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Date : 19990114


T-2488-95

E n t r e :

     COMPAGNIE D'ASSURANCE UNION COMMERCIALE DU CANADA, SORL,

     UNDERWRITERS AT LLOYD'S, CANADIAN GROUP

     UNDERWRITERS INSURANCE COMPANY, COMPAGNIE D'ASSURANCE

     CANADIAN SURETY, GENERAL ACCIDENT,

     COMPAGNIE D'ASSURANCES DU CANADA,

     MARITIME INSURANCE COMPANY LIMITED,

     COMPAGNIE D'ASSURANCE CONTINENTAL DU CANADA et

     LA ROYALE DU CANADA, COMPAGNIE D'ASSURANCE,

     demanderesses,

     - et -

     M.T. FISHING CO. LTD. et RICHARD WOOD,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ

[1]      La présente requête, qui a été présentée par les défendeurs, vise à obtenir une ordonnance forçant les demanderesses à produire des documents et à répondre à des questions qui, selon ce qu'affirment les demanderesses, sont protégés par le secret professionnel de l'avocat.


1.      Faits

[2]      Les demanderesses (Union Commerciale) sont des assureurs et les défendeurs (M.T. Fishing) sont les propriétaires enregistrés du MV " Radiant ", un bateau de plaisance en bois de 110 pieds. Le 25 avril 1995, un incendie a détruit le " Radiant ". Une réclamation a été présentée et l'Union Commerciale a remboursé à M.T. Fishing une partie de la coque et de la machinerie. Le 24 mai 1995, Murray Underwriting Ltd. (Murray), l'agent gérant général de l'Union Commerciale en Colombie-Britannique, a reçu un appel téléphonique de l'agent gérant de certains des assureurs, qui l'informait qu'elle avait reçu des informations qui permettaient de penser que l'incendie qui avait détruit le " Radiant " avait été déclenché intentionnellement. Le 25 mai 1995, M. Patrick Murray, le président de la Murray, a reçu de la Coast Claims Service Ltd d'autres renseignements qui allaient dans le même sens.

[3]      Ce jour-là, l'Union Commerciale a ouvert une nouvelle enquête pour déterminer si l'incendie avait été déclenché intentionnellement. Le 20 juillet 1995, l'Union Commerciale a donné pour instructions à ses avocats d'examiner les éléments d'information ainsi recueillis et de lui donner leur avis au sujet de la question de savoir si les assureurs avaient des motifs suffisants pour réclamer l'argent qu'ils avaient payé en règlement de la réclamation. Entre le 20 juillet et le 24 novembre 1995, l'enquête menée par l'Union Commerciale a permis de découvrir d'autres faits au sujet des causes de l'incendie. Le 24 novembre 1995, l'Union Commerciale a introduit la présente action.


2.      Question du but principal

[4]      La question qui est soumise à la Cour dans la présente demande est celle de savoir si les rapports, renseignements, notes, enquêtes et conversations survenus ou échangés entre le 25 mai 1995 et le 24 novembre 1995 sont en tout ou en partie protégés par le secret professionnel. Pour ce faire, la Cour doit répondre à deux questions :

     a)      un procès était-il raisonnablement envisagé au moment où chacune de ces communications verbales ou écrites a eu lieu;         
     b)      chacune de ces communications a-t-elle été préparé principalement dans le but d'un procès1 ?         
                 

[5]      Il est par ailleurs acquis aux débats que c'est à la partie qui revendique le privilège qu'il incombe de démontrer que le procès était le but principal visé. Le tribunal doit examiner les circonstances entourant la création des documents de manière à pouvoir établir le but principal de ces communications2. Au Canada, selon le critère reconnu qui est appliqué pour déterminer si le privilège relatif au procès s'applique à une communication déterminée, celle-ci doit avoir été faite principalement en vue d'un procès que l'on pouvait raisonnablement prévoir pour pouvoir être protégée par ce privilège3. Les auteurs de l'ouvrage Solicitor-Client Privilege in Canadian Law4 précisent que le critère du " but principal " comporte trois volets, qui doivent tous être respectés pour que le critère s'applique :

     [TRADUCTION]         
     a)      la communication doit avoir été faite en vue d'un procès (autrement dit, elle ne pouvait exister auparavant et avoir simplement été obtenue par la suite par la partie et avoir été transmise à l'avocat);         
     b)      la communication doit avoir été faite dans le but principal d'obtenir un conseil juridique ou pour faciliter le déroulement de l'instance (en d'autres termes, en vue d'un procès envisagé;         
     c)      l'éventualité du procès doit être raisonnable (en ce sens qu'un procès est raisonnablement prévisible). (À la page 93).         

[6]      Le " but principal " de la communication peut exister dans l'esprit de l'auteur du document ou dans celui de la personne qui ordonne la production du document, mais il n'est pas nécessaire qu'il existe dans l'esprit des deux5. Le moment précis où l'objet principal des communications devient celui de faciliter le déroulement de l'instance est déterminé à la lumière des faits particuliers de l'espèce6. Ainsi, le privilège applicable aux procès peut s'appliquer à la communication faite par une partie avant d'avoir retenu les services d'un avocat7. Il a également été jugé que, lorsqu'un assureur a terminé son enquête initiale et qu'il a commencé à régler la demande d'indemnité de l'assuré et que de nouveaux éléments d'information obtenus par la suite par l'assureur permettent de penser que la réclamation initiale est frauduleuse, le procès est devenu " imminent " dans l'esprit de l'assureur sur réception de ces nouveaux éléments d'information et que tous les communications dérivées faites par la suite sont par conséquent protégées par le privilège8.

[7]      Les faits de l'affaire Chrusz, qui a été entendue par la Cour de l'Ontario (Division générale), ressemblent fort à ceux de la présente espèce. Dans les deux cas, après qu'une première enquête avait été ouverte et que l'assuré avait été payé, l'assureur avait obtenu des renseignements qui avaient déclenché l'ouverture d'une nouvelle enquête et l'introduction d'une action en justice contre l'assuré.

3.      Dispositif

[8]      À mon avis, tous les renseignements recueillis au cours de l'enquête ayant conduit au règlement intégral de la réclamation de M.T. Fishing, ainsi que la totalité des documents qui ont été produits au cours de cette période et qui ont conduit au paiement ne constituent pas des renseignements privilégiés.


[9]      Toutefois, les 24 et 25 mai 1995, lorsque l'Union Commerciale a appris que l'incendie qui s'était déclaré à bord du " Radiant " avait été déclenché intentionnellement, et après qu'elle eut ouvert une nouvelle enquête pour recueillir de nouveaux éléments d'information, le but principal de ses démarches était manifestement d'introduire une action pour récupérer les sommes qu'elle avait payées à M.T. Fishing. Je ne peux concevoir d'autres raisons pour lesquelles une seconde enquête serait menée. Même si aucun avocat n'avait encore été engagé à une date aussi précoce, les renseignements ont été recueillis pour une seule raison évidente.

[10]      Ainsi, dans la présente affaire, les trois éléments essentiels à l'établissement du but principal étaient réunis après le 24 mai 1995 : premièrement, la communication a été produite en vue d'un procès; deuxièmement, le but principal de la communication était d'obtenir un avis juridique ou de faciliter le déroulement d'une instance; troisièmement, un procès était raisonnablement prévisible. Si l'Union Commerciale peut démontrer au tribunal que M.T. Fishing a intentionnellement mis feu à son navire, elle peut raisonnablement supposer qu'elle obtiendra gain de cause et qu'elle récupérera son argent.

[11]      En conclusion, les communications en question sont protégées par le privilège des procès et les défendeurs ne peuvent donc pas les examiner.


[12]      En conséquence, la requête des défendeurs est rejetée avec dépens.

                             (Signature) " J.-E. Dubé "

                                 J.C.F.C.

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 14 janvier 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-2488-95
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Compagnie d'assurance Union Commerciale du Canada
                     et autres c.
                     M.T. Fishing Co. Ltd. et Richard Wood

    

LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE DUBÉ

en date du 14 janvier 1999

ONT COMPARU :

     Me David McEwen                      pour les demanderesses
     Me David Lonergan                      pour les défendeurs

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     McEwen, Schmitt & Co.                  pour les demanderesses
     Vancouver
     Russell & DuMoulin                  pour les défendeurs
     Vancouver
__________________

     1      IPFPC c. Canada (Musée canadien de la nature), [1995] 3 C.F. 643 (C.F. 1re inst.) et Hamalainen v. Sippola (1991), 62 B.C.L.R. (2d) 254, à la page 261 (C.A.C.-B.).

     2      Brayley v. Pappas (1991), 64 B.C.L.R. (2d) 37 (C.S.C.-B.) et Krusel v. Firth (7 septembre 1993), B.C.J. No. 2926, dossier no C86231 du greffe de Vancouver (C.S.C.-B.).

     3      Waugh v. British Railways Board, [1979] 2 All E.R. 1169, à la page 1183 (H.L.) et Jordan c. Towns Marine Electronics Limited, (1996), 110 F.T.R. 22, au par. 19 (C.F. 1re inst - prot.), confirmée à (1996) 113 F.T.R. 226, au par. 13 (C.F. 1re inst.).

     4      Ronald D. Manes et Michael P. Silver, Solicitor-Client Privilege in Canadian Law , Toronto, Butterworths Canada Ltd., 1993.

     5      Guinness Peat Properties Ltd. v. Fitzroy Robinson Partnership, [1987] 2 All E.R. 716 (C.A.).

     6      Hamalainen v. Sippola (supra).

     7      Rush v. Phoenix Assurance Company of Canada, (1984), 40 C.P.C. 185, à la page 188 (H.C. Ont.); Young's - Graves (Receiver of) v. Hartford Fire Insurance Company, (1988), 27 C.P.C. (2d) 242, à la page 244 (H.C.J. Ont.) et British Columbia (Minister of Forests) v. Bugbusters Pest Management Inc., décision non publiée en date du 24 mars 1995, dossier no 27740 du greffe de Prince George (C.S.C.-B.).

     8      General Accident Assurance Company v. Chrusz, (1997), 34 O.R. (3d) 354 (C. div. Ont.).

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