Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     Date: 19980121

     Dossier: IMM-838-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 21 JANVIER 1998.

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE JOYAL

ENTRE

     SATNAM SINGH PARMAR,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est par les présentes rejetée.

         L-Marcel Joyal

        

         Juge

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

     Date: 19980121

     Dossier: IMM-838-97

ENTRE

     SATNAM SINGH PARMAR,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE JOYAL :

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 6 février 1997. La Commission a conclu que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985) ch. I-2.

Les faits :

[2]      Le requérant est un citoyen de l'Inde. Il pratique la religion Jat Sikh; il était agriculteur au Pendjab. Les problèmes du requérant ont commencé en 1986 lorsque la police du Pendjab a tué son beau-frère parce qu'il était censément lié aux militants.

[3]      À la suite du décès du beau-frère, la police du Pendjab et les militants sikhs ont régulièrement visité et harcelé le requérant et sa famille. Pendant ces perquisitions, le père et le frère du requérant ont fréquemment été arrêtés, détenus et torturés.

[4]      En 1989, le père du requérant est devenu un agent de la police spéciale. Il a par la suite été abattu par les militants sikhs parce qu'il était soupçonné de fournir des renseignements à la police. Le requérant et sa famille ont été harcelés tant par la police que par les militants, et ce, pendant plusieurs années.

[5]      En février 1994, le frère du requérant a été arrêté par la police du Pendjab et on ne l'a pas vu depuis lors. On présume qu'il est mort. Après la disparition de son frère, le requérant est allé vivre chez son oncle, puis, chez plusieurs autres parents. Il a obtenu un passeport en mars 1994 et a quitté l'Inde en juin 1995.

La décision de la Commission :

[6]      La Commission a conclu que le requérant n'avait pas raison de craindre d'être persécuté s'il retournait en Inde. Selon la Commission, la preuve ne montrait pas que le requérant avait objectivement raison d'être persécuté.

La question en litige :

[7]      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que le requérant n'avait pas raison de craindre d'être persécuté et, plus précisément, en omettant de tenir compte de la preuve dont elle disposait lorsqu'elle a tiré cette conclusion?

Position du requérant :

[8]      En résumé, l'avocat du requérant avance les arguments suivants :

     1.      la Commission a commis une erreur en refusant de reconnaître le statut de réfugié au requérant même si elle avait conclu qu'il était digne de foi;
     2.      la Commission a commis une erreur en interrogeant le requérant au sujet du fondement subjectif de sa revendication alors qu'elle avait déjà conclu qu'il était digne de foi;
     3.      compte tenu des circonstances, la Commission a commis une erreur en refusant de reconnaître le "bien-fondé" de la crainte de persécution du requérant;
     4.      la Commission a commis une erreur en concluant que le fait que le requérant avait tardé à quitter le pays après avoir obtenu un passeport et un visa montrait que celui-ci ne craignait rien;
     5.      la Commission a commis une erreur en faisant des inférences défavorables du fait que le requérant était retourné au Pendjab pour y faire des séjours;
     6.      la Commission a commis une erreur en notant que les militants n'étaient plus actifs au Pendjab, alors que la preuve montre le contraire;
     7.      la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte d'une preuve documentaire antérieure se rapportant au bien-fondé de la crainte de persécution du requérant.

Position de l'intimé :

[9]      Les plaidoiries de l'intimé peuvent être résumées comme suit :

     1.      la Commission a appliqué d'une façon appropriée le critère juridique pertinent en vue de déterminer si le requérant est un réfugié au sens de la Convention, en tenant compte entre autres des éléments suivants :
         a)      le requérant et sa famille n'avaient pas eu de contacts avec la milice depuis 1993;
         b)      on n'avait jamais arrêté ou détenu le requérant même si on avait amplement eu la possibilité de le faire sur une période de plusieurs mois;
         c)      le requérant avait attendu 15 mois avant de quitter l'Inde une fois son passeport obtenu;
          d)      le requérant a pu quitter l'Inde sans incident.
     2.      Dans l'exercice de ses fonctions de décideur, la Commission peut fort bien faire des remarques au sujet de certains aspects de la preuve, et notamment au sujet du comportement du requérant, et faire à cet égard des inférences favorables ou défavorables.
     3.      Il est à juste titre loisible à la Commission de conclure que la conduite du requérant lui-même, et notamment le fait qu'il a tardé à quitter l'Inde, ainsi que les déplacements qu'il a effectués en Inde, étaient incompatibles avec la crainte d'être arrêté, détenu et torturé, ainsi qu'avec une crainte fondée de persécution entre les mains de la police.
     4.      La Commission a également compétence pour apprécier la preuve et porter un jugement de valeur à ce sujet.

Analyse :

[10]      Les décisions rendues par la Commission relativement à la reconnaissance du statut de réfugié peuvent sans doute être décortiquées, étudiées isolément et analysées à fond jusqu'à ce qu'il soit possible d'en découvrir leur exactitude ou leur inexactitude fondamentale. Toutefois, la Commission est tenue d'entendre toute la preuve orale, qui en général est présentée par le demandeur lui-même, ainsi que d'analyser et de soupeser toute la preuve documentaire concernant le pays en cause. La jurisprudence établit qu'en assimilant tous ces éléments, la Commission est parfaitement libre de les accepter ou de les rejeter, en totalité ou en partie, et lorsqu'une preuve contradictoire est présentée, de retenir un élément plutôt que l'autre. Il faut toujours faire preuve de retenue à l'égard de la décision d'un tribunal qui a acquis des connaissances spéciales, à moins que cette décision ne soit manifestement erronée ou outrageuse à tous ces égards.

[11]      Cette doctrine comporte un élément accessoire, à savoir, le rôle qui incombe à la Cour elle-même lorsque la décision est contestée dans le cadre d'un contrôle judiciaire, qui est un processus visant à permettre de déterminer si la décision du tribunal est conforme au droit, plutôt qu'un appel au sens habituel du terme. Si la décision est conforme au droit, la Cour ne saurait substituer sa propre appréciation de la preuve à celle du tribunal. À vrai dire, la Cour est toujours tentée de le faire, et cela peut à certains moments être irrésistible, mais elle ne doit pas céder à cette tentation si elle veut respecter le rôle qui lui incombe.

[12]      En l'espèce, il s'agit principalement de savoir si le requérant avait raison de craindre d'être persécuté. Il est établi depuis longtemps que la crainte comporte deux éléments, soit un élément subjectif et un élément objectif. Le demandeur a la charge de prouver les deux éléments. Comme l'a dit le juge d'appel Heald1 :

         L'élément subjectif se rapporte à l'existence de la crainte de persécution dans l'esprit du réfugié. L'élément objectif requiert l'appréciation objective de la crainte du réfugié pour déterminer si elle est fondée.                 
[13]      L'élément subjectif du critère relatif à la "crainte fondée" dépend uniquement de la crédibilité du requérant. Lorsque le requérant atteste sous serment l'exactitude des allégations, son témoignage est réputé exact. La Commission n'a pas conclu, en des termes clairs et non équivoques, que le requérant n'était pas digne de foi; par conséquent, nous pouvons conclure que le requérant a de fait établi qu'il avait subjectivement raison de craindre d'être persécuté.
[14]      L'avocat du requérant soutient que la Commission n'a pas reconnu d'une façon appropriée que le requérant craignait subjectivement d'être persécuté lorsqu'elle a noté qu'il avait attendu près d'un an avant de quitter l'Inde et que ses actions n'étaient pas compatibles avec une crainte fondée de persécution (voir les motifs de la Commission, page 5). Avec égards, la Commission a de fait rendu une décision compatible avec les jugements que la Cour fédérale et la Cour d'appel avaient rendus dans le cas où le demandeur avait tardé à présenter sa revendication2.
[15]      L'élément objectif du critère exige que le requérant prouve qu'il existe une "probabilité raisonnable" ou un "risque sérieux" de persécution s'il retourne dans son pays.
[16]      L'avocat du requérant soutient que la Commission ne s'est reportée qu'à deux documents, sur les "centaines" de documents qui avaient été produits. Toutefois, le fait que la Commission omet de mentionner tous les éléments de preuve dans sa décision ne veut pas nécessairement dire que la décision doit être annulée. Il faudrait se demander si la preuve que la Commission a omis de mentionner est si importante et vitale que l'omission de la reconnaître peut constituer une erreur susceptible de révision. J'ai examiné la preuve documentaire et je ne crois pas qu'il soit possible de dire que la Commission n'a pas tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait.
Conclusion :
[17]      L'avocat du requérant a pu soulever un grand nombre de questions, mais l'avocate de l'intimé a réussi à réfuter la plupart d'entre elles. Quoi qu'il en soit, je dois conclure que, malgré certaines lacunes, la décision de la Commission est conforme à la preuve et au droit applicable.
[18]      Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
                                 L-Marcel Joyal
                                
                                 JUGE
Ottawa (Ontario),
le 21 janvier 1998.
Traduction certifiée conforme
François Blais, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Avocats et procureurs inscrits au dossier

DOSSIER :      IMM-838-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      SATNAM SINGH PARMAR c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :      VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 30 OCTOBRE 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE      DU JUGE JOYAL

     EN DATE DU 21 JANVIER 1998

ONT COMPARU :

MISHAL ABRAHAMS          POUR LE REQUÉRANT

BRENDA CARBONELL          POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

KANG & CO.          POUR LE REQUÉRANT

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

George Thomson          POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      Rajudeen v. Canada (M.E.I.), (1985) 55 N.R. 129 (C.A.F.).

2      Voir Lameen v. Canada, (1994) 7 F.T.R. 125; Huerta v. M.E.I., (1993) 157 N.R. 225 (C.A.F.); Hue c. Canada, 8 mars 1988, dossier du greffe A-196-87 (C.A.F.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.