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Date : 20060412

Dossier : IMM-4370-05

Référence : 2006 CF 472

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

ENTRE :

OSCAR ADAN PORRAS CAMARGO

 

demandeur

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 22 juin 2005 concluant que le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au Venezuela parce qu’il dispose d’une possibilité de refuge intérieur (PRI).

 

 

 

Faits

 

[2]               Le demandeur, un citoyen de la Colombie et du Venezuela âgé de 27 ans, est né dans la ville de Valencia, au Venezuela, et y a vécu jusqu’en 1994. Il a déménagé en Colombie à l’âge de 13 ans pour habiter avec sa belle‑mère et son frère aîné, Juan Fernando Polanco. M. Polanco est architecte et a participé à un projet de construction dans la zone de Bello Horizonte en Colombie. Quand le projet a pris du retard en 1996, M. Polanco a été victime de plusieurs tentatives d’extorsion et de menaces de mort provenant du Front 47 des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Craignant pour leur vie, M. Camargo et sa famille ont déménagé dans la ville de Cali, où ils ont été retrouvés par les FARC qui ont continué à menacer leur vie. En mai 1998, le frère de M. Camargo a fui vers les États‑Unis; les FARC ont alors menacé de tuer le demandeur et sa belle‑mère en raison de leur relation avec M. Polanco. En février 1999, un gardien de sécurité à leur résidence les a informés que des hommes dans une fourgonnette étaient venus et avaient demandé à les voir; c’est alors que M. Camargo et sa belle‑mère ont décidé de fuir la Colombie.     

 

Fuite vers le Canada

 

[3]               M. Camargo a quitté la Colombie le 24 juillet 1999 et est entré légalement aux États‑Unis avec un visa de touriste. En 2000, il a obtenu un visa d’étudiant américain, mais il a perdu ce statut en raison de difficultés financières. M. Camargo est entré au Canada le 15 décembre 2004 à Fort Erie, à la frontière canado-américaine, avec l’intention de rejoindre sa belle‑mère et son frère, M. Polanco, qui habitaient à Toronto et à qui on avait accordé l’asile au Canada. Le demandeur a demandé l’asile la journée de son arrivée au Canada. 

 

Demande d’asile

 

[4]               Le demandeur a affirmé craindre avec raison d’être persécuté par les FARC en raison de sa relation avec son frère aîné, M. Polanco. M. Camargo a également prétendu que sa vie serait en danger s’il retournait au Venezuela en raison des menaces de mort déjà reçues et des contacts qu’entretiennent les FARC dans tout le Venezuela.  

 

Décision à l’étude

 

[5]               La Commission a conclu que M. Camargo avait établi son identité et qu’il était un témoin crédible, ce pourquoi elle a accepté son témoignage selon lequel il craignait les représailles des FARC en raison de sa relation avec M. Polanco. Le tribunal a jugé que, même si le demandeur craignait avec raison d’être persécuté par les FARC en Colombie, celui-ci n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention parce qu’il disposait d’une PRI dans la partie du Venezuela ne se situant pas à la frontière de la Colombie, ce qui comprend, sans s’y limiter, les villes de Caracas et Valencia. Le tribunal a également conclu que M. Camargo n’avait pas la qualité de personne à protéger parce qu’il n’avait pas établi que sa vie serait menacée ou qu’il risquait de subir un traitement cruel et inusité s’il retournait à la PRI. 

 

 

Question en litige

 

[6]               La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il existait une PRI dans la partie du Venezuela ne se situant pas à la frontière de la Colombie, ce qui comprend, sans s’y limiter, les villes de Caracas et Valencia?

 

Analyse

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il existait une PRI dans la partie du Venezuela ne se situant pas à la frontière de la Colombie, ce qui comprend, sans s’y limiter, les villes de Caracas et Valencia?

 

 

[7]               La norme de contrôle applicable à la question de la PRI est la décision manifestement déraisonnable (Ramachanthran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 234 F.T.R. 206 (C.F.)). Il incombe au demandeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il risque sérieusement d’être persécuté dans la PRI  (Karthikesu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 772 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

[8]               Le critère juridique applicable à la PRI comporte deux volets : premièrement, le demandeur doit démontrer qu’il risque sérieusement d’être persécuté dans la PRI en question. Deuxièmement, il doit prouver que les conditions dans la PRI sont telles qu’il serait déraisonnable pour lui d’y chercher refuge (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.)). Pour que la PRI soit déraisonnable, il doit y exister des conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité du demandeur qui se rendrait ou se réinstallerait temporairement dans ce lieu. L’absence de parents dans la PRI n’est pas pertinente à moins qu’elle ne mette en danger la sécurité du demandeur (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.F.)).

 

Lieu précis de la PRI

 

[9]               M. Camargo soutient que la Commission n’a pas nommé de PRI en particulier et n’a pas traité des conditions générales de ce lieu afin d’en évaluer la sécurité. Le demandeur s’appuie sur la décision de la Cour dans Rabbani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 125 F.T.R. 141 (1re inst.), rendue par le juge Marc Noël, au paragraphe 16 :

¶ 16     [...] La conclusion quant à l'existence d'une possibilité de refuge intérieur exige plus que la simple identification d'une région approximative où l'agent de persécution est présumé exercer le contrôle et plus qu'une conclusion générale indiquant que le requérant est libre de s'enfuir ailleurs. Il faut identifier un lieu géographique précis où la situation est telle que ce lieu puisse constituer un asile sûr réalistement accessible. En retour, il faut discuter de la situation qui existe dans ce lieu identifié.

[Notes de bas de page omises.]

 

 

[10]           La Commission a informé M. Camargo que la question de la PRI devait être soulevée à son audience. En l’espèce, le dossier montre que la Commission a nommé le lieu de la PRI, soit la partie du Venezuela ne se situant pas à la frontière de la Colombie, ce qui comprend, sans s’y limiter, les villes de Caracas et Valencia. Plus précisément, elle a jugé que l’activité des FARC se limitait aux États d’Apure, de Tachira, de Zulia, de Merida et de Barinas (les États frontaliers). 

 

La preuve documentaire n’établit pas de risque sérieux de persécution

 

[11]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en n’examinant pas les conditions générales de la PRI afin d’en évaluer la sécurité et qu’elle a mal interprété les documents de recherche sur le pays d’origine pour appuyer sa conclusion.

 

[12]           La Commission a examiné le Cartable national de documentation sur le Venezuela, daté du 17 janvier 2005, ainsi que les documents de recherche sur le pays d’origine VEN42074 et VEN42081. La Commission pouvait raisonnablement conclure que les FARC ne constituent pas une menace sérieuse pour M. Camargo à l’extérieur des États frontaliers.  

 

[13]           Le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de prouver l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution dans la PRI en question. 

 

La Commission n’a pas commis d’erreur en évaluant le caractère raisonnable de la PRI

 

[14]           En ce qui concerne le second volet du critère applicable à la PRI, la Commission a conclu qu’il n’était pas déraisonnable de s’attendre à ce que M. Camargo habite dans la PRI parce que :

1.         il a 26 ans, n’est plus mineur et peut s’occuper de lui-même;

 

2.         il ne serait limité par aucun obstacle de langue ou de culture au Venezuela;

 

3.         il a terminé son éducation secondaire et n’a aucune personne à charge à soutenir;

 

4.         il possède de l’expérience de travail qui lui permettra de s’établir;

 

5.         l’instabilité des conditions politiques et économiques du Venezuela ne nuit pas au caractère raisonnable de la PRI.

 

[15]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de sa dépendance émotive à l’égard de M. Polanco et de sa belle-mère, qui résident tous deux à Toronto. La dépendance émotive invoquée par le demandeur représente précisément le type de facteur qui ne satisfait pas aux exigences très élevées du critère visant à déterminer ce qui est déraisonnable, énoncé par la Cour d’appel fédérale dans Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.F.), où le juge Létourneau statue au paragraphe 15 :

¶ 15     [...] Il ne faut rien de moins que l'existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d'un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l'existence de telles conditions. L'absence de parents à l'endroit sûr, prise en soi ou conjointement avec d'autres facteurs, ne peut correspondre à une telle condition que si cette absence a pour conséquence que la vie ou la sécurité du revendicateur est mise en cause. Cela est bien différent des épreuves indues que sont la perte d'un emploi ou d'une situation, la diminution de la qualité de vie, le renoncement à des aspirations, la perte d'une personne chère et la frustration des attentes et des espoirs d'une personne.

 

 

[16]           L’opposition du demandeur à la PRI est fondée sur une « épreuve indue », et non sur la question de sa sécurité dans la PRI. L’« épreuve indue » fait l’objet d’une demande CH, non pas d’une demande d’asile. Le demandeur prétend que déménager au Venezuela constituerait pour lui une épreuve indue, car : 

1.      il n’y a jamais vécu sauf lorsqu’il était enfant;

2.      il n’y a aucun ami ou parent, sauf sa mère avec qui il est brouillé et un frère qu’il n’a presque jamais vu;

3.      il est, sur le plan émotif, proche et dépendant de son frère et de sa belle-mère, qui habitent à Toronto;

4.      il n’y possède aucune perspective d’emploi ni d’endroit où habiter;

5.      les conditions de vie y sont mauvaises et le crime y est omniprésent.

 

[17]           Pour ces motifs, la Commission n’a pas commis d’erreur quand elle a conclu que le demandeur bénéficiait d’une PRI au Venezuela. 

 

[18]           Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à certifier et aucune n’est certifiée.

 

JUGEMENT

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

 

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-4370-05

 

INTITULÉ :                                                              OSCAR ADAN PORRAS CAMARGO

                                                                                    c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 5 AVRIL 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 12 AVRIL 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Matthew Jeffrey                                                            POUR LE DEMANDEUR

 

Greg George                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Matthew Jeffrey                                                            POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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