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Date : 20211115

Dossiers: IMM‑2915‑20

IMM‑2923‑20

Référence : 2021 CF 1238

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2021

En présence de madame la juge Sadrehashemi

Dossier : IMM‑2915‑20

ENTRE :

MADY QUERENE NIYONGABO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM‑2923‑20

ET ENTRE :

ADONAI ELIORA NIYONGABO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demanderesses, Mady Querene Niyongabo et Adonai Eliora Niyonbago, sont deux sœurs mineures qui ont présenté des demandes de permis d’études pour venir étudier au Canada. Elles avaient quinze et onze ans au moment du dépôt de leurs demandes. Le même agent des visas du Haut‑commissariat du Canada en Tanzanie (l’agent) a rejeté les demandes de permis d’études dans deux décisions distinctes. Le présent contrôle judiciaire porte sur ces deux rejets.

[2] Comme les décisions de rejet à l’égard des deux sœurs sont fondées sur les mêmes motifs et qu’elles formulent les mêmes arguments à l’encontre de celles‑ci, mes motifs aborderont conjointement leurs contestations de ces décisions.

[3] Les demanderesses plaident que l’agent a omis d’expliquer son raisonnement quant à la conclusion qu’elles ne quitteraient pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Je suis d’accord avec les demanderesses. Les motifs de l’agent ne sont pas transparents, intelligibles ou justifiés au regard de la preuve au dossier. Pour les motifs qui suivent, je vais accueillir les deux demandes de contrôle judiciaire.

II. Contexte factuel

[4] Les demanderesses sont sœurs et citoyennes du Burundi. Elles ont été admises dans une école située à Windsor, en Ontario. Leur père a rempli des demandes de permis d’études en leur nom. Au moment du dépôt, les demanderesses avaient onze et quinze ans. Deux membres plus âgés de leur fratrie ont déjà entamé des études au Canada dans une université située à Ottawa.

[5] Au soutien de leurs demandes, les demanderesses ont produit la preuve de ressources financières, qui comprenaient la preuve d’actifs détenus au Burundi et au Canada. Elles ont également déposé la preuve de la situation d’emploi de leurs parents au Burundi.

[6] Les demandes de permis d’études ont été rejetées parce que l’agent a conclu qu’il n’était pas persuadé que les sœurs quitteraient le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

III. Question en litige et norme de contrôle

[7] La seule question qui fait l’objet d’un contrôle judiciaire est de savoir si la décision de l’agent selon laquelle il n’était pas persuadé que les demanderesses quitteraient le Canada à la fin de la période de séjour autorisée était raisonnable.

[8] Les deux parties conviennent que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que la décision raisonnable est la norme de contrôle présumée s’appliquer au contrôle des décisions administratives sur le fond. La présente affaire ne soulève aucune question qui pourrait justifier de déroger à cette présomption.

IV. Analyse

[9] Les demandeurs qui présentent une demande pour séjourner temporairement au Canada, y compris ceux qui présentent une demande pour y étudier, doivent démontrer qu’ils prévoient demeurer au pays de façon temporaire. De ce fait, avant de délivrer un visa d’étudiant, l’agent doit être convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée (paragraphes 11(1), 20(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] et alinéa 216(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR].

[10] Les motifs de l’agent sur le seul fondement de son rejet, à savoir sa conclusion que les demanderesses ne partiraient pas à la fin de la période de séjour autorisée pour leurs études, sont circonscrits de la manière suivante :

[traduction]

Les parents ont un condo et des économies substantielles dans un compte bancaire au Canada. Au vu de la situation socio‑économique actuelle au Burundi, des élections à venir et de leurs répercussions, tout comme des liens ténus avec son pays natal et des forts facteurs d’attraction au Canada, je ne suis pas persuadé que la demanderesse voudra quitter le Canada et retourner au Burundi.

[11] Pour évaluer le caractère raisonnable d’une décision, il faut tenir compte du contexte institutionnel dans lequel elle a été rendue. Au paragraphe 103 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a statué « [qu’il faut] interpréter des motifs écrits eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés […] » (voir également Vavilov, au para 91).

[12] Les agents des visas sont chargés d’examiner un nombre considérable de demandes de permis d’études. Malgré tout, bien que les motifs n’aient pas à être approfondis, la décision de l’agent doit être transparente, justifiée et intelligible. Il doit y avoir une « analyse rationnelle » de sorte que la personne concernée par la décision puisse en comprendre le fondement (Vavilov, au para 103; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 au para 17; Samra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 157 au para 23; Rodriguez Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 293 aux para 13‑14).

[13] Je conviens avec les demanderesses que les motifs de l’agent ne sont pas transparents, intelligibles ou justifiés au regard de la preuve au dossier. Premièrement, pour conclure que les demanderesses avaient des « liens ténus » avec le Burundi, l’agent n’aborde pas la preuve au dossier qui indique le contraire et n’explique pas comment il est parvenu à cette conclusion. Deuxièmement, l’agent ne justifie pas la pertinence de ses vagues déclarations sur les conditions au Burundi au regard de sa conclusion selon laquelle les demanderesses ne partiraient pas à la fin de leur période d’études.

[14] L’agent ne donne aucune explication quant à la façon dont il est parvenu à la conclusion que les sœurs avaient des « liens ténus » avec le Burundi étant donné qu’elles y ont grandi et qu’elles y vont à l’école, que leurs parents prévoyaient continuer de demeurer et de travailler au Burundi, qu’ils avaient tous les deux des emplois stables et qu’ils étaient propriétaires d’immeubles dans ce pays. L’agent ne fait état d’aucun de ces faits dans son analyse même s’ils sont hautement pertinents quant à la force des liens qui unissent les demanderesses avec le Burundi. Il leur est donc impossible de savoir, compte tenu de ces éléments de preuve, pourquoi l’agent croyait que leurs liens avec le Burundi étaient « ténus ».

[15] La thèse du défendeur est fondée sur la prémisse que l’agent a conclu que les demanderesses avaient des liens ténus avec le Burundi et donc qu’il était en droit de pondérer les autres facteurs, y compris les « facteurs d’attraction » au Canada, et de conclure qu’il n’était pas persuadé que les sœurs partiraient à la fin de leur période d’études. Cette position ne répond pas à la prétention des demanderesses.

[16] Les demanderesses avancent que l’agent n’a pas justifié sa conclusion selon laquelle elles avaient des « liens ténus » avec le Burundi. Je suis d’accord. Le silence de l’agent quant à ce qui l’a amené à tirer cette importante conclusion eu égard à la preuve au dossier qui suggère le contraire est déraisonnable.

[17] Un autre sujet de préoccupation concerne le défaut de l’agent d’expliquer la pertinence de ses commentaires sur « les élections à venir au Burundi » et de la « situation socio-économique actuelle au Burundi ». Ces points sont soulevés comme des facteurs défavorables dans les motifs de l’agent, mais il n’y a pas d’explication quant à savoir pourquoi les « élections à venir » et la « situation socio‑économique actuelle au Burundi » le mènent à ne pas être convaincu que les demanderesses partiraient à la fin de leur période d’études. L’agent n’explique aucunement la pertinence de ces déclarations générales ni leur importance pour la situation personnelle des demanderesses.

[18] Le défendeur soutient que l’agent était en droit de se fonder sur ses connaissances personnelles des conditions au pays, et cite la décision Bahr c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 527 au paragraphe 24. Je n’ai pas à déterminer s’il était approprié en l’espèce pour l’agent de formuler ces vagues déclarations sur les conditions au pays sans se servir d’une assise dans la preuve ou sans aviser les demanderesses.

[19] La question en litige dans le présent contrôle judiciaire est de savoir s’il était raisonnable pour l’agent d’invoquer ces faits généraux relatifs aux conditions au pays à titre de facteur défavorable, sans expliquer comment ces faits étaient reliés à la situation personnelle des demanderesses. Comme celles‑ci le font observer, leur famille a des biens considérables au Burundi et des emplois stables, y compris un parent qui travaille pour une agence internationale. L’agent a omis d’expliquer comment ces conditions au pays (les élections à venir et la situation socio‑économique générale du pays) auraient des répercussions sur la famille ou influeraient même sur la décision des demanderesses de ne pas retourner au Burundi. Il y a une lacune dans le raisonnement de l’agent. Il n’existe pas d’« analyse rationnelle » qui lie ces déclarations à la conclusion tirée.

[20] Les demandes de contrôle judiciaire sont accueillies et les affaires seront renvoyées à un autre agent pour réexamen en conformité avec les présents motifs.

[21] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LES DOSSIERS‑2915‑20 et IMM‑2923‑20

LA COUR STATUE :

  1. Les demandes de contrôle judiciaire sont accueillies;

  2. Les affaires sont renvoyées à un autre agent pour nouvelle décision;

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DoSSIERs :

IMM‑2915‑20 ET IMM‑2923‑20

 

DOSSIER :

IMM‑2915‑20

 

INTITULÉ :

MADY QUERENE NIYONGABO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM‑2923‑20

 

INTITULÉ :

ADONAI ELIORA NIYONGABO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 AOÛT 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 NOVEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Richard Kurland

 

POUR LES DEMANDERESSES

Brett J. Nash

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Richard Kurland

Avocat

Kurland, Tobe

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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