Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20211019


Dossier : IMM-5588-20

Référence : 2021 CF 1091

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2021

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

ANTA NDIAYE

Demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Survol

[1] Je suis saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration [SAI], par laquelle elle refuse la demande de parrainage présentée par Anta Ndiaye pour son époux Ndongo Sene.

[2] La SAI a conclu que le mariage de ce couple sénégalais, célébré en novembre 2016 à l’ambassade du Sénégal située à Berlin en Allemagne, était invalide pour non-respect des conditions de forme en vigueur en Allemagne.

II. Question en litige et norme de contrôle

[3] Cette demande de contrôle judiciaire ne soulève qu’une seule question: La SAI a-t-elle erré en concluant que le mariage de la demanderesse était invalide?

[4] Bien que les parties n’aient pas pris position sur la question, je suis d’avis que la norme de contrôle applicable à l’analyse de cette question est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Gaytan, 2021 CAF 163).

III. Analyse

[5] Le paragraphe 1(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], définit un membre de la famille, pour les fins de l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 ch. 27 [la Loi] et du Règlement, comme incluant un époux. L’article 2 quant à lui précise que lorsqu’un mariage est célébré à l’extérieur du Canada, il doit être valide à la fois en vertu des lois du lieu où il a été contracté et des lois canadiennes.

[6] Une traduction française des dispositions de la loi introductive du Code civil allemand, relatives au droit international privé en matière familiale, a été fournie à la SAI. On peut y lire ce qui suit :

III Droit de la famille

Article 13 Conclusion du mariage.

1) Les conditions de conclusion du mariage sont soumises en ce qui concerne chacun des futurs époux à la loi de l’État dont il est ressortissant.

2) En cas de défaut de l’une de ces conditions, le droit allemand est applicable si

1. L’un des époux a sa résidence habituelle en Allemagne ou est de nationalité allemande,

2. Les époux ont entrepris les démarches exigibles afin de remplir les conditions et

3. Qu’il est incompatible avec la liberté de mariage de refuser l’union; en particulier ne peut être opposé l’union antérieure quand elle a été dissoute par une décision intervenue ou reconnue ici ou que le conjoint du futur époux a été déclaré mort.

3) Un mariage ne peut être conclu en Allemagne que dans les formes prescrites. Un mariage entre deux personnes dont l’une n’est pas de nationalité allemande peut cependant être prononcé par une personne habilité (sic) conformément au droit et dans les formes prescrites par l’État dont l’un des époux est ressortissant; une copie certifiée de l’inscription du mariage ainsi conclu dans le registre d’état-civil, effectuée par la personne habilitée à y procéder, procure une preuve pleinement efficace de la conclusion du mariage.

[7] Pour les fins des présentes, il n’est pas contesté que les « conditions de fond » applicables au mariage de la demanderesse sont celles que prévoit le droit sénégalais et qu’elles ont été respectées. Le représentant de l’ambassade sénégalaise en Allemagne était habilité à officier ce mariage et la demanderesse a déposé la Copie intégrale d’acte de mariage signée devant témoin par l’Ambassadeur et Officier de l’état civil, ainsi qu’un Certificat de mariage constate émis par la Direction des affaires juridiques et consulaires du Ministère des affaires étrangères et des sénégalais de l’extérieur.

[8] La SAI a néanmoins rejeté la demande de parrainage de la demanderesse au motif que le mariage est invalide pour défaut de respecter les « conditions de forme » applicables au mariage. En application du paragraphe 13(3) précité, la SAI conclut que le défaut de démontrer qu’une copie certifiée de l’inscription du mariage a été effectuée dans le registre d’état civil allemand invalide le mariage.

[9] Avec égard, je suis d’avis qu’il s’agit d’une interprétation déraisonnable de cette disposition.

[10] D’abord, cette disposition prévoit qu’un mariage ne peut être conclu que dans les formes prescrites. Par exemple, en Allemagne, seuls les mariages civils sont reconnus.

[11] Elle prévoit ensuite qu’un mariage entre deux personnes dont l’une n’est pas de nationalité allemande peut cependant être prononcé par une personne habilitée conformément au droit et dans les formes prescrites par l’État dont l’un des époux est ressortissant. Bien qu’il ne soit pas spécifié que cela s’applique à un mariage entre deux ressortissants étrangers, il ne ferait aucun sens que cela ne soit pas le cas. Les conditions de forme seraient donc également soumises au droit sénégalais.

[12] Finalement, cette disposition prévoit que l’inscription d’une copie certifiée conforme de l’acte de mariage au registre de l’état civil, par la personne habilitée à y procéder, « procure une preuve pleinement efficace de la conclusion du mariage ». J’ai peine à croire que libellé ainsi, cette disposition énonce une stricte condition de forme du mariage de la demanderesse. J’ai également peine à croire que le défaut d’inscription de l’acte de mariage au registre de l’état civil allemand invaliderait un mariage qui par ailleurs, respecte toutes les conditions de fond et de forme prescrites par le droit sénégalais.

[13] Dans les notes de l’agent d’immigration, tout comme dans les observations soumises par le Ministre devant la SAI, ceux-ci font valoir que le défaut de la demanderesse de soumettre la preuve que les autorités allemandes ont reconnu son mariage lui est fatal. Or, si en vertu du droit international privé allemand les conditions de forme et de fond d’un mariage entre étrangers célébré sur son territoire sont celles que prévoit le droit de l’État dont ils sont ressortissants, il était, à mon sens, déraisonnable d’exiger cette preuve.

IV. Conclusion

[14] Je suis donc d’avis que la décision de la SAI est déraisonnable et que le dossier doit lui être retourné pour une nouvelle détermination. Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale pour fin de certification, et aucune telle question n’émane de cette affaire.


JUGEMENT dans IMM-5588-20

LA COUR STATUE que:

  1. La demande de contrôle judiciaire est accordée;

  2. Le dossier est retourné à la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et de la protection du statut de réfugié pour une nouvelle détermination par un membre différent.

  3. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5588-20

 

INTITULÉ :

ANTA NDIAYE c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 octobre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 OCTOBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Salif Sangaré

 

Pour lA DEMANDERESSE

 

Zoé Richard

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal, QC

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.