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Date : 20000425


Dossier : IMM-315-99

OTTAWA (ONTARIO), LE MARDI 25 AVRIL 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX


ENTRE :



ASAD JAVED SHEIKH


demandeur

ET


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


défendeur




ORDONNANCE


     Pour les motifs prononcés, la décision de la Section du statut de réfugié est annulée et la revendication du demandeur est renvoyée pour un nouvel examen devant un tribunal différemment constitué.

    

     Les parties n"ont soulevé aucune question à certifier à l"audience et aucune n"est formulée.


" François Lemieux "


JUGE

Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.





Date : 20000425


Dossier : IMM-315-99


ENTRE :



ASAD JAVED SHEIKH


demandeur

ET


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


défendeur





MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE LEMIEUX

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire d"une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la Section du statut de réfugié) rendue le 23 décembre 1998, selon laquelle le demandeur, Asad Javed Sheikh, un citoyen du Pakistan âgé de 29 ans, n"a pas établi une crainte fondée d"être persécuté, s"il retournait au Pakistan, en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social.

LA REVENDICATION DU DEMANDEUR

[2]      L"élément déterminant de la revendication du demandeur découle de son adhésion à la Fédération populaire des étudiants (FPÉ) en 1993, alors qu"il était au Collège du commerce à Sialkot (Pakistan), et de son adhésion au Parti populaire pakistanais (PPP) en 1994, alors dirigé par Benazir Bhutto.

[3]      Il prétend avoir participé aux élections nationales que le PPP a remportées au mois d"octobre 1993 en tant qu"organisateur du parti, ainsi qu"aux élections tenues au mois de décembre 1996, remportées par la Ligue musulmane du Pakistan (LMP) qui a formé le gouvernement (jusqu"à récemment, avant que le régime militaire soit imposé).

[4]      Dans le contexte de cette rivalité, le demandeur a dû affronter les organisateurs de la LMP et, plus particulièrement, l"influente famille Butt. Salam Butt était le secrétaire général de la Ligue musulmane des étudiants quand le demandeur était au collège en 1993. Le demandeur dit que quand le PPP a remporté les élections en 1993, des mesures ont été prises contre la corruption : une des personnes visées était un dirigeant de la LMP du nom de Munsha Butt, le frère de Salam Butt. Il a été arrêté et remis en liberté en mai 1995, grâce à un pot-de-vin. Le PPP a protesté; le demandeur a organisé un rassemblement et des altercations ont eu lieu. Munsha Butt a été arrêté de nouveau et il a été envoyé en prison. En avril 1996, la police a arrêté Salam Butt; il est allé en prison et il en a rejeté la responsabilité sur le demandeur. Au mois de novembre 1996, Munsha et Salam Butt ont été remis en liberté sous caution. Selon le demandeur, le gouvernement provisoire a remis en liberté les partisans de la LMP sans égard à la gravité de leurs crimes.

[5]      L"évènement qui a eu pour effet de précipiter le départ du demandeur du Pakistan vers le Canada s"est produit au mois de décembre 1996. Le demandeur, dans son FRP, décrit cet évènement comme suit :

         [traduction]
         Au début du mois de décembre 1996, alors que je m"occupais de la campagne électorale des candidats du PPP, Salam Butt m"a une fois de plus menacé, me répétant que je connaîtrais bientôt les conséquences de mon appui au PPP et du rapport que j"avais fait à la police.
         Le 10 décembre 1996, mon collègue Raouf et moi-même avons distribué des affiches et des dépliants pour les candidats du PPP de notre secteur. Je suis allé à son domicile ce soir-là et j"y suis resté un moment. Alors que j"étais là, la police a effectué une descente chez lui et quelques coups de feu ont été tirés. Raouf et deux de ses collègues, qui ont été gravement blessés lors de la descente, ont été arrêtés. La police a dit qu"ils étaient impliqués dans des vols de milliers de roupies. Plus tard, l"un d"eux est mort alors qu"il était détenu par la police. L"officier qui avait supervisé et dirigé la descente était apparemment anti-PPP et il avait été suspendu par le gouvernement du PPP, mais le gouvernement provisoire l"avait réintégré et il avait commencé à prendre des mesures sévères contre les partisans du PPP.
         Le 11 décembre, la police a effetué une descente chez moi. Après avoir fouillé la maison, ils ont dit que le voleur présumé qui était mort alors qu"il était détenu par la police leur avait dit que faisais partie de leur groupe. Ils voulaient m"arrêter, mais c"était une invention pure et simple de leur part. Ils voulaient m"arrêter parce que j"appuyais le PPP, comme ils l"avaient fait pour mon ami Raouf dont le seul crime était d"être un membre dévoué et un travailleur acharné du PPP. J"ai réussi à m"échapper alors que plus de policiers entraient dans ma maison. Je me suis caché.
         Plus tard, mon père m"a informé que Salam et Munsha Butt étaient derrière tout cela et qu"ils avaient fait des pressions auprès de la police pour qu"elle m"arrête. Ils ont aussi menacé mon père, tandis que la police harcelait ma famille. Mon père m"a conseillé de quitter le pays étant donné que je n"avais pas vraiment d"autre choix.
         Récemment, la police pakistanaise a donné l"ordre spécial de " tirer pour tuer " pour combattre le terrorisme grandissant au pays. En vertu de cette ordonnance, la police peut tuer n"importe qui, pour autant qu"elle considère cette personne comme un terroriste. Étant donné cette ordonnance et tout ce qui s"est passé récemment, je ne pourrais sincèrement espérer aucune justice de la part du présent régime si je retournais dans mon pays .              [Non souligné dans l"original]

[6]      À l"audition de sa revendication du statut de réfugié, le demandeur a déposé en preuve les documents suivants :

     a)      comme pièce P-1, son FRP;
     b)      comme pièce P-2, sa carte d"identité nationale;
     c)      comme pièce P-3, sa carte de membre du PPP, portant le numéro 568058;
     d)      comme pièce P-4, la lettre de son avocat, en date du 16 octobre 1998, qui se lit :
         [traduction]
         SH Asad Javed, fils de SH Javed Iqbal, résidant de façon permanente sur le chemin Pasfur à Sialkot, est mon client. Je suis allé au poste de police la semaine dernière. Bien qu"il n"y ait pas de poursuite déposée contre lui, je suppose qu"il y en aura une en raison de ses démêlés avec la police. La police peut faire et fera quelque chose d"illégal contre lui en l"impliquant dans une affaire politique fictive, parce qu"il est un membre actif du Parti populaire pakistanais. Après avoir examiné l"affaire, je recommande que M. Asad reste au Canada jusqu"à ce que la situation soit plus favorable.
     e)      comme pièce P-5, une lettre en date du 18 octobre 1998, signée par Babar Shaheen, président de la FPÉ à Sialkot, qui se lit :
         [traduction]
             La présente a pour but de certifier que M. Sh. Asad Javed était un membre actif et un travailleur acharné de la Fédération populaire des étudiants. Il est devenu membre le 10 août 1993 et il a consacré son temps à la FPÉ.
             M. Asad a travaillé lors de la campagne électorale d"octobre 1993 avec d"autres camarades étudiants. Il a aussi apporté son aide dans différents programmes d"organisation.
             Il a fait face à des problèmes que lui ont causé des membres d"autres organisations d"étudiants.
             Je lui souhaite du succès dans sa vie future.
         Signé : Le président de la Fédération populaire des étudiants, Sialkot.
     f)      comme pièce P-6, son certificat de naissance;
     g)      comme pièce P-7, une lettre en date du 20 septembre 1998, écrite par Ali Hussain, le secrétaire général du PPP à Sialkot, qui se lit :
         [traduction]
         Je certifie que M. Sheikh [...] est membre du Parti populaire pakistanais depuis le 2 novembre 1994.
         M. Sheik était toujours présent à nos activités. Il était un travailleur très actif au sein du Parti populaire pakistanais. Il est très connu en raison de sa participation à des activités politiques. Ses activités ont entraîné des dangers pour sa vie.
         Ses adversaires de la Ligue musulmane du Pakistan lui ont causé des difficultés et ont menacé de le tuer.
         Il lui est devenu impossible d"être en sécurité au Pakistan. Il a donc dû quitter le pays. Je lui souhaite la sécurité et le succès dans sa vie future.
     h)      comme pièce P-8, une lettre en date du 18 octobre 1998, écrite par Kadeer Khokhar, président du PPP à Sialkot, qui se lit :
         [traduction]
         Je certifie que je connais bien M. Sheikh Asad Javed et qu"il travaillait de toutes ses forces pour le Parti.
         M. Asad Javed a travaillé aux campagnes électorales du mois d"octobre 1993 et du mois de février 1997. Il a incité les électeurs à voter pour le Parti. Ses rivaux de la Ligue musulmane du Pakistan et ses alliés lui ont causé des problèmes.
         Si vous désirez obtenir plus de renseignements, communiquez avec le soussigné.


LA DÉCISION DE LA SECTION DU STATUT DE RÉFUGIÉ

[7]      L"analyse de la Section se divise en deux parties principales : a) la crédibilité; b) la vraisemblance. En ce qui concerne la crédibilité, la Section a examiné trois éléments :

     1)      l"appartenance politique;
     2)      les évènements des 10 et 11 décembre 1996;
     3)      l"arrestation du père du demandeur.

Quant à la question de la vraisemblance, la Section n"a examiné qu"un élément, soit la descente de police du 11 décembre 1996. J"examinerai ces questions dans le même ordre que la Section.

     1)      La crédibilité
         i)      L"appartenance politique

[8]      La Section du statut de réfugié a admis que l"appartenance politique du demandeur était appuyée par les pièces P-3, P-5, P-7 et P-8, soient des lettres et une carte de membre, mais elle a dit que certaines de ces pièces soulevaient [traduction ] " quelques interrogations ".

[9]      Premièrement, la Section du statut de réfugié a porté son attention sur la pièce P-5 et elle a souligné qu"elle :

         [traduction]
         [...] est signée par Babar Shaheen qui est selon le revendicateur le président des collèges à Sialkot pour chacun desquels il existe une section de la FPÉ ayant son propre président. Il est certainement difficile de comprendre pourquoi M. Shaheen a signé la pièce P-5 en tant que président de la Fédération populaire des étudiants de Sialkot, sans faire référence aux autres établissements d"enseignement.                      [Non souligné dans l"original]

[10]      Deuxièmement, la Section du statut de réfugié a examiné attentivement la pièce P-3, soit la carte de membre du PPP, sur laquelle sont imprimées cinq devises du parti. La Section du statut de réfugié a conclu :

         [traduction]
         Par surcroît, il a été demandé au revendicateur de décrire la devise de la FPÉ et le revendicateur a répondu en mentionnant quatre (4) supposées devises. En fait, cinq (5) devises connues apparaissent sur la pièce P-3 (la carte de membre). Une des quatre qu"il a mentionnées n"est pas une devise mais est plutôt une phrase qui apparaissait à la pièce P-5, une lettre de la FPÉ. Conséquemment, le revendicateur a démontré qu"il était incapable de préciser le slogan de son parti.

                                 [Non souligné dans l"original]


[11]      Troisièmement, encore relativement à la pièce P-3, la carte de membre, la Section du statut de réfugié a dit :

         [traduction]
             Le revendicateur a témoigné qu"il n"avait qu"une seule carte de membre, émise le 2 novembre 1994 et valide jusqu"au 2 novembre 1996, et qu"il n"avait pas eu le temps de la renouveller par la suite. Curieusement, il apparaît clairement de la pièce originale qu"elle a été émise au mois de novembre 1996, et il apparaît aussi clairement qu"il s"agit d"une deuxième carte, étant donné qu"il y a une référence à un numéro de carte antérieur.                      [Je souligne]

[12]      Quatrièmement, examinant encore la carte de membre du demandeur, la Section du statut de réfugié écrit :

         [traduction]
             De plus, selon le revendicateur, le représentant du parti qui a signé sa carte de membre serait M. Khalil, responsable du bureau de district du secteur 103. Cependant, la pièce P-3 démontre qu"il est le président de la PPP à Sialkot pour le secteur 102, et non 103.
         ii)      Les évènements du 10 et du 11 décembre 1996
[13]      La Section du statut de réfugié, sur ce point, a simplement indiqué :
         [traduction]
         Le revendicateur a témoigné que quatre (4) personnes distribuaient les dépliants, ce qui va à l"encontre de son FRP, dans lequel il a affirmé " mon collègue Raouf et moi-même ".                  [Non souligné dans l"original]
         ii)      L "arrestation du père du demandeur
[14]      La Section du statut de réfugié indique :
         [traduction]
             Le revendicateur a témoigné au sujet de l"arrestation de son père et de son obligation de se présenter à la police mais il a omis de le mentionner dans son FRP, à l"exception de l"évènement du mois de décembre 1996.
     2)      La vraisemblance : la descente de police du 11 décembre 1996

         au domicile familial

[15]      Dans son analyse, la Section du statut de réfugié a émis les réserves suivantes :
     1)      La Section du statut de réfugié a émis l"hypothèse que : [traduction ] " Une personne peut se demander pourquoi la police n"a pas arrêté le revendicateur quand elle a effectué une descente à la résidence de son ami étant donné que selon le revendicateur, Raouf a été arrêté parce qu"il était un "membre dévoué et un travailleur acharné du PPP". "
     2)      Mentionnant les pièces P-5 et P-7, la Section du statut de réfugié a dit que ces lettres [traduction] " ne mentionnent pas la descente du 11 décembre 1996, qui est l"évènement déterminant qui a fait que le demandeur a quitté son pays et qu"il a recherché la protection ".
     3)      Faisant référence à la pièce P-4, la lettre de l"avocat du demandeur, la Section du statut de réfugié a dit qu"il était étonnant que le demandeur n"ait pas communiqué avec son avocat avant le mois d"octobre 1998 quant à un problème qui avait commencé au mois de décembre 1996. La Section du statut de réfugié mentionne qu"il ressort de la lettre de l"avocat du demandeur qu"il n"y a aucune poursuite pendante contre le demandeur et elle a conclu que l"opinion de l"avocat quant au retour du demandeur au Pakistan était de nature strictement personnelle; il en résulte que le tribunal n"a accordé aucune force probante à cette pièce.
     3)      Les conclusions de la Section du statut de réfugié
[16]      À la suite de son analyse, la Section du statut de réfugié a conclu :
         [traduction]
             L"ensemble de cette preuve documentaire est fortement contradictoire et va à l"encontre du témoignage du revendicateur sur des éléments déterminants de sa revendication. La preuve documentaire met aussi en évidence le caractère invraisemblable de la présente revendication.
             Pour tous les motifs exposés ci-dessus, en tenant compte du nombre de pièces, desquelles ressortent des divergences, et de toutes les contradictions, le tribunal conclut que le revendicateur n"a pas réussi à établir qu"il avait une crainte fondée de persécution.              [Non souligné dans l"original]

LA QUESTION EN LITIGE

[17]      La seule question soulevée en l"espèce est la suivante : Le tribunal a-t-il fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive, ou sans tenir compte des éléments de preuve qui lui étaient soumis?

ANALYSE

[18]      La Section du statut de réfugié a fondé sa décision sur la conclusion que " [l]"ensemble de cette preuve documentaire est fortement contradictoire et va à l"encontre du témoignage du revendicateur sur des éléments déterminants de sa revendication " et que " [l]a preuve documentaire met aussi en évidence le caratère invraisemblable [...] ", et elle ajoute " en tenant compte du nombre de pièces, desquelles ressortent des divergences, et de toutes les contradictions, le tribunal conclut [...] ".

     a)      Les principes

[19]      C"est un principe bien établi à la Cour que c"est à la Section du statut de réfugié, de par sa compétence spécialisée, qu"il appartient de trancher les questions d"appréciation de la preuve. Le juge Thurlow, s"exprimant au nom de la Cour d"appel fédérale dans l"arrêt Procureur général du Canada c. Jolly , [1975] C.F. 216, à la page 223, le formule ainsi :

         Savoir si le document était digne de foi, cohérent, quelles conclusions on pouvait en tirer, voilà des question de fait qu"il appartenait à la Commission de trancher personnellement dans le cadre de sa compétence.

(Voir aussi Brar c. Le ministre de l"Emploi et de l"Immigration, A-987-84, le 29 mai 1986, (C.A.F.).)

[20]      Dans l"affaire Kumar c. Le ministre de l"Emploi et de l"Immigration, A-1294-91, décision rendue le 4 mars 1993, (C.A.F.), le tribunal n"a pas considéré comme fiable le témoignage du revendicateur et s"était appuyé sur de nombreuses contradictions. Le juge d"appel Décary, s"exprimant au nom de la Cour, a dit ceci :

             Le tribunal d"accès, en l"espèce, n"a pas jugé fiable le témoignage du revendicateur. Il s"est appuyé sur les nombreuses contradictions qu'il y a décelées, principalement en ce qui a trait aux dates attribuées par le requérant aux principaux événements sur lesquels il fondait sa crainte de persécution. De plus, le tribunal n"a pas jugé plausible la survenance des trois arrestations alléguées par le requérant et la libération particulièrement facile de celui-ci à chaque occasion.
             Il appartenait au tribunal de tirer ses propres conclusions quant aux contradictions décelées dans le témoignage, tout comme il lui appartenait d"apprécier la plausibilité du récit. Il l"a fait d'une manière qui ne justifie pas l"intervention de cette Cour.

[21]      En ce qui concerne la conclusion d"invraisemblance, l"arrêt Aguebor c. Le ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1993), 160 N.R. 315, réaffirme clairement la démarche appropriée :

         [4]      Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu"est la Section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d"un récit et de tirer les inférences qui s"imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d"attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

[22]      Toutefois, les conclusions de la Section du statut de réfugié se rapportant à la crédibilité ne sont pas soustraites à la surveillance de la Cour, et ce principe a été établi par une longue série de décisions.

[23]      Les divergences sur lesquelles s"appuie la Section du statut de réfugié doivent être réelles (Rajaratnam c. M.E.I., 135 N.R. 300 (C.A.F.). La Section du statut de réfugié ne doit pas mettre un zèle " [...] à déceler des contradictions dans le témoignage du requérant [...] elle ne devrait pas manifester une vigilance excessive en examinant à la loupe [les éléments de preuve] " (Attakora c. M.E.I. (1989), 99 N.R. 168, au paragraphe 9). Les contradictions ou l"incohérence doivent être raisonnablement liées à la crédibilité du demandeur (Owusu-Ansah c. Le ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1989), 98 N.R. 312 (C.A.F.). Il doit être tenu compte des explications qui ne sont pas manifestement invraisemblables (Owusu-Ansah., précité).

[24]      De plus, un autre groupe de décisions établit le principe que les incohérences retenues par la Section du statut de réfugié doivent être importantes et déterminantes pour la revendication (Mahathmasseelan c. Canada (M.E.I.), 15 Imm L.R. (2d) 30 (C.A.F.)) et ne doivent pas être exagérées. Le juge d"appel Marceau, dans l"arrêt Djama c. Le ministre de l"Emploi et de l"Immigration, A-738-90, en date du 5 juin 1992, a exposé le principe de la façon suivante :

         A notre avis, les membres du Tribunal ont nettement exagéré la portée des quelques hésitations, imprécisions ou contradictions apparentes qu"ils avaient pu déceler dans les propos du revendicateur et ils ne pouvaient, sur cette base seule, traiter l"ensemble de son témoignage comme étant celui d"un menteur. Leur fixation sur les détails de l"histoire qu"il disait être la sienne leur a fait oublier, il nous semble, l"essentiel de ce sur quoi il fondait sa réclamation.

[25]      Dans la présente affaire, il est important de souligner que la Section du statut de réfugié n"a pas conclu à une absence totale de crédibilité du demandeur, ce qui, dans des circonstances appropriées pourrait mener à l"application du principe énoncé par l"intimé dans l"arrêt Sheikh c. Le ministre de l"Emploi et de l"Immigration, [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.), qui aurait piour effet d"éliminer l"ensemble de la preuve présentée par un réfugié. Ce que la Section du statut de réfugié a dit, c"est que certaines pièces soulevaient " quelques interrogations " et elle a conclu que la preuve documentaire du demandeur était fortement contradictoire.

[26]      Je suis d"avis que l"intervention de la Cour est justifiée pour plusieurs raisons.
     a)      Les conclusions portant sur la crédibilité

[27]      Premièrement, certaines des contradictions constatées n"étaient pas réelles mais étaient des suppositions de la Section du statut de réfugié. Cela a été le cas pour l"analyse de la pièce P-5 alors que le tribunal a conclu qu"il était difficile de comprendre pourquoi M. Shakeen n"avait pas fait référence aux quatre collèges de Sialkot quand il avait signé en tant que président de la fédération étudiante dans cette ville. La Section du statut de réfugié n"a pas mis en doute qu"il était le président de la FPÉ pour la ville entière. Il n"y a aucun fondement pour conclure à une contradiction dans ce cas-là.

[28]      Deuxièmement, la portée de plusieurs contradictions ou omissions a été clairement exagérée. La conclusion du tribunal selon laquelle " le revendicateur a démontré qu"il était incapable de préciser le mot d"ordre de son parti " alors qu"il avait mentionné quatre des cinq devises mais qu"une de ses devises provenait de l"en-tête d"une lettre de la FPÉ est déraisonnable. Une revendication du statut de réfugié ne devrait pas être réglée sur la base d"un test de mémoire. La même chose peut être dite à propos de la carte de membre signée par M. Khali en tant que responsable du bureau de district du secteur 102, alors que c"était pour le secteur 103.

[29]      Troisièmement, l"inspection minutieuse faite par la Section du statut de réfugié de la carte de membre du demandeur n"était pas pertinente, la Section n"ayant pas mis en doute le fait que le demandeur était membre du parti pendant la période pertinente.

[30]      Quatrièmement, je qualifie de tout au plus marginale la déduction faite par la Section du statut de réfugié relativement au témoignage du demandeur sur la question de savoir combien de gens avaient distribué des dépliants le 10 décembre lorsque la police avait fait irruption dans la maison de son ami, qu"elle était repartie avec quelques personnes et qu"une de ces personnes était décédée. Par surcroît, la Section du statut de réfugié n"a tiré aucune conclusion à partir de cette déduction. Elle n"a pas dit que les évènements du 10 décembre 1996 ne s"étaient pas produits.

     c)      Les conclusions quant à la non-plausibilité

[31]      Tel qu"il a été énoncé dans Aguebor (précité), il appartient au demandeur de démontrer que les conclusions de la Section du statut de réfugié étaient déraisonnables. J"ai conclu qu"elles l"étaient pour les raisons suivantes.

[32]      Premièrement, le demandeur a fourni une explication vraisemblable pour expliquer pourquoi il n"avait pas été arrêté dans la nuit du 10 décembre 1996. C"est parce qu"il ne s"était pas opposé à l"arrestation d"Ajimal. La Section du statut de réfugié n"a pas abordé cette question et n"a pas tenu compte du reste du témoignage du demandeur selon lequel la police avait effectué une descente à son domicile familial cette nuit-là et qu"il avait fui.

[33]      Deuxièmement, je qualifie de la même manière l"examen qu"a fait la Section du statut de réfugié du fait que le demandeur n"avait pas mentionné l"arrestation de son père dans son FRP. Une explication vraisemblable a été fournie (à la page 70 de la transcription), mais la Section n"a pas examiné cette question et n"a pas conclu que le père du demandeur n"avait pas été arrêté.

CONCLUSION

[34]      Pour tous ces motifs, la décision de la Section du statut de réfugié est annulée et la revendication du demandeur est renvoyée pour un nouvel examen devant un tribunal différemment constitué.

[35]      Les parties n"ont soulevé aucune question à certifier à l"audience et aucune n"est formulée.

" François Lemieux "

JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

LE 25 AVRIL 2000


Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




No DU GREFFE :                  IMM-315-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          ASAD JAVED SHEIKH

                         c.

                         M.C.I.

LIEU DE L"AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L"AUDIENCE :              LE 26 OCTOBRE 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DU JUGE LEMIEUX

EN DATE DU :                  25 AVRIL 2000




ONT COMPARU :

M. MICHEL LE BRUN                  POUR LE DEMANDEUR
MME EDITH SAVARD                  POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. MICHEL LE BRUN                  POUR LE DEMANDEUR
M. Morris Rosenberg                     
Sous-procureur général du Canada              POUR LE DÉFENDEUR
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