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Date : 20211021


Dossier : IMM-6236-20

Référence : 2021 CF 1059

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2021

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

TESFAI WOLDU WOLDEMICHAEL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Tesfai Woldu Woldemichael, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 9 novembre 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a annulé la décision du 11 avril 2019 rendue par la Section de la protection des réfugiés [la SPR]. La SAR a conclu que l’identité du demandeur n’avait pas été établie et a donc jugé que celui-ci n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Le demandeur affirme qu’il est un citoyen de l’Érythrée. La SPR a conclu que l’identité et la citoyenneté du demandeur avaient été établies à la lumière du témoignage de celui-ci et d’une photocopie de sa carte d’identité de l’Érythrée. Le ministre a interjeté appel de la décision de la SPR à la SAR. La SPR et la SAR ont toutes deux estimé que les questions centrales qu’elles devaient trancher étaient l’identité du demandeur en tant que ressortissant érythréen ainsi que sa crédibilité. La SAR a accueilli l’appel, ayant conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir l’identité nationale du demandeur.

[3] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision au motif que i) la SAR n’avait pas compétence pour entreprendre une analyse de l’identité du demandeur aux fins de l’article 106 de la LIPR et pour substituer ses conclusions à celles de la SPR, et que ii) de toute manière, la décision de la SAR quant à la question de l’identité était déraisonnable.

[4] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’appel du demandeur est renvoyé à la SAR pour qu’elle rende une nouvelle décision.

I. Contexte

[5] Le demandeur affirme qu’il est un citoyen de l’Érythrée, qu’il est né en 1985 et qu’il a fui ce pays parce qu’il craignait d’être persécuté du fait de sa désertion. Il affirme qu’il a quitté l’Érythrée en 2006, qu’il a fui au Soudan, où il a passé sept mois dans un camp de réfugiés, avant de réussir à se rendre en Israël en 2007. Il a quitté Israël pour aller au Mexique en 2016 et a traversé la frontière aux États-Unis, où il a été détenu. Sa demande d’asile y a été refusée et les autorités américaines l’ont remis en liberté le 5 juillet 2017. Le 15 août 2017, le demandeur est entré illégalement au Canada en passant par la frontière du Québec et a demandé l’asile.

[6] Le demandeur affirme qu’il craint d’être emprisonné en Érythrée, qu’il est exposé à une menace à sa vie et qu’il risque la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités de la part de l’État érythréen.

[7] Dans une décision du 5 avril 2019, la SPR a conclu que l’identité du demandeur avait été établie à la lumière du témoignage de celui-ci et d’une photocopie de sa carte d’identité érythréenne. La SPR a dit ne pas être certaine que la carte d’identité érythréenne contenait toutes les caractéristiques décrites dans le cartable national de documentation, compte tenu de la mauvaise qualité des photocopies. La SPR a souligné qu’il était facile d’accéder à des documents d’identité frauduleux en Érythrée et a conclu que le permis de conduire érythréen présenté par le demandeur avait été obtenu de manière frauduleuse.

[8] La SPR a mentionné divers autres documents, notamment des documents provenant d’Israël, des copies des pièces d’identité de la mère du demandeur, un affidavit du demandeur et des lettres de témoins. La SPR n’a pas analysé les autres documents dans ses motifs. Elle a toutefois indiqué [traduction] « qu’elle n’avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour conclure que le demandeur avait une identité différente de celle qu’il prétend avoir en tant que citoyen de l’Érythrée ». Finalement, la SPR a conclu qu’il y avait de nombreux problèmes liés à la crédibilité du demandeur. Elle n’a pas cru certaines des allégations du demandeur, mais a reconnu que la majeure partie des éléments de preuve présentés par celui-ci en ce qui a trait aux conditions de vie en Israël étaient crédibles. La SPR a conclu que le demandeur avait établi son identité et avait une crainte fondée de persécution en tant que demandeur d’asile débouté rapatrié en Érythrée.

[9] Le ministre a interjeté appel de la décision de la SPR à la SAR. Aucune partie n’a réclamé la tenue d’une audience ou n’a déposé de nouvel élément de preuve. Le ministre a fait valoir que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir son identité, alors que le demandeur a soutenu que la SPR en était arrivée à la bonne conclusion.

[10] La SAR a accueilli l’appel, ayant conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger, car il n’avait pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités. La SAR a accordé peu de poids à la photocopie de la carte d’identité érythréenne et a conclu que la copie de la carte et le témoignage du demandeur ne suffisaient pas pour établir son identité. Elle a également conclu que le demandeur n’avait pas déployé des efforts raisonnables pour obtenir l’original de la carte détenu par les autorités américaines ou pour s’en procurer une nouvelle. La SAR a convenu avec la SPR que le permis de conduire érythréen était frauduleux.

[11] La SAR a expliqué que le fait que le demandeur ait présenté un document frauduleux pour établir son identité i) s’est répercuté sur sa crédibilité générale et ii) a étayé la conclusion de la SAR selon laquelle il n’avait pas établi son identité. La SAR a accordé peu de poids aux autres documents présentés, notamment les documents provenant d’Israël, les documents d’identité de la mère du demandeur, un bulletin scolaire de l’Érythrée et des lettres de témoins, ayant conclu que i) ces documents n’établissaient pas la citoyenneté érythréenne du demandeur et que, ii) de toute manière, ils ne l’emportaient pas sur les préoccupations qu’elle avait soulevées à propos des documents gouvernementaux officiels présentés par le demandeur.

[12] Finalement, la SAR a mis l’accent sur la déclaration de la SPR selon laquelle il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le demandeur avait une identité autre que celle d’érythréen. Dans ses commentaires sur la déclaration, la SAR a souligné le fait qu’il incombait au demandeur d’établir son identité, et même s’il n’y avait pas de preuve établissant une identité autre que celle d’Érythréen, il était toujours possible de conclure que l’identité érythréenne du demandeur n’avait pas été établie.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[13] Les questions que soulève la demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

A. L’article 106 de la LIPR interdit-il à la SAR d’annuler la décision de la SPR sur la question touchant à l’identité du demandeur?

B. Était-il raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur n’avait pas établi son identité?

[14] La première question, qui porte sur la compétence, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 17 [Vavilov]).

[15] La deuxième question est susceptible de contrôle selon le cadre d’analyse de la décision raisonnable tel qu’il est énoncé dans l’arrêt Vavilov. Pour pouvoir intervenir, la cour de révision doit être convaincue par la partie contestant la décision que celle‑ci « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que ces lacunes ou insuffisances « ne [sont] pas [...] simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov, au para 100). L’arrêt Vavilov dicte en outre que la cour de révision ne doit pas aborder la décision sous-jacente dans le but de mener « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov, au para 102), mais qu’elle doit plutôt s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85).

[16] La cour de révision doit s’abstenir d’ajouter ses propres motifs pour justifier la décision lorsque les motifs « comportent une lacune fondamentale ou révèlent une analyse déraisonnable » (Vavilov, au para 96). Il n’est donc pas loisible à notre Cour de « faire abstraction du fondement erroné de la décision et d’y substituer sa propre justification du résultat » (Vavilov, au para 96). Selon la Cour suprême, le décideur « doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui ont une incidence sur sa décision et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments » (Vavilov, au para 126).

III. Analyse

A. L’article 106 de la LIPR interdit-il à la SAR d’annuler la décision de la SPR sur la question touchant à l’identité du demandeur?

[17] Le demandeur propose une interprétation de l’article 106 de la LIPR qui, à ma connaissance, n’a pas encore été examinée par notre Cour. Le demandeur invite la Cour à interpréter l’article 106 de la LIPR comme interdisant à la SAR d’annuler la décision de la SPR sur la question de l’identité au motif que le libellé de l’article 106 prévoit qu’une telle décision doit être tranchée par la SPR et non par la SAR.

[18] L’article 106 de la LIPR dispose :

106 La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

106 The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

[19] Le demandeur insiste sur le fait que le libellé de l’article 106 de la LIPR renvoie expressément à la SPR. Il oppose cette disposition à d’autres articles de la LIPR, notamment les articles 104 et 105, qui renvoient à la SPR et à la SAR. Le demandeur fait valoir que l’intention du législateur était donc de s’assurer que la question de l’identité est exclusivement du ressort de la SPR. Lors de l’audience, le demandeur a reconnu que cet argument n’avait pas été soulevé devant la SAR.

[20] Le défendeur soutient que les questions d’identité sont du ressort de la SAR et que celle‑ci a correctement exercé sa compétence en l’espèce. Le défendeur s’appuie sur les décisions Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica] et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh] de la Cour d’appel fédérale.

[21] Selon moi, l’interprétation que donne le demandeur à l’article 106 de la LIPR, à savoir qu’il limite la compétence de la SAR, est difficilement conciliable avec les quatre facteurs suivants. Le premier facteur est l’historique législatif de la SAR :

Le but [de la SAR] est d’assurer que la bonne décision est prise [...] Nous voudrions que [...] le fait que la SAR est en mesure de réparer les erreurs éventuelles rassurera la Cour fédérale quant au processus de prise de décisions de la SSR. De cette manière, nous devrions voir moins de dossiers soumis à la Cour fédérale. (Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, 37e législature, 1re session, Fascicule 29, 4 octobre 2001, Cahier conjoint de jurisprudence et de doctrine, partie II, vol. 1, onglet 11; je souligne.) (Huruglica, au para 87)

[22] Le deuxième facteur est le raisonnement de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica :

[78] À cette étape-ci de mon analyse, je conclus que la SAR doit intervenir quand la SPR a commis une erreur de droit, de fait, ou une erreur mixte de fait et de droit. Dans la pratique, cela signifie qu’elle doit appliquer la norme de contrôle de la décision correcte. Si une erreur a été commise, la SAR peut confirmer la décision de la SPR sur un autre fondement. La SAR peut aussi casser une décision et y substituer la sienne eu égard à une demande, sauf si elle conclut qu’elle ne peut y arriver sans examiner les éléments de preuve présentés à la SPR (alinéa 111[2]b) de la LIPR).

[23] Un constat semblable est évoqué dans l’arrêt Singh, dans lequel la Cour d’appel fédérale explique que « [le] rôle de la SAR ne consiste pas à fournir la possibilité de compléter une preuve déficiente devant la SPR, mais plutôt à permettre que soient corrigées des erreurs de fait, de droit ou mixtes de fait et de droit ». (Singh, au para 54).

[24] Le troisième facteur est le libellé de l’article 106 de la LIPR en tant que tel. Cet article prévoit que la SPR doit prendre en compte certains facteurs s’agissant de la crédibilité d’un demandeur démuni de papiers d’identité. L’obligation de prendre en compte ces facteurs est loin de constituer une interdiction pour la SAR de trancher la question touchant à l’identité d’un demandeur.

[25] Enfin, je m’inspire des commentaires de mon collègue le juge Lafrenière sur les questions d’identité en général et sur le domaine d’expertise de la SAR : « Les questions touchant à l’identité d’un demandeur relèvent du domaine d’expertise de la SAR et la Cour devrait faire preuve d’une grande retenue à l’égard de celle‑ci. La Cour n’interviendra que si la décision faisant l’objet du contrôle est dénuée de justification, de transparence et d’intelligibilité et qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » (Kagere c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 910 au para 11)

[26] Je conclus donc que l’article 106 de la LIPR n’interdit pas à la SAR d’annuler la décision de la SPR sur la question touchant à l’identité du demandeur. La SAR a compétence pour trancher la question touchant à l’identité d’un demandeur et pour intervenir lorsque la SPR a commis une erreur de fait, de droit ou mixte de fait et de droit.

B. Était-il raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur n’avait pas établi son identité?

(1) Documents de l’Érythrée et d’Israël

[27] Comme l’ont indiqué mes collègues les juges Fothergill, Ahmed et McHaffie, l’appréciation de la crédibilité fait partie du processus de recherche des faits, et les décisions quant à la crédibilité appellent la déférence dans le cadre du contrôle (Fageir v Canada (Citizenship and Immigration), 2021 FC 966 au para 29; Tran v Canada (Citizenship and Immigration), 2021 FC 721 au para 35; Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 au para 6). Les décisions quant à la crédibilité constituent « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits [...] et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve » (Fageir v Canada (Citizenship and Immigration), 2021 FC 966 au para 29; Tran v Canada (Citizenship and Immigration), 2021 FC 721 au para 35; Edmond c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 644 au para 22 citant Gong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 165 au para 9).

[28] De plus, comme l’a souligné mon collègue le juge Lafrenière, l’établissement de l’identité « est une question préliminaire essentielle et fondamentale, et l’omission d’établir l’identité est fatale pour une demande d’asile. L’article 106 de la [LIPR] et l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés exigent expressément qu’un demandeur d’asile établisse d’abord son identité selon la prépondérance des probabilités. » (Weldeab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 161 au para 23). Par conséquent, il incombe au demandeur d’établir son identité selon la prépondérance des probabilités.

[29] Je conclus que la SAR, au vu de la preuve dont elle disposait, avait un motif suffisant pour conclure que le demandeur n’avait pas établi son identité nationale sur le fondement des documents érythréens et israéliens.

[30] Je juge que la SAR n’a pas conclu à tort que le permis de conduire érythréen frauduleux et la photocopie de la carte d’identité nationale n’ont pas établi l’identité du demandeur. Sa décision était justifiée au regard des faits et du droit applicable. La SAR a indiqué qu’en raison de la mauvaise qualité de la photocopie fournie par le demandeur, il était impossible de déterminer la couleur de la carte ou d’en discerner les caractéristiques de sécurité intégrées. De plus, l’avocate du défendeur a attiré l’attention de la Cour sur la photocopie au dossier de la traduction et de la certification de la carte d’identité du demandeur effectuée par le traducteur du tigrinya à l’anglais. La certification indique que le traducteur a vu la carte originale de la personne identifiée, mais en fait, elle mentionne un autre nom que celui du demandeur.

[31] Le demandeur fait valoir que la SAR aurait dû faire analyser les documents d’identité par un expert. Notre Cour a conclu qu’il est clair que la SAR n’a pas l’obligation de faire examiner les documents qui lui sont soumis par des experts avant de conclure qu’ils sont frauduleux (Jacques c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 423 au para 14; Olanrewaju c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 569 au para 20). Cependant, la SAR doit disposer d’éléments de preuve sur lesquels fonder sa conclusion qu’un document n’est pas authentique, à moins que le problème n’apparaisse à la face même du document (Jacques c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 423 au para 14; Olanrewaju c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 569 aux para 20 et 22). Selon le dossier, des problèmes apparaissaient à la face même des documents. Je ne suis pas d’avis que la SAR a commis une erreur en ne soumettant pas les documents susmentionnés à un expert.

[32] La conclusion de la SAR selon laquelle les documents israéliens et le permis de conduire international n’établissent pas l’identité nationale du demandeur n’est pas déraisonnable. De plus, le demandeur n’a pas démontré que la SAR avait commis une erreur en accordant peu de poids au certificat de baptême et au bulletin scolaire compte tenu des problèmes de crédibilité le concernant. Selon la SAR, le bulletin de l’Érythrée n’est pas un document gouvernemental officiel. Après avoir examiné le dossier, je constate que le bulletin scolaire est exclusivement en anglais et ne contient pas de tigrinya, contrairement aux autres documents érythréens.

[33] Quant au certificat de baptême, la SAR n’y a accordé aucun poids. Le demandeur s’oppose au fait que la SAR a mis en doute l’utilisation d’un nom de baptême sur le certificat, soit « Tesfamichael », et au fait que ce nom ne figure nulle part ailleurs. Bien que je ne considère pas que la présence d’un nom de baptême sur le certificat soit problématique en soi, compte tenu du dossier dont la SAR disposait, je conclus qu’il n’était pas déraisonnable de sa part de ne pas accorder de poids au certificat de baptême. Le demandeur a déclaré qu’un ami lui avait obtenu le certificat de baptême en 2017, car il en avait besoin pour sa demande d’asile aux États-Unis. À un moment donné dans son témoignage, le demandeur a déclaré qu’il avait communiqué avec son ami en Érythrée, qui lui aurait envoyé le document, alors qu’à un autre moment dans son témoignage, il a affirmé avoir demandé le document à son ami aux États-Unis, qui l’aurait obtenu pour lui. Le certificat est daté de 2017 et mentionne une date de baptême en 1985. Le demandeur a déclaré ce qui suit : [traduction] « Comme vous appartenez à l’église de votre quartier, l’église sait donc qui vous êtes, et lorsque vous lui en faites la demande, elle délivre simplement le certificat. » Bien que le nom et le nom de baptême du demandeur soient clairement lisibles dans la photocopie, la signature de l’administrateur de l’église et le sceau de l’église ne le sont pas.

[34] Après avoir conclu que la crédibilité générale du demandeur était minée, la SAR a énuméré une série de documents qui, selon elle, n’ont pas aidé à établir l’identité du demandeur en tant que citoyen de l’Érythrée, notamment les cartes d’identité de la mère du demandeur. Le certificat de baptême indique que le nom de la mère du demandeur est « Brha », à l’instar de l’une des traductions d’une ancienne carte d’identité écrite exclusivement en tigrinya. Dans le formulaire Fondement de la demande d’asile, le demandeur a désigné sa mère sous le nom de « Braha ». Dans des copies d’une carte d’identité plus récente et d’un passeport, le nom de la mère inscrit est « Birha ». Le demandeur et sa mère n’ont aucun nom en commun.

[35] Le demandeur s’est opposé au fait que la SAR a parlé de « la carte d’identité » de sa mère, alors qu’en réalité, des copies de trois cartes d’identité avaient été présentées. Je juge que cet énoncé erroné ne rend pas la décision déraisonnable. Le demandeur soutient que toute personne née d’un père ou d’une mère d’origine érythréenne est citoyen érythréen de naissance. D’après mon examen du dossier, je constate que cette question n’a pas été soulevée devant la SPR ou la SAR, de sorte que je n’en tiendrai pas compte.

[36] Le demandeur affirme que la SAR a commis une erreur en n’évaluant pas l’authenticité ou la valeur probante des trois cartes d’identité. Bien que la conclusion de la SAR ne soit pas formulée de la façon la plus claire possible, je conclus que le demandeur n’a pas démontré que la conclusion de la SAR quant aux documents de la mère était déraisonnable à la lumière de la preuve dont elle disposait.

(2) Lettres d’appui

[37] Le demandeur a présenté quatre lettres d’appui (deux étant notariées) accompagnées de photos de cartes d’identité délivrées par un gouvernement provincial (Canada) ou étatique (États-Unis). Les auteurs de deux des lettres d’appui, présentées sous forme d’affidavits, décrivaient qu’ils avaient grandi avec le demandeur dans le même petit village. Dans la troisième lettre d’appui, un résident de l’Alberta déclarait être le cousin du demandeur et faisait part de sa volonté d’agir à titre de garant pour la demande du demandeur et de lui fournir une aide financière. Dans la quatrième lettre, l’auteur déclarait quant à lui ne connaître le demandeur que depuis la période où celui-ci avait vécu en Israël. La SAR a examiné les lettres d’appui et a affirmé ce qui suit :

[...] [L]es lettres d’appui ne l’emportent pas sur les préoccupations que j’ai soulevées à propos des documents gouvernementaux officiels présentés par l’appelant. J’accorde peu de poids à ces documents pour établir son identité compte tenu des préoccupations susmentionnées.

[38] Le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur dans la manière dont elle a traité les lettres d’appui. Le demandeur s’oppose au fait que la SAR a accordé peu de poids aux lettres d’appui alors qu’il n’y a eu aucune question ou discussion au sujet de l’authenticité de celles-ci. Il soutient également qu’un témoignage sous serment portant sur l’identité n’est pas miné par des documents d’identité comportant des irrégularités. Le défendeur affirme que la SAR est présumée avoir examiné l’ensemble de la preuve documentaire, et le fait qu’elle n’a pas mentionné les lettres d’appui, qui revêtaient une importance secondaire, ne rend pas sa décision déraisonnable.

[39] Je conclus que la SAR a traité les lettres d’appui de façon déraisonnable dans sa décision. Ces lettres, dont deux sont notariées, ont été fournies par quatre personnes et étaient accompagnées de copies en couleur de leurs cartes d’identité nord-américaines. Les quatre lettres contiennent des faits et des opinions de tiers. Même si la SAR n’a pas traité les documents érythréens et israéliens de façon déraisonnable compte tenu du dossier dont elle disposait et de ses conclusions quant à la crédibilité générale du demandeur, il est difficile de dire de quelle manière les conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur se répercutent sur les lettres d’appui. Il doit y avoir un élément de transparence.

IV. Conclusion

[40] Je conclus que la façon dont la SAR a traité les lettres d’appui était déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et l’appel du demandeur est renvoyé à un tribunal différemment constitué de la SAR pour qu’il rende une nouvelle décision.

[41] Aucune partie ne propose de question à certifier, et à mon avis, l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6236-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la SAR est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAR pour qu’il rende une nouvelle décision.

  3. Il n’y a pas de question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge

Traduction certifiée conforme

Philippe Lavigne-Labelle


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6236-20

 

INTITULÉ :

TESFAI WOLDU WOLDEMICHAEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 SEPTEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

 

DATE DES MOTIFS

Le 21 OCTOBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lynne Lazaroff

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stéphanie Valois

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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