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Date : 20211109

Dossier : T‑904‑21 et T‑945‑21

Référence : 2021 CF 1203

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 9 novembre 2021

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

NEWAVE CONSULTING INC.

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

défendeur

 

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Les présents motifs concernent une requête présentée par la demanderesse en vue d’obtenir des mesures de redressement provisoires contre le défendeur, le ministre du Revenu national, et les requêtes du ministre visant à radier deux avis de demande déposés par la demanderesse.

[2] La demanderesse est Newave Consulting Ltd. (Newave). Le ministre du Revenu national est responsable de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC).

[3] À compter de 2018, l’ARC a effectué une vérification des déclarations de taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (TPS/TVH) de Newave pour la période de trois ans allant de 2017 à 2019. La vérification a conclu que Newave n’exploitait pas une entreprise commerciale, mais se livrait plutôt à des activités frauduleuses visant à priver le ministre de recettes fiscales au titre de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‑15.

[4] Plus tôt cette année, les vérificateurs de l’ARC (au nom du ministre) ont avisé Newave par lettre qu’ils proposaient d’établir de nouvelles cotisations à l’égard des déclarations de TPS/TVH des trois années en question, en vertu desquelles Newave allait devoir environ 72 millions de dollars en taxes et en pénalités.

[5] Newave a demandé la divulgation de l’analyse interne et des documents à l’appui de l’ARC, et plus de temps pour présenter des observations. L’ARC a accepté de prolonger le délai, mais n’a pas fourni la divulgation demandée. Après l’expiration du délai supplémentaire et après un appel entre l’ARC et l’avocat de Newave, l’ARC a émis de nouvelles cotisations. L’ARC a radié les comptes de TPS/TVH de Newave et elle est en mesure de commencer le processus de recouvrement des montants inclus dans les nouvelles cotisations.

[6] En juin 2021, Newave a déposé deux avis de demande de contrôle judiciaire devant la Cour. Les demandes visent à contester les décisions de l’ARC du 2 juin 2021 dans lesquelles elle a refusé de fournir la divulgation demandée et d’accorder un délai supplémentaire pour les observations, ainsi que sa décision d’émettre de nouvelles cotisations.

[7] Par avis de requête en date du 25 juin 2021, le ministre a proposé de radier les avis de demande. Le ministre soutient que les demandes de contrôle judiciaire n’ont aucune chance d’être accueillies.

[8] Par avis de requête en date du 27 juillet 2021, Newave a demandé une mesure de redressement provisoire en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, en vue d’obtenir les redressements suivants jusqu’à ce qu’elle reçoive une décision sur ses demandes de contrôle judiciaire en instance :

  • une suspension de toute mesure prise par l’ARC pour recouvrer les montants dus dans les nouvelles cotisations;

  • un sursis à la radiation de son compte de TPS/TVH;

  • une ordonnance de mandamus exigeant que le ministre inscrive Newave au programme de TPS/TVH de l’ARC.

[9] Les requêtes ont été entendues ensemble au cours d’une audience d’une journée.

[10] Pour les motifs qui suivent, la requête en redressement provisoire de la demanderesse est rejetée et les requêtes du ministre visant à radier les avis de demande sont accueillies.

I. Événements ayant mené aux présentes requêtes

[11] Newave a fourni une chronologie des événements ayant mené à la présente requête, y compris la correspondance entre les parties, dans un affidavit émanant de M. Franklin Vilchez, un adjoint juridique employé par l’avocat de Newave. Cet affidavit contenait également des déclarations sur des renseignements et des croyances provenant de deux sources. Une source était une personne non nommée qui était apparemment un avocat auparavant associé à l’avocat de Newave. L’autre source était l’un des directeurs généraux de Newave, M. Olaitan Omidiran. Je reviendrai sur ces « preuves » plus loin.

[12] Les activités de télécommunications de Newave comprennent la revente du trafic international de gros de services téléphoniques de voix sur IP (VoIP). Newave offre des services aux particuliers et aux entreprises. Elle mène ses activités depuis 2006.

[13] Le 13 décembre 2018, l’Agence du revenu du Canada a entrepris une vérification de Newave. Entre décembre 2018 et juin 2020, l’ARC a demandé des renseignements à la demanderesse aux fins de la vérification, et la demanderesse a répondu.

[14] Dans une lettre recommandée datée du 16 mars 2021, les vérificateurs de l’ARC ont informé Newave qu’ils avaient terminé leur examen des déclarations de TPS/TVH pour la période allant du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019 (la période de vérification). L’ARC a proposé trois choses : rajuster les déclarations de Newave; radier son inscription auprès du programme de TPS/TVH; et imposer des pénalités. L’ARC établirait de nouvelles cotisations à l’égard de Newave sur cette base.

[15] La lettre de l’ARC du 16 mars 2021, qui proposait des changements aux déclarations de Newave, a été présentée dans un résumé ci‑joint. L’ARC a proposé des rajustements des crédits de taxe sur les intrants (CTI) réclamés par Newave au cours de la période de vérification, ce qui entraînerait une réduction des CTI d’environ 54,5 millions de dollars.

[16] L’ARC a expliqué sa position juridique et factuelle dans la lettre du 16 mars elle‑même et à l’annexe E de la lettre. L’ARC a indiqué que son examen de la vérification des déclarations de TPS/TVH de Newave n’avait pas permis de trouver suffisamment de preuves pour établir que Newave participait à une activité commerciale pendant la période visée par la vérification. Par conséquent, l’ARC a proposé de radier le compte inscrit aux fins du programme de la TPS/TVH à compter du 31 décembre 2020 en vertu de l’article 240 de la Loi sur la taxe d’accise. De plus, l’ARC ne considérait pas que Newave avait été un inscrit à quelque moment que ce soit au cours de la période de vérification.

[17] L’annexe E de la lettre du 16 mars de l’ARC décrit les positions de cotisation de l’ARC, que je résumerai brièvement :

  • Premièrement, la vérification de l’ARC a permis de déceler une supercherie au moyen de preuves de tromperie intentionnelle et d’un élément de fausse apparence. La supercherie intentionnelle était la création d’enregistrements fictifs de détails des appels qui, selon la vérification de l’ARC, avaient été créés pour créer une illusion d’activité commerciale. La vérification de l’ARC a permis de déterminer que Newave, ses clients et ses fournisseurs avaient conspiré pour créer des réserves artificielles de minutes d’appels au moyen d’un programme informatique qui achemine les appels fictifs par l’intermédiaire des serveurs informatiques de chaque client et fournisseur. Le stratagème a été conçu pour détourner des recettes fiscales du ministre en créant des CTI fictifs ou pour les faire disparaître grâce aux fonds de la TPS/TVH perçus.

  • Deuxièmement, la vérification de l’ARC a permis de conclure que les minutes de télécommunications VoIP pour lesquelles des factures ont été produites n’existaient pas.

  • Troisièmement, la vérification de l’ARC a conclu que Newave était complice d’un stratagème de type carrousel dont le seul but était de tromper le ministre et de profiter de la TPS/TVH détournée. Selon la vérification de l’ARC, les deux dirigeants de Newave avaient personnellement profité du fait que des sommes de l’entreprise étaient versées dans leurs comptes bancaires personnels.

  • Quatrièmement, la documentation à l’appui des CTI était insuffisante.

[18] L’ARC a proposé d’appliquer des pénalités sur les rajustements des déclarations de Newave qui s’élèvent à environ 12,7 millions de dollars.

[19] L’ARC a indiqué que Newave avait 30 jours pour envoyer des observations ou des explications en réponse à ses propositions, que l’ARC examinerait avant d’établir de nouvelles cotisations à l’égard des déclarations de Newave et de radier son compte de TPS/TVH. L’ARC a déclaré que, si elle n’avait pas eu de nouvelles de Newave avant le 16 avril 2021, elle enverrait la nouvelle cotisation en fonction des changements proposés et radierait l’inscription du compte de Newave.

[20] Dans une lettre du 12 avril 2021, l’avocat de Newave a déclaré qu’il avait récemment été engagé pour représenter Newave pendant la vérification. La même lettre demandait une prolongation de 60 jours jusqu’au 15 juin 2021 pour présenter des observations détaillées.

[21] Dans une lettre du 14 avril 2021, l’ARC a indiqué qu’elle était disposée à reporter la date limite de la proposition jusqu’au 17 mai 2021, afin de permettre à l’avocat de présenter des observations ou des explications aux fins d’examen par l’ARC. L’ARC a indiqué que la date limite ne sera pas reportée au‑delà du 17 mai 2021.

[22] Dans une lettre du 6 mai 2021, l’avocat de la demanderesse a informé l’ARC que la prolongation de 30 jours était [traduction] « inappropriée et non professionnelle » parce que l’ARC faisait de graves allégations de fraude et proposait d’imposer plus de 60 millions de dollars en taxes à payer; le contribuable a fait preuve de coopération et a répondu en temps opportun aux demandes de vérification de l’ARC; et la pandémie de COVID‑19 a ralenti les délais de traitement pour tout le monde, pas seulement pour l’ARC. L’avocat de la demanderesse a demandé les renseignements mentionnés à l’annexe E de la lettre du 16 mars 2021, à savoir :

  1. une copie des enregistrements détaillés des appels de l’ARC et de son analyse;

  2. les entreprises avec lesquelles le contribuable aurait, selon l’ARC, collaboré pour créer des réserves artificielles de minutes;

  3. le nom du logiciel qui, selon l’ARC, a été utilisé par le contribuable et les entreprises pour créer du trafic d’appels frauduleux;

  4. les détails de ce que l’ARC considère comme des questions entourant la légitimité des fournitures et des clients de Newave, directs et indirects;

  5. le montant de la TPS/TVH, le cas échéant, qui, selon l’ARC, a été détourné en raison de la participation présumée du contribuable au prétendu stratagème de type carrousel.

[23] Dans la lettre du 6 mai 2021, Newave a énoncé la position suivante :

[traduction]

[…] tous les documents examinés ou sur lesquels s’appuie la vérification de l’ARC doivent être divulgués (même s’ils divulguent des renseignements de tiers). On ne peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un contribuable présente des observations complètes ou soit traité équitablement s’il n’est pas au courant de toute la portée des arguments de l’ARC contre lui.

[24] L’avocat de Newave a demandé à l’ARC de fournir une liste des documents que l’ARC a refusé de produire et des motifs de refus, afin que Newave puisse [traduction] « déterminer s’il était nécessaire de présenter une demande de contrôle judiciaire relativement au refus de l’ARC de faire une divulgation complète et équitable ».

[25] N’ayant pas reçu de réponse immédiate, l’avocat de Newave a écrit à l’ARC dans une lettre datée du 17 mai 2021 pour demander une réponse et réaffirmer sa position selon laquelle elle avait besoin des documents de l’ARC et de plus de temps pour présenter des observations de fond.

[26] L’ARC n’a pas répondu par écrit, mais a plutôt prévu un appel avec l’avocat le 2 juin 2021.

[27] L’affidavit de M. Vilchez déposé à l’égard de la requête en redressement provisoire de la demanderesse indiquait que M. Vilchez avait été [traduction] « informé et croyait sincèrement » que, le 2 juin 2021, l’ARC [traduction] « avait avisé verbalement l’avocat de la demanderesse qu’elle refuserait de fournir la divulgation documentaire » demandée en vue d’obtenir l’analyse des enregistrements détaillés des appels menée par l’ARC et sur laquelle repose sa position de cotisation, une liste des entités avec lesquelles Newave aurait, selon l’ARC, conspiré, le nom du logiciel informatique qui, selon l’ARC, aurait été utilisé par Newave pour manipuler les enregistrements détaillés des appels, le montant de toute TPS/TVH qui, selon l’ARC, aurait été détournée, et tout autre document, feuille de travail ou information contenant des renseignements de tiers sur lesquels l’ARC s’est fondée pour tirer ses conclusions. L’avocat a demandé une autre prolongation de 30 jours pour présenter des observations.

[28] L’affidavit de M. Vilchez disait, encore une fois à la lumière des renseignements et de la croyance de l’avocat non nommé, que le chef de l’équipe de vérification de l’ARC avait informé l’avocat [traduction] « verbalement à plusieurs reprises » qu’aucune autre prolongation ne serait accordée parce qu’il n’y avait [traduction] « rien que le contribuable puisse fournir qui nous ferait changer d’avis ».

[29] Le 7 juin 2021, Newave a déposé une demande de contrôle judiciaire dans le dossier T‑904‑21 de la Cour fédérale. Elle a également télécopié l’avis de demande de contrôle judiciaire à l’ARC.

[30] Dans une lettre datée du 7 juin 2021, l’ARC a informé Newave et son avocat de la décision de l’ARC concernant les propositions contenues dans sa lettre de mars 2021 et du fait que le compte de Newave aux fins de la TPS/TVQ serait radié à compter du 31 mars 2021. L’affidavit de M. Vilchez indiquait que cette lettre [traduction] « n’a été reçue que le 16 juin 2021 ».

[31] L’ARC a envoyé des avis de nouvelle cotisation en date du 10 juin 2021. Les nouvelles cotisations prévoyaient que Newave devait environ 72 millions de dollars à l’ARC.

[32] Le 11 juin 2021, Newave a déposé un deuxième avis de demande de contrôle judiciaire dans le dossier T‑945‑21 de la Cour fédérale.

[33] Dans une lettre datée du 28 juin 2021, l’avocat de Newave a écrit à l’ARC pour lui demander de reporter la mesure de recouvrement. L’ARC n’a pas répondu à cette lettre.

[34] Également dans une lettre datée du 28 juin 2021, l’avocat de Newave a écrit à l’ARC pour lui demander d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas radier l’inscription de Newave aux fins de la TPS/TVH. L’ARC n’a pas répondu à cette lettre.

[35] Les 26 et 27 juillet 2021, M. Vilchez a fait un suivi sur ces lettres en téléphonant à la ligne des demandes de renseignements des entreprises de l’ARC. Aucun des agents avec qui il a parlé n’a pu répondre aux deux lettres datées du 28 juin 2021. Lors du deuxième appel, un agent de l’ARC a déclaré qu’il y avait une note dans le dossier de Newave à l’ARC indiquant que le compte de TPS/TVH ne pouvait pas être ouvert et de [traduction] « ne pas le rouvrir, car il a été déterminé qu’il s’agissait d’un compte non commercial ».

II. Requête de Newave en vue d’obtenir des ordonnances interlocutoires

[36] La demanderesse a présenté deux demandes de contrôle judiciaire des décisions rendues par l’ARC. La Cour a compétence, en vertu de l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, pour accorder des ordonnances provisoires en attendant la décision définitive à l’égard d’une demande de contrôle judiciaire. Voici le libellé de l’article 18.2 :

Compétence de la Cour fédérale

Jurisdiction of Federal Court

Mesures provisoires

Interim orders

18.2 La Cour fédérale peut, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu’elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.

18.2 On an application for judicial review, the Federal Court may make any interim orders that it considers appropriate pending the final disposition of the application.

A. Requête en sursis de la demanderesse

[37] La demanderesse demande un sursis de toute mesure de recouvrement de la part de l’ARC et une ordonnance suspendant la radiation du compte de TPS/TVH de Newave, en attendant la décision sur les demandes de contrôle judiciaire.

[38] À l’égard de la présente requête, les parties ont convenu que la Cour devrait appliquer l’approche en trois étapes énoncée dans l’arrêt RJR‑MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311. Les trois éléments de l’analyse sont les suivants : (i) une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu’il y a une question sérieuse à juger (dans le sens que la demande n’est ni futile ni vexatoire); (ii) la demanderesse subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée; (iii) la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi ou le refus du sursis, selon une évaluation visant à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice à la suite de l’octroi ou du refus, jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur le fond. Voir Canada (Procureur général) c Bertrand, 2021 CAF 103 au para 5; Arctic Cat Inc c Bombardier Recreational Products Inc, 2020 CAF 116 au para 10; Newbould c Canada (Procureur général), 2017 CAF 106, [2018] 1 RCF 590 au para 14.

Première étape : étude préliminaire du fond du litige

[39] La première étape du cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt RJR‑MacDonald consiste en une étude préliminaire du fond des allégations du demandeur. En l’espèce, comme c’est habituellement le cas, la norme est peu élevée : il faut seulement établir qu’il y a une question sérieuse à juger, au sens où la demande ne doit pas être futile ou vexatoire : RJR‑MacDonald, p. 337.

[40] La demanderesse a soutenu que les deux avis de demande soulevaient des questions au sujet de la [traduction] « violation grave et flagrante » des droits procéduraux de Newave par l’ARC. La demanderesse a soutenu que l’ARC avait refusé d’effectuer une vérification de la demanderesse de bonne foi, qu’elle avait refusé de fournir une [traduction] « divulgation documentaire de base » à l’étape de la vérification et qu’elle avait [traduction] « refusé d’entendre des observations de fond » de Newave. Bien que la vérification ait été effectuée sans permettre l’apport de la demanderesse et de ses administrateurs, l’ARC a établi de nouvelles cotisations de plus de 72 millions de dollars, mais sans fournir de renseignements utiles pour démontrer le fondement des cotisations et sans donner à la demanderesse la possibilité de présenter des observations de fond.

[41] À l’audience, la demanderesse a fait référence aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle, tous deux liés à la nécessité de divulguer le fondement de la proposition de l’ARC datée du 16 mars 2021, afin de présenter des observations significatives à l’ARC à l’étape de la vérification. La demanderesse n’a cité aucune disposition de la Loi sur la taxe d’accise, ni aucune jurisprudence, ni aucune promesse expresse faite par l’ARC à Newave pendant la vérification, pour appuyer la position selon laquelle l’ARC était tenue de divulguer les documents que Newave a demandés à l’étape de la vérification.

[42] La demanderesse a situé ses observations dans le contexte législatif des dispositions de la Loi sur la taxe d’accise. Newave a fait valoir que, pour déposer un avis d’opposition aux nouvelles cotisations à titre de « personne déterminée » au sens du paragraphe 301(1.2) de la Loi sur la taxe d’accise, il faut : a) décrire de façon raisonnable chaque question à trancher, b) préciser, à l’égard de chaque question, le redressement demandé, et c) fournir les éléments suivants : « les motifs et les faits sur lesquels se fonde la personne » pour chaque question. Selon la demanderesse, l’ARC est tenue d’effectuer la divulgation pour se conformer à la troisième exigence. Newave a soutenu que son droit d’opposition pourrait être restreint si l’ARC ne pouvait pas fournir les faits et les motifs invoqués à l’égard de chaque question. La demanderesse a souligné les conséquences du défaut de se conformer au paragraphe 301(1.2) de la Loi sur la taxe d’accise, tel qu’il est énoncé au paragraphe 301(1.4).

[43] La demanderesse a confirmé à l’audience qu’elle déposerait une opposition en vertu de l’article 301 de la Loi sur la taxe d’accise dans le délai prévu par la loi (soit le lendemain de l’audience).

[44] La demanderesse a également reconnu à l’audience devant la Cour qu’elle pouvait demander la divulgation à l’étape de l’opposition et de nouveau devant la Cour de l’impôt. Toutefois, Newave a soutenu qu’elle devait avoir la capacité de contester l’ARC à toutes les étapes, y compris à l’étape de la vérification, puis aux étapes de l’opposition et de la Cour de l’impôt.

[45] La demanderesse s’est également appuyée sur la Charte des droits du contribuable et a fait référence à la doctrine des attentes légitimes.

[46] La demanderesse a fait valoir que la décision de l’ARC de procéder à une nouvelle cotisation, la décision de radier l’inscription et la décision de prendre des mesures de recouvrement étaient toutes des décisions discrétionnaires prises par l’ARC qui peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire. La demanderesse a fait référence aux décisions Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250, [2014] 2 RCF 557, et Chrysler c Canada, 2008 CF 727 (protonotaire Aalto), pour le contrôle judiciaire des décisions discrétionnaires, et à l’arrêt Walker c Canada, 2005 CAF 393, en ce qui concerne le contrôle judiciaire des mesures de recouvrement.

[47] La position du défendeur était que la demanderesse n’avait pas soulevé une question sérieuse parce qu’elle demandait essentiellement qu’il soit interdit au ministre d’exercer l’autorisation législative qui lui permet de percevoir les taxes qui lui sont payables à la suite d’une nouvelle cotisation au titre du paragraphe 315(2) de la Loi sur la taxe d’accise. Le défendeur a souligné que, contrairement à la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5supp), le législateur avait choisi, à l’article 315, de ne pas prévoir de sursis au recouvrement des taxes à payer. Selon les observations du défendeur, la demanderesse dispose également d’un autre recours satisfaisant parce que le ministre a le pouvoir discrétionnaire de suspendre la mesure de recouvrement sur demande, en vertu du paragraphe 315(3).

[48] Le défendeur a également fait valoir que la demanderesse n’avait pas soulevé de question sérieuse au sujet de l’inscription aux fins de la TPS/TVH, parce qu’elle dispose d’un autre recours adéquat. La demanderesse pourrait demander au ministre d’être réinscrite en vertu du paragraphe 241(1) de la Loi sur la taxe d’accise. Si ce pouvoir discrétionnaire est exercé de façon inappropriée, il pourrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire, mais seulement si des motifs valables sont invoqués.

[49] Je conclus que, sur une base préliminaire, la position de la demanderesse sur le fond est faible en ce qui concerne ses allégations relatives à la divulgation et aux observations fondées sur l’équité procédurale, la radiation de son inscription aux fins de la TPS/TVH en vertu de la Loi sur la taxe d’accise et ses allégations relatives aux mesures de recouvrement en vertu de l’article 315 de la Loi sur la taxe d’accise.

[50] La demanderesse a allégué un manquement à l’équité procédurale ou à la justice naturelle, mais il est difficile de trouver un fondement juridique qui appuierait une telle violation dans la loi invoquée par la demanderesse. La demanderesse a affirmé qu’elle n’avait pas eu l’occasion de présenter des observations à l’ARC, mais cela n’est pas étayé par la correspondance au dossier; elle a eu plus de 75 jours pour le faire après la lettre du 16 mars 2021 de l’ARC. Son argument réel doit être qu’elle n’a pas eu d’occasion significative de présenter des observations parce qu’elle devait d’abord obtenir la divulgation de toutes les analyses et de tous les documents à l’appui de l’ARC.

[51] Toutefois, la demanderesse n’a présenté aucune observation quant à la nature de ses droits en matière d’équité procédurale à l’égard des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 22 à 27, et n’a pas fait référence à des causes tranchées qui appuient son droit allégué à une telle divulgation à l’étape de la vérification (c.‑à‑d. avant le processus d’opposition prévu dans la Loi sur la taxe d’accise ou un appel devant la Cour de l’impôt), notamment après que l’ARC a fait une proposition à un contribuable par lettre. Le principal argument invoqué par la demanderesse concernait la divulgation à l’étape de l’avis d’opposition : Scott Slipp Nissan Ltd c Canada (Procureur général), 2005 CF 1477 (juge Phelan), aux para 1, 25 et 49 à 54.

[52] La demanderesse a soutenu qu’elle avait besoin de la divulgation pour déposer un avis d’opposition, en raison de l’exigence énoncée au paragraphe 301(1.2) de la Loi sur la taxe d’accise, selon laquelle « les motifs et les faits sur lesquels se fonde la personne » doivent être fournis pour chaque question. Cette observation ne fait pas état d’un droit légal à la divulgation en vertu de la loi ou de la common law, mais il peut s’agir d’une circonstance factuelle qui pourrait être prise en compte dans l’évaluation des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker pour appuyer un droit à la divulgation — si la demanderesse avait présenté de telles observations et si le défendeur avait eu l’occasion d’y répondre.

[53] La demanderesse a fait référence à la Charte des droits du contribuable et à la doctrine des attentes légitimes. La demanderesse n’a fourni aucune preuve de déclarations précises que lui aurait faites l’ARC pour justifier son observation au sujet de la divulgation en vertu de la Charte des droits du contribuable, ou une déclaration claire, sans ambiguïté et sans réserve de l’ARC pour appuyer sa position concernant une attente légitime à l’égard de la divulgation demandée : Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 RCS 504 au para 68. La Charte des droits du contribuable fait généralement référence à la fourniture de « renseignements complets et exacts, en temps opportun, qui expliquent dans un langage simple les lois et les politiques qui s’appliquent à votre situation », mais à première vue, elle ne prévoit pas la divulgation précise de l’analyse de l’ARC ou des documents à l’appui à l’étape de la vérification.

[54] Je note également que, dans l’arrêt JP Morgan, la Cour d’appel fédérale a conclu que les vices de procédure commis par le ministre dans le cadre de l’évaluation ne sont pas, en soi, des motifs justifiant l’annulation de la cotisation et que, si le ministre fait fi de la preuve, l’ignore, la supprime ou la comprend mal, un appel devant la Cour de l’impôt constitue un recours adéquat et curatif : JP Morgan, au para 82. Par extension, le même raisonnement s’applique au vice de procédure allégué de non‑divulgation à l’étape de la vérification — il peut être corrigé par la divulgation de l’ARC à l’étape de l’opposition ou de l’appel.

[55] J’examinerai également le bien‑fondé des arguments de la demanderesse concernant les fondements du redressement provisoire demandé, c’est‑à‑dire les questions liées à l’inscription aux fins de la TPS/TVQ et au recouvrement en vertu de la Loi sur la taxe d’accise.

[56] La décision de radier l’inscription de la demanderesse auprès du programme de TPS/TVH était discrétionnaire, en ce sens qu’il s’agissait d’une décision prise en vertu d’une disposition législative qui prévoit que le ministre « peut » prendre des mesures :voir le paragraphe 242(1) de la Loi sur la taxe d’accise (« [a]près préavis écrit suffisant donné à la personne inscrite aux termes de la présente sous‑section, le ministre peut annuler son inscription s’il est convaincu qu’elle n’est pas nécessaire pour l’application de la présente partie »). Cette décision était un complément aux nouvelles cotisations qui ont été émises. L’inscription aux fins de la TPS/TVH de la demanderesse a déjà été radiée. Par conséquent, il n’y a rien à suspendre en ce moment. Pour obtenir un résultat pour la demanderesse, il faudrait ordonner au ministre de faire quelque chose, soit au moyen d’une ordonnance obligatoire (que la demanderesse n’a pas demandée et qui, de toute façon, entraîne l’application d’une norme plus rigoureuse à cette première étape : R. c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5, [2018] 1 RCS 196au para 15) ou par ordonnance de mandamus (une demande dont il est question ci‑dessous dans une section distincte et qui ne peut être accueillie).

[57] En ce qui concerne les mesures de recouvrement prises par le ministre, la demanderesse a fait valoir à juste titre que, dans l’arrêt Walker, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée à la Cour pour contester la validité des mesures prises par le ministre en vue de recouvrer des sommes exigibles au titre de l’impôt : Walker, au para 15. De plus, le juge Stratas a conclu, dans l’arrêt JP Morgan, qu’une demande peut être présentée en vue de réexaminer une conduite inacceptable ou injustifiable au regard des faits et du droit durant le processus de recouvrement : JP Morgan, au para 96, citant l’arrêt Walker.

[58] La position de la demanderesse dans la présente requête n’est pas qu’une mesure de recouvrement prise à ce jour, ou toute mesure de recouvrement éventuelle particulière, était ou sera illégale ou abusive. La position de la demanderesse était plutôt que toutes les mesures de recouvrement qui pouvaient être prises par le ministre devraient être suspendues jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse soit tranchée.

[59] Dans la Loi sur la taxe d’accise, le paragraphe 315(1) prévoit que le ministre « ne peut, outre exiger des intérêts, prendre des mesures de recouvrement aux termes des articles 316 à 321 relativement à un montant susceptible de cotisation selon la présente partie que si le montant a fait l’objet d’une cotisation ». En l’espèce, un montant a fait l’objet d’une nouvelle cotisation et des avis de nouvelle cotisation ont été envoyés : Johnson c Canada (Revenu national), 2015 CAF 51 au para 59. En droit, la décision d’établir une nouvelle cotisation n’est pas une décision discrétionnaire, comme l’a soutenu la demanderesse. Le ministre n’a généralement pas de pouvoir discrétionnaire à exercer et aucun pouvoir discrétionnaire dont elle puisse abuser dans l’établissement d’une cotisation : JP Morgan, aux para 77 et 78. De plus, les cotisations sont juridiquement concluantes et contraignantes, à moins d’être invalidées par la Cour canadienne de l’impôt : Iris Technologies Inc c Canada (Revenu national), 2020 CAF 117 au para 50. Aux termes du paragraphe 299(3), une cotisation est valide et exécutoire, sous réserve d’une nouvelle cotisation ou d’une annulation en raison d’une opposition ou d’un appel.

[60] La Loi sur la taxe d’accise ne restreint pas expressément la capacité du ministre de prendre des mesures de recouvrement après l’envoi d’une cotisation (ou d’une nouvelle cotisation); la loi exige, au paragraphe 315(2), que si le ministre envoie un avis de cotisation à une personne, « [l]a partie impayée d’une cotisation visée par un avis de cotisation est payable immédiatement au receveur général » [Non souligné dans l’original].

[61] Le ministre s’est appuyé sur la décision Mason c Canada (Procureur général), 2015 CF 926, dans laquelle la juge Strickland a refusé d’ordonner au ministre de prendre des mesures de recouvrement après avoir émis des avis de cotisation pour la TPS, en attendant un appel devant la Cour d’appel fédérale. La juge Strickland s’est dite d’accord avec une conclusion antérieure de la juge Gleason dans la même affaire, qui a conclu que la demande de contrôle judiciaire de Mason ne soulevait pas une question sérieuse, car il était manifeste, en vertu du paragraphe 315(2), que le ministre avait le droit de faire appliquer les cotisations de TPS pendant que les appels étaient en instance : Mason, au para 23.

[62] À mon avis, compte tenu du paragraphe 315(2), un raisonnement semblable s’applique en l’espèce. Les avis de nouvelle cotisation peuvent faire l’objet d’une contestation dans le cadre du processus d’opposition ou d’appel, mais la demanderesse n’a pas désigné de fondement substantiel, dans la loi ou la jurisprudence, qui appuierait une demande de contrôle judiciaire relativement aux mesures de recouvrement prises par le ministre à ce moment‑ci.

[63] De plus, dans une lettre du 28 juin 2021, la demanderesse a demandé au ministre de reporter le recouvrement en vertu du paragraphe 315(3). Il existe un mécanisme législatif pour obtenir un sursis, que la demanderesse a déclenché. Il n’a pas encore suivi son cours.

[64] Je remarque également que la présente affaire est différente de l’affaire Iris Technologies Inc c Canada (Revenu national), 2021 CF 874 (juge Sadrehashemi), qui en était à une étape ultérieure au moment où la décision a été rendue et où les demandes recevables en droit administratif avaient déjà été reconnues par la Cour, aux paragraphes 35 et 37.

[65] À la suite d’une étude préliminaire du bien‑fondé des demandes de contrôle judiciaire proposées en l’espèce, je conclus, compte tenu des éléments de preuve et des observations présentés par la demanderesse, que celle‑ci n’a pas soulevé de questions sérieuses qui ont un fondement substantiel.

Deuxième étape : préjudice irréparable

[66] Bon nombre de demandes d’injonction interlocutoire ou de sursis reposent sur la question de savoir si la partie requérante a établi ou non l’existence d’un préjudice irréparable à la deuxième étape de l’analyse. Un demandeur doit convaincre la Cour qu’il subira un préjudice irréparable si l’injonction ou le sursis est refusé : Société Radio‑Canada, aux para 12 et 18; RJR‑MacDonald, à la p 348f.

[67] C’est la nature ou la qualité du préjudice, et non son étendue, qui doit être « irréparable ». Un préjudice irréparable est un préjudice qui ne peut être réparé par des dommages‑intérêts, ou auquel il ne peut être remédié d’une autre façon, par exemple parce qu’une partie ne peut être dédommagée par l’autre : RJR‑MacDonald, à la p 341d.

[68] Le tribunal qui soupèse la preuve d’un préjudice irréparable allégué doit tenir compte de la nature du préjudice et de celle de la preuve dont il dispose. Dans l’arrêt Newbould, au paragraphe 29, le juge Pelletier a énoncé la distinction suivante pour ce qui est de la preuve des différentes catégories de préjudice irréparable :

À mon avis, la présence de ces deux courants jurisprudentiels démontre que la qualité de la preuve — « claire et convaincante » ou un autre critère — est fonction de la nature du préjudice irréparable invoqué. Lorsque le préjudice redouté est financier, une preuve claire et convaincante est nécessaire puisque ce type de préjudice peut être établi par une preuve concrète, comme celle dont il est question au paragraphe 17 de la décision Gateway City Church [2013 CAF 126]. En cas d’atteinte à des intérêts sociaux comme la réputation ou la dignité, dont il est question dans l’affaire Douglas [c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1115], le préjudice irréparable peut être inféré de l’ensemble des circonstances de l’espèce.

[Non souligné dans l’original.]

[69] Pour démontrer un préjudice irréparable, une partie requérante doit présenter des éléments de preuve « clairs et non conjecturaux » d’un préjudice irréparable : voir, par exemple, Droits des voyageurs c Canada (Office des transports), 2020 CAF 92 au para 28. Dans l’arrêt Janssen Inc c Abbvie Corporation, 2014 CAF 112, le juge Stratas a déclaré, au paragraphe 24, que « le requérant doit établir de manière détaillée et concrète qu’il subira un préjudice réel, certain et inévitable — et non pas hypothétique et conjectural — qui ne pourra être redressé plus tard ». Voir aussi : Western Oilfield Equipment Rentals Ltd c M‑I LLC, 2020 CAF 3 aux para 11 et 12; Canada (Procureur général) c Oshkosh Defense Canada Inc, 2018 CAF 102 aux para 25 et 30 (la « partie qui présente la requête en sursis a le fardeau de produire des éléments de preuve précis et détaillés établissant la probabilité d’un préjudice irréparable »); Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255 au para 31.

[70] Pour un exemple récent d’une partie qui n’a pas présenté de preuve concrète d’un préjudice financier irréparable selon la norme exigée par la Cour d’appel fédérale, voir la décision Iris Technologies Inc c Canada (Revenu national), 2021 CF 874 (juge Sadrehashemi) en particulier les paragraphes 51 à 62.

[71] Dans la présente requête, la demanderesse a fait valoir qu’en vertu des nouvelles cotisations, Newave doit plus de 72 millions de dollars au ministre. Elle soutient qu’il n’y a pas de restrictions en matière de recouvrement qui s’appliquent à l’ARC une fois qu’une nouvelle cotisation est produite en vertu de la Loi sur la taxe d’accise. Étant donné que Newave ne peut pas payer cette dette, l’ARC peut aussi poursuivre les administrateurs de Newave pour la dette présumée. Newave a fait valoir que toute mesure de recouvrement l’acculerait à la faillite et que tout exercice du pouvoir de recouvrement de l’ARC aurait de graves répercussions sur la capacité de Newave de continuer à plaider les demandes. La demanderesse a soutenu que les mesures de recouvrement causeraient des difficultés financières graves et irréversibles aux administrateurs de Newave et porteraient atteinte à la réputation de ses fournisseurs et de ses clients. Du point de vue de la demanderesse, après avoir nié l’équité procédurale à l’étape de la vérification, l’ARC serait maintenant en mesure de s’assurer que Newave ne serait jamais en mesure de contester la position de vérification de l’ARC.

[72] En ce qui concerne la radiation de l’inscription, la demanderesse a soutenu que l’ARC avait effectivement mis fin aux activités de Newave en radiant son inscription aux fins de la TPS/TVH. Sans cette inscription, Newave ne peut pas percevoir la TPS/TVH auprès de ses clients et ne peut pas recouvrer le montant des CTI qu’elle a déjà payés à ses fournisseurs.

[73] Le défendeur a soutenu que les allégations de Newave n’étaient pas étayées par des détails, des preuves documentaires ou des renseignements de tiers. Le défendeur a soutenu que Newave avait transmis ses allégations par l’intermédiaire d’un adjoint juridique, en demandant à M. Vilchez de signer un affidavit fondé sur les renseignements et la croyance d’un administrateur de Newave selon lesquels toute mesure de recouvrement anéantirait ses finances et mettrait fin à ses activités. Ainsi, selon le défendeur, Newave s’est mis à l’abri d’un contre‑interrogatoire approprié relativement à sa situation financière réelle.

[74] Selon le défendeur, les allégations de préjudice irréparable de la demanderesse ne sont que de simples assertions qui ne correspondent pas au type de preuve nécessaire pour démontrer l’existence d’un préjudice irréparable. Le défendeur a fait remarquer qu’il n’y avait aucune preuve, dans la présente requête, portant sur les fonds que Newave peut détenir dans des comptes bancaires, les marges de crédit qu’elle peut détenir, les actifs de valeur ou les privilèges ou charges existants sur ces actifs, et les comptes débiteurs qu’elle pourrait percevoir ou les comptes créditeurs qu’elle doit payer. Il n’y a aucune preuve, comme des comptes bancaires, des recherches de titres et des états financiers vérifiés, montrant que Newave n’est pas en mesure de payer les montants qu’elle doit au ministre.

[75] En ce qui concerne la radiation de l’inscription aux fins de la TPS/TVH, le défendeur a fait valoir que Newave n’avait présenté aucune demande récente de crédits de taxe sur les intrants. Par conséquent, la preuve n’a pas démontré que Newave a réellement besoin de l’inscription aux fins de la TPS/TVH pour poursuivre ses activités et qu’elle ne dépend pas des demandes de CTI pour réussir.

[76] À mon avis, la demanderesse n’a pas démontré, dans la présente requête, qu’elle subira un préjudice irréparable. D’après la preuve au dossier, la demanderesse n’a pas satisfait à la norme établie par la Cour d’appel fédérale concernant la preuve d’un préjudice irréparable, notamment en ce qui a trait à sa situation financière.

[77] La preuve de la demanderesse sur le préjudice irréparable était essentiellement contenue dans l’affidavit de M. Vilchez, assermenté le 27 juillet 2021 (et réassermenté le 31 août 2021 pour des raisons techniques), aux paragraphes 34 et 35 :

[traduction]

Préjudice irréparable à la suite d’une mesure de recouvrement prise par l’ARC

34. J’ai parlé à l’administrateur de la demanderesse, Olaitan Omidiran, le mardi 27 juillet 2021 et je crois sincèrement qu’il est vrai que :

a. la demanderesse n’a pas la capacité de payer une somme de l’ordre de 72 004 358,32 $;

b. toute mesure de recouvrement contre la demanderesse aura pour effet d’anéantir ses finances et de mettre fin à ses activités;

c. toute mesure de recouvrement contre l’administrateur de la demanderesse entraînera sa faillite;

d. toute mesure de recouvrement contre la demanderesse empêchera celle‑ci de présenter la première et la deuxième demandes sur le fond;

e. toute mesure de recouvrement contre la demanderesse empêchera celle‑ci de contester les nouvelles cotisations.


Préjudice irréparable causé par la radiation de l’inscription de la demanderesse aux fins de la TPS/TVH

35. J’ai parlé à l’administrateur de la demanderesse, Olaitan Omidiran, le mardi 27 juillet 2021 et je crois sincèrement qu’il est vrai que :

a. la demanderesse n’a pas la capacité de mener ses activités sans inscription aux fins de la TPS/TVH;

b. la demanderesse achète des minutes de services VoIP de gros auprès de fournisseurs et paie la TPS/TVH sur ces minutes, et revend les minutes de services VoIP à ses clients avec une petite majoration;

c. sans inscription aux fins de la TPS/TVH, la demanderesse doit tout de même payer la TVH, mais ne peut pas demander de CTI;

d. si la demanderesse n’est pas en mesure de réclamer des CTI pour l’achat en gros de minutes de services VoIP, elle n’est pas en mesure d’exercer ses activités;

e. la demanderesse a toujours versé un petit montant net de TVH et n’a jamais demandé de remboursement;

f. les relations de la demanderesse avec ses clients existants subissent un préjudice irréparable parce qu’elle ne peut plus fournir les services qu’elle fournissait auparavant. Vous trouverez ci‑joint à la pièce « Q » une copie d’un courriel envoyé par un client le 21 juin 2021.

[78] À mon avis, cette preuve sur la question centrale du préjudice irréparable est insatisfaisante. Tout d’abord, cette déclaration sous serment vient de M. Vilchez, qui est un adjoint juridique au bureau de l’avocat de la demanderesse. M. Vilchez n’a pas une connaissance de première main des questions abordées aux paragraphes 34 et 35 de son affidavit. Son affidavit indiquait plutôt qu’il avait parlé avec l’administrateur de Newave le 27 juillet 2021 et qu’il croyait que les questions énoncées au sujet de la situation financière de Newave et de son administrateur étaient vraies.

[79] Deuxièmement, les paragraphes 34 et 35 de l’affidavit comprennent deux listes d’énoncés radicaux et concluants. Il n’y a pas de faits à l’appui des déclarations (sauf pour le dernier point du paragraphe 35). L’affidavit ne contenait aucun dossier financier ou autre document à l’appui de ces énoncés. Rien n’explique comment ni pourquoi l’administrateur de Newave en est arrivé à ces conclusions, comme il en a informé le déposant, ni même comment l’administrateur a une connaissance suffisante de la situation financière de l’entreprise pour être en mesure de confirmer ces déclarations faites à M. Vilchez. Même si une personne ayant une connaissance personnelle apparente de la situation financière de l’entreprise et de l’administrateur avait fait ces déclarations sous serment, elles pourraient être remises en question à première vue en raison de leur niveau de généralité et de l’absence de faits et de preuves à l’appui des affirmations.

[80] La demanderesse n’a pas laissé entendre, dans la présente requête, qu’il n’était pas possible pour Newave de fournir une preuve de première main du préjudice qu’elle subirait si le ministre ne se fait pas interdire de prendre des mesures de recouvrement ou si Newave n’était pas inscrite aux fins de la TPS/TVH. Les circonstances entourant le dépôt de l’affidavit n’étaient pas si urgentes qu’une personne bien renseignée n’était pas disponible. Newave n’a pas non plus soutenu qu’elle n’avait d’autre choix que de présenter des déclarations aussi concluantes pour appuyer sa position.

[81] En fait, lorsque la nature de cette preuve a été soulevée à l’audience, l’avocat de Newave a candidement admis que Newave avait présenté la [traduction] « preuve » de cette façon afin d’éviter un contre‑interrogatoire [traduction] « agressif » d’une personne qui connaît la situation financière de Newave par l’avocat du ministère de la Justice, en raison de la nature des allégations de fraude faites par la vérification de l’ARC et des risques connexes pour la personne et l’entreprise de fournir des preuves. Dans ce contexte, Newave a soutenu qu’une preuve directe n’était pas nécessaire, car il était évident, même sur la foi de ouï‑dire, qu’elle n’avait pas 72 millions de dollars à verser au ministre et que le sursis ne serait en place que quelques mois jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire soit entendue.

[82] Je n’accepte pas l’explication de la demanderesse pour ne pas avoir produit quelqu’un qui connaît les affaires financières de Newave afin de prouver un préjudice irréparable. Newave ne peut pas éviter de présenter le témoignage nécessaire d’un témoin bien informé qui fait l’objet d’un contre‑interrogatoire et, en même temps, s’attendre à prouver un préjudice irréparable en se fondant sur les maigres preuves par ouï‑dire non étayées qu’elle a déposées. Comme le défendeur l’a souligné, Newave n’a pas déposé de documents comme des états financiers, des relevés bancaires ou d’autres documents contenant des renseignements indépendants vérifiables qui révéleraient sa situation financière actuelle.

[83] Je refuse également de tirer la conclusion que Newave a implicitement demandée, selon laquelle, à la lumière de la preuve du déposant du défendeur au sujet des récentes déclarations de revenus de Newave, la Cour devrait déduire que Newave n’a pas 72 millions de dollars pour payer les montants des nouvelles cotisations et que toute mesure de recouvrement ou radiation de l’inscription aux fins de la TPS/TVH entraînerait un préjudice irréparable. La preuve relative à la présente requête est insuffisante pour appuyer cette conclusion selon la norme juridique requise. De plus, comme il est évident, il ne s’agit pas de la meilleure preuve que la demanderesse aurait pu présenter.

[84] À mon avis, la preuve relative à la présente requête est insuffisante pour appuyer les conclusions relatives à la situation financière de l’entreprise afin d’établir un préjudice irréparable, y compris le fait qu’elle ne serait pas en mesure de plaider ses demandes de contrôle judiciaire si les mesures de recouvrement prises par le ministre ne sont pas restreintes. De plus, l’énoncé concernant les répercussions possibles sur l’administrateur est hypothétique, car ces répercussions dépendent de mesures que l’ARC n’a pas prises ou n’a pas menacé de prendre contre l’administrateur personnellement.

[85] Compte tenu de cette appréciation de la preuve, il n’est pas nécessaire de tirer une conclusion défavorable en vertu du paragraphe 81(2) des Règles des Cours fédérales.

[86] La Cour d’appel fédérale a clairement indiqué dans de nombreuses décisions que l’existence du préjudice irréparable doit être démontré au moyen de preuves claires et convaincantes, particulièrement en ce qui concerne le préjudice financier. La preuve relative à la présente requête est loin d’être suffisante pour s’acquitter de ce fardeau.

Troisième étape : prépondérance des inconvénients

[87] À la troisième étape du cadre d’analyse établi dans l’arrêt RJR‑MacDonald, le tribunal doit déterminer quelle partie subira le plus grave préjudice selon que le sursis est accordé ou non en attendant une décision sur le fond. En l’espèce, compte tenu de mes conclusions ci‑dessus, il est inutile de tenir compte de la prépondérance des inconvénients.

[88] Les conclusions titrées aux étapes un et deux sont suffisantes pour rejeter la requête en sursis de la demanderesse. S’il était nécessaire de le faire, je rejetterais la requête en sursis de la demanderesse au seul motif qu’elle n’a pas produit de preuve de préjudice irréparable.

[89] Par conséquent, je conclus que la requête de la demanderesse en vue d’obtenir un sursis de la mesure de recouvrement proposée par l’ARC et de la radiation de l’inscription auprès du programme de TPS/TVH doit être rejetée.

B. Requête en redressement provisoire de la demanderesse : ordonnance de mandamus

[90] La demanderesse n’a présenté aucune observation écrite ou de vive voix sur la demande d’ordonnance provisoire de mandamus dans son avis de requête en vue d’obliger le ministre à réinscrire son compte de TPS/TVH. Le défendeur n’a soumis aucune observation sur cette question.

[91] Cette demande de redressement doit être rejetée. La demanderesse n’a pas montré qu’il existe, dans la Loi sur la taxe d’accise ou ailleurs, une obligation publique qui peut être exécutée par ordonnance de mandamus de façon provisoire ou définitive, ou qu’elle a le droit de demander l’exécution d’une obligation à ce moment‑ci. Le paragraphe 242(1) de la Loi sur la taxe d’accise prévoit que le ministre « peut » annuler une inscription et la demanderesse n’a pas signalé de disposition applicable qui exigerait que le ministre n’annule pas l’inscription de la demanderesse ou rétablisse son inscription. Voir Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 (CA) au para 55, confirmé par [1994] 3 RCS 1100; Iris Technologies Inc c Canada (Revenu national), 2020 CAF 117 aux para 14, 35, 36, 39 et 48; Gagnon c Canada (Procureur général), 2019 CF 1661 (juge Gascon) aux para 37 et 43 à 45; Canada (Directeur général des élections) c Callaghan, 2011 CAF 74, [2011] 2 RCF 80 au para 126 et paragraphe 242(1) de la Loi sur la taxe d’accise.

III. Les requêtes en radiation du ministre

[92] Le ministre a soutenu que les deux avis de demande de la demanderesse devraient être radiés. La demanderesse était vigoureusement en désaccord.

A. Le critère juridique s’appliquant à une requête en radiation

[93] Les parties ont convenu que le critère à appliquer dans le cas d’une requête en radiation d’un avis de demande consiste à déterminer si la demande est « si manifestement irrégulière qu’elle n’a aucune chance de succès » : Vancouver Fraser Port Authority c GCT Canada Limited Partnership, 2021 CAF 183 au para 6, et JP Morgan, au para 47, tous deux citant David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc, [1995] 1 CF 588 à la p 600 (CA).

[94] Pour qu’une demande soit radiée, il doit y avoir un vice fondamental et manifeste qui infirmerait à la base la capacité de la Cour à instruire la demande : JP Morgan, aux para 47, 52, 66, 91 et 112. Le seuil est élevé : une telle conclusion doit être claire et la Cour doit être certaine : JP Morgan, aux para 48 et 91; Canada (Revenu national) c Sifto Canada Corp, 2014 CAF 140 au para 17.

[95] Dans le cas d’une requête en radiation, les faits allégués dans l’acte de procédure sont considérés comme véridiques : JP Morgan, au para 54. Aucun élément de preuve n’est permis dans le cadre d’une requête en radiation, à l’exception des documents mentionnés expressément dans un acte de procédure : JP Morgan, au para 54.

B. Les positions des parties

[96] En général, le ministre s’est fondé sur la position selon laquelle la validité des cotisations et des nouvelles cotisations en vertu de la Loi sur la taxe d’accise relève de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt et que la Cour n’a pas compétence pour invalider les cotisations fiscales, en se reportant au paragraphe 12(1) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, LRC 1985, c T‑2 et à l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales. Le ministre a également fait référence au paragraphe 299(3) de la Loi sur la taxe d’accise, qui prévoit effectivement qu’une cotisation est réputée valide et exécutoire, sous réserve d’une nouvelle cotisation ou d’une annulation à la suite d’une opposition ou d’un appel. Une cotisation peut faire l’objet d’oppositions en vertu de l’article 301 de la Loi sur la taxe d’accise. Une personne qui s’oppose à une cotisation peut interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt, selon les modalités prévues à l’article 306 de la Loi sur la taxe d’accise. Les principales dispositions de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, de la Loi sur les Cours fédérales et de la Loi sur la taxe d’accise figurent à l’annexe « A » des présents motifs. Le ministre a fait référence à de nombreuses décisions à l’appui de cette position, notamment les arrêts JP Morgan; Iris Technologies Inc c Canada (Revenu national), 2020 CAF 117; Conseil de bande de la Première Nation Peters c Peters, 2019 CAF 197 et Strickland c Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 RCS 713.

[97] Le ministre a fait valoir que la demanderesse a d’autres recours, soit le processus d’opposition et d’appel prévu dans la Loi sur la taxe d’accise, une demande de production de documents de l’ARC pendant le processus d’opposition, une demande en vertu du paragraphe 315(2) pour que le ministre ne prenne pas de mesures de recouvrement à la lumière du différend au sujet des nouvelles cotisations; et une nouvelle demande d’inscription aux fins de la TPS/TVH en vertu de l’article 241.

[98] Le ministre a en outre soutenu qu’il n’est pas possible de demander un contrôle judiciaire de la Cour fédérale en vue de contrôler les processus d’établissement des cotisations de l’ARC ou son traitement des éléments de preuve dans le processus de vérification et d’établissement d’une cotisation concernant un contribuable. À cet égard, les questions de droit fiscal substantiel et les questions de preuve relèvent de la compétence de la Cour canadienne de l’impôt. Le ministre a fait référence à la décision Ghazi c Canada (Revenu national), 2019 CF 860 (juge en chef adjointe Gagné).

[99] Newave a soutenu, de façon générale, que l’invalidation des nouvelles cotisations n’était pas au cœur de sa première demande de contrôle judiciaire. Elle a axé son argumentation sur ses allégations de non‑divulgation de documents par l’ARC dans le cadre d’un droit à l’équité procédurale et à la justice naturelle à l’étape de la vérification. La demanderesse a affirmé qu’elle pouvait déposer une demande de contrôle judiciaire de la décision injuste sur le plan procédural de ne pas divulguer les documents et de ne pas accorder à la demanderesse plus de temps pour présenter ses observations.

[100] En plus de sa position générale, le ministre a soutenu que les avis de demande comportaient de nombreuses autres lacunes.

[101] Premièrement, le ministre a soutenu que la Cour n’a pas le pouvoir de [traduction] « surseoir » à la décision du ministre de conclure une vérification d’un contribuable ou d’accorder une ordonnance annulant cette décision et renvoyant l’affaire à différents vérificateurs. Quoi qu’il en soit, le ministre a soutenu que ce motif de redressement était sans objet parce que Newave a admis, dans le deuxième avis de demande, que la vérification était terminée et que l’ARC a produit des avis de nouvelle cotisation : Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342. Le ministre a soutenu que la Cour ne pouvait pas accorder une ordonnance qui aurait un effet pratique parce que les nouvelles cotisations ont été établies et que la vérification est terminée, ce qui ne peut pas être annulé. Il n’y a donc plus de controverse quant à savoir si la vérification devrait être terminée.

[102] Newave a soutenu que le redressement demandé au sujet de la conclusion de la vérification était nécessaire pour donner un sens à sa contestation de la décision de l’ARC de ne pas fournir de divulgation documentaire ou de prolongation du délai pour présenter des observations. Newave a fait observer que le ministre n’a pas fait valoir que la décision de l’ARC de clore prématurément et injustement une vérification d’un contribuable n’est pas assujettie à un contrôle judiciaire. Selon Newave, le ministre a pris des mesures délibérées pour échapper au contrôle judiciaire de la Cour en produisant les nouvelles cotisations, ce qui, selon elle, constituait un [traduction] « abus flagrant » du pouvoir discrétionnaire de l’ARC. Au sujet du caractère théorique dans l’affaire Borowski, Newave a soutenu qu’un contexte accusatoire continuait d’exister entre les parties et que l’économie judiciaire n’empêchait pas la nécessité d’un contrôle judiciaire de la conduite de l’ARC. Newave a soutenu que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre l’affaire étant donné que le caractère théorique allégué du différend découlait directement des mesures prises par l’ARC quand elle a ignoré le premier avis de demande.

[103] Deuxièmement, le ministre a fait valoir que la Cour n’a pas compétence pour enjoindre au ministre d’annuler l’inscription de Newave aux fins de la TPS/TVH ou pour obliger le ministre à réinscrire Newave jusqu’à ce que ses droits d’opposition ou d’appel aient été épuisés. Le ministre a fait valoir que le droit d’annuler l’inscription est un pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 242(1) de la Loi sur la taxe d’accise qui ne peut faire l’objet d’une ordonnance de mandamus (soit sur requête interlocutoire, soit par demande d’ordonnance définitive). Par ailleurs, le ministre a fait valoir que Newave dispose d’un autre recours adéquat parce qu’elle peut demander au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser d’annuler l’inscription.

[104] Newave a répondu à cette observation en faisant valoir que la Cour a compétence pour examiner l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre, notamment en vertu du paragraphe 242(1) de la Loi sur la taxe d’accise, en s’appuyant sur l’arrêt JP Morgan, au paragraphe 96. De plus, elle a fait valoir que la Cour est la seule autorité judiciaire qui peut examiner la décision de l’ARC de radier l’inscription d’un contribuable aux fins de la TPS/TVH parce que le contribuable n’a pas le droit d’interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt à l’égard d’une radiation.

[105] Troisièmement, le ministre a soutenu que la Cour ne peut pas ordonner le respect de la Charte des droits du contribuable parce qu’il s’agit, [traduction] « au mieux », d’une politique administrative qui n’a pas force de loi. Newave a répondu que la Charte des droits du contribuable est une politique de l’ARC et que l’ARC elle‑même l’a soulevée dans une lettre datée du 7 juin 2021, dans laquelle elle a utilisé ce document pour justifier sa décision de ne pas divulguer d’autres documents ou d’accorder une prolongation de délai.

[106] Quatrièmement, le ministre a soutenu que la Cour ne peut pas ordonner la production de documents à titre de motif autonome de redressement dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Selon le défendeur, le ministre n’est pas tenu en droit, indépendamment de l’article 317 des Règles des Cours fédérales, de fournir les documents demandés à Newave. En réponse, Newave a fait valoir que la position du ministre sur la divulgation de documents ne constituait pas un [traduction] « obstacle » à sa position sur la demande de contrôle judiciaire. Newave a mentionné l’importance de la divulgation de documents dans les instances de contrôle judiciaire, en citant l’arrêt Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c Alberta, 2015 CAF 268, [2016] 3 RCF 19 aux paragraphes 13 et 14. Newave a également soutenu que la Cour devrait être guidée par la décision Scott Slipp Nissan Ltd, aux paragraphes 49, 50 et 71.

[107] En ce qui concerne la demande d’ordonnance provisoire présentée par la demanderesse en vue d’empêcher le ministre de recouvrer les montants figurant dans les nouvelles cotisations, le défendeur a fait valoir que le ministre a le droit et le pouvoir discrétionnaire de percevoir les montants des nouvelles cotisations en vertu du paragraphe 315(2) de la Loi sur la taxe d’accise. Le ministre a soutenu que la Cour ne peut pas ordonner au ministre de s’abstenir de prendre des mesures de recouvrement.

[108] Le ministre a également fait valoir qu’une déclaration selon laquelle une cotisation constitue un abus de procédure est une déclaration de fait qui ne constitue pas un recours disponible dans le cadre d’un contrôle judiciaire.


 

C. Analyse de la requête en radiation : principes juridiques

(i) Caractérisation des actes de procédure

[109] Lorsqu’elle examine une requête en radiation, la Cour doit lire l’avis de demande afin d’obtenir une appréciation réaliste de la nature essentielle ou réelle de la demande, tout en examinant la question de savoir si les arguments présentés sont une attaque astucieuse et déguisée portant sur une question ne relevant pas de la compétence de la Cour fédérale, comme une cotisation ou une nouvelle cotisation de l’ARC : Canada (Procureur général) c British Columbia Investment Management Corp, 2019 CSC 63 au para 36; JP Morgan, aux para 49, 102, 104 et 105; Canada (Procureur général) c Valero Energy Inc, 2020 CAF 68 aux para 37 et 44: Iris Technologies Inc c Canada (Revenu national), 2020 CAF 117 au para 51.

[110] La Cour doit lire l’avis de demande de façon holistique et pratique sans s’attacher aux questions de forme : JP Morgan, au para 102; Valero, au para 44. La Cour ne doit pas faire de lecture technique ou microscopique : Sifto Canada Corp, au para 25.

(ii) Contrôle judiciaire en matière fiscale

[111] Le juge Stratas a conclu, dans l’arrêt JP Morgan, qu’en matière fiscale, l’un ou l’autre des éléments suivants constitue un vice fondamental et manifeste justifiant la radiation d’un avis de demande :

(1) l’avis de demande ne révèle aucune action recevable en droit administratif qui peut être introduite devant la Cour fédérale;

(2) l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales ou quelque autre principe juridique interdit à la Cour fédérale de se prononcer sur le recours en droit administratif;

(3) la Cour fédérale ne peut accorder la mesure demandée.

JP Morgan, au para 66.

[112] En ce qui concerne le contrôle judiciaire en matière fiscale, dans l’arrêt British Columbia Investment Management Corp, la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

[37] Toute contestation du bien‑fondé d’une cotisation fiscale établie en application de la LTA relève de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt (Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. 1985, c. T‑2, par. 12(1); LTA, art. 306, par. 309(1); [citations omises]

[38] Même lorsqu’une demande n’a pas pour objet la contestation d’une cotisation, une cour supérieure peut refuser d’exercer sa compétence en reconnaissance de l’expertise de la Cour canadienne de l’impôt (Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, [2007] 2 R.C.S. 793, par. 11; […]. Dans l’arrêt Addison, notre Cour a souligné qu’il ne fallait pas permettre qu’une « procédure connexe » serve à contourner le système d’appel établi par le Parlement en matière fiscale (par. 11). Cependant, il ne s’ensuit pas qu’une demande par ailleurs valide ne peut être introduite devant la cour supérieure pour la simple raison qu’elle pourrait avoir une incidence sur une instance devant la Cour canadienne de l’impôt.

[113] Le paragraphe cité de l’arrêt Canada c Addison & Leyen Ltd, 2007 CSC 33, [2007] 2 RCS 793, est ainsi rédigé :

11 Dans de telles circonstances, les tribunaux de révision ne doivent ouvrir la voie aux recours en contrôle judiciaire qu’avec beaucoup de circonspection. Il y a lieu de protéger l’intégrité et l’efficacité du système de cotisation et d’appel en matière fiscale. Le Parlement a édifié une structure complexe pour assurer le traitement d’une multitude de revendications se rapportant au fisc, et cette structure s’appuie sur un tribunal spécialisé et indépendant, la Cour canadienne de l’impôt. On ne saurait permettre que le contrôle judiciaire serve à créer une nouvelle forme de procédure connexe destinée à contourner le système d’appel établi par le Parlement en matière fiscale ainsi que la compétence de la Cour de l’impôt. Dans ce contexte, le contrôle judiciaire devrait demeurer un recours de dernier ressort.

[114] La contestation de l’exactitude ou de la validité d’une cotisation en vertu de la Loi sur la taxe d’accise relève de la compétence exclusive de la Cour de l’impôt : Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, au paragraphe 12(1); British Columbia Investment Management Corp, au para 37; JP Morgan, aux para 81 et 82. L’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales prive la Cour fédérale de sa compétence en matière de droit administratif pour toute question pouvant être résolue par un appel devant la Cour canadienne de l’impôt. L’article 306 de la Loi sur la taxe d’accise prévoit un droit d’appel devant la Cour canadienne de l’impôt contre les cotisations établies par le ministre : Iris Technologies Inc c Canada (Revenu national), 2020 CAF 117 au para 50. La justesse ou la validité d’une cotisation est établie si les faits et la loi applicable l’appuient : JP Morgan, au para 82.

[115] Le ministre n’a généralement pas de pouvoir discrétionnaire à exercer et aucun pouvoir discrétionnaire dont elle puisse abuser dans l’établissement d’une cotisation : JP Morgan, aux para 77 et 78. La Cour d’appel fédérale a également déclaré que la Cour « ne peut pas empêcher le ministre de remplir ses fonctions prévues au paragraphe 275(1) de la Loi sur la taxe d’accise […] d’établir une cotisation au titre de la TPS payable en vertu de la loi simplement parce que cela aura pour effet d’imposer des obligations injustes et onéreuses et de causer des difficultés financières au contribuable » : Agence du revenu du Canada c Société Télé‑Mobile, 2011 CAF 89 au para 5.

[116] Toutefois, le simple fait que le ministre ait produit une cotisation ne prive pas la Cour de sa compétence, en vertu des articles 18.1 ou 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, d’examiner, par exemple, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu de la Loi sur la taxe d’accise : Iris Technologies Inc c Canada (Revenu national), 2020 CAF 117 au para 51; JP Morgan, au para 72.

[117] Une question clé est celle de savoir si le contribuable a un recours adéquat ailleurs : Addison, au para 8; JP Morgan, aux para 81 et 82. Dans l’arrêt Johnson, la Cour d’appel fédérale a conclu que les dispositions relatives à l’opposition et à l’appel prévues aux articles 301, 302 et 306 de la Loi sur la taxe d’accise « établissent une procédure d’appel complète qui permet au contribuable de soulever devant la Cour canadienne de l’impôt toutes les questions relatives au bien‑fondé des cotisations » (citant JP Morgan, au para 82). Le juge d’appel Webb a déclaré que « M. Johnson ne peut donc introduire une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale si, sous couvert de demander le contrôle judiciaire de la décision du ministre d’établir des cotisations à son égard, il conteste en réalité le bien‑fondé de ces dernières » (para 23).

[118] Une autre situation pour laquelle il existe un recours adéquat devant la Cour de l’impôt concerne les « procédures inappropriées suivies par le ministre dans l’établissement de la cotisation » :

Les vices de procédure commis par le ministre dans l’établissement de la cotisation ne constituent pas, en eux‑mêmes, un motif permettant de frapper de nullité la cotisation : [citations omises]. Dans la mesure où le ministre a ignoré un élément de preuve, en a fait abstraction, l’a écarté ou l’a mal interprété, un appel interjeté sous le régime de la procédure générale de la Cour canadienne de l’impôt est un recours approprié et curatif. En appel devant cette Cour, les parties auront la possibilité d’interroger au préalable, d’obtenir la communication de documents, de présenter des preuves documentaires, d’appeler des témoins et de faire des observations. La jouissance ultérieure de droits procéduraux peut remédier à des vices de procédure antérieurs : [citations omises].

JP Morgan, au para 82.

[119] Bien que la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt JP Morgan ait tenu compte des cotisations en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’analyse relative aux demandes de contrôle judiciaire s’applique également aux dispositions de la Loi sur la taxe d’accise qui s’appliquent à la TPS : Johnson, au para 21.

D. Application des principes juridiques aux actes de procédure

(i) Contenu du premier avis de demande

[120] La décision en cause : Le premier avis de demande daté du 7 juin 2021 demande un contrôle judiciaire de la « décision » du 2 juin 2021 rendue par le personnel de vérification de l’ARC de ne pas fournir de documents ou de renseignements à l’appui de sa position de vérification, de ne pas accorder une prolongation du délai pour présenter des observations, de ne pas accepter d’observations qui pourraient changer l’opinion de l’ARC et de conclure la vérification conformément à la lettre de proposition du 16 mars 2021. (À l’audience, l’avocate du ministre a reconnu que la « décision » pouvait être considérée comme étant plusieurs décisions aux fins de l’article 302 des Règles des Cours fédérales, mais elle n’a pas donné suite à ce point à l’égard de la présente requête.)

[121] Les motifs de contrôle judiciaire : Le premier avis de demande indiquait que la lettre de proposition de l’ARC du 16 mars 2021 proposait de radier l’inscription du compte de Newave auprès du programme de TPS/TVH, de refuser les crédits de taxe sur les intrants et d’imposer des pénalités pour faute lourde. La demanderesse a plaidé qu’elle avait demandé à l’ARC de faire une divulgation documentaire [traduction] « pour appuyer ses conclusions de vérification » parce que la lettre de proposition [traduction] « contenait terriblement peu d’information ou de détails et [faisait] des allégations générales de “supercherie” et de “stratagème de type carrousel”, sans donner aucun détail important ni aucune preuve ».

[122] Après avoir décrit les renseignements que l’ARC a refusé de divulguer, Newave a plaidé les motifs de sa demande. Elle a fait valoir que la décision de retenir la preuve documentaire sur laquelle l’ARC fondait sa proposition datée du 16 mars 2021 et sa [traduction] « position de cotisation finale » était déraisonnable, parce que :

  • les documents étaient nécessaires pour que le contribuable puisse contester adéquatement la proposition et, par conséquent, pour l’administration et l’application de la Loi sur la taxe d’accise;

  • les documents étaient nécessaires pour que le contribuable puisse déterminer ses obligations fiscales, intérêts et pénalités en vertu de la Loi sur la taxe d’accise;

  • les documents doivent être divulgués par l’ARC pour respecter ses obligations en vertu de la Loi sur la taxe d’accise;

  • l’ARC doit divulguer les documents sur lesquels elle se fonde pour appuyer sa proposition et sa position de cotisation finale.

[123] Dans le même paragraphe, Newave a affirmé que la décision de l’ARC n’était pas transparente, justifiable et intelligible et que l’ARC n’avait pas énoncé de fondement compréhensible pour refuser sa demande de divulgation et de prolongation du délai pour présenter des observations de fond. Newave a fait valoir que le ministre avait [traduction] « une importante et puissante responsabilité de fournir à [Newave] toute l’information et toute la documentation sur lesquelles elle s’est fondée pour formuler la proposition, ce qui pourrait entraîner la faillite [de Newave] et de ses administrateurs ».

[124] Le premier avis de demande a également plaidé que la décision de ne pas accepter les observations était déraisonnable, parce qu’elle a prédéterminé les résultats de la vérification et a atteint le niveau d’une conduite [traduction] « répréhensible et scandaleuse », qu’elle était très préjudiciable à Newave et qu’elle a révélé [traduction] « un parti pris réel » de la part des vérificateurs de l’ARC, a privé Newave de l’avantage d’une étape entière du système de règlement des différends fiscaux et a constitué une [traduction] « violation choquante » du droit de Newave à l’équité procédurale.

[125] Le premier avis de demande plaidait en outre une violation des alinéas 18.1(4)a), b), c), d) et f) de la Loi sur les Cours fédérales, en utilisant le libellé de chaque disposition. Il alléguait ensuite une violation de la Charte des droits du contribuable, au motif que l’ARC n’avait pas accordé à Newave son droit à un examen officiel en vertu de l’article 4, qu’elle n’avait pas traité Newave de façon professionnelle, courtoise et équitable en violation présumée de l’article 5, et qu’elle n’avait pas fourni à Newave des « renseignements complets, exacts, clairs et opportuns » en violation présumée de l’article 6.

[126] Les redressements demandés : Le premier avis de demande demandait :

  • une ordonnance enjoignant à l’ARC de fournir [traduction] « la divulgation complète de son dossier de vérification »;

  • une ordonnance visant à empêcher l’ARC de radier l’inscription de Newave aux fins de la TPS/TVH jusqu’à ce que ses droits d’opposition et d’appel aient été épuisés;

  • une directive selon laquelle l’ARC doit se conformer à la Charte des droits du contribuable;

  • une ordonnance provisoire pour surseoir à la décision de l’ARC de clore sa vérification;

  • une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire à l’ARC et à différents vérificateurs de l’ARC aux fins de réexamen.

(ii) Analyse du premier avis de demande

[127] À l’audience devant la Cour, comme il a été mentionné ci‑dessus, Newave s’est concentrée principalement sur les allégations de violation d’un droit à l’équité procédurale et à la justice naturelle dans le processus de vérification. À première vue, le premier avis de demande semble faire état de préoccupations possibles en droit administratif au sujet de l’iniquité procédurale découlant de la non‑divulgation et de la possibilité d’être entendu.

[128] Toutefois, selon un examen holistique et pratique du premier avis de demande, je suis d’avis que le premier avis de demande présente des lacunes fatales liées aux trois préoccupations décrites par le juge d’appel Stratas dans l’arrêt JP Morgan, au paragraphe 66.

[129] Je commence par l’examen de la nature du contrôle judiciaire proposé et des redressements demandés (que l’arrêt JP Morgan a abordés séparément, mais dans la présente affaire, ils peuvent facilement être analysés ensemble). À mon avis, le caractère essentiel du premier avis de demande est intimement lié à l’exactitude des nouvelles cotisations ou, plus précisément, à la tentative de la demanderesse de mettre en doute la justesse ou la validité de la position de cotisation de l’ARC dans sa lettre de proposition, qui a été reflétée plus tard dans les nouvelles cotisations. Cette conclusion est fondée sur les faits allégués, la nature des motifs invoqués pour le contrôle judiciaire, la nature des redressements demandés et le lien étroit entre la justesse ou la validité de la position de cotisation de l’ARC compte tenu des faits et de la preuve, la lettre de proposition de l’ARC du 16 mars 2021 et les nouvelles cotisations.

[130] Premièrement, le premier avis de demande concernait les trois éléments de la lettre de proposition de l’ARC du 16 mars 2021. Selon sa propre description de la lettre de proposition, l’acte de procédure constitue une contestation de la radiation (alors proposée) de l’inscription de Newave auprès du programme de TPS/TVH, du refus de certains crédits de taxe sur les intrants et de l’imposition de pénalités : voir le paragraphe 12 du premier avis de demande. Ces trois éléments sont également des éléments de la position ultérieure adoptée par l’ARC dans les nouvelles cotisations.

[131] La demanderesse a demandé une ordonnance de divulgation de l’analyse et des documents de l’ARC (décrits au paragraphe 20) qui appuient les conclusions de l’ARC concernant l’obligation fiscale, les intérêts et les pénalités de Newave ou, comme l’indique l’avis de demande, la [traduction] « position de cotisation finale » de l’ARC qui a servi de fondement pour sa lettre de proposition du 16 mars 2021. Par conséquent, la demanderesse cherche à obtenir une divulgation pour tenter de miner la position de cotisation de l’ARC, qui constitue le fondement de la lettre de proposition et des nouvelles cotisations.

[132] Dans ce contexte, il convient de souligner que la lettre de proposition de l’ARC du 16 mars 2021 n’était probablement pas une « décision » qui pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire, car elle ne déterminait pas les droits fondamentaux ou procéduraux du contribuable : Air Canada c Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347, [2013] 3 RCF 605 au para 26 à 28, 37 et 39; Prince c Canada (Revenu national), 2020 CAF 32 au para 21.

[133] Je note également la date du premier avis de demande. Newave l’a déposé juste après que le personnel de vérification de l’ARC l’a informée que l’ARC allait clore sa vérification [traduction] « immédiatement » conformément à sa lettre de proposition du 16 mars 2021 (ce qui signifie que l’ARC allait alors émettre de nouvelles cotisations), mais juste avant que la demanderesse n’apprenne que le ministre avait en fait émis les nouvelles cotisations.

[134] Deuxièmement, le premier avis de demande invoquait des motifs liés au [traduction] « caractère déraisonnable » allégué de la décision de l’ARC. Le fondement du contrôle judiciaire de fond est une allégation selon laquelle une décision administrative est déraisonnable : voir Vavilov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CSC 65. Bien que cette norme ne s’applique pas aux questions d’équité procédurale (Chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121), Newave fait valoir que l’ARC a rendu une décision [traduction] « déraisonnable » le 2 juin 2021.

[135] Le [traduction] « caractère déraisonnable » allégué de la décision de l’ARC de ne pas faire la divulgation demandée était directement lié à la position de cotisation de l’ARC. La demande soutenait que la décision de l’ARC de retenir la preuve documentaire [traduction] « sur laquelle l’ARC fonde sa proposition et sa position de cotisation finale […] était déraisonnable » parce que les documents contenus dans le dossier de vérification de l’ARC étaient nécessaires pour que la demanderesse [traduction] « conteste adéquatement » la proposition contenue dans la lettre de l’ARC du 16 mars 2021 et pour que la demanderesse [traduction] « détermine son obligation fiscale, les intérêts et les pénalités en vertu de la [Loi sur la taxe d’accise] » : voir l’introduction au paragraphe 26 et les alinéas 26a) et 26b). Les autres explications du caractère déraisonnable au paragraphe 26 précisaient pourquoi il est important pour la demanderesse de recevoir la divulgation (p. ex. les documents servant à [traduction] « appuyer sa proposition et sa position de cotisation finale », à l’alinéa 26d)) et la raison pour laquelle l’ARC devrait le faire, ou reprennent le libellé de la jurisprudence sur le contrôle judiciaire (voir l’alinéa 26e)).

[136] Il n’y a pas eu d’allégation selon laquelle l’ARC a pris la « décision » (telle que définie), en particulier la décision de ne pas divulguer tous les documents contenus dans son dossier de vérification, pour le genre de but inavoué ou inapproprié en droit administratif qui pourrait constituer le fondement d’une demande de contrôle judiciaire : voir Iris Technologies Inc c Canada (Revenu national), 2020 CAF 117 au para 51; JP Morgan, aux para 72 et 73.

[137] Le premier avis de demande a également plaidé que la décision de l’ARC de ne pas accepter d’observations était déraisonnable pour les raisons suivantes : les mesures prises par les vérificateurs de l’ARC pour déterminer à l’avance les résultats de la vérification et rejeter les observations du contribuable avant de les recevoir étaient répréhensibles; la décision était très préjudiciable à Newave et a révélé un [traduction] « parti pris réel » de la part des vérificateurs de l’ARC; elle a privé Newave de l’avantage d’une étape entière du système de règlement des différends fiscaux et sa conduite constituait une [traduction] « violation choquante » du droit de Newave à l’équité procédurale.

[138] À mon avis, cet acte de procédure donne à penser qu’il pourrait y avoir une réclamation recevable en droit administratif, compte tenu du fait que, le 2 juin 2021, le personnel de vérification de l’ARC a indiqué que [traduction] « rien que le contribuable puisse fournir qui nous ferait changer d’avis » (au paragraphe 21). Toutefois, dans le contexte de la lettre de proposition du 16 mars 2021 de l’ARC et de la position de cotisation qu’elle contient, comme l’indique le paragraphe 12, je note ce qui suit :

  • étant donné que l’ARC a accordé à Newave une prolongation du délai pour présenter des observations et qu’elle a décidé de ne pas le faire avant d’avoir reçu sa demande de divulgation (voir les paragraphes 14 à 21), un contrôle judiciaire de la décision de ne pas accepter les observations ne peut pas être fondé en soi, indépendamment d’une demande en bonne et due forme concernant la décision de ne pas effectuer la divulgation;

  • en ce qui concerne la prédétermination alléguée et la partialité réelle, on ne peut pas, de façon réaliste et pratique, prétendre qu’à compter du 2 juin 2021, plus de deux mois après la remise de la lettre de proposition, les vérificateurs de l’ARC doivent être complètement impartiaux ou sans opinion quant à une position de cotisation.

[139] Dans cette optique, je conclus que cette partie du premier avis de demande n’a pas présenté une prétention suffisante en droit administratif relativement au refus de la possibilité d’être entendu en raison de la prédétermination ou de la partialité réelle des vérificateurs de l’ARC. L’argument de la demanderesse repose plutôt sur la notion que les vérificateurs de l’ARC ont omis d’examiner et d’appliquer correctement les éléments de preuve qu’ils ont recueillis lorsqu’ils sont parvenus à une position de cotisation. Voir Ghazi, aux paragraphes 25 à 35.

[140] Troisièmement, en ce qui concerne les redressements demandés, les redressements définitifs (c.‑à‑d. non provisoires) demandés dans le premier avis de demande comprennent, au paragraphe 9, une ordonnance annulant la « décision » de l’ARC et renvoyant l’affaire à l’ARC et à différents vérificateurs aux fins de décision conformément aux directives de la Cour. En plus de la demande de redressement provisoire, cette demande de redressement demande à la Cour d’ordonner à l’ARC de ne pas clore (ou peut‑être maintenant de rouvrir) sa vérification, avec de nouveaux employés de l’ARC comme vérificateurs, afin d’examiner de nouveau la preuve avec les observations de la demanderesse et de tirer de nouvelles conclusions — encore une fois, au sujet de la proposition de l’ARC et de la validité de sa position de cotisation.

[141] L’autre demande de redressement de la demanderesse (au paragraphe 5) est une demande d’ordonnance enjoignant à l’ARC de fournir la divulgation complète de son dossier de vérification. Il s’agit d’une demande d’ordonnance de fond pour que l’ARC divulgue des documents précis et des catégories de documents à l’étape de la vérification (en plus de la divulgation préalable de la position de l’ARC dans sa lettre du 16 mars 2021). À mon avis, cette question de divulgation est inextricablement liée à la contestation par la demanderesse de la validité de la position de cotisation de l’ARC.

[142] À ce stade, il vaut également la peine de répéter et de souligner que la demanderesse n’a pas fourni de fondement juridique à la Cour pour ordonner la divulgation demandée, à l’exception des références générales à l’équité procédurale à l’étape de la vérification et à la justice naturelle. La demanderesse n’a fait référence à aucune disposition législative ni à aucune jurisprudence appuyant sa position selon laquelle la Cour pouvait ordonner la divulgation demandée dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Elle n’a fourni aucune analyse des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker montrant que l’équité procédurale à l’étape de la vérification, à la suite d’une lettre de proposition de l’ARC, exigeait la divulgation de l’analyse sous‑jacente de l’ARC et d’autres documents. La demanderesse n’a pas non plus soutenu qu’une telle ordonnance serait le seul résultat juste d’un contrôle judiciaire de la décision de non‑divulgation de l’ARC : voir Vavilov, au para 142. Les arguments de la demanderesse sur la Charte des droits du contribuable et ses attentes légitimes ne révèlent aucune promesse précise de divulgation du dossier de vérification.

[143] Je remarque que la seule affaire de contrôle judiciaire sur laquelle s’est appuyée la demanderesse, l’affaire Scott Slipp Nissan Ltd, confirme sa capacité de demander (et, selon ses propres observations, d’obtenir) la divulgation à l’étape de l’opposition. Dans cette affaire, l’ARC a divulgué certains renseignements tirés de son dossier de vérification, mais pas tout ce qui était demandé par le contribuable. Le juge Phelan a annulé la décision discrétionnaire prise par le ministre en vertu d’une disposition de la Loi sur la taxe d’accise. En l’espèce, la demanderesse et le défendeur ont tous deux confirmé que la demanderesse peut demander la divulgation à l’étape de l’opposition. Une décision négative de l’ARC pourrait vraisemblablement faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire en bonne et due forme, comme dans l’affaire Scott Slipp Nissan Ltd, ou d’une demande ultérieure à la Cour canadienne de l’impôt.

[144] À mon avis, le but réel du premier avis de demande de la demanderesse n’était pas de remédier aux préoccupations alléguées en matière d’équité procédurale, mais plutôt de mettre fin au processus d’établissement de nouvelles cotisations de l’ARC et de tenter de le contrôler. En particulier, les objectifs étaient de remettre en question le fondement factuel et probant de cette position de cotisation devant le nouveau personnel de vérification et de convaincre les nouveaux vérificateurs de l’ARC d’adopter une position différente avant de clore la vérification et d’émettre une nouvelle cotisation, mesures que Newave savait imminentes : voir le premier avis de demande, aux paragraphes 3, 4, 6, 9, 20 et 42; Ghazi, en particulier les paragraphes 25 et 26 (dans lesquels les recours demandés comprenaient le remplacement des vérificateurs et l’impossibilité pour le ministre d’évaluer la demanderesse); et General Motors du Canada limitée c Canada (Revenu national), 2013 CF 1219 (juge Mactavish), aux paragraphes 80 à 85. En substance, le contenu de l’acte de procédure est une tentative d’empiéter sur l’obligation imposée par la loi au ministre d’établir une cotisation. La demanderesse peut demander les résultats souhaités dans le cadre des processus d’opposition et d’appel en vertu de la Loi sur la taxe d’accise : Société Télé‑Mobile, au para 5; JP Morgan, aux para 77, 78 et 82; Valero, au para 17.

[145] En somme, compte tenu du fondement invoqué pour le contrôle judiciaire de la décision de l’ARC, des principaux redressements demandés et des liens factuels et correctifs entre la [traduction] « position de cotisation finale » de l’ARC, sa proposition du 16 mars 2021 et le contenu des nouvelles cotisations, je conclus que les questions soulevées dans le premier avis de demande sont directement et intimement liées à la justesse ou à la validité de la position de cotisation de l’ARC, telle qu’elle est maintenant appliquée dans les nouvelles cotisations. La préoccupation de la demanderesse est que la position de cotisation de l’ARC n’était pas étayée par les faits et la loi applicable, ce qui constitue en substance une contestation de la validité des nouvelles cotisations : JP Morgan, au para 82. Ces questions sont également liées à l’examen sous‑jacent par l’ARC des faits et des éléments de preuve qui l’ont menée à sa position de cotisation dans sa lettre du 16 mars 2021, selon laquelle l’entreprise de la demanderesse a participé à une supercherie et à un stratagème de type carrousel. Comme il a été mentionné précédemment, la Cour suprême et la Cour d’appel fédérale ont toujours conclu que la décision correcte ou la validité des nouvelles cotisations ne peut faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour. La demanderesse a donc omis de présenter une demande recevable en droit administratif qui peut être présentée à la Cour.

[146] En tirant ces conclusions, je reconnais que la position de l’ARC dans sa lettre de proposition du 16 mars 2021 n’est pas identique à la position qu’elle a adoptée dans les nouvelles cotisations. Cependant, bien que les détails des deux documents ne soient pas identiques (p. ex., le montant des CTI rejetés), les questions en jeu entre les parties sont les mêmes : les faits à l’origine des préoccupations de l’ARC au sujet des activités de Newave et les conclusions auxquelles elle est parvenue en fonction des éléments de preuve recueillis, le refus de certains crédits de taxe sur les intrants et les conséquences de cette décision, y compris l’imposition de pénalités et la radiation de l’inscription de Newave auprès du programme de TPS/TVH de l’ARC. Le fait que le deuxième avis de demande incorpore une grande partie de la première demande par renvoi est conforme à cette observation et, en fait, à la conclusion générale à laquelle je suis arrivé au sujet de la première demande.

[147] En ce qui a trait au deuxième type de lacune fatale relevée par le juge Stratas dans l’arrêt JP Morgan, au paragraphe 66, j’estime que la demanderesse a également une solution de rechange adéquate pour résoudre ses problèmes en faisant appel à des décideurs experts et aux processus prévus dans la Loi sur la taxe d’accise : British Columbia Investment Management Corp, au para 38; Addison, au para 8; JP Morgan, aux para 81 et 82; Strickland, au para 42. La matrice des questions factuelles et juridiques liées à toute contestation de la validité des nouvelles cotisations, y compris les demandes de divulgation de documents de l’ARC à la demanderesse pour permettre et faciliter ces contestations, peut et devrait être résolue en l’espèce au moyen du processus d’opposition ou d’un appel devant la Cour de l’impôt en vertu de la Loi sur la taxe d’accise.

[148] À mon avis, toute allégation d’équité procédurale à l’étape de la vérification peut être corrigée à l’étape de l’opposition ou de l’appel : JP Morgan, au para 82 (puce portant le titre « [l]es procédures inappropriées suivies par le ministre dans l’établissement de la cotisation »). Les allégations d’injustice découlant de la non‑divulgation peuvent être traitées au moyen d’une demande présentée à l’ARC (ou à la Cour canadienne de l’impôt) en vue d’obtenir une divulgation appropriée et en temps opportun, et peuvent être résolues dans le contexte factuel des nouvelles cotisations et à la lumière des questions particulières soulevées dans la présente affaire (comme elles sont notamment décrites dans la lettre du 16 mars 2021 de l’ARC). De même, la participation de différents membres du personnel de l’ARC au processus d’opposition, et certainement un appel devant un juge de la Cour canadienne de l’impôt, permettrait de dissiper les préoccupations de la demanderesse au sujet de la prédétermination alléguée ou de la [traduction] « partialité réelle » des vérificateurs de l’ARC dans la décision de recevoir ou non des observations du contribuable après avoir fait une proposition de nouvelle cotisation.

[149] Le premier avis de demande traite de certaines dispositions de la Charte des droits du contribuable et des prétendues attentes légitimes qui découlent de ce document. À mon avis, l’observation ou l’inobservation par les vérificateurs de l’ARC des modalités de la Charte des droits du contribuable relève à juste titre du processus d’appel en matière d’impôt. La Cour de l’impôt est beaucoup mieux placée pour traiter des questions qui y sont soulevées, compte tenu de l’expertise relative de cette Cour comparativement à notre Cour.

[150] Enfin, les parties ont fait référence à la décision de la juge McDonald dans l’affaire Iris Technologies Inc c Canada (Revenu national), 2021 CF 597 aux paragraphes 10, 11 et 27. Cette décision était un appel d’une décision du protonotaire Aalto de ne pas radier un avis de demande demandant une réparation sous forme de jugement déclaratoire relativement à des allégations, y compris l’iniquité procédurale à l’étape de la vérification et le but invalide de la cotisation. La Cour a rejeté l’appel et a refusé d’interférer avec les conclusions du protonotaire. Newave a soutenu que la décision de la juge McDonald appuyait sa capacité de demander un contrôle judiciaire en raison de l’iniquité procédurale à l’étape de la vérification. Le ministre a fait valoir que la décision de la Cour était erronée et distinguable, en faisant remarquer que (contrairement à la présente affaire) l’ARC n’avait pas suivi un processus de proposition avec le contribuable. À mon avis, il suffit de dire que les décisions du protonotaire Aalto et de la juge McDonald en appel étaient fondées sur l’acte de procédure en cause (voir, p. ex., les motifs de la juge McDonald, au paragraphe 26). La présente affaire porte également sur les questions soulevées dans les avis de demande.

[151] Pour présenter une demande de contrôle judiciaire à la Cour, l’acte de procédure de la partie demanderesse doit faire état d’une demande en bonne et due forme en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, une demande qui soulève de véritables questions devant la Cour et qui ne fait pas l’objet des processus de règlement des différends prévus dans la Loi sur la taxe d’accise. À mon avis, le premier avis de demande ne le fait pas. C’est le genre de « procédure connexe » conçue pour contourner le système d’appel en matière fiscale établi par le Parlement et la compétence de la Cour de l’impôt, comme l’a envisagé la Cour suprême dans l’arrêt Addison, au paragraphe 11. Il doit donc être radié.

(iii) Analyse du deuxième avis de demande

[152] Newave a déposé le deuxième avis de demande le 11 juin 2021. Elle demande un contrôle judiciaire de la décision de produire des avis de nouvelle cotisation le 10 juin 2021, pour les périodes allant du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019. Newave a demandé que la deuxième demande soit entendue en même temps que la première.

[153] Les faits allégués à l’appui de la demande sont ceux qui figurent dans le premier avis de demande, avec des renvois au contenu des actes de procédure et aux mesures prises par l’ARC pour émettre les nouvelles cotisations.

[154] Les motifs de la demande sont les motifs énoncés dans le premier avis de demande, ainsi que des allégations selon lesquelles l’ARC a fait fi du rôle de surveillance de la Cour et du premier avis de demande, et selon lesquelles l’ARC a exercé son pouvoir discrétionnaire à des fins inappropriées, a abusé de son pouvoir et a abusé de son processus. Newave a également réitéré sa position selon laquelle l’ARC a omis de lui divulguer des documents concernant sa position de vérification et ne lui a pas permis de présenter des observations de fond.

[155] La mesure de redressement demandée dans le deuxième avis de demande visait les ordonnances demandées dans la première demande; une ordonnance déclarant l’invalidité des nouvelles cotisations; une ordonnance déclarant que la décision de l’ARC d’émettre les nouvelles cotisations constitue un abus de pouvoir et un abus de procédure; des ordonnances provisoires pour suspendre les mesures de recouvrement contre Newave et empêchant l’ARC de radier l’inscription de Newave aux de la TPS/TVH, ou suspendre la radiation, en attendant la décision sur la demande; des dommages‑intérêts punitifs de 5 millions de dollars; et les dépens.

[156] Le ministre a fait valoir que le deuxième avis de demande constitue essentiellement une contestation de la validité ou de l’exactitude des nouvelles cotisations, ce qui n’est pas permis par les arrêts interprétant l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales et les dispositions d’opposition et d’appel de la Loi sur la taxe d’accise.

[157] Je suis de cet avis. Selon moi, le deuxième avis de demande constitue une contestation inappropriée des nouvelles cotisations sous le couvert d’une demande de contrôle judiciaire. Toute attaque de ce genre sur le bien‑fondé des nouvelles cotisations, ou sur les faits et le droit sur lesquels elles sont fondées, doit être menée en vertu des processus prévus dans la Loi sur la taxe d’accise : Johnson, au para 23; JP Morgan, au para 82.

[158] Newave a soutenu que la décision d’établir une nouvelle cotisation (par opposition à la nouvelle cotisation elle‑même) pouvait faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire, en citant l’arrêt Chrysler, aux paragraphes 24 à 25, et l’arrêt JP Morgan, aux paragraphes 69 et 96. Je ne suis pas de cet avis. Comme l’a affirmé la juge Mactavish dans l’arrêt General Motors, toute tentative de séparer la décision d’établir une nouvelle cotisation de la nouvelle cotisation en soi est un exercice inutile : General Motors, au para 104, citant Canada c Roitman, 2006 CAF 266 au para 25. Contrairement à l’affaire Chrysler, où la question en litige était la décision discrétionnaire et la conduite du ministre, les véritables questions en litige dans le deuxième avis de demande peuvent faire l’objet d’une opposition et d’un appel en vertu de la Loi sur la taxe d’accise. La production des nouvelles cotisations n’était pas une décision discrétionnaire : JP Morgan, aux para 77 et 78.

[159] Il est clair que le deuxième avis de demande doit être radié.

IV. Conclusion

[160] La requête en redressement provisoire de la demanderesse est rejetée.

[161] La requête en radiation du ministre est accueillie et les deux avis de demande sont radiés, sans permission d’amender. La demanderesse n’a pas présenté d’observations sur la façon dont elle pourrait modifier ses avis de demande pour plaider en faveur d’un contrôle judiciaire en bonne et due forme, et je n’en vois aucune dans les circonstances.

[162] Le ministre a droit à ses dépens à l’égard des deux requêtes. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant, elles peuvent présenter des observations à la Cour dans les 15 jours suivant la présente décision, par lettre ne dépassant pas cinq pages. La Cour fixera ensuite le montant des dépens à payer.


 

ORDONNANCE dans les dossiers T‑904‑21 et T‑945‑21

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en redressement provisoire présentée par la demanderesse au titre du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales est rejetée.

  2. Les requêtes en radiation du défendeur sont accueillies. Les avis de demande dans les dossiers T‑904‑21 et T‑945‑21 sont radiés, sans permission d’amender.

  3. La demanderesse doit payer au défendeur les dépens liés aux deux requêtes. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant, elles peuvent présenter des observations écrites à la Cour dans les 15 jours suivant la présente ordonnance, par lettre ne dépassant pas cinq pages. La Cour fixera ensuite le montant payable.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


 

Annexe « A »

Loi sur la Cour canadienne de l’impôt (LRC (1985), c T‑2)

Tax Court of Canada Act (R.S.C., 1985, c. T‑2)

Compétence et pouvoirs de la cour

Jurisdiction and Powers of the Court

Compétence

Jurisdiction

12 (1) La Cour a compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels portés devant elle sur les questions découlant de l’application de la Loi sur le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels, de la partie V.1 de la Loi sur les douanes, de la Loi sur l’assurance‑emploi, de la Loi de 2001 sur l’accise, de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, de la partie 1 de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, de la Loi de l’impôt sur le revenu, de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, de la Loi de l’impôt sur les revenus pétroliers et de la Loi de 2006 sur les droits d’exportation de produits de bois d’oeuvre, dans la mesure où ces lois prévoient un droit de renvoi ou d’appel devant elle.

12 (1) The Court has exclusive original jurisdiction to hear and determine references and appeals to the Court on matters arising under the Air Travellers Security Charge Act, the Canada Pension Plan, the Cultural Property Export and Import Act, Part V.1 of the Customs Act, the Employment Insurance Act, the Excise Act, 2001, Part IX of the Excise Tax Act, Part 1 of the Greenhouse Gas Pollution Pricing Act, the Income Tax Act, the Old Age Security Act, the Petroleum and Gas Revenue Tax Act and the Softwood Lumber Products Export Charge Act, 2006 when references or appeals to the Court are provided for in those Acts.

 


 

Loi sur les Cours fédérales (LRC (1985), c F‑7)

Federal Courts Act (R.S.C., 1985, c. F‑7)

Compétence de la Cour fédérale

Jurisdiction of Federal Court

Dérogation aux art. 18 et 18.1

Exception to sections 18 and 18.1

18.5 Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel de la cour martiale, la Cour canadienne de l’impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor, d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.

18.5 Despite sections 18 and 18.1, if an Act of Parliament expressly provides for an appeal to the Federal Court, the Federal Court of Appeal, the Supreme Court of Canada, the Court Martial Appeal Court, the Tax Court of Canada, the Governor in Council or the Treasury Board from a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal made by or in the course of proceedings before that board, commission or tribunal, that decision or order is not, to the extent that it may be so appealed, subject to review or to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with, except in accordance with that Act.

 

Loi sur la taxe d’accise (LRC (1985), c E‑15)

 

Excise Tax Act (R.S.C., 1985, c. E‑15)

 

Cotisations, oppositions et appels

 

Assessments, Objections and Appeals

 

Appels

Appeals

306La personne qui a produit un avis d’opposition à une cotisation aux termes de la présente sous‑section peut interjeter appel à la Cour canadienne de l’impôt pour faire annuler la cotisation ou en faire établir une nouvelle lorsque, selon le cas :

a) la cotisation est confirmée par le ministre ou une nouvelle cotisation est établie;

b) un délai de 180 jours suivant la production de l’avis est expiré sans que le ministre n’ait notifié la personne du fait qu’il a annulé ou confirmé la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation.

Toutefois, nul appel ne peut être interjeté après l’expiration d’un délai de 90 jours suivant l’envoi à la personne aux termes de l’article 301, d’un avis portant que le ministre a confirmé la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation.

306 A person who has filed a notice of objection to an assessment under this Subdivision may appeal to the Tax Court to have the assessment vacated or reassessment made after either

(a) The Minister has confirmed the assessment or has reassessed, or

(b) One hundred and eighty days have elapsed after the filing of the notice of objection and the Minister has not notified the person that the Minister has vacated or confirmed the assessment or has reassessed,

but no appeal under this section may be instituted after the expiration of ninety days after the day notice is sent to the person under section 301 that the Minister has confirmed the assessment or has reassessed.

 

 

 

Règlement d’appel

Disposition of appeal

309 (1) La Cour canadienne de l’impôt peut statuer sur un appel concernant une cotisation en le rejetant ou en l’accueillant. Dans le dernier cas, elle peut annuler la cotisation ou la renvoyer au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation.

(2) [Abrogé, 1993, ch. 27, art. 132]

309 (1) The Tax Court may dispose of an appeal from an assessment by

a) dismissing it; or

b) allowing it and

(i) vacating the assesement or

(ii) referring the assessment back to the Minister for reconsideration and reassessment.(2) [Repealed, 1993, c. 27, s. 132]


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

t‑904‑21 ET t‑945‑21

 

INTITULÉ :

NEWAVE CONSULTING INC. c LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 SEPTEMBRE 2021

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE little

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 NOVEMBRE 2021

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Duane Milot

Milot Law

Toronto (Ontario)

pour la demanderesse

 

 

 

Katie Beahen

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour lE défendEUr

 

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