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Date : 20211126


Dossier : IMM‑6463‑20

Référence : 2021 CF 1310

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2021

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

QUANGUO WEI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie du contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] portant qu’il n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

Contexte

[2] Le demandeur est un citoyen de la Chine. Il affirme qu’en raison de maux de dos, il a commencé à pratiquer le Falun Gong en mai 2017. Toutefois, en tant qu’adepte du Falun Gong, il craignait d’être découvert et arrêté par le Bureau de la sécurité publique. Un passeur, aussi appelé « tête de serpent », a donc été embauché pour l’aider à obtenir un visa canadien de visiteur. Il est venu au Canada le 13 juin 2018 et il a présenté une demande d’asile en août de la même année. Dans une décision datée du 27 novembre 2019, la SPR a rejeté sa demande. Elle a jugé que le demandeur n’était pas crédible en raison de sa méconnaissance du Falun Gong. Elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’était pas et qu’il n’avait jamais été un adepte du Falun Gong, que ce soit en Chine ou au Canada. Le demandeur a interjeté appel auprès de la SAR.

Décision de la SAR

[3] La SAR a souligné que le Falun Gong est une pratique fondée sur les connaissances. À ce sujet, elle a cité le point 12.9 du Cartable national de documentation [le CND] sur la Chine (daté du 31 mars 2020), qui constitue une réponse à une demande d’information [une RDI]. Selon ce document, le site Web principal sur le Falun Dafa [ou Falun Gong] indique que « [l]e fondement du Falun Dafa consiste en un corps de connaissances fondamentales indispensables à celui qui veut entreprendre la cultivation d’une manière permettant d’atteindre les plus hauts niveaux de perfectionnement ». La SAR a reconnu que, selon la jurisprudence, il n’est pas raisonnable de tirer des conclusions trop minutieuses ou savantes concernant les connaissances, mais elle a ajouté que « les connaissances peuvent permettre d’éclairer l’authenticité d’une pratique religieuse si elles sont appliquées de manière raisonnable ». Elle a précisé que c’était dans ce contexte qu’elle avait tiré ses conclusions sur les connaissances du demandeur.

[4] La SAR s’est penchée sur les conclusions défavorables en matière de crédibilité qu’a tirées la SPR en se fondant sur la réponse fournie par le demandeur à la question de savoir ce que maître Li entendait par « vérité » – un des trois principes fondamentaux du Falun Gong – et elle a jugé que la SPR avait pris la bonne décision. La SAR a conclu que la réponse du demandeur était « partiellement correcte, mais [...] aussi incomplète », et que ce n’était qu’après y avoir été incité qu’il avait répondu qu’un élément important de la vérité est de dire la vérité sur la persécution des adeptes du Falun Gong par les autorités chinoises.

[5] En revanche, la SAR a jugé que la SPR avait eu tort de conclure que le demandeur n’était pas crédible lorsqu’il a répondu à une question concernant la façon dont maître Li décrit les exercices dans l’ouvrage Zhuan Falun puisque le demandeur a répondu, à juste titre, que maître Li n’explique pas comment exécuter les exercices dans cet ouvrage. Cependant, la SAR a déclaré que cette conclusion ne suffisait pas à rétablir la crédibilité du demandeur. Elle a conclu que, même si la SPR avait fait preuve d’un excès de minutie dans certaines de ses questions, cela ne minait pas l’ensemble de ses conclusions.

[6] La SAR a souscrit aux conclusions défavorables en matière de crédibilité que la SPR a tirées du fait de l’incapacité du demandeur à réciter un verset et à nommer un mouvement d’un exercice du Falun Gong. La SAR a souligné que, dans la décision Lu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1233, la Cour a conclu qu’il était raisonnable pour la SPR de s’attendre à ce qu’un demandeur connaisse par cœur les versets et les mouvements. La SAR a souligné que le demandeur prétendait pratiquer le Falun Gong tous les jours depuis deux ans et demi. Elle a estimé que la SPR avait eu raison de dire que le demandeur devait donc avoir récité les versets et exécuté les exercices des centaines de fois, et que ceux‑ci devaient, par conséquent, être une seconde nature pour lui. La SAR a jugé que la SPR avait conclu à bon droit que le demandeur n’était pas crédible à cet égard.

[7] Étant donné le manque de connaissances du demandeur concernant les principes fondamentaux du Falun Gong, la SAR a conclu qu’il n’était pas un véritable adepte.

[8] En outre, elle a conclu que le demandeur n’avait pas pratiqué le Falun Gong en Chine. Elle a ajouté que, s’il avait démontré certaines connaissances concernant le Falun Gong, le demandeur les avait acquises aux fins de l’audience. Elle a estimé que sa pratique au Canada n’était pas sincère et qu’elle ne permettait pas d’écarter les réserves quant à sa crédibilité. La SAR a jugé qu’aucun élément de preuve ne démontrait que les autorités chinoises avaient eu connaissance de la pratique du demandeur au Canada et que sa demande d’asile sur place n’était donc pas fondée.

Questions en litige et norme de contrôle applicable

[9] La seule question en litige en l’espèce consiste à savoir si la décision de la SAR est raisonnable. Les parties soutiennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, et je souscris à leur opinion (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 23, 48). Une cour de révision qui applique la norme de la décision raisonnable doit « se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99).

Analyse

[10] Le demandeur soutient que la conclusion de la SAR voulant que le Falun Gong soit une pratique fondée sur les connaissances et que ces connaissances soient essentielles démontre que la SAR a appliqué à ses connaissances une norme plus rigoureuse que ne l’exige la jurisprudence, ce à quoi je ne souscris pas.

[11] La présente affaire se distingue de l’affaire Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 288, citée par le demandeur, où la Cour a conclu que la SPR avait fondé sa conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas un adepte du Falun Gong « sur des exigences déraisonnables et impossibles à respecter en ce qui concerne la connaissance du Falun Gong » (Lin, au para 66). Comme il sera expliqué plus loin, la SAR a tenu compte de la durée et de la fréquence de la pratique du Falun Gong par le demandeur, ainsi que du fait que le principe de la « vérité » est un principe fondamental de la pratique. L’authenticité de l’identité religieuse d’un demandeur d’asile peut raisonnablement être contestée si la connaissance que le demandeur a de sa religion ne correspond pas à ses prétendues activités religieuses (Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 271 au para 32 [Gao]).

[12] Cela dit, j’ai certaines réserves quant aux trois conclusions de la SAR en matière de crédibilité.

Récitation du verset

[13] Citant Sui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 406 [Sui], le demandeur affirme que le fait que la SAR se soit appuyée sur son incapacité à réciter un verset rattaché à un exercice du Falun Gong constitue une erreur susceptible de contrôle. Cependant, dans l’affaire Sui, les parties ont convenu que le fait que la SAR se soit appuyée, en partie, sur le manque de connaissances de la demanderesse concernant certains versets faisant partie intégrante de la pratique du Falun Gong constituait un manquement à l’équité procédurale, apparemment au motif que la demanderesse n’avait pas été informée de ce problème. Finalement, dans cette affaire, la Cour a jugé que la conclusion de la SAR en matière de crédibilité fondée sur la méconnaissance du Falun Gong de la part de la demanderesse n’était pas déterminante et qu’elle n’était pas déraisonnable (Sui, aux para 27‑32). Il convient de souligner que, dans l’affaire Sui, la Cour a déclaré ce qui suit :

[27] La SAR a admis la jurisprudence qui met en garde contre la détermination de l’identité religieuse d’une personne en se basant sur la connaissance, ou le manque de connaissance, qu’a la personne de cette religion. La SAR a évalué la crédibilité de la demanderesse qui affirmait pratiquer le Falun Gong, en cherchant à déterminer si celle‑ci avait un niveau de connaissance fondamentale correspondant à sa présumée expérience. Il s’agit à mon avis d’une méthode raisonnable pour évaluer l’authenticité de l’adhésion de la demanderesse au mouvement Falun Gong.

[14] De même, dans l’affaire Gao, le juge Ahmed a déclaré qu’il est raisonnable pour la SAR d’évaluer les connaissances des demandeurs d’asile qui se prétendent adeptes du Falun Gong :

[30] Enfin, je ne suis pas convaincu par l’argument avancé par le demandeur selon lequel la SAR a déraisonnablement haussé le seuil de connaissances requis d’un adepte véritable du Falun Gong en décrivant le Falun Gong comme « une foi qui repose sur la connaissance ». Après avoir lu la décision de la SAR dans son ensemble, je conclus que la SAR a raisonnablement pris en compte les caractéristiques de la religion et conclu que la connaissance du demandeur ne correspondait pas à son expérience alléguée. Cette conclusion fait suite à une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles la SAR est assujettie (Vavilov au para 85).

[31] J’estime que la description du Falun Gong par la SAR en tant qu’une « foi qui repose sur la connaissance » est justifiée au regard des éléments de preuve. Comme source de cette description, la SAR a cité le point 12.9 du Cartable national de documentation (le CND) sur la Chine, daté du 28 juin 2019, selon lequel « [l]e fondement du Falun Dafa consiste en un corps de connaissances fondamentales indispensables à celui qui veut entreprendre la cultivation d’une manière permettant d’atteindre les plus hauts niveaux de perfectionnement ». Je conclus que, quand elle décrit le Falun Gong comme une foi qui repose sur la connaissance, la SAR s’attend à ce que ses adeptes authentiques aient généralement compris les concepts qui sont à la base de la religion. Cette conclusion est étayée par le CND, qui confirme que la connaissance de certains concepts du Falun Gong fait partie intégrante de sa pratique.

[32] L’interprétation mentionnée précédemment est étayée par la conclusion subséquente de la SAR selon laquelle « il est attendu qu’un adepte authentique fasse des efforts pour grandir dans sa compréhension de ce système de croyances à partir du moment où il a commencé à pratiquer le Falun Gong ». J’estime que cette conclusion est justifiée au regard de la jurisprudence qui, comme on l’a vu précédemment, affirme que l’authenticité de l’identité religieuse d’un demandeur d’asile peut raisonnablement être contestée si la connaissance que le demandeur d’asile a de sa religion ne correspond pas à ses prétendues activités religieuses (Qi au para 18; Gao au para 29). Il convient d’apprécier au cas par cas ce qui est considéré comme compatible avec la pratique religieuse, étant donné que le tout dépend de la situation du demandeur d’asile et des particularités de la religion en question. En l’espèce, la SAR a tenu compte de cette considération : elle a souligné la place importante que tiennent les connaissances religieuses dans le Falun Gong, la façon dont ces connaissances illustrent le profil d’un adepte avec l’expérience que prétend avoir le demandeur, et la façon dont le demandeur ne correspond pas à ce profil.

[33] Compte tenu de ce qui précède, j’estime qu’il était raisonnable que la SAR établisse que le demandeur n’était pas un adepte véritable du Falun Gong en raison de son manque de connaissances religieuses.

[15] À mon avis, ce raisonnement s’applique tout autant dans l’affaire dont je suis saisie.

[16] En l’espèce, la SAR a conclu que le dossier de la preuve dont elle disposait démontrait que le Falun Gong est une pratique fondée sur les connaissances. Elle a cité le point 12.9 du CND sur la Chine (daté du 31 mars 2020), qui constitue une RDI sur le Falun Gong. La RDI indique que le Falun Gong vise « un objectif plus élevé : celui de la cultivation et de la pratique menant à l’illumination. Il est complet dans la mesure où il possède son propre système de principes et de techniques empiriques. » La SAR a cité le même passage de la RDI que celui cité par le juge Ahmed dans l’affaire Gao (au para 31) : « [l]e fondement du Falun Dafa consiste en un corps de connaissances fondamentales indispensables à celui qui veut entreprendre la cultivation d’une manière permettant d’atteindre les plus hauts niveaux de perfectionnement ». La SAR a expressément reconnu que, selon la jurisprudence, il n’est pas raisonnable de tirer des conclusions trop minutieuses ou savantes concernant les connaissances, mais que « les connaissances peuvent permettre d’éclairer l’authenticité d’une pratique religieuse si elles sont appliquées de manière raisonnable ».

[17] À mon avis, l’approche adoptée par la SAR est conforme à la déclaration faite par le juge Ahmed dans l’affaire Gao, selon laquelle « [l]es adeptes authentiques [ont] généralement compris les concepts qui sont à la base de la religion » (Gao, au para 31).

[18] En outre, la SAR a correctement évalué les connaissances du demandeur en vérifiant si elles « correspondai[ent] [...] à son expérience alléguée » (Gao, au para 30; Sui, au para 27). Dans ce contexte, la SAR s’est fondée sur le fait que le demandeur affirmait pratiquer le Falun Gong tous les jours depuis plus de deux ans et demi et fréquenter un groupe de pratique une ou deux fois par semaine. Compte tenu de la durée de la pratique du demandeur, la SAR a douté de la véracité de son affirmation en raison de ses réponses incorrectes et incomplètes aux questions fondamentales concernant la pratique et la philosophie du Falun Gong.

[19] Toutefois, c’est parce que le demandeur avait été incapable de réciter le verset du quatrième exercice lorsque la SPR le lui avait demandé, mais qu’il avait pu le faire à la demande de son conseil, que la SAR a conclu qu’il n’était pas crédible. La transcription de l’audience devant la SPR ajoute du contexte à cette conclusion :

[traduction]
COMMISSAIRE : Monsieur, pourriez‑vous me réciter le quatrième verset? Madame l’interprète, je n’ai pas besoin que vous interprétiez phrase par phrase. Nous allons laisser Monsieur réciter le quatrième verset en entier.

INTERPRÈTE : D’accord.

R. Le quatrième verset?

COMMISSAIRE : Oui, le verset du quatrième exercice. Monsieur, connaissez‑vous le verset du quatrième exercice?

INTERPRÈTE : Il a dit : « Je suis désolé. Je suis très nerveux en ce moment. »

R. En ce moment, je suis très nerveux. Je n’arrive pas à m’en souvenir. Je suis désolé.

COMMISSAIRE : Monsieur, vous pratiquez le Falun Gong tous les jours depuis plus de deux ans et demi. Vous devez l’avoir récité des centaines et des centaines de fois. Pourquoi n’arrivez‑vous pas à le réciter maintenant?

R. Parce que je suis trop nerveux en ce moment.

[...]

M. KABATERAINE : Q. On vous a alors demandé de réciter les mots du quatrième exercice et vous avez répondu que vous étiez nerveux. Êtes‑vous toujours trop nerveux pour les réciter?

R. J’étais trop nerveux à ce moment‑là, mais maintenant, je m’en souviens.

COMMISSAIRE : Un instant. Monsieur le conseil, demandez‑vous au demandeur de réciter le verset du quatrième exercice?

M. KABATERAINE : Oui, s’il vous plaît.

R. Tourne la loi vers le vide. Le cœur clair comme le jade pur. Retourne à l’origine et cherche la vérité. Bouge naturellement comme si tu t’illuminais.

M. KABATERAINE : Q. Qu’en est‑il du deuxième exercice? Que dit le verset?

R. Élever la nature de l’esprit.

[20] La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR que puisque le demandeur affirmait pratiquer le Falun Gong tous les jours depuis mai 2017, il devait avoir exécuté les exercices et récité les versets des centaines de fois et que cela devait « être une seconde nature » pour lui. La SPR et la SAR ont rejeté l’explication du demandeur selon laquelle il n’avait pas pu réciter le verset à la demande de la SPR parce qu’il était trop nerveux. La SAR a jugé que la SPR avait conclu de bon droit que le demandeur n’était pas crédible.

[21] Si le demandeur pratiquait le Falun Gong depuis deux ans et demi, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il ait mémorisé les versets, comme l’a conclu la SAR. Cependant, la transcription de l’audience devant la SPR démontre que le demandeur a pu réciter le verset de mémoire lorsque son conseil lui a demandé de le faire, et rien ne donne à penser qu’il l’ait fait de façon incomplète ou inexacte.

[22] Si les questions sur les principes et la pratique du Falun Gong avaient pour but d’évaluer l’authenticité de l’identité religieuse du demandeur (Gao, au para 31; Sui, au para 27), il est difficile de comprendre pourquoi il importe autant de savoir si les réponses aux questions sur les connaissances ont été données lorsque la SPR les a posées ou lorsque le conseil du demandeur les a posées. En fin de compte, le demandeur a donné la bonne réponse à la question qui lui a été posée sans se contredire et sans y avoir été amené. En outre, la participation du conseil à une audience a notamment pour objectif qu’il puisse interroger son client pour « faire en sorte que la preuve du demandeur soit exposée au décideur » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Thamotharem, 2007 CAF 198 au para 49). De plus, dans la mesure où la SAR a fondé sa conclusion défavorable en matière de crédibilité non pas sur la méconnaissance, mais plutôt sur l’absence de spontanéité au moment de fournir les réponses, il n’était pas inapproprié pour le conseil de revenir sur ces questions et d’en poser d’autres à la suite de l’interrogatoire de la SPR (Islam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 948).

[23] Même s’il était loisible à la SPR et à la SAR, au moment d’évaluer la crédibilité, de tenir compte du comportement du témoin, y compris de ses hésitations, du caractère vague et évasif de ses propos et des modifications ou des précisions apportées à sa version des événements, il semble qu’en l’espèce, le seul fondement de la conclusion défavorable de la SAR en matière de crédibilité soit l’absence de spontanéité. De plus, la SPR et la SAR ont rejeté l’explication du demandeur, à savoir qu’il était nerveux, au motif qu’il aurait dû être capable, au moment où il lui a été demandé de le faire, de réciter le verset, ce qu’il a fini par faire. Comme nous le verrons plus loin, compte tenu des circonstances de l’espèce et de la transcription, je ne suis pas convaincue que le raisonnement de la SAR suffit à étayer une conclusion défavorable en matière de crédibilité.

Principe de la vérité

[24] La SAR a jugé que la SPR avait conclu à juste titre que le demandeur n’était pas crédible parce qu’il n’avait pas mentionné que la persécution des adeptes du Falun Gong faisait partie de la définition du principe de la vérité. La SAR a reconnu que le demandeur avait mentionné ce deuxième point au moment où il avait été interrogé par son conseil, après que celui‑ci l’eut « incité » à répondre pour une deuxième fois. Le commissaire de la SAR a déclaré ce qui suit : « [b]ien que j’admette que le conseil a posé une question ouverte neutre qui ne contenait pas d’indice de la réponse, la réponse de l’appelant n’était pas spontanée ». La SAR a souligné que la SPR avait demandé au demandeur pourquoi il n’avait pas donné cette réponse lorsqu’elle l’avait interrogé sur le sens de la « vérité » et comment il avait pu oublier le principe de base du Falun Gong. Comme la SPR, la SAR a estimé que l’explication du demandeur selon laquelle il était nerveux et avait oublié n’était pas raisonnable. La SAR a déclaré que la persécution des adeptes du Falun Gong était la raison pour laquelle le demandeur est venu au Canada et a présenté une demande d’asile, de même que la raison de l’audience. La SAR a jugé que la SPR avait eu raison de conclure que l’explication du demandeur minait sa crédibilité.

[25] Le demandeur affirme que la conclusion défavorable en matière de crédibilité tirée par la SPR est déraisonnable. Comme l’a souligné la SAR, le demandeur a donné une réponse partiellement exacte, mais incomplète lorsqu’il a été interrogé par la SPR sur le principe de la vérité. Cependant, il a donné une réponse exacte et complète lorsqu’il a été interrogé par son conseil. Le demandeur soutient que le fait qu’il n’ait donné une réponse exacte et complète que lorsqu’il a été interrogé par son conseil n’est pas pertinent.

[26] Je suis portée à être d’accord avec le demandeur sur ce point. La SAR a d’ailleurs reconnu que le conseil n’avait pas posé de question suggestive. Comme il a été mentionné précédemment, le rôle du conseil consiste à obtenir des renseignements pertinents qui pourraient ne pas avoir été donnés au cours de l’interrogatoire de la SPR. Selon la transcription, les réponses (traduites) données par le demandeur aux questions de son conseil sont les suivantes :

[traduction]
Q. Quels sont les principes de base du Falun Gong?

R. Être la vérité, être vrai. Être sincère. Dire la vérité. Répandre la vérité.

Q. Autre chose?

R. Nous devons dire la vérité au sujet de la persécution, la vérité au sujet de la Chine, du gouvernement chinois qui persécute les adeptes du Falun Gong.

Q. Quels sont les autres principes, les principes de base du Falun Gong autres que la vérité?

R. Vérité, compassion et patience.

[27] Lorsque son conseil lui a demandé de quelle façon il intégrait ces principes à sa vie quotidienne, le demandeur a expliqué qu’il applique le principe de la vérité en distribuant des circulaires, ainsi qu’en parlant aux gens des avantages du Falun Gong et de la persécution des adeptes du Falun Gong par le Parti communiste chinois. Il a ajouté qu’il s’efforce d’être sincère, d’être un homme vrai et de revenir à son état d’origine. Il a expliqué qu’il fait preuve de compassion en faisant de bonnes actions, comme aider les personnes âgées, et qu’il fait preuve de patience en souriant aux gens qui le traitent de façon impolie lorsqu’il distribue des circulaires au centre commercial Pacific Mall.

[28] Je comprends que la définition de la vérité est un élément fondamental du Falun Gong, mais étant donné que la SAR a fondé sa conclusion défavorable en matière de crédibilité uniquement sur l’absence de spontanéité – et non sur une incapacité à répondre à la question au bout du compte – il convient de souligner que la transcription révèle que bon nombre d’autres questions sur les connaissances ont été posées au demandeur : dire si maître Li décrit la façon d’exécuter les exercices dans l’ouvrage Zhuan Falun (question à laquelle le demandeur a répondu « non » à juste titre, comme l’a reconnu la SAR); expliquer le sens de la loi perverse et fournir des exemples (ce que le demandeur a fait); expliquer les buts des exercices (le demandeur semble avoir donné quatre des cinq buts); expliquer de quelle façon maître Li demande aux adeptes de s’imaginer dans le troisième exercice (le demandeur a donné comme réponse [traduction] « deux énormes tonneaux vides »); expliquer ce qu’est un méridien (l’interprète a été incapable de traduire et le demandeur a dit qu’il ne comprenait pas de quoi il s’agissait); expliquer ce à quoi maître Li demande aux adeptes de penser en exécutant le cinquième exercice (le demandeur a répondu que maître Li demande de ne penser à rien afin de demeurer présent et conscient dans l’exécution de l’exercice). La SPR a ensuite demandé au demandeur de réciter le verset du quatrième exercice (comme il est mentionné précédemment) et de faire la démonstration du premier exercice (comme il est mentionné plus bas). Elle a aussi interrogé le demandeur sur l’œil céleste (il a fourni une réponse, mais l’interprète n’a pas été en mesure de traduire l’objet nommé) et sur la pensée droite (ce qu’il a décrit). Rien dans les réponses à ces autres questions ne démontre une absence de spontanéité.

[29] Enfin, lorsqu’il a été interrogé par son conseil, le demandeur a fourni des précisions sur ses connaissances et sa pratique du Falun Gong, ce que les motifs de la SPR ou de la SAR ne mentionnent pas.

[30] À mon avis, il était déraisonnable pour la SAR de fonder sa conclusion défavorable en matière de crédibilité uniquement sur une absence de spontanéité dans les réponses du demandeur à ces questions, sans les évaluer dans le contexte global du témoignage du demandeur.

Nom du mouvement

[31] La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à nommer un des mouvements du premier exercice.

[32] Dans ses motifs, la SPR a déclaré que le demandeur avait fait une démonstration exacte du mouvement, mais qu’il [traduction] « n’a[vait] pas réussi à nommer le mouvement “Arhat porte la montagne sur le dos” en l’exécutant. Lorsqu[‘elle a] fait remarquer son erreur au demandeur, il a répondu qu’il était trop nerveux [...]. »

[33] Cependant, il ressort clairement de la transcription que le demandeur lui‑même a immédiatement fait remarquer son erreur et s’est repris dans la réponse initiale qu’il a donnée à la SPR :

[traduction]
COMMISSAIRE : D’accord. Monsieur, j’aimerais que vous me fassiez la démonstration du premier exercice et que vous nommiez chaque mouvement au fur et à mesure.

R. Oui, je peux le faire.

COMMISSAIRE : D’accord.

R. [Parle dans une langue autre que l’anglais], étire son dos. [Parle dans une langue autre que l’anglais], déverse de l’énergie par le sommet de la tête. La paume tend vers le ciel et la terre. La paume tend vers le ciel et la terre. Le singe d’or sépare son corps. Deux dragons plongent dans la mer [Parle dans une langue autre que l’anglais] pose les mains sur le lotus. [Parle dans une langue autre que l’anglais] pousse la montagne. [Parle dans une langue autre que l’anglais], pousse la montagne. Désolé, le précédent était « Arhat porte la montagne sur le dos ». Désolé.

COMMISSAIRE : Vous pouvez vous asseoir, Monsieur. Monsieur, pourquoi cette confusion au sujet du mouvement « Arhat porte la montagne sur le dos »? Vous avez exécuté cet exercice des centaines et des centaines de fois. Ce devrait être une seconde nature pour vous, non?

Je suis désolé. Je suis un peu nerveux.

(Non souligné dans l’original.)

[34] La SAR affirme que la SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible [traduction] « parce qu’il n’a[vait] pas réussi à nommer un mouvement durant le premier exercice », mais ce n’est pas ce qui ressort de la transcription. La conclusion de la SAR selon laquelle la SPR a eu raison de conclure que le demandeur n’était pas crédible pour ce motif est donc déraisonnable. D’ailleurs, il s’agit essentiellement de la même erreur que la SPR a commise, comme l’a reconnu la SAR, en concluant que le demandeur n’était pas crédible au motif qu’il avait déclaré que les cinq exercices étaient décrits dans l’ouvrage Zhuan Falun – alors qu’en fait, le demandeur a immédiatement reconnu qu’il avait mal compris la question et a donné la bonne réponse.

Conclusion

[35] Pour les motifs qui précèdent, et compte tenu de la transcription, des motifs de la SPR et de l’ensemble de la décision de la SAR, je conclus que la décision de la SAR est déraisonnable.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑6463‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SAR est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

  2. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale et l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne seront adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6463‑20

 

INTITULÉ :

QUANGUO WEI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Par vidéoconférence au moyen de Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 novembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 26 novembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Nkunda I. Kabateraine

 

Pour le demandeur

 

Amy Lambiris

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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