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Date : 20040521

Dossier : IMM-2533-03

Référence : 2004 CF 723

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY                          

ENTRE :

                                                               GABOR CZENE et

RENATA GERA (alias Renata Irina Gera, alias Rena'ta Gera)

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 31 mars 2003, dans laquelle la Commission a décidé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.


QUESTIONS EN LITIGE

[2]                La présente affaire soulève trois questions :

1.         L'audience aurait-elle dû être tenue en application de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2?

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en décidant que les demandeurs n'étaient pas crédibles?

3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en décidant que les demandeurs pouvaient obtenir la protection de l'État?

[3]                La première question a été abandonnée par les demandeurs à l'audience. Pour les motifs énoncés ci-après, je réponds négativement aux deux autres questions, et je rejetterai donc la présente demande.

LES FAITS

[4]                Les faits allégués, résumés par la Commission, sont les suivants. Le demandeur soutient qu'en sa qualitéde garde de sécurité au Bureau de la loterie dtat, il avait accès à des renseignements personnels confidentiels au sujet des gagnants de la loterie. Il soutient que cela a attiré sur lui l'attention d'une bande criminelle organisée (l'organisation criminelle) qu'il décrit comme étant formée d'Ukrainiens.

[5]                Le demandeur affirme qu'au début de 2001, il a été approchéune première fois par cette organisation criminelle, qui lui a demandéde fournir des renseignements personnels au sujet des gagnants. Le demandeur soutient qu'au début il n'a pas pris ces démarches au sérieux ou ne les a pas considérées comme particulièrement menaçantes. Cependant, après quelques semaines, les contacts sont devenus menaçants, l'organisation criminelle proférant notamment des menaces contre sa vie, contre la vie des membres de sa famille et contre la vie de sa conjointe de fait, Renata Gera. Le demandeur soutient que lors de ses rencontres avec les membres de cette organisation criminelle, on l'a non seulement menacé, mais aussi agresséphysiquement. Le demandeur affirme qu'il craignait de demander l'aide de la police parce qu'il avait peur que les criminels s'en prennent à lui et à ses proches en guise de représailles. Il a fondé sa décision sur le fait, largement connu, que la corruption est répandue en Hongrie. Il a donc plutôt promis d'accéder aux demandes des criminels pour gagner du temps et établir un plan d'action.


[6]                Le demandeur soutient cependant qu'au milieu de mars 2001, il a acquis la conviction que les menaces signalaient un danger plus imminent, et il a demandé à son employeur de réduire ses heures de travail. Le demandeur affirme qu'au milieu de mai, la demanderesse et lui-même ont pris des vacances dans la campagne hongroise ainsi qu'en Slovaquie et en Autriche. Pendant cette période, le demandeur et la demanderesse principale auraient conclu que tant qu'ils resteraient en Hongrie, ils risqueraient d'être découverts par l'organisation criminelle. Les demandeurs ont déclaré dans l'exposé circonstancié : [traduction] « Nous savions que l'Europe de l'Ouest n'était pas accueillante pour les immigrants et nous avions entendu dire que le Canada acceptait encore de nouveaux arrivants. Nous avons décidé de venir au Canada. » Les demandeurs sont retournés en Hongrie. Le demandeur a démissionné de son emploi vers le 1er juin 2001.

Les demandeurs sont arrivés au Canada le 28 juin 2001 et ont demandé l'asile le 5 octobre 2001.

ANALYSE

Norme de contrôle

[7]                Les deux questions en litige, la crédibilité et la protection de l'État, sont clairement des questions de fait. Par conséquent, la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à la décision de la Commission est la norme de la décision manifestement déraisonnable. Autrement dit, la Cour ne modifiera la décision de la Commission que si elle est manifestement déraisonnable.

Crédibilité


[8]                La Commission a conclu que plusieurs éléments contenus dans le récit du demandeur étaient invraisemblables, qu'il avait omis un élément important dans son FRP, et que son omission de demander la protection à la première occasion et le temps qu'il avait mis avant de revendiquer la protection une fois arrivé au Canada démontraient l'absence, chez lui, de crainte subjective de persécution. Il y a eu tout un débat devant moi sur la question de savoir si certaines choses avaient ou non été dites lors de l'audience devant la Commission, et si le commissaire avait bien interprété ce qui a été dit ou s'il avait fondé ses conclusions sur des déclarations qui n'ont jamais vraiment été faites lors de l'audience. À la lecture des parties pertinentes des transcriptions, en particulier des pages 281, 282, 295, 296 et 309 à 312 du dossier de la Commission, je suis convaincu que le demandeur a effectivement fait allusion à la possibilité que son employeur appartienne à une organisation criminelle [traduction] « qui donnait aussi dans ce genre de choses » (page 281) et que [traduction] « cela veut peut-être dire qu'il appartient aussi à cette entité criminelle. Il est possible qu'il soit effectivement en communication avec de telles organisations » (page 282).

[9]                Le demandeur a également clairement pris connaissance du processus applicable aux réfugiés au Canada en 1999, alors qu'il parlait avec l'un de ses amis qui travaillait sur un paquebot de croisière : [traduction] « L'un de mes amis travaillait sur un paquebot de croisière et il me disait en quelques mots que cette chose existait ici. Il me parlait du Canada et des réfugiés » (page 295). Lorsque l'avocat a demandé au demandeur à quel moment cet ami lui a parlé du Canada, la réponse a été la suivante : [traduction] « en novembre 1999 » (page 296).

[10]            Je n'ai pas l'intention de commenter toutes les conclusions de la Commission sur la crédibilité. Qu'il suffise de dire que la Commission avait assez d'éléments solides sur lesquels fonder sa conclusion d'absence de crédibilité et que par conséquent, dans l'ensemble, il n'était pas manifestement déraisonnable de conclure que les demandeurs n'étaient pas crédibles. Ces éléments auxquels je renvoie sont les suivants :


a)         le fait que le demandeur n'ait pas informé son employeur des menaces et du tabassage parce que l'employeur était lui-même impliqué dans des activités criminelles, même la sorte d'activité criminelle en jeu ici, ce qui a pour conséquence d'éliminer le besoin pour les présumés criminels de chercher à obtenir l'information du demandeur;

b)         le fait que le demandeur ait omis de mentionner cet élément d'information important, c'est-à-dire le complot impliquant son employeur, dans son FRP et qu'il n'en ait seulement parlé à l'audience;

c)         le fait que les demandeurs aient mis du temps à quitter la Hongrie malgré que le demandeur ait été menacé et battu en mars 2001, qu'ils aient omis de demander la protection de l'État alors qu'ils étaient en vacances en Autriche en mai 2001, qu'ils se soient réclamés à nouveau de la protection de l'État de la Hongrie en rentrant au pays après leurs vacances, et y en demeurant pendant un autre mois avant de partir pour le Canada le 28 juin 2001, ce qui tend à montrer l'absence de crainte subjective de la part des demandeurs;

d)         le fait que, une fois arrivés au Canada, les demandeurs aient attendu plus de trois mois avant de demander la protection, ce qui tend encore une fois à montrer que les demandeurs ne craignaient pas vraiment d'être persécutés.

Protection de l'État


[11]            J'ai déjà conclu que la Commission n'avait pas commis d'erreur lorsqu'elle a tiré la conclusion d'absence de crédibilité des demandeurs, ce qui suffit en soi pour rejeter la présente demande, mais je dirai quelques mots concernant la protection de l'État. La question ici est de savoir si la Commission disposait d'éléments de preuve selon lesquels l'État, la Hongrie, a la capacité et la volonté de mettre des mesures en place efficacement pour s'attaquer au crime organisé et mettre ses citoyens à l'abri de ce dernier. Il vaut la peine de mentionner qu'en l'absence de l'effondrement complet de l'appareil étatique, il existe une présomption que l'État est en mesure de protéger le demandeur. Le fardeau de prouver que la protection de l'État n'est pas disponible revient au demandeur (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689).

[12]            Puisque les demandeurs ne m'ont fourni aucune raison pour laquelle le raisonnement de la Commission serait manifestement déraisonnable sur la question de la protection de l'État, et ayant lu les motifs de la Commission à ce sujet, je ne vois rien qui justifierait mon intervention. Les demandeurs n'ont pas réussi à démontrer qu'ils ont fait des efforts raisonnables pour obtenir la protection (le demandeur ne s'est même pas rendu une seule fois à la police pour obtenir de l'aide et n'a pas non plus informé son employeur de la situation) ou pour démontrer qu'une protection n'était pas disponible (les motifs donnés par les demandeurs étaient que le niveau de corruption en Hongrie est tel que d'avoir fait appel à la police [traduction] « serait revenu aux oreilles des criminels » (FRP)).


[13]            Je tire également la conclusion, tout comme l'a fait la Commission, que les demandeurs n'ont pas réfuté la quantité importante de preuve documentaire qui montre qu'ils peuvent obtenir la protection de l'État en Hongrie. La Hongrie est devenue une démocratie parlementaire libérale malgré certaines imperfections évidentes. La preuve documentaire (pièce R-1 : janvier 2001, Jane's Intelligence Review et The Budapest Sun du 12 juillet 2001) montre que des bandes criminelles organisées, semblables à celles décrites par le demandeur, sont encore actives en Hongrie mais que le gouvernement paraît avoir la capacité et la volonté de gérer le problème et être prêt à consacrer des ressources à la lutte contre le crime organisé. De tels efforts comprennent une augmentation importante du financement offert à la police pour lutter contre le crime, un nouveau centre de police consacré à la lutte contre le crime transfrontalier, des ententes bilatérales avec de nombreux pays d'Europe pour lutter contre le crime, la création à Budapest d'une École internationale de police, ainsi que des descentes dans des bars et des boîtes de nuit prétendument contrôlés par des groupes du milieu du crime organisé.

[14]            En conclusion, je ne suis pas convaincu que la Commission a tiré des conclusions manifestement déraisonnables lorsqu'elle a conclu que les demandeurs n'étaient pas crédibles et qu'ils pouvaient obtenir la protection de l'État. Par conséquent, la présente demande est rejetée.

[15]            Ni l'un ni l'autre des avocats n'a recommandé la certification d'une question de portée générale. Aucune question ne sera certifiée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                               « Michel Beaudry »          

                                                                                                                                                     Juge                      

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2533-03

INTITULÉ :                                                    GABOR CZENE et RENETA GERA (alias Renata Irina Gera, alias Rena'ta Gera)

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 29 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 21 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Wennie Lee                                                       POUR LES DEMANDEURS

Mandeep Atwal                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wennie Lee                                                       POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)                                             

Morris A. Rosenberg                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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