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     Date : 19971215

     Dossier : IMM-1214-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 15 DÉCEMBRE 1997

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE RICHARD

ENTRE :

     TSHILUMBA LUKUS KABWIKA,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

     VU la demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 28 février 1997 par laquelle la Section du statut de réfugié a statué que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention;


     LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                 John D. Richard

                                         Juge

Traduction certifiée conforme             

                                 Marie Descombes, LL.L.

     Date : 19971215

     Dossier : IMM-1214-97

ENTRE :

     TSHILUMBA LUKUS KABWIKA,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE RICHARD

[1]      La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 28 février 1997 par laquelle la Section du statut de réfugié a statué que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]      Lorsqu'il a comparu devant la Section du statut de réfugié, le requérant était représenté par un avocat. Toutefois, dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, le requérant se représentait lui-même.

[3]      La demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire du requérant est datée du 24 mars 1997 et a été déposée le 25 mars 1997. La demande précise que l'adresse du requérant est le 345, rue Clarence, app. 311, Ottawa (Ontario), et fournit également un numéro de téléphone où on peut joindre ce dernier.

[4]      Par ordonnance en date du 21 mai 1997, j'ai fait droit à la requête présentée par le requérant en vue d'obtenir une prorogation du délai de dépôt et de signification de son dossier.

[5]      Le 30 mai 1997, le requérant a déposé son dossier accompagné d'une preuve de la signification à l'intimé. La même adresse et le même numéro de téléphone y étaient mentionnés.

[6]      Un affidavit et quatre pièces, dont le formulaire de renseignements personnels du requérant, la décision de la Section du statut de réfugié et le mémoire du requérant, étaient joints au dossier de la demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire.

[7]      L'intimé a déposé un acte de comparution et s'est opposé à la demande d'autorisation dans le mémoire qu'il a déposé le 30 juin 1997 et qu'il a signifié personnellement au requérant à l'adresse fournie par ce dernier.

[8]      Par ordonnance en date du 19 septembre 1997, le juge Dubé a accordé au requérant l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire et a fixé la date et le lieu de l'audition de la demande de contrôle judiciaire au lundi 8 décembre 1997 à 11 h dans la ville d'Ottawa.

[9]      Selon le dossier de la Cour, l'ordonnance portant autorisation et inscription de l'affaire pour audition a été envoyée par courrier recommandé, le 22 septembre 1997, à l'adresse fournie par le requérant, mais n'a pas été réclamée par ce dernier. Le fonctionnaire du greffe a été incapable de joindre le requérant par téléphone parce que la ligne avait été coupée.

[10]      Le 17 octobre 1997, le juge Dubé a donné l'instruction qu'on tente, en dernier ressort, de faire une signification à personne par l'entremise d'un huissier.

[11]      Le greffe de la Cour a donc retenu les services d'une huissière pour signifier l'ordonnance au requérant.

[12]      La huissière a déposé un affidavit de tentative de signification daté du 20 novembre 1997. Dans cet affidavit, la huissière déclare qu'elle s'est rendue chez le requérant le 23 octobre 1997 mais n'a pas obtenu de réponse. Elle a alors communiqué avec le concierge de l'immeuble qui l'a informée que le requérant avait déménagé deux ou trois mois plus tôt. Le concierge ne savait pas où se trouvait maintenant le requérant.

[13]      La huissière a tenté de trouver le requérant au moyen de l'annuaire téléphonique et de l'assistance-annuaire, mais aucune inscription n'a pu être trouvée.

[14]      Dans son affidavit, la huissière affirme qu'elle a essayé par tous les moyens de signifier personnellement au requérant les renseignements fournis, mais en vain.

[15]      Le requérant n'a pas avisé le greffe de la Cour ni, comme l'a confirmé l'avocat de l'intimé, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration de son changement d'adresse et de sa nouvelle adresse, comme il était tenu de le faire.

[16]      Le requérant s'est vu accorder l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire le 19 septembre 1997. Le paragraphe 82.1(7) de la Loi sur l'immigration et la règle 15 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration disposent qu'une ordonnance faisant droit à une demande d'autorisation doit fixer la date et le lieu d'audition de la demande de contrôle judiciaire, laquelle date ne peut être postérieure de moins de trente jours ni de plus de quatre-vingt-dix jours à la date de l'ordonnance.

[17]      Le 21 novembre 1997, j'ai ordonné que l'affaire soit entendue le 8 décembre 1997, conformément à l'ordonnance par laquelle le juge Dubé a fait droit à la demande d'autorisation et inscrit l'affaire pour audition.

[18]      Le 8 décembre 1997, à 11 h, le requérant ne s'est pas présenté devant la Cour. L'intimé était représenté par un avocat.

[19]      L'avocat de l'intimé a soutenu que la demande de contrôle judiciaire devait être rejetée en vertu de l'alinéa 495(1)b) des Règles de la Cour fédérale. L'avocat de l'intimé a porté à ma connaissance la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Chung1. Dans cet arrêt, la Cour d'appel se réfère à une décision antérieure dans laquelle elle a rejeté, en application de l'alinéa 495(1)b), la demande de contrôle et d'annulation d'une mesure d'exclusion fondée sur l'article 28 parce que le requérant n'a pas comparu à l'audience.

[20]      Dans l'arrêt Chung, la Cour a statué qu'un rejet fondé sur la règle 495(1)b) s'apparente à un rejet pour défaut de poursuivre et ne peut donner lieu à une irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige.

[21]      J'ai avisé l'avocat de l'intimé qu'au lieu d'appliquer l'alinéa 495(1)b), je statuerais sur la demande de contrôle judiciaire à partir du dossier soumis à la Cour. Celui-ci contenait le dossier du requérant et le dossier de l'intimé, qui renfermaient chacun un exposé des faits et du droit. J'ai en outre avisé l'avocat qu'il pourrait présenter une argumentation s'il le désirait.

[22]      L'avocat de l'intimé a présenté à la Cour de brèves observations sur la base de l'exposé qu'il a déposé le 30 juin 1997, et s'est borné à commenter la conclusion de la Section du statut de réfugié quant à l'existence d'une possibilité de refuge intérieur.

[23]      Il ressort du dossier que la Section du statut de réfugié a indiqué à l'ouverture de l'audience que l'existence d'une possibilité de refuge intérieur était l'une des questions qui seraient examinées. Par conséquent, le requérant et l'avocat qui le représentait à l'audience savaient très bien que l'existence d'une possibilité de refuge intérieur serait un point litigieux en l'espèce.

[24]      La Section du statut de réfugié a statué qu'il existait plus qu'une simple possibilité de persécution dans de nombreuses régions du Zaïre en raison de l'origine ethnique du requérant. Elle a toutefois conclu que deux régions du Zaïre offraient une possibilité de refuge, soit la province du Kasai et Kinshasa, capitale du Zaïre.

[25]      La question soulevée par le requérant dans sa demande de contrôle judiciaire était la suivante :

     [traduction] La Section du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur de droit en statuant que le requérant avait une possibilité de refuge dans la province du Kasai ou à Kinshasa; plus particulièrement, en omettant de tenir dûment compte de la preuve qui lui a été soumise et qui indiquait clairement que ces endroits ne seraient pas plus sûrs pour le requérant?         

[26]      Il se peut qu'un requérant prouve qu'il craint avec raison d'être persécuté dans une partie d'un pays, mais se voie quand même refuser le statut de réfugié en raison de l'existence d'une possibilité de refuge intérieur2.

[27]      L'analyse de la Section du statut de réfugié à cet égard est la suivante :

     Le demandeur risque d'être persécuté dans beaucoup de régions du Zaïre en raison de son origine ethnique parce que "c'est précisément l'origine ethnique commune et les antécédents socio-économiques qui sont le fondement des établissements humains au Zaïre"3. Il y a deux endroits où les obstacles à la réinstallation ne tiendraient pas, selon ces critères, et où le demandeur ne risquerait pas d'être persécuté au motif de son origine ethnique : dans la province du Kasai oriental et à Kinshasa, capitale du Zaïre. Le Kasai oriental est la terre ancestrale des Lubas où des milliers de Lubas shabiens se sont enfuis ou ont été expulsés quand leurs voisins les ont attaqués au début des années 1990. La preuve documentaire remise aux commissaires établit que les Lubas et les Kanioks de naissance au Kasai oriental ont accueilli l'arrivée des Lubas shabiens avec indifférence, mais non pas avec hostilité, et que les organismes d'aide internationale se sont employés à fournir aux Lubas nouvellement arrivés une résidence permanente dans la région4. Quant à Kinshasa, c'est une grande ville cosmopolite qui regroupe des gens de presque tous les groupes ethniques du Zaïre, y compris des Lubas. Le demandeur a dit qu'il craignait d'être persécuté partout au Zaïre parce qu'il est un Luba, mais même si la preuve au sujet du Kasai oriental dit le contraire; par ailleurs, il n'y a rien dans toute la preuve dont nous sommes saisis qui appuie l'affirmation du demandeur selon laquelle il s'expose à une chance raisonnable de persécution à Kinshasa simplement parce qu'il est un Luba.         

     . . .

     Ayant jugé qu'il existe moins qu'une simple possibilité que le demandeur soit persécuté dans la province du Kasai oriental ou à Kinshasa au motif de son origine ethnique, de ses opinions politiques ou de tout autre motif énuméré à la Convention, les commissaires doivent maintenant examiner s'il est raisonnable pour le demandeur de se rendre et de résider dans la région pouvant lui offrir une possibilité de refuge intérieur (PRI).         
     Le demandeur pourrait se rendre à Kinshasa directement par avion ou via le Congo et le transport fluvial. Même s'il existe des preuves que les arrivants sont interrogés par les autorités frontalières, il semble que le principal but de cette pratique est d'extorquer de l'argent ou des biens aux voyageurs qui reviennent de l'étranger. Comme nous avons déterminé que les craintes de persécution du demandeur découlant de divers motifs de la Convention ne sont pas fondées à Kinshasa, le demandeur n'aurait rien à craindre au point d'entrée ou dans la ville, sinon cette sorte de "chantage" que les Zaïrois subissent quotidiennement. Le demandeur pourrait se rendre à Kasai par la route à partir de divers points d'entrée au Zaïre. Il est plus compliqué de se rendre à Kasai qu'à Kinshasa, parce que le système routier au Zaïre en général et à Kasai en particulier est dans un piteux état, mais rien ne prouve qu'il est impossible de se déplacer.         
     Le demandeur est un jeune homme en bonne santé qui a subvenu à ses besoins au Zaïre et plus tard en Zambie, soit en enseignant les arts martiaux ou en exploitant un kiosque. Il n'y a pas de raison de croire qu'il ne pourrait reprendre l'un de ces emplois et en occuper beaucoup d'autres soit au Kasai ou à Kinshasa. En outre, comme nous l'avons dit ci-dessus, l'origine ethnique du demandeur ne serait pas un obstacle à son établissement au Kasai oriental ou à Kinshasa. Cependant, comme l'avocat l'a signalé dans ses observations, il y a de la violence politique et à Kinshasa et au Kasai oriental, mais la preuve dont nous sommes saisis ne donne pas à penser que cette violence existe à un tel niveau qu'elle empêcherait une personne ordinaire de s'y installer. Enfin, les difficultés économiques auxquelles font face tous les Zaïrois et qui peuvent être en effet plus manifestes au Kasai oriental que dans certaines autres régions, ne sont pas telles qu'elles peuvent empêcher de trouver une possibilité de refuge intérieur. Nous jugeons donc que le demandeur a une possibilité de refuge intérieur au Zaïre, à Kinshasa et dans la province du Kasai oriental.         

[28]      Dans l'arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)5, le juge Linden a déclaré au nom de la Cour d'appel :

     La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. Essentiellement, cela veut dire que l'autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S'il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre lui et cette autre partie de son pays, le demandeur devrait raisonnablement pouvoir les surmonter. On ne peut exiger du demandeur qu'il s'expose à un grand danger physique ou qu'il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie ou pour y demeurer. Par exemple, on ne devrait pas exiger des demandeurs de statut qu'ils risquent leur vie pour atteindre une zone de sécurité en traversant des lignes de combat alors qu'il y a une bataille. On ne devrait pas non plus exiger qu'ils se tiennent cachés dans une région isolée de leur pays, par exemple dans une caverne dans les montagnes, ou dans le désert ou dans la jungle, si ce sont les seuls endroits sûrs qui s'offrent à eux. Par contre, il ne leur suffit pas de dire qu'ils n'aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu'ils n'y ont ni amis ni parents ou qu'ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient. S'il est objectivement raisonnable dans ces derniers cas de vivre dans une telle partie du pays sans craindre d'être persécuté, alors la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays existe et le demandeur de statut n'est pas un réfugié.         

[29]      Le juge Linden a ensuite déclaré à la page 599 :

     Ainsi, la norme objective que j'ai proposée pour déterminer le caractère raisonnable de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est celle qui se conforme le mieux à la définition de réfugié au sens de la Convention. Aux termes de cette définition, il faut que les demandeurs de statut ne puissent ni ne veuillent, du fait qu'ils craignent d'être persécutés, se réclamer de la protection de leur pays d'origine et ce, dans n'importe quelle partie de ce pays. Les conditions préalables de cette définition ne peuvent être respectées que s'il n'est pas raisonnable pour le demandeur de chercher et d'obtenir la protection contre la persécution dans une autre partie de son pays.         

[30]      Bien que le requérant ne souscrive pas à la conclusion de la Section du statut de réfugié quant à l'existence d'une possibilité de refuge intérieur, cette dernière n'a pas commis d'erreur de droit et sa conclusion n'est pas manifestement déraisonnable. Dans les circonstances, la Cour ne peut pas intervenir vu l'absence d'erreur susceptible de contrôle judiciaire.


[31]      Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                 John D. Richard

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 15 décembre 1997

Traduction certifiée conforme             

                                 Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER :                  IMM-1214-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :              TSHILUMBA LUKUS KABWIKA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :              OTTAWA
DATE DE L'AUDIENCE :              LE 8 DÉCEMBRE 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE RICHARD

EN DATE DU :                      15 DÉCEMBRE 1997

ONT COMPARU :

LE REQUÉRANT EN SON NOM PERSONNEL              POUR LE REQUÉRANT

N'A PAS COMPARU

DARREL L. KLOEZE                          POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

M. George Thomson

Sous-procureur général du Canada              POUR L'INTIMÉ

__________________

     1      [1993] 2 C.F. 42, aux pages 57 et 58.

     2      Le juge Linden, J.C.A., dans l'arrêt M.C.I. c. Mathiyabaranam, dossier A-223-95, 5 décembre 1997.

     3      Pièce D-3, à la page 76.

     4      Pièce A-2 (ZAR22842.F).

     5      [1994] 1 C.F. 589, à la page 598 (C.A.).

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