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                                                                                                                                 Date : 20050914

                                                                                                                    Dossier : IMM-8424-04

                                                                                                                Référence : 2005 CF 1264

ENTRE :

                                          BALASINGAM FRAN SUPIRAMANIAM

                                             MARY CONSTANCE JEYARATNAM

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

[1]                La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté les revendications du statut de réfugié et de qualité de personne à protéger du demandeur et de son épouse. Elle a jugé que les demandeurs n'avaient pas de crainte fondée de persécution ou de préjudice au Sri Lanka aujourd'hui et qu'ils avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Colombo. Cette décision de la SPR fait l'objet du présent contrôle judiciaire.


CONTEXTE

[2]                Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka âgé de 65 ans qui revendique la qualité de personne à protéger du fait de son origine ethnique tamoule et de ses opinions politiques qui lui sont imputées parce qu'il aurait appuyé les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (TLET). La demande de son épouse est jointe à celle du demandeur. Leurs trois enfants vivent hors du Sri Lanka; un au Canada et deux au Royaume-Uni.

[3]                La revendication du demandeur s'articulait principalement autour de sa crainte d'être victime d'extorsion. Il a allégué que, depuis 1990, à l'époque où les TLET ont pris contrôle de la région de Jaffna, lui et sa famille ont été extorqués pour des contributions à cette organisation. On l'a également forcé à transmettre des renseignements à des membres de l'organisation et à surveiller les agissements de l'armée.

[4]                L'extorsion alléguée a pesé lourd dans la décision du demandeur de quitter le Sri Lanka. Il s'agissait aussi de la raison principale de sa crainte d'être renvoyé au Sri Lanka, parce que ses trois enfants vivant hors de ce pays étaient considérés comme une source probable d'argent pour les TLET.


[5]                Dans la décision de la SPR, le tribunal a souligné les changements survenus dans la situation au Sri Lanka. Le tribunal a considéré la crainte du demandeur par rapport au contexte de la situation actuelle qui règne au Sri Lanka. Il a conclu que le travail que le demandeur avait été contraint de faire, à savoir agir comme courrier clandestin, n'était pas pertinent eu égard aux circonstances actuelles puisque les TLET contrôlaient présentement la région de Jaffna.

[6]                La SPR s'est ensuite penchée sur les circonstances antérieures de son séjour à Colombo, l'existence d'une importante communauté tamoule dans cette ville et son autosuffisance relative. La SPR a conclu qu'une PRI viable s'offrait à lui à Colombo.

DÉCISION

[7]                Dans ses motifs, le tribunal n'a jamais abordé directement le motif principal de la revendication du demandeur, à savoir la crainte d'être victime d'extorsion. Il a fait état de ses autres activités pour le compte des TLET, celle de courrier clandestin, et il a refusé de considérer cette crainte comme un fondement de la revendication.

[8]                Je ne peux accepter l'argument du défendeur lorsqu'il affirme que la conclusion générale suivant laquelle [traduction] « il n'existait aucune preuve crédible que le demandeur avait une crainte raisonnable » était une allusion suffisante à la crainte d'extorsion.

[9]                Même si la CISR n'est pas tenue d'aborder expressément tous et chacun des aspects d'une revendication, elle doit faire état de son motif principal avec suffisamment de détails pour permettre à une partie de savoir pourquoi la demande a été traitée d'une manière particulière.


[10]            En l'espèce, la SPR s'est penchée sur le motif secondaire de la revendication, à savoir les autres activités effectuées pour le compte des TLET. L'absence de mention relative au motif principal de la revendication, à savoir la crainte d'extorsion, laisse subsister la probabilité réelle qu'il n'en a pas été tenu compte.

[11]            Plus la preuve particulière est importante, plus l'obligation pour le tribunal d'en faire état est grande. La SPR a omis de tenir compte, comme elle y était tenue, des parties pertinentes de la revendication et de fournir des motifs appropriés au rejet de la demande.

[12]            Le défendeur prétend que, peu importe le problème à l'égard de la décision au fond de la SPR, celle-ci ne peut être annulée parce que l'analyse de la PRI est déterminante.

[13]            Même si la preuve du demandeur à l'encontre de la PRI à Colombo est peu convaincante, particulièrement en ce qui a trait à la fiabilité d'un reportage d'un journaliste pigiste comme [traduction] « preuve d'expert » , l'examen de la SPR est incomplet.

[14]            Sans avoir examiné le motif central de la revendication et la question de savoir si la crainte d'extorsion pouvait être pertinente si le demandeur devait vivre à Colombo, la SPR ne peut conclure que cette ville est un [traduction] « lieu de refuge sûr » . Si la SPR s'était appuyée sur un fondement approprié pour rejeter la crainte d'extorsion, la conclusion relative à la PRI pourrait alors être soutenue.


[15]            À mon avis, le motif non rejeté d'une revendication doit faire l'objet d'une certaine analyse dans le contexte d'une PRI. Pour que la décision de la SPR quant à la PRI à Colombo soit [traduction] « à l'épreuve de tout » - pour reprendre les termes du défendeur - la SPR doit conclure que la crainte d'extorsion ne serait pas raisonnablement fondée si le demandeur devait y vivre ou, en d'autres termes, que Colombo est un lieu de refuge sûr pour se protéger contre l'extorsion faite par les TLET.

[16]            Par conséquent, la conclusion de la SPR quant à la PRI ne peut être considérée comme déterminante de la revendication du demandeur.

[17]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la SPR sera annulée et l'affaire sera renvoyée à la CISR pour qu'un tribunal différemment constitué procède à un nouvel examen.

[18]            Aucune question ne sera certifiée.

                                                                                                                          « Michael L. Phelan »          

Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                IMM-8424-04

INTITULÉ :                                                               BALASINGAM FRAN SUPIRAMANIAM et MARY CONSTANCE JEYARATNAM

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                        TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 27 JUILLET 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                          LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                                              LE 14 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Kumar S. Sriskanda                                                     POUR LES DEMANDEURS

John Provart                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kumar S. Sriskanda                                                     POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Scarborough (Ontario)                                                                                                                          

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                                                                                  


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