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     Date: 20001110

     Dossier: IMM-5254-99


Entre :

     REDHA BOUCHAIB

     Partie demanderesse

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     Partie défenderesse



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE PINARD :

[1]      La demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 30 septembre 1999 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié statuant que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]      Le demandeur est citoyen de l'Algérie. Il allègue avoir quitté son pays à cause de son refus de rendre le service militaire. Les faits suivants sont tirés de la décision du tribunal et de la preuve documentaire :

[-]      Le demandeur a été en sursis militaire de janvier 1993 à décembre 1997.
[-]      En février 1997, le demandeur a obtenu un visa d'étudiant pour étudier à une école américaine de pilotage. Il serait donc allé vivre aux États-Unis du 2 mars 1997 au 11 février 1999.
[-]      À la suite d'une demande faite en décembre 1997, le demandeur aurait été informé par l'ambassade algérienne à Washington qu'il n'était pas possible pour eux de lui fournir un autre sursis. Toutefois, on lui aurait offert de transmettre sa demande à un bureau de recrutement en Algérie s'il leur fournissait son dernier sursis et la preuve de son inscription académique.
[-]      En février 1998, le demandeur aurait plutôt transmis son sursis militaire expiré et son certificat de scolarité à son père en Algérie. Son père n'aurait pas reçu la lettre.
[-]      En septembre 1998, le demandeur a été informé par un avocat américain qu'il ne pouvait pas revendiquer le statut de réfugié aux États-Unis puisqu'il s'y trouvait depuis plus d'un an. Il serait donc arrivé au Canada le 11 février 1999, où il a revendiqué le statut de réfugié le même jour.


[3]      La Section du statut de réfugié a rejeté la demande du demandeur pour le motif que la preuve n'était pas suffisante pour établir qu'il avait une crainte bien fondée de persécution. Dans un premier temps, le tribunal a conclu que le fait d'avoir omis de revendiquer le statut de réfugié lors de son séjour aux États-Unis mine la crainte subjective du demandeur. Quoi qu'il s'agisse là d'un facteur important à considérer en matière de revendication de statut, ce n'est pas un facteur déterminant en soi qui puisse être examiné en isolation (voir Huerta c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (17 mars 1993), A-448-91 (C.F., Appel)). Le tribunal doit en outre tenir compte des explications offertes, s'il y en a, quitte, si elles ne sont pas suffisamment convaincantes, à les écarter (voir Hue c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (8 mars 1988), A-196-87 (C.F., Appel)).

[4]      Dans son témoignage, le demandeur a expliqué qu'il se sentait en sécurité totale pendant les 19 ou 20 mois qu'il s'est trouvé légalementaux États-Unis, c'est-à-dire jusqu'à la fin septembre ou octobre 1998. Il a expliqué n'avoir envisagé de revendiquer le statut aux États-Unis qu'en septembre 1998, c'est-à-dire dès l'expiration de son visa d'étudiant dans ce pays. Le demandeur a aussi expliqué avoir consulté un avocat américain en septembre 1998 concernant une revendication possible de statut de réfugié. Le tribunal passe toutes ces explications sous silence.

[5]      La Section du statut de réfugié a aussi reproché au demandeur son omission de donner suite à l'offre de l'ambassade de faire suivre sa demande de sursis. À cet égard, dans son témoignage, le demandeur a expliqué qu'il a dû traiter non avec l'ambassade, mais plutôt avec un bureau militaire algérien à Washington, décrivant la situation comme suit aux pages 1184 et 1185 du dossier du tribunal :

         . . . je lui ai dit : « Voilà Monsieur que je veux régulariser ma situation par rapport au service militaire. » La première des choses que je me souviens très très, bien, il m'a dit : « Vous vous enfuyez du pays et vous cherchez à régulariser votre situation? . . .
         [. . .]
         . . . Je me disais ce type, il me menace déjà. . . . comment puis-je lui envoyer des documents légals (sic)? . . . peut-être qu'il va les déchirer, il m'avait vraiment fait très peur. Qu'est-ce que j'ai fait, j'ai pris mon sursis, mon certificat et je l'ai envoyé à mon père qui est une voie plus . . . plus assurée. . . .


Encore là, l'explication est passée sous silence.

[6]      Le tribunal semble aussi conclure que le demandeur n'a pas invoqué de « motif profond » qui en ferait un objecteur de conscience. Il a motivé sa conclusion par la constatation que le demandeur « ne répond pas aux critères décrits dans le guide HCR (article (sic) 167 à 171). La peur d'être tué ou de tuer n'en fait pas un objecteur de conscience » .

[7]      Or, la preuve du demandeur ne se limite pas à la simple peur d'être tué ou de tuer. En effet, celui-ci indique ce qui suit dans son Formulaire de renseignements personnels :

         Je refuse d'être placé dans des situations où je pourrais avoir à commettre des actes hautement répréhensibles contre mes compatriotes, hommes, femmes et enfants actes allant de la simple brimade, au viol, à l'assassinat, à la torture, etc.


Il répète cette aversion lors de son témoignage comme suit :

         En `94 . . . il y a un chars qui a passé sur une dame qui était docteur, qui l'a écrasée. C'est pour ça que j'ai peur. Le jour où je reviens en Algérie, je serai obligé de commettre des actes, de tuer des civils, des enfants, des garçons. C'est ma conscience ne . . . ne me permet pas de faire. . . .


[8]      Ces explications sont elles aussi passées sous silence. La peur de tuer ou de torturer des civils peut certes constituer un élément très sérieux à considérer en matière d'objection de conscience, si l'on tient compte des critères décrits dans le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (voir aussi l'affaire Zolfagharkhani c. Canda (M.E.I.), [1993] 3 C.F. 540 (C.F., Appel)).

[9]      Enfin, le demandeur a soumis un grand nombre de documents, à l'appui de son objection de conscience, décrivant les actes de terrorisme commis par l'armée algérienne. Cette preuve documentaire est également passée sous silence dans la décision. Toutes ces omissions du tribunal concernent des explications offertes par le demandeur portant sur des éléments essentiels de sa revendication, explications qui, à mon sens, méritaient sérieuse considération. Compte tenu, donc, du nombre et de l'importance de ces omissions, je suis d'avis que le demandeur a repoussé le fardeau d'établir que le tribunal a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait sans tenir compte d'importants éléments dont il disposait (voir l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7).

[10]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée devant la Section du statut de réfugié différemment constituée pour nouvelles considération et décision.




                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 10 novembre 2000


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