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Date : 19990511


Dossier : IMM-3989-98

ENTRE

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     demandeur,

     et

     GULSHAN MAHEY,

     défendeur.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]      Le demandeur conteste par voie de contrôle judiciaire la décision qui a été rendue le 20 juillet 1998 par la Section d"appel de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la SAI) et qui a accueilli l"appel interjeté par le défendeur contre la décision d"un agent des visas de refuser les demandes de résidence permanentes qu"avaient présentées son père, sa mère, sa soeur et son frère. La demande présentée par le père avait été rejetée au motif que celui-ci était non admissible pour des raisons d"ordre médical aux termes du sous-alinéa 19(1)a )(ii) de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi). Ce sous-alinéa prévoit :

19(1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

a) celles qui souffrent d"une maladie ou d"une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu"un médecin agréé, dont l"avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut :

(ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d"entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

Les faits

[2]      En septembre 1994, le défendeur a cherché à parrainer la demande de résidence permanente de son père, de sa mère, de sa soeur et de son frère, qui sont tous des citoyens de l"Inde. Le 27 février 1996, le père du défendeur a été informé par un agent des visas que sa demande de résidence permanente avait été refusée au motif de sa non-admissibilité pour les raisons d"ordre médical énumérées dans le sous-alinéa 19(1)a )(ii) de la Loi.

[3]      Le refus de l"agent des visas était fondé sur l"avis médical fait en date du 28 septembre 1995 par le Dr Pierre Boucher, dont l"avis a été confirmé par le Dr J. Saint-Germain. La partie narrative mentionne que :

[TRADUCTION] Ce demandeur de 42 ans souffre de maladie artérielle avec ischimie associée à une charge de travail modérée. Il a également subi un infarctus du myocarde en août 1995. Il souffre aussi du syndrome de dysfonctionnement sinusal, en raison duquel il a besoin de l"implantation permanente d"un stimulateur cardiaque. Ce demandeur a besoin d"une chirurgie cardiaque exploratrice d"envergure et, fort probablement, d"une chirurgie cardiaque et d"un stimulateur cardiaque. Cela entraînera un fardeau excessif pour les services médicaux canadiens, ce qui le rend non admissible en vertu du sous-alinéa 19(1)a )(ii) de la Loi sur l"immigration.

[Dossier de la demande (DD), à la p. 17.]

[4]      En réalité, le père du défendeur avait 52 ans, et non pas 42 ans, comme l"indique l"avis, lorsqu"il a été examiné. Cette erreur constitue le fondement de l"une des principales conclusions tirée par la SAI en appel de la décision de l"agent des visas.

La décision de la SAI

[5]      Relativement à la gravité de l"erreur portant sur l"âge , la SAI a conclu que :

[TRADUCTION]

Il est possible que l"âge indiqué dans le récit narratif soit une erreur typographique, mais rien ne le prouve. En bref, on peut spéculer sur la question de savoir si le médecin agréé et le médecin agréé qui a confirmé son avis croyaient que Harimohan Singh avait 42 ans ou 52 ans lorsque le premier a tiré ses conclusions quant au diagnostic. Le dossier médical du demandeur principal, accompagnée d"une lettre de présentation datée du 17 avril 1998, constitue la pièce A-1. Sur le premier document contenu dans le dossier médical se trouve la date de naissance exacte de Harimohan Singh. Toutefois, à la page 4 de ces documents, les notes manuscrites du médecin qui les a remplis indiquent aussi que le demandeur principal est âgé de 42 ans.

Ces notes paraissent résumer le contenu du récit narratif, qui se trouve à la page suivante de ces documents. Le rapport sur lequel le médecin agréé s"est fondé paraît avoir été fait par un spécialiste à Chandigarh, en Inde. La seule conclusion logique qui peut être tirée de ces faits est que l"erreur commise quant à l"âge du demandeur principal origine du rapport médical fait en Inde. Cela donne à penser que le médecin agréé et celui qui a confirmé son avis croyaient que Harimohan Singh était âgé de 42 ans lorsqu"il a été examiné en Inde.

Ce fait est pertinent, car il fait ressortir la possibilité raisonnable que les conclusions tirées dans le récit narratif étaient fondées sur un fait erroné et hautement probatoire, dont les médecins agréés se sont inspirés pour tirer les conclusions que l"on attendait d"eux. À moins que nous puissions être convaincus, selon la prépondérance des probabilités, que le médecin agréé et celui qui a confirmé son avis savaient que le demandeur principal était âgé de 52 ans, et non pas de 42 ans, nous ne pouvons pas nous fonder sur les conclusions du premier. Je ne peux pas me fonder sur ses conclusions sauf si je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que les médecins agréés connaissaient l"âge exact de Harimohan Singh.

                 À la lumière de l"ensemble de la preuve sur cette question, je dois conclure que je ne suis pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que les conclusions tirées et confirmées l"ont été en fonction de l"âge exact de Harimohan Singh. Le fait que le récit médical était manifestement fondé sur le rapport du spécialiste de l"Inde porte à conclure que, même s"il est possible que les médecins agréés aient su que Harimohan Singh était âgé de 52 ans, il est plus probable qu"ils ne le savaient pas.                 
                 Vu cette conclusion, il n"est pas nécessaire de trancher les autres arguments de droit ni la question de savoir s"il existe en l"espèce des facteurs d"ordre humanitaire qui justifient que la Section d"appel exerce son pouvoir discrétionnaire d"accorder un redressement spécial.                 
                 [DD, aux pp. 8 à 10.]                 

     En conséquence, la SAI a conclu à l"invalidité en droit du refus de l"agent des visas et a accueilli l"appel.

La position du demandeur

[6]      Le demandeur soutient que la SAI a l"obligation d"examiner le caractère raisonnable des conclusions tirées par les médecins agréés relativement au fardeau probable pour les services sociaux ou de santé qu"entraînerait l"admission du demandeur, et il invoque l"arrêt Deol v. Canada (MEI) (1992), 145 N.R. 156 (C.A.F.) à l"appui de cette prétention. Le demandeur plaide que la SAI a commis une erreur de droit en omettant de se conformer à cette obligation.

[7]      Le demandeur affirme que la conclusion de la SAI repose sur la présomption que l"âge du père du défendeur constituait le facteur majeur à l"appui des conclusions tirées par les médecins agréés, mais que la preuve dont elle était saisie ne lui permettait de présumer une telle chose. Le demandeur prétend que la preuve a démontré que c"est l"état du père, plutôt que son âge, qui a mené à la conclusion contestée. Au soutien de cet argument, le demandeur mentionne le paragraphe 6 de la déclaration solennelle du Dr Boucher, datée du 16 mars 1998, qui dit :

                 [TRADUCTION] Le fardeau excessif en l"espèce découle du fait que l"état du demandeur va vraisememblablement empirer, et que ce dernier aura probablement besoin d"une chirurgie cardiaque exploratrice d"envergure et d"une chirurgie cardiaque. Cela entraînera un fardeau excessif pour les services de santé. [DD, à la p. 19.]                 

[8]      Le demandeur prétend que la décision de la SAI est manifestement déraisonnable à la lumière de l"ensemble de la preuve dont elle était saisie, laquelle corroborait le diagnostic et le pronostic du médecin agréé.

La position du défendeur

[9]      Le défendeur maintient que la conclusion de la SAI, selon laquelle la décision du médecin agréé était fondée sur une conclusion de fait erronée, indique que la SAI a effectivement examiné le caractère raisonnable de la décision. Le défendeur invoque l"arrêt Ahir v. Canada (MEI) (1983), 49 N.R. 185 (C.A.F.), où la Cour a dit :

                 Puisque, en l"espèce, les médecins se sont fondés sur des données erronées et ont urilisé les mauvais critères, l"arbitre avait certainement le pouvoir de conclure comme elle l"a fait, que leurs prévisions dans ce cas n"étaient pas vraisemblables.                 
[10]      Le défendeur prétend que, de la même façon, la SAI a considéré, selon la prépondérance des probabilités, que les médecins agréés avaient fondé leurs conclusions sur un fait erroné et hautement probatoire, ce qui avait rendu leur opinion déraisonnable. Le défendeur plaide que l"âge du père n"était pas le facteur le plus important, mais qu"il constituait un facteur matériel pertinent au pronostic médical.     
Analyse     
[11]      En vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii), un médecin agréé établit une opinion médicale, qui est confirmée par au moins un autre médecin agréé, sur la question de savoir si l"état médical du demandeur entraînerait ou risquerait d"entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé du Canada.     
[12]      Un arbitre ou un agent des visas n"a pas le pouvoir de substituer son opinion au diagnostic d"un médecin agréé. Cependant, l"arbitre ou l"agent des visas, selon le cas, peut intervenir lorsque l"opinion est fondée sur une erreur de fait manifeste, qu"elle est incohérente ou qu"elle se contredit, ou lorsque l"on n"a pas tenu compte d"une preuve convaincante : Ajanee v. Canada (MCI) (1996), 110 F.T.R. 172 (T.D.); Ahir v. Canada (MEI) (1983); Ismaili v. Canada (MCI) (1995), 29 Imm. L.R. (2d) 1; et Gao v. Canada (MEI) (1993), 61 F.T.R. 65 (1re inst.). Un arbitre ou un agent des visas doit donc examiner le caractère raisonnable de l"opinion du médecin agréé et déterminer si des erreurs ont été commises dans son élaboration, à la lumière de la documentation au dossier dont étaient saisis les médecins.     

[13]      Les observations faites par le juge Dubé dans Gao sont instructives :

                 Le principe le plus important qui se dégage de cette jurisprudence est que les tribunaux de révision et d"appel n"ont pas compétence pour tirer des conclusions de fait liées au diagnostic médical, mais qu"ils sont compétents pour examiner la preuve afin de savoir si l"avis des médecins agréés est raisonnable compte tenu des circonstances de l"affaire. Le caractère raisonnable d"un avis médical doit être apprécié non seulement à l"époque où il a été émis mais également à l"époque à laquelle l"agent d"immigration s"en est servi pour rendre sa décision, puisque c"est cette décision qui fait l"objet du contrôle ou de l"appel. Les motifs pour lesquels une décision peut être jugée déraisonnable comprennent l"incohérence ou les contradictions, l"absence de preuve à l"appui de la décision, le défaut d"avoir tenu compte d"une preuve convaincante, ou le défaut d"avoir tenu compte de facteurs énoncés à l"article 22 du Règlement.             
                 [Notes de bas de pages omises.]             

[14]      Je suis d"accord avec l"argument du défendeur que l"âge d"une personne est très pertinent pour les fins de l"évaluation de son état de santé et quant à la question de savoir si cet état de santé entraînerait ou risquerait d"entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Je conclus donc que la SAI s"est conformée à son obligation d"examiner le caractère raisonnable de l"opinion médicale et que, ce faisant, elle n"a commis aucune erreur susceptible de contrôle en concluant que l"erreur factuelle relatif à l"âge avait rendu l"opinion indigne de foi.

[15]      En conséquence, la présente demande est rejetée.

     " Douglas R. Campbell "

     JUGE

Calgary (Alberta)

Le 11 mai 1999

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


Date : 19990511


Dossier : IMM-3989-98

ENTRE

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE          L" IMMIGRATION,

     demandeur,

     et

     GULSHAN MAHEY,

     défendeur.

    

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

     ET ORDONNANCE

    

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :      IMM-3989-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE      L"IMMIGRATION c. GULSHAN MAHEY

LIEU DE L"AUDIENCE :      CALGARY (Alberta)

DATE DE L"AUDIENCE :      le 10 mai 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE CAMPBELL

EN DATU DU :      11 mai 1999

ONT COMPARU

M. B. Hardstaff      pour le demandeur

M. P. Wong      pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

George W. Thomson

Sous-procureur général

du Canada

Ottawa (Ontario)      pour le demandeur

Major Caron

Calgary (Alberta)      pour le défendeur

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