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Date : 20040226

 

Dossier : IMM‑1595‑03

 

Référence : 2004 CF 282

 

Toronto (Ontario), le 26 février 2004

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY                           

 

 

ENTRE :

 

                                                         FARIBA SADEGHI‑PARI

 

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

 

 

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                             défendeur

 

 

                                MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               La demanderesse, Mme Fariba Sadeghi‑Pari, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés, Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dont les motifs sont datés du 3 février 2003. Dans la décision, la Commission a refusé de reconnaître à la demanderesse le statut de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger. La demanderesse sollicite l’annulation de la décision de la Commission et demande qu’un tribunal différemment constitué examine de nouveau sa demande.


 

CONTEXTE                          

 

[2]               Mme Sadeghi‑Pari est Iranienne. Elle a demandé le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada au motif qu’elle craignait d’être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social, celui des lesbiennes en Iran. Elle a également fait valoir qu’elle était une personne à protéger conformément au motifs énumérés à l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

 

[3]               La demanderesse est originaire de Téhéran. Au moment de l’audience devant la Commission, elle avait 34 ans. La demanderesse prétend qu’elle a une relation homosexuelle avec son amie Farideh depuis l’année qui précède sa dernière année d’école secondaire. Après l’école secondaire, la demanderesse s’est trouvée un travail comme designer de vêtements.

 

[4]               En 1987, Farideh était en brouille avec sa famille et elle a donc quitté le domicile familial pour louer un appartement dans le district de Narmak, à Téhéran. La demanderesse payait une partie du loyer. La demanderesse a dit, dans son témoignage, qu’elle rendait visite à Farideh presque tous les jours, de 17 h jusqu’à 21 h ou 22 h. Elle y passait la nuit à l’occasion. Elle a déclaré qu’elle et Farideh avaient constaté que le propriétaire et les voisins se posaient des questions concernant leurs relations.

 

[5]               La demanderesse a affirmé, dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et dans son témoignage que, d’après elle, les membres de sa famille étaient au courant de sa relation avec Farideh mais qu’ils refusaient de reconnaître la réalité et qu’ils n’en parlaient jamais.

 

[6]               En 1998, la demanderesse a refusé d’épouser un parent qui avait demandé sa main. Elle n’a pas donné la véritable raison de son refus mais elle a tout simplement dit à ses parents qu’elle n’était pas prête à se marier et que, quand elle le serait, elle se trouverait elle‑même un mari. La demanderesse soutient que ses parents ont été très perturbés et que ses rapports avec eux ont été très tendus pendant plusieurs mois. Farideh et la demanderesse ont continué de se fréquenter.

 

[7]               En décembre 1999, la demanderesse a reçu un appel de Farideh lui annonçant que le propriétaire de l’appartement de Farideh s’était introduit dans le logement sans y être autorisé et qu’il avait trouvé des photographies, des livres et d’autres objets qui indiquaient qu’elles avaient une relation homosexuelle. Farideh a dit à la demanderesse de ne pas se rendre à son appartement ce jour‑là.

 


[8]               La demanderesse s’est rendue à l’appartement de Farideh le lendemain et elle a rencontré le propriétaire. Ce dernier lui a dit qu’il avait appelé la police. Très rapidement, deux membres de la « police de la religion » se sont présentés à l’immeuble où logeait Farideh et la demanderesse a été arrêtée, amenée au poste de police où on lui a dit qu’elle serait accusée de crimes sexuels et qu’elle écoperait d’une peine de 100 coups de fouet. La demanderesse a été autorisée à téléphoner à son père qui a versé un pot‑de‑vin pour obtenir la libération de sa fille. Plus tard, la demanderesse a appris que Farideh avait elle aussi été arrêtée et qu’elle n’avait pas été relâchée avant la mi‑janvier 2000.

 

[9]               La demanderesse a déclaré que, quand elle était retournée dans sa famille, personne n’avait voulu lui parler et que son père avait dit que c’était la pire chose qui pouvait arriver à sa famille. La demanderesse soutient qu’elle a été obligée de quitter le domicile familial et de se trouver un logement. C’est ce qu’elle a fait quelque temps après sa libération, en décembre 1999 ou début janvier 2000.

 

[10]           Après sa libération, Farideh n’avait plus de domicile et elle s’est donc installée chez la demanderesse. La demanderesse a dit, dans son témoignage, qu’elle avait peur de ce qui pouvait se produire de nouveau; toutefois, aucun de leurs amis ne voulait héberger Farideh et bien entendu, les parents de cette dernière ont également refusé de le faire.

 

[11]           Le 21 mars 2000, la demanderesse a rendu visite à sa famille à l’occasion des célébrations du Nouvel An iranien. Pendant son séjour, elle a reçu un appel téléphonique lui annonçant que la police de la religion avait fait une descente à son appartement et que Farideh avait été arrêtée. Avec l’aide de sa famille, la demanderesse s’est donc cachée et elle a quitté l’Iran pour se rendre en Turquie, le 9 août 2000. 

 

[12]           Un passeur l’a amenée en voiture jusqu’en Turquie où elle est demeurée pendant six semaines pendant qu’on prenait des arrangements pour qu’elle puisse se rendre au Canada. Elle est arrivée au Canada, en passant par les États‑Unis, le 22 septembre 2000. Elle a demandé le statut de réfugié au sens de la Convention une semaine plus tard, soit le 30 septembre 2000.

 

[13]           Pendant l’audience, la demanderesse a affirmé qu’elle avait eu des nouvelles de Farideh par l’entremise de sa soeur et qu’elle avait appris que Farideh avait passé quelque six ou sept mois en prison et qu’elle y avait subi des mauvais traitements. La demanderesse croit que Farideh a tenté de quitté l’Iran pour se rendre en Turquie mais, lors de l’audience, elle n’avait aucune nouvelle d’elle depuis environ cinq mois.

 

[14]           L’audience de la demanderesse devant la Commission a eu lieu le 21 janvier 2003. La Commission a rejeté la demande de la demanderesse dans ses motifs du 3 février 2003.

 

Décision de la Commission

 

[15]           La Commission a conclu, selon la prépondérance de la preuve, que les affirmations de la demanderesse qui prétendait qu’elle avait été arrêtée du fait de sa relation homosexuelle, que la police avait fait une descente chez elle après l’avoir remise en liberté et que sa compagne, Farideh, avait été arrêtée, n’étaient pas plausibles. La Commission s’est fondée sur les conclusions de non‑plausibilité suivantes :


‑ la demanderesse n’aurait pas été libre de vivre d’une manière aussi indépendante puisqu’elle avait dit que sa famille était une famille religieuse qui respectait les traditions de l’Islam;

‑ après avoir été relâchée par la police, il est peu plausible que la seule conséquence, au sein de sa famille, aurait été que ses parents ne lui adressent plus la parole; elle aurait vraisemblablement été traitée avec plus de sévérité;

‑ son père et sa famille qui étaient des « Iraniens traditionnels » ne lui auraient pas permis de quitter le domicile familial et d’avoir son propre appartement peu après avoir été accusée de lesbianisme par la police et par la suite, sa famille aurait gravement restreint sa liberté;

‑ le tribunal « ne peut croire » qu’on aurait permis à la demanderesse d’accepter que Farideh s’installe chez elle puisque ses parents auraient surveillé son mode de vie de très près et qu’ils se seraient assurés que « pareille colocataire » ne s’installe pas chez elle;

‑ il n’est pas plausible que la demanderesse ait réussi à préserver des rapports tendus avec ses parents après avoir refusé le mariage arrangé en 1998;

‑ l’explication de la demanderesse concernant la raison pour laquelle sa famille ne l’avait pas traitée plus sévèrement était plausible au Canada mais non en Iran, au sein d’une « famille musulmane orthodoxe »;

‑ à titre de femme non mariée, la demanderesse n’aurait pas été autorisée à passer autant de temps en dehors du domicile familial et même si on lui avait permis de rendre visite à Farideh, il aurait fallu que ses parents tolèrent ses visites;


‑ le témoignage de la demanderesse concernant le comportement du propriétaire qui se serait introduit dans l’appartement à son insu et qui aurait trouvé une « preuve accablante », n’est pas plausible puisque un Iranien « n’entrerait jamais, peu importe les circonstances, chez une célibataire sans se faire annoncer, même s’il a une clé et même s’il est propriétaire du logement », puisqu’il aurait vraisemblablement été arrêté et traité beaucoup plus durement que la demanderesse;

‑ les visites fréquentes de la demanderesse chez Farideh et leur comportement alors qu’elles étaient ensemble n’auraient pas éveillé les soupçons du propriétaire et des voisins parce que la preuve documentaire révèle que les femmes iraniennes se montrent plus d’affection en public que les femmes canadiennes.

 

[16]           La Commission a également conclu qu’un document produit par la demanderesse, une sommation à comparaître décernée par le tribunal révolutionnaire islamique de Téhéran était peut‑être un faux et elle lui a accordé peu de poids. La Commission a mentionné que le document original était imprimé sur une simple feuille de papier blanche et que, malgré l’estampille apposée au bas, « on dirait une copie ». De l’avis du tribunal, « étant donné la technologie moderne, ce document aurait pu facilement être reproduit, et ce, sans difficulté ».

 


[17]           Enfin, la Commission a affirmé qu’elle ne croyait pas, selon la prépondérance de la preuve, que la demanderesse était une lesbienne. La Commission a fondé sa conclusion sur le fait que la demanderesse n’avait produit aucune preuve corroborante, notamment des photographies d’elle accompagnée de Farideh, ni aucune preuve fiable qu’elle jouait un rôle actif ou de bénévole dans la collectivité gaie et lesbienne de Toronto. La Commission a reconnu que cette dernière preuve pourrait s’avérer intéressée et qu’elle n’était pas nécessaire dans une demande d’asile comme celle en l’espèce; toutefois, elle « aurait pu [...] s’avérer utile pour prouver [l’]orientation sexuelle [de la demanderesse] ». La Commission a également conclu que ce n’était pas parce que la demanderesse était toujours célibataire à l’âge de 34 ans qu’elle était une lesbienne et qu’il était possible qu’elle soit mariée sans que la Commission le sache.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[18]           1.         La Commission a‑t‑elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées tirées de manière abusive ou arbitraire ou sans égard à la preuve dont elle disposait et, en particulier, la Commission s’est‑t‑elle fondée sur des généralisations?

2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en niant l’authenticité de la sommation?

3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en exigeant une norme de preuve plus stricte que nécessaire pour décider si la demanderesse était ou non une lesbienne et, le cas échéant, sa décision soulève‑t‑elle une crainte raisonnable de partialité?

 


ANALYSE

 

[19]           À mon avis, la demanderesse a établi que la Commission a pris une décision en se fondant sur des conclusion de non‑plausibilité qui avaient été tirées d’une manière arbitraire ou abusive. Dans son mémoire, le défendeur reprend le raisonnement de la Commission en mentionnant les normes culturelles et religieuses strictes qui existent en Iran; toutefois, cet exposé comporte les mêmes erreurs que le raisonnement de la Commission, en ce sens qu’il n’est appuyé d’aucune preuve documentaire au dossier du tribunal. En outre, il s’agit d’une vision monolithique de la culture islamique iranienne, qui ne tient pas compte des différences qu’il pourrait y avoir entre la situation de la demanderesse et la norme générale.

 

[20]           La Commission n’a pas tenu compte des caractéristiques de la demanderesse qui indiquaient que sa situation était peut‑être différente de celle d’autres femmes iraniennes que la Commission avait rencontrées. Ces différences sont possibles puisque la vie des femmes est différente et moins restrictive dans la capitale, Téhéran, que dans des villes moins importantes et à la campagne, de sorte que la demanderesse avait un emploi à plein temps depuis 1987, d’abord comme designer de vêtements puis comme secrétaire, postes qui lui procuraient un revenu et une plus grande liberté que les femmes qui ne travaillent pas et la demanderesse n’a jamais prétendu que sa famille était ultra‑traditionnelle.

 

[21]           Le défendeur a raison de dire que la demanderesse doit produire une preuve qui étaye sa demande; toutefois, il est bien reconnu que le témoignage d’un demandeur constitue une telle preuve. Conformément au principe énoncé dans l’arrêt Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), quand un demandeur jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons valables d’en douter. Le témoignage de la demanderesses était clair, direct et cohérent, et la Commission n’a ni critiqué le comportement de la demanderesse ni relevé de contradictions ou d’incohérences dans son témoignage. Elle a donc commis une erreur en omettant de préciser la preuve qui lui permettait de réfuter la présomption de véracité du témoignage de la demanderesse conformément à Maldonado, précité.

 

[22]           La preuve documentaire sur laquelle la Commission s’est fondée ne porte que sur la question de l’homosexualité féminine et masculine en Iran et ne vise pas les attitudes plus larges à l’égard des femmes célibataires sur le marché du travail qui vivent dans la capitale, Téhéran. Je conviens, avec la demanderesse, que plusieurs des conclusions de la Commission en matière de plausibilité semblent éminemment conjecturales et dénuées de tout fondement probatoire et qu’elles sont donc manifestement déraisonnables : Arumugam, précité, Frimpong, précité.

 


[23]           Le défendeur soutient que la Commission pouvait admettre d’office des faits et des renseignements qui étaient du ressort de sa spécialisation et que, pour cette raison, elle pouvait raisonnablement tirer les conclusions qu’elles a tirées en matière de plausibilité. L’alinéa 170(i) de la LIPR et l’article 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, précisent :

 


170. Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de la protection des réfugiés :

[...]

 

170. The Refugee Protection Division, in any proceeding before it,

...

i) peut admettre d’office les faits admissibles en justice et les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.

 

(i) may take notice of any facts that may be judicially noticed, any other generally recognized facts and any information or opinion that is within its specialized knowledge.

 

18. Avant d’utiliser un renseignement ou une opinion qui est du ressort de sa spécialisation, la Section en avise le demandeur d’asile ou la personne protégée et le ministre ‑‑ si celui‑ci est présent à l’audience ‑‑ et leur donne la possibilité de :

 

 

18. Before using any information or opinion that is within its specialized knowledge, the Division must notify the claimant or protected person, and the Minister if the Minister is present at the hearing, and give them a chance to

 

a) faire des observations sur la fiabilité et l’utilisation du renseignement ou de l’opinion;

 

 

(a) make representations on the reliability and use of the information or opinion; and

 

b) fournir des éléments de preuve à l’appui de leurs observations.

 

 

(b) give evidence in support of their representations.


 


[24]           Le défendeur a raison de dire que la Commission peut se fonder sur son expertise générale concernant les conditions qui existent dans un pays en appréciant la plausibilité du témoignage d’un demandeur et que la preuve documentaire qui se trouve dans le dossier standardisé du pays sur laquelle la Commission ne se fonde pas précisément n’a pas nécessairement besoin d’être reprise dans le dossier du tribunal : Hassan, précité. Toutefois, ce pouvoir dont jouit la Commission n’est pas à ce point large que la Commission puisse se fonder sur de nombreux commentaires précis sur un pays sans mentionner la preuve documentaire qui étaye ses opinions. En l’espèce, selon moi, la Commission s’est fondée sur plusieurs observations précises concernant la vie à Téhéran sans fournir d’éléments de preuve relevant de la sociologie, des droits de la personne ou de renseignements sur le pays à l’appui de ses conclusions. Tel que susmentionné, la seule preuve documentaire mentionnée par la Commission dans ses motifs porte sur l’importance de l’homosexualité masculine et féminine en Iran et les peines applicables et ne vise pas les conclusions de la Commission concernant la liberté des femmes célibataires à Téhéran.

 

[25]           De plus, même si les opinions de la Commission sont du ressort de sa _ spécialisation _, la demanderesse aurait dû avoir la possibilité de faire des observations sur ces opinions pendant l’audience.

 

[26]           La transcription révèle que le commissaire a bien dit à la demanderesse, par rapport à certaines choses, que selon lui, une femme célibataire ne pourrait avoir son propre appartement en Iran. Toutefois, plus loin, par rapport à d’autres choses, lorsque le commissaire s’est fondé sur sa spécialisation pour tirer des conclusions de non‑plausibilité, il n’a pas donné à la demanderesse la possibilité de répliquer. Par exemple, la Commission était d’avis qu’un propriétaire qui s’introduit dans l’appartement d’une célibataire serait traité plus sévèrement que les lesbiennes occupantes et elle n’a pas permis à la demanderesse de présenter son opinion sur ce sujet. Elle n’a pas non plus permis à la demanderesse d’expliquer pourquoi elle avait été autorisée à passer autant de temps en dehors de la résidence familiale.

 

[27]           Autre erreur commise en l’espèce, la Commission a fondé son raisonnement sur la présomption que la famille de la demanderesse était très sévère, une famille musulmane traditionnelle, alors que ce n’est pas la description qu’en avait donnée la demanderesse dans son témoignage. Si on compare la transcription de l’audience, à la page 2 de ses motifs, la Commission reprend correctement le témoignage de la demanderesse qui a affirmé qu’elle était issue d’une famille « de nature religieuse » qui « respectait les traditions de l’islam ». Cependant, à la page 4 de ses motifs, la Commission a modifié les propos de la demanderesse et affirmé qu’elle était issue d’une « famille musulmane orthodoxe » à ce point « traditionnelle » qu’elle n’aurait pas pu avoir un style de vie si peu traditionnel. Selon moi, la Commission a mal interprété le témoignage de la demanderesse et elle a fondé plusieurs de ses conclusions en matière de plausibilité sur l’idée fausse que la demanderesse était issue d’une famille très religieuse et traditionnelle.

 

[28]           La demanderesse a également fait valoir que la Commission avait commis une erreur en concluant qu’elle ne craignait pas avec raison d’être persécutée puisqu’elle n’avait qu’à garder sa relation avec une autre femme secrète pour éviter d’être punie. En effet, selon la Commission, conformément à la preuve documentaire, l’État cesserait de jouer un rôle passif si une relation homosexuelle était connue du public et il traiterait alors sévèrement les personnes accusées d’entretenir de telles relations.

 

[29]           Dans les arrêts de principe que sont Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, et Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, le terme persécution s’entend habituellement d’un manquement grave à un droit fondamental de la personne. Il est peut‑être malavisé de conclure qu’une lesbienne ne serait pas persécutée en Iran si elle cachait sa relation avec une autre personne, parce que le fait de s’attendre à ce qu’une personne vive ainsi pourrait constituer un manquement grave à un droit fondamental de la personne et donc, de la persécution. Se reporter, par exemple, aux décisions Fosu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 90 F.T.R. 182 et Husseini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2002), 20 Imm. L.R. (3d) 92 (C.F. 1re inst.), qui examinent la question des demandeurs qui n’ont pas le droit d’afficher leurs convictions religieuses en public.

 

[30]            Par contre, à mon avis, même si la Commission semble avoir amorcé le raisonnement qui l’a amenée à cette conclusion en mentionnant une preuve documentaire qui indique que les autorités iraniennes ne s’en prennent pas aux lesbiennes tant et aussi longtemps que leurs relations demeurent privées, ce n’est pas la raison qui a amené la Commission à rejeter la demande. La Commission a plutôt décidé que ses conclusions de non‑plausibilité l’amenaient à dire que, selon toute probabilité, la liaison invoquée par la demanderesse n’existait pas. Par conséquent, la question n’est pas déterminante dans la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[31]           Pour ce qui touche la deuxième question, savoir l’opinion de la Commission sur la sommation à comparaître de la cour iranienne, je ne suis pas d’accord avec la prétention du défendeur selon laquelle la Commission n’a tiré aucune conclusion concernant l’authenticité du document. Il est vrai que le commissaire n’a pas utilisé le mot « faux » mais il a commencé par dire que l’aspect du document le troublait pour ensuite affirmer qu’il aurait pu être facilement reproduit compte tenu de la technologie moderne, opinion qui, selon moi, constitue une conclusion selon laquelle il s’agit d’un faux. La Commission a énuméré les motifs pour lesquels elle ne croyait pas que le document était authentique à la page 8 de ses motifs :

[...] Le tribunal constate que ce document est une simple feuille de papier blanche. Le tribunal a vu l’original du document et constate que, malgré l’estampille apposée au bas de celui‑ci, on dirait une copie. De l’avis du tribunal, étant donné la technologie moderne, ce document aurait pu facilement être reproduit, et ce, sans difficulté. Donc, et compte tenu qu’il n’existe aucune enveloppe démontrant au moins que le document provient de l’Iran, le tribunal y accorde peu de poids.

 

 

 

[32]          La demanderesse atteste que le document qu’elle a produit à l’intention du commissaire était en fait une photocopie et que cela n’a rien d’étrange puisque les autorités iraniennes conservent les originaux de ces documents et remettent aux personnes concernées une copie comportant une estampille pour attester son authenticité. La demanderesse atteste également que si le commissaire avait des doutes concernant l’authenticité du document, elle aurait dû en être informée à l’audience et avoir l’occasion de s’expliquer.

 


[33]           Il appert de la transcription de l’audience, à la page 147 du dossier du tribunal, que le commissaire a commencé à poser des questions à la demanderesse concernant ce document mais que l’avocat l’a interrompu dans le but de répondre à la question précédente concernant la raison pour laquelle le document n’avait été produit qu’à l’audience. L’avocat a précisé qu’il y avait eu un retard dans la traduction du document. Le commissaire a demandé à la demanderesse si elle possédait l’original du document et elle a répondu « oui ». Le commissaire a ensuite demandé [traduction] « Où est‑il? Pouvez‑vous me le montrer? ». C’est à ce moment‑là que l’avocat a posé sa question, que la discussion a dévié et que le document n’a plus jamais été mentionné.

 

[34]           Il est malheureux que ni le commissaire ni l’avocat de la demanderesse n’aient tenté de clarifier davantage la nature du document. En un sens, il s’agit d’un original puisque c’est le seul document remis à la demanderesse par l’État iranien mais on peut également dire qu’il s’agit d’une photocopie de l’original conservé par le gouvernement dans ses dossiers.

 

[35]           Je fais référence à la décision Ramalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 10 (1re inst.) (QL), dans laquelle le juge Dubé a dit, au paragraphe 6 :

En l’espèce, la Commission a contesté la validité du certificat de naissance sans produire d’autre élément de preuve à l’appui de sa prétention et, manifestement, la question des documents étrangers n’est pas un domaine que la Commission peut prétendre connaître tout particulièrement. À mon avis, cela constitue une erreur susceptible de révision de la part de la Commission.

 

 

 


[36]           Selon moi, rien n’indique au dossier que le commissaire soit un expert en matière d’appréciation de l’authenticité de documents provenant d’Iran. La Commission ne mentionne aucune preuve documentaire concernant la nature des documents délivrés par les tribunaux iraniens ou par l’État iranien ou si de faux documents s’obtiennent facilement en Iran. Ce n’est pas un domaine qui est du ressort de spécialisation de la Commission au sens de l’article 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, et en outre, même s’il s’agissait d’un tel domaine, la demanderesse aurait dû être avisée, conformément à cette disposition des Règles, que la Commission n’était pas convaincue de l’authenticité du document. Les questions initiales de la Commission ne permettaient pas à la demanderesse de comprendre que le commissaire croyait que le document n’était pas authentique.

 

[37]           Pendant l’audience, l’avocat de la demanderesse a mentionné qu’il s’attendait à obtenir sous peu l’« original » du document et il a demandé au tribunal de l’autoriser à le produire quand il l’aurait reçu. Je n’ai pas accédé à sa demande puisque dans les circonstances, il s’agirait d’une nouvelle preuve dont la Commission n’était pas saisie.

 


[38]           La troisième question que soulève la présente demande est de savoir si la Commission a commis une erreur en appliquant une norme de preuve plus sévère concernant la question de l’orientation sexuelle de la demanderesse. La Commission, pour les motifs mentionnés plus haut, a mis en doute d’une manière arbitraire la véracité du témoignage de la demanderesse et elle a conclu que son témoignage n’était pas plausible. Toutefois, si ces conclusions avaient été étayées par la preuve, à mon avis, la Commission aurait pu tirer des conclusions défavorables du fait que la demanderesse ne possédait aucune photographie d’elle et de sa partenaire ni aucune autre preuve au soutien de ses allégations. Dans une telle situation, la Commission n’appliquerait pas une norme de preuve à ce point sévère qu’elle constituerait une erreur. Toutefois, l’absence de preuve corroborante de l’orientation sexuelle d’une personne ne suffit pas en soi, en l’absence de conclusions négatives et rationnelles quant à la crédibilité ou à la plausibilité, pour réfuter le principe énoncé dans Maldonado concernant la véracité.

 

[39]           Enfin, à mon avis, les motifs de la Commission, ainsi que sa conduite à l’audience ne constituent pas un motif de conclure à une crainte raisonnable de partialité.

 

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de la Commission soit annulée et que la demande de la demanderesse concernant le statut de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger soit renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvelle décision en conformité avec les présents motifs. Aucune question n’est certifiée.

 

                                                                         _ Richard G. Mosley _          

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

JE CERTIFIE que le document ci‑dessus est une copie conforme à l’original produit au dossier au Greffe de la Cour fédérale le __________ jour de _________________ 2004.

 

Daté ce _______ jour de _________________ 2004

 

 

                  _______________________________

                       Nom, titre de l’officier de justice    

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑1595‑03

 

 

INTITULÉ :                                                   FARIBA SADEGHI‑PARI

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 25 FÉVRIER 2004

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 26 FÉVRIER 2004

 

 

COMPARUTIONS :

 

Randal Montgomery                                         POUR LA DEMANDERESSE

 

Marcel Larouche                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Randal Montgomery                                         POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

Morris Rosenberg                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


                               COUR FÉDÉRALE

 

 

Date : 20040226

 

Dossier : IMM‑1595‑03

 

 

 

ENTRE :

 

FARIBA SADEGHI‑PARI

 

                                                                        demanderesse

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                               défendeur

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

 


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