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Date : 19990528


Dossier : IMM-2927-98

Ottawa (Ontario), le 28 mai 1999

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SHARLOW

ENTRE :


LORENA GONZALEZ,


demanderesse,


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


ORDONNANCE

    

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                 Karen R. Sharlow

                            

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


Date : 19990528


Dossier : IMM-2927-98

ENTRE :


LORENA GONZALEZ,


demanderesse,


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW

[1]      La demanderesse, originaire du Mexique, revendique le statut de réfugié. Elle a déposé une demande de contrôle judiciaire à la suite de la décision défavorable de la Section du statut de réfugié (SSR) en date du 8 avril 1998.

[2]      La demanderesse a témoigné qu"elle a travaillé à titre de comptable pour une compagnie qui exerçait ses activités commerciales au Mexique. Dans le cadre de ses fonctions, elle est tombée sur ce qu"elle a cru être des preuves de blanchiment d"argent et de trafic de drogue liées à une personne au sein de la compagnie. La demanderesse a dévoilé quelques-unes des irrégularités comptables à son patron, qui lui a répondu qu"il ferait enquête.

[3]      La demanderesse n"a révélé à personne dans la compagnie qu"elle avait découvert des preuves relativement au trafic de drogue, mais elle a divulgué cette information à un policier, qui était un ami d"un ami, sans toutefois lui préciser le contenu de ce qu"elle avait trouvé ou que c"était elle qui l"avait trouvé. Le policier l"a avisée de laisser tomber l"affaire. Elle n"a pas suivi son conseil et a continué à mener sa propre enquête.

[4]      Quand on lui a demandé la raison pour laquelle elle a fait ce choix au lieu de simplement quitter la compagnie, la demanderesse a répondu qu"elle craignait d"être faussement accusée et voulait ainsi obtenir des renseignements pertinents pour se défendre. Elle a également fait observer qu"il était difficile de se trouver un emploi au Mexique sans la recommandation d"anciens employeurs, et qu"elle devait faire vivre sa famille. Au cours du contre-interrogatoire, lorsqu"on lui a demandé si elle avait déjà feuilleté les journaux à la recherche d"offres d"emploi, elle a répondu par l"affirmative.

[5]      La demanderesse soutient que son patron a tenté de la violer le 13 juin 1996, peu de temps après qu"elle eut discuté avec le policier. Elle croit avoir été la cible de cette attaque parce que son patron aurait appris, possiblement du policier, qu"elle avait découvert les preuves d"un trafic de drogue. Elle a fui, et le lendemain s"est plainte à la police, qui apparemment n"a rien fait. Elle n"est pas retournée par la suite au travail; mais elle est restée chez des amis. Quelques jours plus tard, sa mère lui a dit au téléphone que la police était venue à la maison, et qu"elle faisait l"objet d"un mandat d"arrestation en suspens relativement à des accusations de fraude portées contre elle par son ancien employeur. La demanderesse s"est alors réfugiée chez un ami dans une ville voisine, mais elle est repartie après deux semaines parce que cet ami a été battu par la police, puis prévenu qu"il ne devait pas héberger la demanderesse. Elle s"est ensuite réfugiée dans une église pour une durée de quelque trois mois.

[6]      Les parents de la demanderesse ont fait des arrangements pour qu"elle puisse fuir le pays par avion en utilisant son propre passeport. La demanderesse a expliqué qu"elle craignait de partir avec des faux documents, parce qu"elle courait alors le risque d"être accusée cette fois-là non pas pour une fausse infraction, mais bien pour une véritable infraction. Elle est arrivée au Canada en octobre 1996, et a revendiqué le statut de réfugié en mars 1997.

[7]      La décision défavorable de la SSR s"appuyait sur la conclusion selon laquelle la preuve de la demanderesse manquait de crédibilité. Il y a cinq motifs sur lesquels repose cette conclusion. L"avocat de la demanderesse conteste chacun de ces motifs.

Retard dans le dépôt de la revendication

[8]      La SSR a jugé que la demanderesse n"avait pas fourni de raisons plausibles pour expliquer le délai entre son arrivée au Canada et la date de sa revendication du statut de réfugié.

La SSR a affirmé :

     [TRADUCTION] Quand on lui a demandé la raison pour laquelle elle n"a soumis une demande que plus tard, elle a répondu qu"elle cherchait un moyen de régulariser son statut.         

[9]      L"avocat de la demanderesse plaide qu"il s"agit d"un compte rendu erroné de la preuve. La transcription révèle que, quand on lui a demandé ce qui l"a incitée à soumettre sa demande de statut de réfugié le 10 mars 1997, la demanderesse a répondu :

     [TRADUCTION] J"ai auparavant cherché à me renseigner sur les solutions possibles pour rester ici, et l"on m"a répondu que mon pays n"était pas considéré comme un pays à problèmes; que je n"avais aucune chance d"obtenir le statut de réfugié ici; que je ne pouvais rester au Canada en tant que réfugiée. Quelqu"un m"a conseillé de me rendre à un centre communautaire situé à Flemington Park, et c"est là que j"ai su que le Canada ne me refuserait pas le droit de revendiquer le statut de réfugié, et que n"importe quel pays pouvait .. n"importe quel pays pouvait présenter une demande de statut de réfugié, et que mon pays ne faisait pas exception.         

[10]      Sur la foi de cet extrait et d"autres passages de la transcription, l"avocat de la demanderesse soutient que la SSR n"a pas tenu compte du témoignage de la demanderesse selon lequel elle a tardé à déposer sa demande dans l"espoir d"une amélioration de la situation dans son pays qui lui permettrait d"y retourner. Il prétend que la SSR n"a pas tenu compte du témoignage de la demanderesse, qui montre que, lorsque l"espoir de retour au Mexique ne s"est pas concrétisé, elle a cherché à obtenir des conseils, et qu"on lui a dit, à tort, qu"il n"était pas possible de faire une revendication du statut de réfugié à l"encontre du Mexique. Cependant, elle a ultérieurement obtenu des renseignements exacts, et a présenté sa demande lorsqu"elle a su qu"elle était en droit de le faire.

[11]      L"avocat de la demanderesse a donné une interprétation raisonnable de la preuve de la demanderesse qui contredit celle de la SSR. Cependant, la Cour est d"avis qu"il était loisible à la SSR d"interpréter la preuve comme elle l"a fait et de conclure que le retard de la demanderesse à présenter sa demande nuisait à sa crédibilité.

Méthode du départ

[12]      La SSR a jugé que le fait que la demanderesse parte du Mexique avec son propre passeport n"était pas compatible avec sa revendication selon laquelle elle craignait d"être arrêtée pour de fausses accusations de fraude portées à son endroit. L"avocat de la demanderesse affirme que la demanderesse a offert une explication plausible dont la SSR n"a pas tenu compte.

[13]      La Cour n"est pas d"avis qu"il n"a pas été tenu compte de l"explication de la demanderesse. La SSR a rejeté sa version pour manque de crédibilité, comme elle était autorisée à le faire. Vu l"ensemble de la preuve, le rejet par la SSR de l"explication de la demanderesse n"est pas déraisonnable.

L"omission relevée dans le Formulaire de renseignements personnels

[14]      La SSR a noté que la demanderesse avait affirmé dans son témoignage que la police avait placé sa demeure et ses parents sous surveillance, mais que ce renseignement ne figurait pas sur le Formulaire de renseignements personnels.

[15]      L"avocat de la demanderesse plaide qu"il est déraisonnable de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse en raison de cette omission. Il soutient en premier lieu qu"il s"agit d"une omission, et non pas d"une contradiction; en effet, la visite que la police a effectuée chez ses parents pour la retrouver est compatible avec la preuve. En second lieu, il fait observer que l"ajout du témoignage relativement à la police servait à soutenir la prétention de la demanderesse quant à l"existence d"une menace directe, et que la surveillance est un fait clairement moins grave que le fait de l"action directe de la police à son endroit.

[16]      La Cour est de l"avis de l"avocat de la demanderesse qu"il n"y rien dans la preuve relative à la surveillance de la police qui soit contradictoire avec la preuve de la demanderesse ou avec sa revendication. Cependant, la Cour ne peut souscrire à l"idée qu"il s"agit d"un fait si peu important que la SSR ne soit pas autorisée à constater son omission du Formulaire de renseignements personnels. La Cour est d"avis que la SSR était en droit de conclure que l"omission de ce fait nuisait à la crédibilité de la demanderesse.

Différences entre le Formulaire de renseignements personnels et les notes prises au point d"entrée

[17]      La SSR a noté qu"il y avait une différence entre la preuve de la demanderesse et les notes prises par l"agent au cours de l"entrevue tenue en mars 1997, au moment où la demanderesse a présenté sa revendication. Les notes donnent à penser que la demanderesse craignait ses collègues de travail, mais cela n"est clairement pas le fondement de sa demande, qui est plutôt liée à sa crainte de son employeur et de la police.

[18]      Quand on l"a confrontée avec le contenu des notes, la demanderesse a dit ne pas pouvoir se souvenir de ce qu"elle avait dit à l"agent à propos des personnes qu"elle craignait. La SSR a considéré que son incapacité de se souvenir était peu vraisemblable. L"avocat de la demanderesse fait valoir qu"il s"agit d"une conclusion déraisonnable, et que la SSR a interprété de façon erronée la preuve soumise à cet égard.

[19]      Aucune preuve n"a été présentée quant au degré d"exactitude des notes par rapport à ce que la demanderesse a dit à l"entrevue. Les notes sont manifestement inexactes relativement à un fait important, à savoir la date à laquelle la demanderesse a quitté son emploi au Mexique. Leur fiabilité sur d"autres points peut fort bien être douteuse.

[20]      À l"audience, on a demandé à la demanderesse si elle avait déclaré que ses collègues de travail prévoyaient la tuer, et elle a répondu :

     [TRADUCTION] Non pas mes collègues de travail, seulement l"architecte de Segura.         

[21]      Puis, à la question de savoir si cela était ce qu"elle avait dit à l"agent à l"entrevue, elle a répondu :

     [TRADUCTION] En vérité, je ne me rappelle même plus ce que j"ai dit à l"agent, parce que la seule chose dont je suis certaine, c"est que ce que je dis ici est la vérité. Il n"y a aucune raison pour moi de mentir.         

[22]      La demanderesse n"a pas dit qu"elle a pu mentionner ses collègues de travail, ou qu"il y avait une possibilité qu"elle ait fait mention d"eux. La SSR semble néanmoins avoir déduit que cela était implicite. La SSR a affirmé à propos de la preuve en question :

     [TRADUCTION] Pour quelle raison la demanderesse aurait-elle pensé qu"elle mentionnerait possiblement qu"elle craignait d"être persécutée par ses collègues de travail, si ce n"était pas le cas?         

[23]      La SSR semble s"être attendue à ce que la demanderesse nie avoir déclaré qu"elle craignait ses collègues de travail, puis ne l"a pas crue lorsqu"elle a plutôt dit ne pas se rappeler.

[24]      La Cour est de l"avis de l"avocat de la demanderesse que la SSR a mal rendu compte de la preuve de la demanderesse à ce sujet, et que par conséquent elle en a fait une interprétation erronée. La Cour doute également de la logique derrière l"idée de demander à la demanderesse d"expliquer des notes d"entrevue prises par une autre personne dans une autre langue, par rapport à son propre souvenir de l"entrevue, puis de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse en raison de son incapacité de se souvenir.

Vraisemblance

[25]      La SSR a jugé qu"il était peu vraisemblable que la demanderesse ait découvert les preuves décrites au lieu d"affaires de son employeur et qu"elle y soit restée pour chercher davantage de renseignements, plutôt que de partir immédiatement. Pour expliquer cette conclusion, la SSR a affirmé :

     [TRADUCTION] En dernier lieu, le tribunal a examiné la plausibilité du récit de la demanderesse, selon lequel elle a été employée par une compagnie, a fouillé une boîte pour y trouver de la drogue, a confronté l"employeur et a fui le pays. On a demandé à la demanderesse la raison pour laquelle elle n"a pas simplement quitté son emploi, plutôt que de se mettre à la recherche d"autres renseignements et de preuves liés à la drogue. Elle a répondu que les emplois étaient rares. Lorsqu"on l"a interrogée pour savoir si elle avait fait des démarches concrètes pour se trouver un autre emploi, elle a fini par dire qu"elle avait feuilleté les journaux. Le tribunal considère que ce témoignage n"est pas crédible. La demanderesse a simplement répondu qu"elle avait regardé dans les journaux afin de plaire au tribunal. Il est clair que la demanderesse n"a fait aucun effort réel de se trouver un nouvel emploi.         

[26]      L"avocat de la demanderesse plaide que la SSR n"a pas correctement évalué la conduite de la demanderesse en fonction des circonstances dans lesquelles elle s"est trouvée, mais a plutôt émis une hypothèse quant à savoir ce qu"une autre personne aurait fait à sa place, pour ensuite présumer que l"hypothèse en question constituait la seule façon d"agir possible. Il affirme que la SSR a de ce fait appliqué une norme entièrement déraisonnable à la conduite de la demanderesse, ce qui a donné lieu à la même erreur que celle relevée dans l"affaire Giron c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.) et dans l"affaire Cardenas c. Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration (20 février 1998), IMM-1960-67, (C.F. 1re inst.). Il fait observer à juste titre qu"il n"existe aucune preuve objective au dossier relative à l"" idéal " mis de l"avant par la SSR. Cela peut être comparé par opposition aux cas dans lesquels, par exemple, la plausibilité du récit du demandeur du statut de réfugié est évalué en fonction de ce qui est connu des conditions dans le pays d"où provient le demandeur.

[27]      La Cour est d"avis que la SSR était en droit d"évaluer la conduite de la demanderesse comme elle l"a fait, en tenant compte de son récit, de même que de la manière dont il a été livré et vérifié au cours de l"audience, avec comme arrière-plan les autres preuves et sa propre perception du comportement humain. L"opinion de la Cour est appuyée par les observations du juge O"Halloran dans l"affaire Faryna c. Chorny , [1952] 2 D.L.R. 354, à la page 357 (C.A.C.-B.) :

     [TRADUCTION] En résumé, le véritable critère de la véracité du récit d"un témoin [...] doit être sa compatibilité avec la prépondérance des probabilités qu"une personne raisonnable et informée reconnaîtrait d"emblée comme étant raisonnable à cet endroit et dans ces conditions.         

[28]      La Cour ne voit rien dans l"affaire Giron qui soit incompatible avec cette conclusion. Elle se réfère à cet égard aux commentaires du juge Décary dans l"affaire Aguebor c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), aux pages 316 et 317 :

     Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.         

[29]      Il ressort clairement de cet extrait que la SSR a compétence pour tirer des conclusions relatives à la plausibilité de la conduite humaine. Si une preuve pertinente quant à cette question est présentée, par exemple sous forme d"expertise par un psychologue ou un sociologue, la SSR se doit d"en tenir compte au même titre que les autres preuves qui lui sont soumises. Cependant, la Cour ne croit pas qu"une telle preuve soit requise dans tous les cas, ou dans le cas présent. La Cour est d"avis qu"il n"y a pas d"erreur susceptible de contrôle judiciaire relativement à la conclusion de la SSR sur la plausibilité.

Conclusion

[30]      La Cour considère que le seul passage contestable dans la décision de la SSR se rapporte aux notes de l"intervieweur. L"erreur commise par la SSR à ce propos n"est pas à ce point importante qu"elle justifie une intervention judiciaire dans la décision.



La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                 Karen R. Sharlow                             

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

18 mai 1999

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :              IMM-2927-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      LORENA GONZALEZ c. MCI

LIEU DE L"AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L"AUDIENCE :          11 mai 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE prononcés par le juge Sharlow

EN DATE DU 28 mai 1999

COMPARUTIONS

Clifford Luyt                          POUR LA DEMANDERESSE

Stephen Gold                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Clifford Luyt                          POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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