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Date : 19990621

Dossier : IMM-5069-98

OTTAWA (Ontario), le lundi 21 juin 1999

EN PRÉSENCE DE : M. LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                    PARAMJIT KAUR, GURPREET KAUR, GURRASHPAL SINGH,

                                           MOHANVIR KAUR et GURVIR SINGH,

                                                                                                                                   demandeurs,

                                                                            et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                        défendeur.

                                                               ORDONNANCE

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section du statut de réfugié en l'instance est annulée et la revendication de statut de réfugié présentée par les demandeurs est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour examen et décision par un nouveau tribunal.

FREDERICK E. GIBSON

                                

JUGE               

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier


Date : 19990621

Dossier : IMM-5069-98

ENTRE :

                    PARAMJIT KAUR, GURPREET KAUR, GURRASHPAL SINGH,

                                           MOHANVIR KAUR et GURVIR SINGH,

                                                                                                                                   demandeurs,

                                                                            et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                        défendeur.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

1           Ces motifs trouvent leur origine dans une décision de la Section du statut de réfugié (la SSR), de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, dans laquelle la SSR a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Cette décision de la SSR a été rendue à Montréal (Québec), le 21 septembre 1998.

2           Les demandeurs sont tous citoyens de l'Inde. Ce sont des Sikhs originaires du Panjab. Paramjit Kaur est la mère des autres demandeurs et elle était leur représentante devant la SSR. Dans ses motifs, la SSR note que Paramjit Kaur (la demanderesse principale) fonde sa revendication du statut de réfugié sur les motifs suivants : persécution en raison du sexe, opinions politiques présumées, et appartenance à un groupe social particulier, savoir sa famille. Les revendications des enfants sont liées à celle de leur mère.

3           Les faits qui sous-tendent la présente demande ne sont pas vraiment contestés. La SSR les expose dans ses motifs de la façon suivante :

                        [traduction]

Le mari de Mme Kaur est impliqué dans la All India Sikh Students Federation (AISSF) depuis 1992. Il a été arrêté en janvier 1996, alors qu'il conduisait deux membres de l'AISSF jusqu'à une cachette dans l'État de Haryana. Il a été arrêté à nouveau en novembre 1996, alors qu'il tenait une réunion secrète dans la maison familiale. Parmi les conditions de sa deuxième libération, il devait se présenter au poste de police de façon régulière. Il a préféré disparaître de la circulation.

Les policiers se sont rendus à la résidence familiale pour chercher M. Kaur en janvier, en mars et en avril 1997. Lors de leur dernière visite en avril, ils ont amené la demanderesse au poste de police et l'ont détenue pendant quelques heures. Elle a été arrêtée à nouveau dans la soirée du 10 juillet 1997. Ensuite, elle a été violée par trois policiers. On l'a relâchée le lendemain matin, après l'avoir avertie que la prochaine fois ce serait pire. Après avoir passé quelques jours chez sa belle-soeur, elle est restée à New Delhi jusqu'au 27 septembre 1997. À cette date, elle a quitté l'Inde pour Toronto. Elle a présenté sa revendication de statut de réfugié le 3 octobre 1997.

4           La SSR n'a pas jugé satisfaisantes les réponses de la demanderesse principale aux questions portant sur l'implication de son mari au sein de l'AISSF, ainsi qu'à celle de savoir pourquoi ce dernier n'a pas quitté l'Inde avec sa femme et ses enfants. La SSR a jugé que ses réponses à ces questions étaient contradictoires. Sans s'expliquer autrement, elle a déterminé que la demanderesse principale ne [traduction] « ...cherchait pas à dire la vérité... » . En conséquence, elle n'a pas ajouté foi, en vertu de la prépondérance des probabilités, à la déclaration de la demanderesse principale qu'elle avait été violée. La SSR n'a pas déclaré rejeter le témoignage de la demanderesse principale concernant les visites effectuées par les policiers à son domicile ainsi que ses inquiétudes. Elle a convenu que :

[traduction]

Le tribunal accepte que la revendication ne pouvait, pour des raisons sociales et culturelles, répondre aux questions portant sur la prétendue implication de son mari au sein de l'AISSF.

5           La SSR a accordé plus de poids à une partie de la preuve documentaire dont elle était saisie qu'au témoignage de la demanderesse principale et au contenu de son formulaire de renseignements personnels. Elle s'exprime ainsi :

                        [traduction]

Le tribunal a décidé d'accorder plus de poids à la preuve documentaire susmentionnée qu'à la preuve orale et écrite de la demanderesse, puisque la Commission de l'immigration et du statut de réfugié s'appuie depuis plusieurs années sur les analyses et avis exprimés par Cynthia Keppley Mahmood... le Chandigarh Tribune est un journal sérieux qui existe depuis 1881, alors que la demanderesse n'était pas crédible dans la partie de son témoignage qui porte sur les incidents qu'elle prétend avoir subis.

6           Les derniers mots de cette citation constituent la première indication que la SSR mettait en doute le témoignage de la demanderesse principale quant aux incidents la concernant, à l'exception des prétendus viols.

7           Dans la réponse qu'elle a faite à la demande de la SSR, réponse sur laquelle celle-ci s'est appuyée, Mme Mahmood écrit ceci :

[traduction]

Les femmes. Vous n'avez rien demandé au sujet des femmes en Inde, mais à mon avis ces dernières sont constamment soumises au risque de viol par leur gardien ainsi qu'à divers autres sévices. De plus, la plupart des catégories de femmes en Inde ne peuvent se réfugier dans leur pays, étant donné le contexte culturel. À mon avis, une femme sikh qui a été impliquée avec les forces policières au Panjab a raison de craindre d'être persécutée à son retour.

8           La SSR décrit Mme Mahmood comme [traduction] « ...une anthropologue de l'Université du Maine et une spécialiste reconnue des revendications sikhs... » .

9           La SSR a choisi de privilégier la preuve documentaire de Mme Mahmood par rapport au témoignage de la demanderesse principale. Par contre, elle a choisi de ne pas tenir compte du paragraphe susmentionné de la preuve documentaire de Mme Mahmood, alors que celui-ci est tout à fait pertinent à la situation que la demanderesse principale dit avoir connue.

10         Dans Gill c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration[1], M. le juge Rothstein écrit ceci :

Un tribunal est autorisé à admettre, à rejeter ou à apprécier des éléments de preuve documentaire. Si un tribunal affirme qu'il se fonde sur des éléments de preuve documentaire précis, toutefois, il ne peut pas écarter arbitrairement des parties complètes de cette preuve (D'Mello c. Canada (MCI), [1998] A.C.F. no 72 (1re Inst.), le juge Gibson (QL)). L'omission des deux dernières phrases d'un paragraphe qui se rapportent aux phrases précédentes et qui influent sensiblement sur l'application des phrases précédentes aux faits de l'espèce fait naître une crainte sérieuse...

11         En l'instance, il ne s'agit pas de deux phrases dans un paragraphe sur lequel on s'appuie, mais bien de tout un court paragraphe dont on n'a pas tenu compte, ou qui n'a du moins pas fait l'objet d'une mention. Bien que ce paragraphe ne soit pas lié à la partie du document de Mme Mahmood sur laquelle la SSR s'appuie, il est certainement tout à fait pertinent par rapport au fondement de la revendication de la demanderesse principale. Je suis convaincu qu'on peut dire que ce texte « influe sensiblement » sur la revendication de la demanderesse. En choisissant de ne pas tenir compte de ce paragraphe, tout en s'appuyant sur une autre partie du document qui le contient, pour rejeter la preuve présentée sous serment par la demanderesse et pour rejeter sa revendication et celles de ses enfants, je suis convaincu que la SSR a commis une erreur susceptible de contrôle.

12         Compte tenu de ce qui précède, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SSR en cause est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour examen et décision par un nouveau tribunal.

13         Les avocats n'ont pas recommandé que je certifie une question. Aucune question n'est donc certifiée.

                                                                                                               FREDERICK E. GIBSON

                                                                                                                            JUGE

Ottawa (Ontario)

le 21 juin 1999

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier


COUR FÉDÉRALEDU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 IMM-5069-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :    PARAMJIT KAUR et autres c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                     CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                    LE 14 JUIN 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                                     21 JUIN 1999

ONT COMPARU :

Mme ROXANNA HANIFF-DARWENT                                  POUR LA DEMANDERESSE

Mme LORRAINE NEILL                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. CHARLES R. DARWENT                                                 POUR LA DEMANDERESSE

M. BRAD HARDSTAFF                                                          POUR LE DÉFENDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada



[1]      [1998] J.C.F., no 1139 (C.F. 1re inst.).

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