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Date : 20040324

 

Dossier : IMM‑1515‑03

 

Référence : 2004 CF 440

 

Ottawa (Ontario), le 24 mars 2004

 

En présence de monsieur le juge James Russell

 

 

ENTRE :

 

                                                      BASSAM FAWZI FRANCIS

 

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

 

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                           défendeur

 

                                MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un fonctionnaire du consulat général du Canada à Buffalo (New York), en date du 3 février 2003, qui lui a refusé la résidence permanente au Canada.

 

LES FAITS

 

[2]               Le demandeur est un Libanais âgé de 31 ans. Entre 1999 et 2002, il a obtenu trois autorisations temporaires de travailler comme boulanger pour la société Royal Pita Bakery Inc., à Windsor (Ontario).


 

[3]               Le demandeur a ensuite sollicité la résidence permanente en tant que boulanger pâtissier, selon la description 6252 de la Classification nationale des professions (la CNP). Il a été évalué en application de l’ancienne Loi sur l’immigration et il lui fallait donc 70 points d’appréciation pour obtenir la résidence permanente.

 

[4]               Le demandeur a travaillé de 1989 à novembre 1991 au restaurant Kasr El‑Delb, à Bikfaya, au Liban. Par la suite, il a travaillé de janvier 1992 à octobre 1999 à la boulangerie Abou Fadi, à Dora, au Liban. Il a été admis au Canada en tant que fabricant de pain pita de spécialité, à la faveur d’une autorisation d’emploi qui fut dûment validée par Développement des ressources humaines Canada. Son employeur était Edgar Francis, le propriétaire de Royal Pita Inc., une entreprise qui se spécialise dans la fabrication d’une diversité de pains pita du Moyen‑Orient, notamment de pains pita cuits au four de pierre.

 

[5]               Edgar Francis est un conseiller municipal et un avocat de la ville de Windsor. Le demandeur relève que, en dépit du même patronyme, il n’y a aucun lien de parenté entre le demandeur et Edgar Francis.

 


[6]               Le 9 avril 2001, Safa Nissan Dawood achetait à Edgar Francis l’entreprise Royal Pita Bakery Inc. Le demandeur était gardé comme boulanger spécialisé dans le pain pita. Il travaillait à temps plein, 40 heures par semaine, et il était affecté au quart du soir, pour un salaire hebdomadaire de 360 $.

 

[7]               Le demandeur précise que toute sa famille immédiate vit au Canada et que, depuis qu’il est au Canada, il vit chez ses parents. Il souligne que ses parents ont acheté une grande maison afin de pouvoir le loger, lui ainsi que son épouse. Le père a également signé un engagement de soutien afin que son fils ne devienne un fardeau pour aucun programme provincial ou fédéral d’aide sociale.

 

[8]               Le demandeur précise aussi qu’il travaille au Canada depuis trois ans et qu’il parle couramment l’anglais. Il s’est bien assimilé à la culture canadienne, il est actif au sein d’une église chrétienne et il est un membre respecté de son quartier.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[9]               Le demandeur avait précisé sur sa demande de résidence permanente qu’il avait au Canada un emploi réservé auprès de l’entreprise « Fawzi Francis & Family and Royal Pita Baking Company », son « père et employeur ».

 


[10]           Le dossier déposé au soutien de sa demande de résidence permanente contenait aussi une lettre datée du 20 novembre 2000, signée par « Fawzi Francis, propriétaire ». Cette lettre disait que le demandeur, « notre fils », avait travaillé dans la boulangerie familiale au Liban de 1992 à 1999. L’en‑tête de la lettre précise que le père du demandeur gérait la « Boulangerie Abou Fadi », et l’adresse indiquée était 3156, rue Suffolk, Windsor (Ontario) N8R 1P2.

 

[11]           Le demandeur affirme que, par l’entremise de M. Tim Mayville, son conseiller à l’époque, il avait demandé les notes du Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL) qui concernaient son cas. Il dit que les notes du SSOBL contenaient plusieurs malentendus. Il souligne que, d’après les notes du SSOBL, l’employeur est Fawzi Francis, son père. Le demandeur dit que, au contraire, il a immigré au Canada à la faveur d’une autorisation d’emploi et que l’employeur était Edgar Francis, le propriétaire de Royal Pita Bakery Inc. Fawzi Francis n’a jamais été propriétaire de Royal Pita. Le demandeur dit qu’il a envoyé une lettre à l’agent pour préciser ce point, outre des affidavits justificatifs établis par ses employeurs.

 

[12]           Selon le demandeur, les notes du SSOBL indiquent aussi que Royal Pita n’apparaît pas dans les Pages jaunes, même si la boulangerie figure bel et bien dans cet annuaire. Le demandeur a produit de nombreux documents au soutien de sa position. Les notes du SSOBL mentionnaient ce qui suit :

... ai tenté de vérifier l’employeur du demandeur – n’apparaît pas dans les Pages jaunes.

 

 

 


[13]           Le demandeur relève que, bien que des avis d’autorisation du client et de révocation du représentant actuel eussent été envoyés à l’agent, l’agent a continué de correspondre avec M. Tim Mayville, l’ancien conseiller en immigration du demandeur. Le demandeur souligne que la lettre de refus envoyée par l’agent a été envoyée à M. Mayville et non à l’avocat actuel du demandeur. Des lettres avaient aussi été envoyées à l’agent pour le prier de confirmer la réception de la communication de vingt pages envoyée auparavant. L’agent n’a jamais confirmé la réception de cette communication.

 

[14]           Le demandeur souligne que les notes du STIDI concernant sa demande précisent ce qui suit :

[traduction] ... le demandeur a obtenu une décision favorable en raison du fait qu’il travaillerait dans l’entreprise de son père – au cours de l’entrevue, il est devenu évident que son père n’avait jamais géré une boulangerie au Canada. Il m’est apparu, et il a été expliqué au requérant, que cela semblait constituer une fausse déclaration délibérée. Par conséquent, la décision favorable est nulle et sans effet.

 

 

 

[15]           L’agent n’a accordé au demandeur aucun point pour l’expérience.

 

[16]           Après un premier examen du dossier, il est devenu évident que le demandeur n’obtiendrait pas un nombre suffisant de points d’appréciation pour répondre aux critères de sélection de l’immigration en vue du métier de boulanger pâtissier – CNP 6252. Eu égard à l’information ci‑dessus, et étant entendu au départ que le demandeur allait travailler pour son père au Canada, la requête du demandeur fut d’abord considérée favorablement.

 

[17]           L’agent a passé en revue la demande de résidence permanente et a relevé que le demandeur avait obtenu un diplôme d’ébénisterie. L’agent a donc convoqué une entrevue afin de bien évaluer les compétences du demandeur et son expérience de la boulangerie.

 

[18]           Avant l’entrevue, et en réponse à une demande de renseignements d’un député fédéral de la région, l’agent a tenté de communiquer avec le demandeur, mais a eu du mal à le trouver, que ce soit chez lui ou au travail. Royal Pita Bakery a d’abord dit à l’agent que le demandeur ne travaillait pas à cet endroit, puis lui a dit ensuite qu’il y travaillait. L’agent a parlé au demandeur le 19 novembre 2001, et le demandeur a semblé n’être guère informé sur son lieu de travail, ne connaissant pas même le numéro de téléphone de son employeur.

 

[19]           En mars et avril 2002, l’agent recevait les conclusions de l’avocat du demandeur, conclusions qui comprenaient des lettres de soutien et des renseignements sur la relation entre le demandeur et Royal Pita Bakery. L’avocat expliquait que le père du demandeur et l’employeur, Royal Pita Bakery, étaient deux personnes différentes.

 

[20]           L’agent a convoqué une entrevue avec le demandeur le 13 juin 2002 et lui a demandé si Royal Pita était une entreprise qui appartenait à la famille du demandeur. Le demandeur a déclaré que son père n’avait jamais été propriétaire de Royal Pita ni n’avait travaillé à Royal Pita et qu’il ne s’agissait pas d’une entreprise familiale. L’agent a aussi prié le demandeur de lui dire s’il travaillait pour son père. Il a déclaré qu’il n’avait jamais dit à qui que ce soit qu’il travaillait au Canada pour son père. Il a déclaré que toute erreur portant sur la propriété de Royal Pita s’expliquait probablement par le fait que le propriétaire de Royal Pita portait également le patronyme de Francis, bien qu’il n’y eût aucun lien de parenté avec le demandeur.

 

[21]           L’agent a produit la lettre de soutien signée le 20 novembre 2000 par le père du demandeur, lettre qui précisait que le demandeur avait travaillé pour lui comme boulanger. L’agent a montré l’en‑tête (Boulangerie Abou Fadi) et l’adresse (3156, rue Suffolk, Windsor (Ontario) N8R 1P2) et a prié le demandeur de lui expliquer si cela signifiait qu’il travaillait à la boulangerie de son père à Windsor. Le demandeur n’a pas été en mesure de répondre.

 

[22]           Lorsque l’agent lui a demandé pourquoi il avait reçu en 2000 un salaire si faible pour son travail à Royal Pita, le demandeur a répondu que Royal Pita ne l’avait employé qu’à temps partiel parce que les affaires n’étaient pas très florissantes. L’agent a relevé que le demandeur avait été admis au Canada à la faveur d’une autorisation d’emploi temporaire pour former d’autres personnes à la fabrication du pain pita, et qu’il était curieux que Royal Pita eût déployé tant d’efforts à seule fin de l’embaucher à temps partiel.

 

[23]           L’agent a également posé au demandeur plusieurs questions sur la fabrication du pain pita. Les réponses du demandeur ont été vagues et imprécises.

 


[24]           À la fin de l’entrevue, l’agent a informé le demandeur qu’il n’était pas convaincu qu’il avait les qualités requises et l’expérience d’un boulanger. L’agent a aussi informé le demandeur qu’il avait la vague impression que le demandeur avait déformé les faits apparaissant sur sa demande, et cela afin de pouvoir être admis au Canada et d’y rester. L’agent a dit au demandeur qu’il était particulièrement troublé que sa demande de résidence permanente eût été recommandée pour une décision favorable parce que le demandeur travaillait pour son père dans une entreprise familiale, alors que ce n’était pas le cas.

 

[25]           L’agent a donné au demandeur la possibilité de produire d’autres renseignements pour préciser le contenu de son dossier et dissiper les doutes de l’agent. L’agent n’a pas reçu d’autres renseignements touchant les compétences ou l’expérience du demandeur. L’agent n’était encore pas convaincu que le demandeur avait la compétence ou l’expérience requise pour travailler dans la boulangerie. L’agent avait d’ailleurs encore l’impression que le demandeur n’avait pas dit la vérité. Le demandeur n’a donc pas obtenu de points d’appréciation pour l’expérience dans le métier de boulanger pâtissier, ni de points pour la personnalité, et sa demande a été refusée.

 

POINTS LITIGIEUX

 

[26]           Le demandeur soulève les points suivants :

 

L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit quand il a donné zéro point au demandeur pour l’emploi réservé, alors que le demandeur détient trois autorisations d’emploi qui ont été validées par Développement des ressources humaines Canada?

 


L’agent a‑t‑il commis une erreur dans la manière dont il a appliqué le paragraphe 11(1) du Règlement sur l’immigration, parce qu’il n’a accordé au demandeur aucun point pour l’expérience, alors que le demandeur justifie de plus de dix ans d’expérience de la boulangerie?

 

L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit en disant que le demandeur n’avait pas les qualités requises d’un boulanger, et cela parce qu’il aurait mal interprété et aurait ignoré la preuve, qu’il aurait tiré des conclusions de fait erronées sans tenir compte de la preuve qu’il avait devant lui, et qu’il aurait mal compris la preuve?

 

L’agent a‑t‑il commis une erreur dans sa manière d’appliquer l’annexe 1 du Règlement sur l’immigration, qui renferme les neuf facteurs de sélection, et cela parce que son évaluation du nombre de points du demandeur est erronée?

 

ARGUMENTS

Le demandeur

 

[27]           Le demandeur souligne qu’il a obtenu trois autorisations d’emploi de Développement des ressources humaines Canada. La première autorisation d’emploi était valide du 4 novembre 1999 au 11 août 2000, la deuxième était valide du 10 août 2000 au 15 août 2002, et la troisième était valide du 27 septembre 2001 au 27 septembre 2002. Le demandeur a été admis au Canada en vertu de l’autorisation d’emploi et il a travaillé comme boulanger pour Royal Pita Bakery Inc.

 

[28]           Le demandeur dit qu’il aurait dû obtenir 10 points pour l’emploi réservé, plutôt que la note de zéro point que lui a donnée l’agent. Les 10 points additionnels auraient fait passer sa note à 70, plutôt que 60, et le nombre de points requis au moment de la demande était 70. Selon le demandeur, l’agent a ignoré cette partie importante de son dossier, en dépit des nombreuses preuves qu’il avait devant lui, notamment deux affidavits des employeurs eux‑mêmes, Edgar Francis, un conseiller municipal respecté de Windsor, et lui‑même avocat, et Safa Dawood. L’agent a donc commis une erreur de droit, sujette à révision.

 

[29]           Le demandeur affirme aussi qu’il a plus de dix ans d’expérience de la boulangerie. Il a travaillé de février 1990 à novembre 1991 au restaurant Kasr El‑Delb, à Bikfaya, au Liban. Il a ensuite travaillé comme boulanger à la boulangerie de son père, à Dora, au Liban, de janvier 1992 à octobre 1999. Finalement, d’avril 1999 à septembre 2002, le demandeur avait une autorisation d’emploi comme boulanger à la Royal Pita Bakery Inc. Globalement, le demandeur comptait environ douze ans d’expérience de la boulangerie. Cependant, l’agent lui a accordé zéro point pour l’expérience. Le demandeur dit qu’il aurait dû obtenir 6 points pour l’expérience parce que, selon le facteur formation professionnelle, ou FFP, 15 points sont accordés pour un boulanger, et 6 points sont accordés pour l’expérience. Selon le demandeur, l’agent a commis une erreur de droit parce qu’il a mal interprété la preuve, qu’il a mal apprécié la preuve qu’il avait devant lui, qu’il a tiré des conclusions de fait erronées sans tenir compte de la preuve qu’il avait devant lui, et qu’il n’a pas bien compris la preuve.

 

[30]           Le demandeur dit aussi qu’il aurait dû obtenir un point pour le facteur professionnel, plutôt que la note de zéro point attribuée par l’agent.

 

[31]           Le demandeur a obtenu zéro point pour la personnalité. Cependant, le demandeur dit qu’il a montré sa faculté d’adaptation au mode de vie canadien, puisqu’il a travaillé au Canada durant trois ans comme boulanger responsable, fiable, honnête et sérieux. Son employeur, Safa Dawood, était disposé et apte à l’embaucher sur une base permanente, parce qu’il était extrêmement satisfait de l’éthique professionnelle et du travail du demandeur. Le demandeur dit qu’il a montré sa volonté d’apprendre l’anglais durant son travail au Canada. Il travaillait très dur également et n’a jamais reçu de prestations d’aide sociale. Le demandeur dit aussi qu’il a montré de l’initiative et de la débrouillardise puisqu’il est devenu financièrement indépendant et qu’il a même aidé ses parents, notamment sur le plan financier. Par exemple, il a aidé ses parents en faisant des travaux d’architecture paysagère et de jardinage.

 


[32]           Le demandeur vivait avec ses parents et une soeur, Samar. Son intention était de faire venir son épouse du Liban pour qu’ils puissent tous vivre ensemble. La famille du demandeur est unie. Les parents et trois de leurs enfants sont citoyens canadiens. Deux des enfants, Rita et Samar, habitent au Canada, et un fils, Fadi, habite aux États‑Unis. Le demandeur est le seul enfant de la famille qui soit resté au Liban. Le demandeur bénéficie d’un soutien familial considérable. Le nombre maximum de points d’appréciation pour la personnalité est 10. Le demandeur a obtenu zéro point. Manifestement, il aurait dû obtenir quelques points dans cette catégorie, et le fait qu’il n’en ait obtenu aucun est le signe ici d’une injustice fondamentale.

 

[33]           Selon le demandeur, les notes du STIDI révèlent qu’aucun des arguments du 21 mars 2002 n’a jamais été lu ni examiné par l’agent. Le demandeur dit que, par exemple, les notes du STIDI mentionnent ce qui suit :

[traduction] ... le demandeur a obtenu une décision favorable en raison du fait qu’il travaillerait dans l’entreprise de son père – au cours de l’entrevue, il est devenu évident que son père n’avait jamais géré une boulangerie au Canada. Il m’est apparu, et il a été expliqué au requérant, que cela semblait constituer une fausse déclaration délibérée. Par conséquent, la décision favorable est nulle et sans effet.

 

 

 

[34]           Le demandeur dit que, manifestement, aucune des communications ni aucun des affidavits n’ont été lus dans cette affaire, parce que ces documents clarifient la méprise des fonctionnaires de l’immigration, pour qui le père du demandeur s’occupait d’une boulangerie au Canada alors que ce n’était pas le cas. Le demandeur lui‑même disait dans son affidavit que son père ne s’est jamais occupé d’une boulangerie au Canada. Edgar Francis, le premier employeur du demandeur, affirmait la même chose dans son affidavit. Le demandeur ne cherchait pas à déformer les faits. Au contraire, l’agent a tiré des conclusions de fait erronées sans tenir compte de la preuve dont il disposait.

 

[35]           En somme, le demandeur dit qu’il est amplement démontré qu’il a été traité injustement et d’une manière qui ignorait totalement la preuve documentaire.

 


Le défendeur

 

Les facteurs de l’expérience et de l’emploi réservé ont été adéquatement considérés

 

[36]           Selon le défendeur, à moins que le demandeur ne puisse démontrer que l’agent a ignoré les preuves pertinentes ou tenu compte de facteurs hors de propos, la décision de l’agent appelle un niveau élevé de retenue.

 

[37]           Le défendeur souligne que les notes du STIDI de l’agent, son affidavit et le dossier certifié du tribunal montrent clairement que l’agent a tenu compte de l’ensemble de la preuve et qu’il pouvait parfaitement n’accorder qu’un poids restreint au témoignage du demandeur, y compris les lettres de soutien, puisqu’elles ne font pas état des tâches que le demandeur devait exécuter. L’enquête effectuée par lui était régulière (Kianfer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2002 CFPI 1061).

 

[38]           Par ailleurs, le défendeur dit que, si le demandeur s’est vu délivrer trois autorisations d’emploi, cela ne prouve pas automatiquement qu’il pouvait s’acquitter des tâches énumérées dans la CNP. Le demandeur a reçu une formation de charpentier. Lors de l’entrevue, il n’a pu répondre à des questions élémentaires sur la fabrication du pain pita.

 

[39]           L’agent pouvait parfaitement accorder peu de poids à l’affirmation du demandeur ou à ses lettres de soutien car il était douteux que ce fût lui qui cuisait le pain pour Royal Pita Bakery, et encore plus douteux que ce fût lui qui formait le personnel à la fabrication du pain pita. Des autorisations d’emploi délivrées auparavant à titre temporaire peuvent constituer des indices, mais elles ne sont pas déterminantes dans l’attribution de la résidence permanente. S’il en est ainsi, c’est parce que l’agent n’est pas autorisé à s’enquérir du contexte des autorisations d’emploi ni de la raison pour laquelle elles ont été délivrées.

 

[40]           Selon le défendeur, le demandeur n’a pas prouvé que l’agent a ignoré lesdites autorisations ou n’importe quel autre élément de preuve. Au cours de l’entrevue, l’agent a interrogé le demandeur sur les autorisations, afin d’évaluer sa connaissance de la fabrication du pain pita. L’agent avait également le pouvoir discrétionnaire d’évaluer l’expérience du demandeur d’après les déclarations qu’il avait faites durant l’entrevue, et d’accorder moins de poids à ses documents écrits.

 

[41]           Le défendeur dit aussi que le demandeur n’a pu dissiper les doutes de l’agent concernant son emploi réservé, en particulier la lettre de soutien écrite par son père le 20 novembre 2000. L’agent a donné plusieurs fois au demandeur l’occasion de dissiper ses doutes. Le défendeur dit que, eu égard à l’ensemble de la preuve qu’il avait devant lui, l’agent n’a pas commis d’erreur en attribuant zéro point au demandeur pour l’expérience et pour l’emploi réservé.

 


La personnalité du demandeur a été bien évaluée

 

[42]           Le demandeur a obtenu zéro point pour le facteur de la personnalité, parce que l’agent a estimé qu’il avait déformé ses titres de compétence. Au cours de l’entrevue, l’agent avait informé le demandeur qu’il commençait à lui faire mauvaise impression et à susciter chez lui certains doutes. Il avait donné au demandeur l’occasion de dissiper les doutes en question.

 

[43]           L’agent ne s’est pas fondé sur des facteurs hors de propos ni n’a appliqué le mauvais critère juridique lorsqu’il a évalué la personnalité du demandeur. L’évaluation de la personnalité est un acte éminemment discrétionnaire qui appelle une retenue considérable. À moins que la décision n’ait été prise sans égard à la preuve, la Cour ne doit pas intervenir. Le demandeur n’est pas en mesure de prouver que l’agent a ignoré un quelconque élément de preuve (Rudani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 1922 (1re inst.)).

 

ANALYSE

 

[44]           Cette demande de contrôle judiciaire est plutôt étrange. Un examen du dossier tout entier révèle qu’il existe une preuve abondante qui appuie le récit donné par le demandeur à propos de son expérience et à propos de sa bonne intégration dans la société canadienne en tant que boulanger pâtissier.

 

[45]           Des erreurs ont été commises par le demandeur et par son entourage au cours du déroulement de sa demande. L’une de ces erreurs fut l’inscription des mots « FAWZI FRANCIS & FAMILY AND ROYAL PITA BAKING COMPANY » dans la section 5 de sa demande, puis des mots « PÈRE ET EMPLOYEUR » dans la section 6. Ils ont donné l’impression que c’est son père qui l’employait à la Royal Pita Bakery. Le demandeur s’est donné un mal fou pour dissiper cette fausse impression, et il dit que la situation est imputable à une erreur grammaticale commise au moment de remplir le formulaire. Fawzi Francis est son père, et Royal Pita son employeur. Cela semble convaincant, surtout si l’on se reporte aux affidavits justificatifs qui ont été établis par ceux qui connaissent le demandeur au Canada.

 

[46]           Cependant, il y a un aspect qui n’est pas expliqué dans le dossier et qui a appelé l’attention de l’agent. Il s’agit d’une lettre versée dans le dossier et datée du 20 novembre 2000, qui est rédigée sur du papier à lettre de la boulangerie Abou Fadi, de Windsor, en Ontario, et qui donne l’adresse de cette boulangerie. La lettre dit : « La présente confirme que M. Bassam Francis, notre fils, a travaillé pour nous, à la boulangerie familiale susmentionnée, de 1992 à 1999 ». La lettre est signée par le « propriétaire », et le nom qui y apparaît est Fawzi Francis. Fawzi Francis est le père du demandeur.

 

[47]           Lorsque le demandeur est arrivé au Canada en novembre 1999, il a travaillé pour la Royal Pita Bakery, laquelle appartenait à Edgar Francis (aucun lien de parenté) et à son frère Roger, jusqu’à ce qu’elle soit achetée aux frères Francis par Safa Nissan Dawood.


 

[48]           Fawzi Francis n’a jamais travaillé pour la Royal Pita Bakery.

 

[49]           Dans l’affidavit de l’agent, déposé en rapport avec cette demande, l’agent dit certaines choses qui rendent la situation encore plus mystérieuse :

[traduction]

3.             L’évaluation initiale de la demande a été effectuée le 9 avril 2001 par Elisa Tatro, analyste préposée au cas. J’ai passé en revue les notes du STIDI écrites par Mme Tatro, notes qui révélaient que le demandeur travaillait alors au Canada pour la boulangerie de son père. J’ai aussi examiné les notes du STIDI consignées le 11 avril 2001 par Raymond Gabin, agent des visas, notes où l’on peut lire que l’employeur et père du demandeur, Fawzi Francis, était arrivé au Canada en 1996 et souhaitait que son fils travaille dans la boulangerie familiale au Canada, puisqu’il avait travaillé dans leur boulangerie au Liban de 1992 à 1999.

 

 

4.             Il a semblé que Mme Tatro et M. Gabin ont fondé sur deux faits matériels leur hypothèse selon laquelle le demandeur allait travailler dans la boulangerie de son père au Canada. D’abord, le demandeur avait précisé, en réponse à la question 5 de son formulaire de demande de résidence permanente au Canada, que les personnes suivantes l’aideraient après son arrivée : « Fawzi Francis & Family and Royal Pita Baking Company » et, en réponse à la question 6 du même formulaire de demande, que le lien de parenté entre le demandeur et la personne désignée dans la question 5 est le « père et employeur ». Ce renseignement figure à la page 100 du dossier certifié du Tribunal.

 

 

5.             Deuxièmement, il y avait une lettre datée du 20 novembre 2000 – qui se trouve à la page 119 du dossier certifié du Tribunal – signée « Fawzi Francis, propriétaire ». Cette lettre disait que le demandeur, « notre fils », avait travaillé pour la boulangerie familiale au Liban de 1992 à 1999. L’en‑tête indique que le père du demandeur gérait la « boulangerie Abou Fadi », et l’adresse indiquée était 3156, rue Suffolk, Windsor (Ontario), N8R 1P2.

 

 

6.             Cette information a été présentée à Paul Whelan, un agent d’immigration, qui a recommandé l’exercice favorable du pouvoir discrétionnaire à l’égard du demandeur, puisqu’il était évident que, après premier examen, le demandeur n’obtenait pas un nombre suffisant de points d’appréciation pour répondre aux critères de sélection en vue de l’immigration.

 

 

...

 


 

13.           Au cours de l’entrevue, j’ai prié le demandeur de me dire si Royal Pita était une entreprise qui appartenait à la famille du demandeur. Le demandeur a répondu que son père n’avait jamais été propriétaire ou employé de Royal Pita et que Royal Pita n’était pas une entreprise familiale. J’ai également prié le demandeur de dire s’il travaillait pour son père. Il a déclaré n’avoir jamais dit qu’il travaillait au Canada pour son père. Il a déclaré que toute erreur touchant la propriété de Royal Pita était probablement due au fait que le propriétaire de Royal Pita s’appelait lui aussi Francis, bien qu’il n’eût aucun lien de parenté avec le demandeur.

 

 

14.           J’ai montré au demandeur la lettre de soutien signée par son père le 20 novembre 2000, lettre qui mentionnait que le demandeur avait travaillé pour lui comme boulanger pâtissier. Je lui ai fait remarquer l’en‑tête, « Boulangerie Abou Fadi », et l’adresse, « 3156, rue Suffolk, Windsor (Ontario), N8R 1P2 ». J’ai prié le demandeur d’expliquer si cela signifiait qu’il travaillait à la boulangerie de son père à Windsor. Le demandeur n’a pas répondu et a semblé embarrassé. Je lui ai aussi demandé d’expliquer les réponses aux questions 5 et 6 de son formulaire IMM 8, Demande de résidence permanente au Canada. Je lui ai demandé d’expliquer ce que signifiaient les mentions inscrites. Là encore, le demandeur n’a pas répondu.

 

 

 

[50]           À première vue, il semble qu’il y a eu, de la part du demandeur et/ou de son père, tromperie délibérée. Il est facile de voir pourquoi le personnel de l’immigration a fini par penser que le demandeur travaillerait comme boulanger pour son père au Canada.

 

[51]           Mais la lettre du 20 novembre 2000 dit que le demandeur avait travaillé pour son père à la boulangerie Abou Fadi entre 1992 et 1999, années au cours desquelles le demandeur se trouvait au Liban. Et la boulangerie Abou Fadi était au Liban. La difficulté est d’expliquer pourquoi la lettre du 20 novembre 2000 indique Windsor (Ontario) comme adresse de la boulangerie Abou Fadi. Ce point n’est pas expliqué directement dans les pièces produites par le demandeur, et il est facile de voir pourquoi un doute persistant a pu naître dans l’esprit de l’agent.

 

[52]           Si la famille avait voulu donner l’impression que le demandeur travaillerait pour son père dans une boulangerie à Windsor, en Ontario, lorsqu’il est arrivé au Canada, il n’est pas logique que la lettre du 20 novembre 2000 dise qu’il avait travaillé pour son père entre 1992 et 1999 (années au cours desquelles il se trouvait au Liban) à la boulangerie Abou Fadi, qui se trouve au Liban. L’erreur n’expliquait pas à l’agent comment l’adresse « Windsor (Ontario) » avait pu figurer dans la lettre. En réalité, nous ne le savons encore pas.

 

[53]           À mon avis, cette erreur a coûté au demandeur la confiance de l’agent. De réels efforts ont été faits pour corriger l’impression des agents d’immigration, persuadés que le demandeur travaillerait pour son père au Canada.

 

[54]           Il est vrai que, dans sa décision, l’agent fait état d’autres points qui lui faisaient douter que le demandeur eût l’expérience de la boulangerie qu’il prétendait avoir, mais, après examen du dossier tout entier, je crois pouvoir dire que la fausse impression produite par la lettre du 20 novembre 2000 a déformé tout le reste et empêché l’agent d’apprécier à leur juste valeur les autres éléments de preuve qu’il avait devant lui. Je suis d’avis finalement que c’est une malencontreuse erreur qui a fait échouer le demandeur dans sa demande de résidence permanente : l’utilisation par Fawzi Francis d’une adresse de Windsor, en Ontario, pour une entreprise libanaise. Cela est malheureux, et il serait injuste, et fort peu canadien, de laisser cette erreur dominer la situation tout entière et empêcher un jeune homme de rejoindre sa famille au Canada.

 

[55]           En termes juridiques, l’erreur a empêché l’agent (à qui aucune faute ne peut être imputée) de considérer l’ensemble de la preuve et de tenir compte d’éléments de preuve tout à fait à propos lorsqu’il a entrepris d’évaluer l’expérience, l’emploi réservé et la personnalité du demandeur.

 

[56]           Il serait peu judicieux de laisser subsister cette décision, et cela parce que l’erreur et les conséquences qu’elle peut avoir la rendent manifestement déraisonnable.

 

                                        ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         Cette demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour réexamen.

 

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

               « James Russell »           

 Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

 

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                   IMM‑1515‑03

 

 

INTITULÉ :                  BASSAM FAWZI FRANCIS c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                LE 10 MARS 2004

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                   LE JUGE RUSSELL

 

 

DATE DES MOTIFS : LE 24 MARS 2004

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

 

Sandra Saccucci Zaher

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Matina Karvellas

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

Sandra Saccucci Zaher

Avocate

Windsor (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 


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