas en cause. Je ne suis pas certain de l'importance à accorder au fait qu'il ne s'est pas conformé aux exigences américaines relatives au renouvellement de son visa. Il m'est difficile de comprendre pourquoi M. Zündel saboterait délibérément ses propres efforts visant à devenir résident permanent des États-Unis, où son épouse demeure et où le Zundelsite n'est assujetti à aucun règlement, ce qui n'est pas le cas au Canada. Si M. Zündel avait voulu échapper aux conséquences de ses actes ou omissions, il ne serait pas resté chez lui, où les autorités américaines n'ont eu aucun mal à le trouver. À prime abord, ses explications concernant un malentendu sembleraient plus convaincantes qu'une sorte de plan détourné par lequel il chercherait à se soustraire aux exigences relatives au visa.

[39]            À mon avis, un facteur important a été oublié de part et d'autre, soit le fait qu'il serait beaucoup plus tentant aujourd'hui pour M. Zündel de ne pas comparaître. S'il est jugé que le certificat est raisonnable, M. Zündel ne pourra interjeter appel et une ordonnance de renvoi sera alors en vigueur. Cette fois-ci, M. Zündel risque davantage que l'expulsion : il risque d'être poursuivi en Allemagne. Le gouvernement allemand a déjà porté des accusations contre lui et M. Zündel devra y faire face s'il retourne en Allemagne. C'est là un facteur qui devrait être examiné. Cependant, comme je l'ai mentionné, la menace qu'il représente pour la sécurité nationale justifie en soi le maintien en détention de M. Zündel.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

M. Ernst Zündel doit être maintenu en détention.

                                                                                                                                               _ Pierre Blais _                

                                                                                                                                                                 Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier,. trad. a., LL.L.


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           DES-2-03

INTITULÉ DE LA CAUSE:             Affaire intéressant un certificat signé conformément au paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le renvoi de ce certificat à la Cour fédérale du Canada conformément au paragraphe 77(1) et aux articles 78 et 80 de la Loi et Ernst Zündel

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

DATES DE L'AUDIENCE :            les 6 et 7 novembre et le 10 décembre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      le juge Blais

DATE DES MOTIFS :                      le 21 janvier 2004

COMPARUTIONS :

Donald MacIntosh et Pamela Larmondin                         POUR LE MINISTRE

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

Murray Rodych et Toby Hoffman                                    POUR LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL

Service canadien du renseignement

de sécurité

Services juridiques

Ottawa (Ontario)

Doug Christie                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Avocat

Victoria (C.-B.)

Peter Lindsay et Chi-Kun Shi

Avocats

Toronto (Ontario)


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