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Date : 20000706


Dossier : IMM-3424-00



ENTRE :

     FODA KENNEDY,

     demandeur,

     - et -



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.






     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE LEMIEUX


[1]      Les présents motifs concernent le sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi que j'ai accordé le lundi 3 juillet 2000. Le demandeur avait été informé à la fin de la semaine passée qu'il serait expulsé au Liberia, son pays de citoyenneté, le mardi 4 juillet 2000.


LES FAITS

[2]      Le demandeur est entré illégalement au Canada en 1989 en franchissant la frontière canado-américaine; il avait 14 ans. Dans l'affidavit qu'il a produit au soutien de sa demande de sursis, il déclare qu'en 1989, le Liberia était en pleine guerre civile et que son père, qui était actif sur le plan politique, était un fervent défenseur du gouvernement de Samuel Doe. Les rebelles étaient dirigés par Charles Taylor qui est encore au pouvoir au Liberia.

[3]      Le demandeur dit qu'en revenant chez lui en décembre 1989 après avoir rendu visite à un ami d'enfance, il a vu les corps de ses parents, de son frère et de sa soeur qui avaient été assassinés par les rebelles, et a constaté que sa maison avait été incendiée.

[4]      Le demandeur a vécu clandestinement au Canada jusqu'au début du mois de janvier 1999. Il a été inculpé sous divers chefs d'accusation de trafic et de possession de marijuana, de cocaïne et de crack pendant plusieurs jours à la fin du mois d'août 1998 et au cours des deux premières semaines du mois de septembre de cette même année. Il a plaidé coupable et a été condamné à douze mois d'emprisonnement en mars 1999.

[5]      Le 2 septembre 1999, Immigration Canada à Ottawa (CIC) a informé le demandeur de son intention de demander au ministre, conformément au sous-alinéa 46.01(1)e)(iii) de la Loi sur l'immigration, s'il était d'avis qu'il constituait un danger pour le public au Canada. Le demandeur a été informé que si le ministre était de cet avis, la revendication du statut de réfugié qu'il pourrait présenter ne serait pas déférée à la SSR pour décision. Le 4 novembre 1999, le demandeur a présenté une telle revendication.

[6]      Le 16 novembre 1999, le ministre a dit être d'avis que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada. Le 24 novembre 1999, une mesure d'expulsion a été prise contre le demandeur après la tenue d'une enquête à laquelle le demandeur et son conseiller juridique ont assisté.

[7]      Je n'ai pas à examiner en détail ce qui s'est passé de décembre 1999 au début du mois de janvier 2000, lorsque le demandeur a retenu les services d'un nouveau conseiller juridique parce que son conseiller précédent n'avait pas présenté d'observations pour tenter de convaincre le ministre qu'il ne constituait pas un danger pour le public. À cet égard, le demandeur bénéficiait du soutien d'un bon nombre de personnes, dont l'aumônier du Centre de traitement correctionnel Rideau mais, pour une raison qu'ignore la Cour, cet élément de preuve n'a pas été auparavant soumis à CIC avant que le ministre n'émette son avis de danger en novembre.

[8]      Le nouveau conseiller juridique du demandeur a été en mesure d'en arriver avec CIC à une entente en vertu de laquelle l'avis de danger du 16 novembre 1999 a été annulé; en vertu de la procédure prévue dans l'entente, il était loisible à CIC de demander un nouvel avis de danger au ministre. En contrepartie, le demandeur se désistait de sa requête en vue d'obtenir un sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion dont il avait été frappé ainsi que de sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.

[9]      La procédure sur laquelle le demandeur et CIC s'étaient entendus quant à la demande d'un nouvel avis de danger prévoyait un avis au demandeur auquel devaient être joints les renseignements relatifs à la preuve qu'il devrait réfuter, la possibilité pour le demandeur de présenter des observations dans les 30 jours suivant la réception de cet avis et [TRADUCTION] « par la suite, un délai de 30 jours dans lequel le ministre ou son délégué devrait rendre une décision conformément à l'alinéa 46.01(1)e) de la Loi sur l'immigration » .

[10]      Le 4 février 2000, CIC a informé le demandeur qu'il sollicitait auprès du ministre un nouvel avis de danger. Après diverses prorogations, le demandeur a présenté ses observations le 14 avril 2000.

[11]      Le 7 juin 2000, un arbitre examinant la détention du demandeur a statué que sa présence au Canada ne constituerait vraisemblablement pas un danger pour le public et a ordonné sa mise en liberté le 21 juin 2000, sous réserve de certaines conditions raisonnables, à la condition que CIC n'émette pas un avis avant cette date.

[12]      Le 7 juin 2000, le conseiller juridique du demandeur en a informé CIC, lui rappelant le compte rendu de l'entente de janvier qui exigeait que CIC rende sa décision avant le 14 mai 2000. Il a indiqué que le demandeur contesterait la légalité de tout avis émis par le ministre parce qu'il contrevenait à l'entente intervenue.

[13]      Le 20 juin 2000, le délégué du ministre en est arrivé à l'avis que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada. Le demandeur est resté en détention et CIC a pris les mesures mentionnées ci-dessus pour le renvoyer au Liberia.

[14]      Le 30 juin 2000, le demandeur a présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le délégué du ministre a donné l'avis de danger le 20 juin 2000. Le demandeur a invoqué les motifs suivants :

     (1)      La décision était contraire aux normes de l'équité procédurale parce qu'elle contrevenait au compte rendu de l'entente intervenue entre les deux parties et était donc illégale;
     (2)      L'avis selon lequel le demandeur constituait un danger pour le public au Canada était arbitraire et déraisonnable.

ANALYSE

     a)      La question de l'urgence

[15]      La demande d'autorisation et de contrôle judiciaire a été signifiée et déposée en fin de journée, le vendredi 30 juin 2000. Le greffe de la Cour a rejoint l'avocate du ministre à 18 h 30 (alors qu'elle se préparait à quitter Ottawa pour le long week-end) et l'a informée qu'une audience serait tenue d'urgence le lundi suivant. Dans les circonstances, l'avocate a eu peu de temps pour se préparer et n'a pu produire un affidavit en réponse.

[16]      Dernièrement, la Cour a été saisie d'un grand nombre de demandes de sursis déposées à la dernière minute. Ce phénomène a fait récemment l'objet de commentaires de la part de mon collègue le juge Dubé dans la décision Herrera c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, dossier IMM-2517-00, 18 mai 2000, où il a statué que les requêtes urgentes de sursis devaient être justifiées.

[17]      Après avoir interrogé l'avocat du demandeur et le défendeur sur ce point, je suis convaincu que le retard de la requête en vue d'obtenir un sursis était justifié. Dans les circonstances, j'ai décidé de l'entendre.

     b)      Question grave

[18]      L'avocate du défendeur a admis que le demandeur avait démontré l'existence d'une question grave en raison des répercussions que l'exécution de la mesure de renvoi avait sur lui. À cet égard, je crois que l'avocate du défendeur pensait à l'arrêt récent de la Cour d'appel fédérale Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Nima Haghighi (dossier A-587-99, 12 juin 2000) où l'on a fait ressortir l'importance de la divulgation d'une évaluation du risque afin de permettre à un défendeur de présenter des observations à cause des conséquences graves possibles pour une personne qui est renvoyée dans un pays qu'elle redoute.

[19]      J'ai constaté d'autres questions graves en l'espèce et, en particulier, celles qui ont été soulevées par le demandeur :

     (1)      l'avis récent de danger du 20 juin 2000 était-il illégal en ce qu'il contrevenait à l'entente ou était par ailleurs contraire aux principes de l'équité procédurale;
     (2)      compte tenu de la jurisprudence que le demandeur a portée à mon attention, la formulation de l'avis était-elle arbitraire et déraisonnable vu la preuve qui a été soumise au délégué du ministre;
     (3)      l'absence de motifs écrits pour justifier l'avis de danger.
     c)      Préjudice irréparable

[20]      L'avocate du défendeur a soutenu qu'il incombait au demandeur d'établir l'existence d'un préjudice irréparable à l'aide d'une preuve concrète. Elle a fait valoir que la preuve produite devant la Cour par le demandeur était insuffisante. Elle a fait remarquer que la preuve présentée par le demandeur reposait sur des événements qui s'étaient produits il y a dix ans et que le demandeur avait attendu dix ans avant de revendiquer le statut de réfugié.

[21]      L'avocate du demandeur avait auparavant fait état devant moi d'un bon nombre de rapports sur la situation au Liberia qui, le moins que l'on puisse dire, n'étaient pas flatteurs à l'égard de ce pays en ce qui concerne son respect des droits de la personne et qui indiquaient que le gouvernement traquait encore ses opposants, notamment les personnes dont la situation était semblable à celle de la famille du demandeur. L'avocate du demandeur m'a invité à me reporter à l'affidavit de son client dans lequel il a exposé la raison de sa crainte, savoir l'assassinat de tous les membres de sa famille immédiate par les rebelles qui contrôlent le gouvernement et qui ont été incorporés aux forces de police et de sécurité de ce pays.

[22]      Compte tenu de la preuve dont j'ai été saisi, j'ai conclu qu'il existait une possibilité sérieuse qu'un préjudice personnel soit causé au demandeur s'il était renvoyé dans ce pays.

[23]      Dans les circonstances, je n'ai pas à me prononcer sur l'argument subsidiaire à l'égard du préjudice irréparable reposant sur un refus des avantages, argument qui a été accepté par le juge Robertson dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (dossier A-415-99, 23 juillet 1999).

     d)      Prépondérance des inconvénients

[24]      Suivant le critère de la prépondérance des inconvénients, la question qui se pose est celle de savoir laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice par suite de l'octroi ou du refus du sursis. L'avocate du défendeur a soutenu que la prépondérance des inconvénients jouait en faveur du ministre à trois égards : (1) le demandeur avait été reconnu coupable d'infractions criminelles; (2) le demandeur faisait l'objet d'un avis de danger, et (3) le demandeur n'avait pas revendiqué le statut de réfugié à temps.

[25]      L'avocate du défendeur a en outre soutenu que l'intérêt public dans l'exécution de la loi jouait aussi en faveur du ministre.

[26]      J'ai conclu que la prépondérance des inconvénients jouait en faveur du demandeur qui est actuellement détenu. Le risque grave de préjudice auquel il pourra s'exposer s'il est renvoyé au Liberia a fait pencher la balance en sa faveur.

[27]      Pour tous ces motifs, un sursis d'exécution a été accordé jusqu'à ce qu'une décision soit rendue sur la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire présentée par le demandeur.

     « François Lemieux »

    

     J U G E

OTTAWA (ONTARIO)

6 JUILLET 2000



Traduction certifiée conforme



Suzanne Bolduc, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



N DU GREFFE :              IMM-3424-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Foda Kennedy c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          3 juillet 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Lemieux en date du 6 juillet 2000




ONT COMPARU :

Kimberley A. Barber              POUR LE DEMANDEUR
Lysanne Lafond              POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Perley-Robertson,              POUR LE DEMANDEUR

Hill and McDougall

Ottawa (Ontario)


Morris Rosenberg              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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