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     Date : 19980203

     Dossier : T-804-97


AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la citoyenneté,

L.R.C. (1985), ch. C-29;


Et un appel de la décision d'un juge

de la citoyenneté;


ET


YAU WAI CHRISTOPHER CHAN,

     appelant.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON

[1]      L'appelant demande que soit infirmée la décision d'un juge de la citoyenneté rendue le 27 mars 1997 dans laquelle sa demande de citoyenneté a été refusée au motif qu'il ne respectait pas la condition de résidence. Cette condition est énoncée à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté (précitée).

[2]      (Entre parenthèses, on peut se demander pourquoi le juge de la citoyenneté a approuvé la demande de l'appelant aux termes de l'alinéa 5(1)d) : "[...] a une connaissance suffisante de l'une des langues officielles du Canada" étant donné qu'il a fallu avoir recours aux services d'un interprète/traducteur, et que le requérant a véritablement démontré devant cette Cour qu'il n'avait pas une connaissance adéquate de l'anglais, sans même essayer de parler français.)

[3]      À l'exception d'une erreur de 47 jours, que les parties ont reconnue et qui a été comptée avant sa demande, l'appelant et son avocat ont convenu que les absences de l'appelant totalisaient 954 jours. Une absence d'une année sur quatre équivaut à 365 jours, ce qui est autorisé par le législateur, mais pas 954 jours, ce qui signifie que l'appelant a été absent 589 jours de plus que ce que tolère le législateur : cela représente 1.6 année au cours de laquelle l'appelant aurait pu côtoyer, au Canada, des Canadiens! Pendant cette période, l'appelant aurait pu améliorer sa connaissance, théorique et pratique, de la langue officielle de son choix : l'anglais.

[4]      Dans sa décision, le juge de la citoyenneté a cité un passage pertinent du jugement en appel rendu dans Pourghasemi (1993), 62 F.T.R. 122, 19 Imm. L.R. (2d) 259 (T-80-92) :

         Cette disposition prévoit que tout demandeur doit "dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, [avoir] résidé au Canada pendant au moins trois ans...". Le législateur a introduit un élément d'insistance dans le texte de loi en posant pour condition la résidence "au Canada pendant au moins trois ans". Les mots soulignés ne sont pas nécessaires; ils ne servent qu'à insister sur la durée prévue. L'appelant a accumulé moins d'un an avant la date de sa demande. En entreprenant une interprétation téléologique du texte de loi, on doit se demander pourquoi le législateur prescrit au moins trois ans de résidence au Canada durant les quatre années qui précèdent la date de la demande de citoyenneté.                 
         Il est évident que l'alinéa 5(1)c) vise à garantir que quiconque aspire au don précieux de la citoyenneté canadienne ait acquis, ou se soit vu obligé d'acquérir, au préalable la possibilité quotidienne de "se canadianiser". Il le fait en côtoyant les Canadiens au centre commercial, au magasin d'alimentation du coin, à la bibliothèque, à la salle de concert, au garage de réparation d'automobiles, dans les buvettes, les cabarets, dans l'ascenseur, à l'église, à la synagogue, à la mosquée ou au temple - en un mot là où l'on peut rencontrer des Canadiens et parler avec eux - durant les trois années requises. Pendant cette période, le candidat à la citoyenneté peut observer la société canadienne telle qu'elle est, avec ses vertus, ses défauts, ses valeurs, ses dangers et ses libertés. Si le candidat ne passe pas par cet apprentissage, cela signifiera que la citoyenneté peut être accordée à quelqu'un qui est encore un étranger pour ce qui est de son vécu, de son degré d'adaptation sociale, et souvent de sa pensée et de sa conception des choses. Si donc le critère s'applique à l'égard de certains candidats à la citoyenneté, il doit s'appliquer à l'égard de tous. Et c'est ainsi qu'il a été appliqué par Mme le juge Reed dans Re Koo , T-20-92 (1992), 59 F.T.R. 27 (T.D.) 3 décembre 1992, encore que les faits de la cause ne fussent pas les mêmes.                 
         La loi ne dit pas à la Cour de s'abandonner à la sentimentalité pour tourner ou pour défier la condition légale de résidence. Peut-être par méprise sur la jurisprudence de cette Cour en la matière, il semble que des demandeurs se sont fait conseiller que pour satisfaire à la condition prévue par la loi, il suffit d'avoir un ou des comptes bancaires canadiens, de s'abonner à des magazines canadiens, de s'inscrire à l'assurance-maladie canadienne, d'avoir une demeure et des meubles et autres biens au Canada et de nourrir de bonnes intentions, en un mot, tout sauf vivre vraiment au milieu des Canadiens au Canada pendant trois des années précédant la date de la demande, ainsi que le prescrit le législateur.                 

[5]      Bien entendu, on ne peut accorder la citoyenneté à des biens inanimés, à des abonnements à des magazines ou à du mobilier, pendant que le propriétaire séjourne à l'étranger. L'administration judiciaire des conditions de résidence énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, est controversée depuis au moins deux décennies. Pendant cette période et jusqu'à ce jour, le législateur a maintenu le texte de cette loi qui dispose comme suit :


5.(1) The Minister shall grant citizenship to any person who

(a) * * *

(b) * * *

(c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration Act, and has, within the four years immediately preceding the date of this application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after this lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

5.(1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

a) * * *

b) * * *

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et, a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

Le législateur n'aurait pu s'exprimer plus clairement.

[6]      Les termes "résidence" ou "résident" semblent avoir donné des élans d'interprétation à certains juges au cours des ans, mais le sens de ces mots ne peut être plus clair. Cela ne signifie pas l'absence, mais plutôt la présence. Ces termes anglais ont le même sens que les termes français correspondants. Il n'y a pas de différence de notion.

[7]      Le Gage Canadian Dictionary - version révisée et augmentée, 1988, en donne les sens suivants :

     reside v. -sided, -siding. 1 live (in or at) for a long time; dwell. 2 be (in); exist (in); Her charm resides in her happy smile.         
     residence n. 1 a place where a person lives; house; home. 2 the act of residing; living; dwelling. 3 a period of residing in a place. 4 the fact of living or doing business in a place for the performance of certain duties to comply with certain regulations, or to qualify for certain rights and privileges: a writer in residence. They have not been in residence long enough to apply for citizenship. 5 a building in which students, nurses, etc. live.         
     in residence, a living in a place: The owner of the house is not in residence. b living in an institution while on duty or doing active work there: a doctor in residence.         
     resident n., adj. - n. 1 a person living in a place, not a visitor. 2 a physician during residency, especially one who has completed internship. 3 an official sent to live in a foreign land to represent his or her country. 4 formerly, a representative of the British Governor General of India at a native court. 5 a bird or animal that is not migratory. 6 a person living or doing business in a place in order to comply with certain regulations, or qualify for certain rights or privileges.         
     - adj. 1 staying; dwelling in a place. A resident owner lives on his or her property. 2 living in a place while on duty or doing active work. 3 not migratory: English sparrows are resident birds. 4 of qualities, present; intrinsic; inherent. 5 of a person, living or doing business in a place in order to comply with certain regulations, or to qualify for certain rights or privileges.         

     (p. 1247)

[8]      Le Oxford Dictionary of Current English, 1990, donne ce qui suit :

     reside v.i. have one's home or dwell permanently (in specified place); (of power or right etc.) be vested in; (of quality) be present or inherent in         
     residence n. residing (take up residence); place where one resides, abode of; house esp. of considerable pretension; in residence dwelling at specified place esp. for performance of duties or work.         
     resident 1 n. permanent inhabitant (of place); guest of hotel staying overnight. 2 a. having quarters on the spot (resident housekeeper); residing in residence; located in (feeling resident in the nerves).         

     (p. 635)

[9]      Le Petit Robert - nouvelle édition * * * mise à jour pour 1998, indique ce qui suit :

     résidant, ante adj. (résident, 1283; n.m., "habitant", 1415; de résider). Qui réside (en un lieu). V. Habitant. Spécialt. (1846) Membre résidant d'une académie, d'une société savante (opposé à correspondant).         
     résidence n.f. (1271; lat. résidentia). 1 Séjour effectif et obligatoire en un lieu; obligation de résider. Emploi, charge qui demande résidence. La résidence d'un magistrat, d'un évêque. - Par ext. Durée de ce séjour. Spécialt. Résidence forcée, surveillée (d'une personne astreinte par décision de justice à rester dans un lieu). 2 (1283). Le fait de demeurer habituellement en un lieu; ce lieu. V. Demeure, habitation, séjour. "Durant les cinq ans de ma résidence..." (Baudel). Avoir, établir fixer sa résidence quelque part. Changer sa résidence. "Les maisons semblaient être de résidence bourgeoise" (Romains). Résidence virilocale. Dr. Lieu où une personne habite effectivement durant un certain temps (ou a un centre d'affaires, d'activités), sans y avoir nécessairement son domicile. Certificat de résidence. Résidence principale. Cour. (sens 3e) Résidence secondaire: maison de campagne, de vacances ou de week-end. 3 (1840). Lieu construit, généralement luxueux, où l'on réside. V. Demeure, logement, maison. "Plus d'un, en apercevant ces coquettes résidences, si tranquilles, enviait d'en être le propriétaire" (Flaub). Une somptueuse résidence (V. Résidentiel). "Il reçoit dans cette résidence princière le feuilletonniste d'un de nos grands journaux" (Balz.) (v. 1960) Groupe d'immeubles résidentiels assez luxueux. La Résidence X ... 4 Charge de résident; lieu (ville, bâtiments) où habite un résident, où se tiennent ses services. La Résidence de Rabat (à l'époque du protectorat).         

     (p. 1683)

     résider v. intr. (v. 1380); lat. residere). 1 Être établi d'une manière habituelle dans un lieu; y avoir sa résidence (surtout admin., dr. ou didact.) "Les ambassadeurs ... prennent les moeurs du pays où ils résident (Chateaub.). Les étrangers qui résidaient aux États-Unis. 2 Fig. Avoir son siège, exister habituellement, se trouver (dans tel lieu, en telle personne ou telle chose). "Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation" (Déclar. Dr. Hom). "L'ordre idéal des peuples réside dans leur bonheur" (Camus). V. Consister. La difficulté réside en ceci.         

     (p. 1684)

[10]      Les dictionnaires précités révèlent tous que les mots français et anglais sont dérivés d'une racine latine commune, et qu'ils comportent l'idée d'habiter ou de résider dans un lieu (ou dans un pays) en y habitant et en y étant présent, et non absent.

[11]      Le législateur adopte-t-il une attitude rigide ou insensible en imposant des conditions de résidence à ceux qui demandent la citoyenneté? Il pourrait s'il le voulait, mais l'adoption des dispositions précitées de l'article 5 de la Loi ne semble ni cruelle ni rigide.

[12]      Autoriser un demandeur de la citoyenneté à s'absenter du Canada une année sur quatre, ou un mois sur quatre pendant les quatre premières années ne semble certainement pas au juge soussigné une position trop rigide ou insensible. Cela ne fait pas du citoyen potentiel du Canada un "prisonnier" de ce pays. Cela signifie que quiconque demande la citoyenneté doit être prêt à en assumer les conséquences, et doit considérer cette demande assez sérieusement pour faire les petits sacrifices qu'exige l'obtention de la citoyenneté.

[13]      Pourquoi faut-il imposer une condition de résidence? Le soussigné pense que le législateur refuse d'accorder la citoyenneté canadienne à des étrangers; et qu'il exige la résidence au Canada pendant trois des quatre années précédant immédiatement la date de la demande afin de permettre au citoyen éventuel de "se canadianiser". Il peut arriver que certaines personnes réalisent cet objectif plus rapidement que ce que le législateur a prescrit, mais c'est au législateur seul qu'il revient d'énoncer les prescriptions applicables, et certainement pas au requérant ni au pouvoir judiciaire.

[14]      Bien que l'objectif de l'alinéa 5(1)c) soit clair, il convient de noter que le législateur ne mentionne pas le mot "canadianiser" (si tant est que ce mot existe), mais qu'il fait plutôt référence à des années , composées de jours de résidence.

[15]      Depuis 1982 et l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés (dont il faut se féliciter), les juges ont le pouvoir, dans les circonstances appropriées, d'abroger des lois, d'en exclure certains éléments ou d'en inclure certains autres et, au besoin, quelquefois de les modifier carrément. Quelquefois cette notion d'omnipotence judiciaire "déborde" sur les fonctions quotidiennes et les réflexions de certains juges.

[16]      La Cour n'est pas un centre de travail social, ni un institut de psychologie appliquée ayant pour but de faire en sorte que tous les requérants se sentent bien. Quand les attentes d'un requérant sont trop élevées et qu'elles ne sont pas compatibles avec les dispositions législatives adoptées par le législateur, alors (tant et aussi longtemps que les juges ne prétendent pas modifier cette loi), les grands espoirs ou les attentes illégales du requérant devront tout simplement être modérés. La Cour ne se livre pas à cette activité de gaieté de coeur, mais, peut-être, la responsabilité doit-elle en revenir aux conseillers du requérant et, bien entendu, au législateur lui-même. Donc, la Cour ne doit pas infléchir la loi, même pour aider le requérant à se sentir bien, en lui épargnant toute frustration, tout aussi justifiée soit-elle. La fonction judiciaire n'exige pas non plus des juges qu'ils "paraissent bien", ou qu'ils fassent preuve d'une grande générosité.

[17]      Le Canada se proclame un pays démocratique, mais la démocratie elle-même est mise en péril quand les juges s'accaparent le rôle du législateur. En agissant ainsi, ils bafouent le soin et le sérieux que les juges de la citoyenneté apportent à l'exercice de leurs fonctions.

[18]      Accorder la citoyenneté à ceux qui ne prennent pas la peine de se conformer aux dispositions formellement adoptées par le législateur ne constitue pas seulement une sorte de crime de lèse-majesté, mais cela enlève de la valeur à la citoyenneté canadienne. Les requérants sérieux et sincères doivent tout simplement se conformer à la loi, comme tous et chacun, qu'ils le veuillent ou non. Quel terrible message la Cour enverrait-elle à tous, si elle renversait une décision d'un juge de la citoyenneté en accordant à quelqu'un la citoyenneté en allant à l'encontre de la volonté du législateur! La Cour n'améliore pas son image en souscrivant à cette sorte de fausse générosité. Cela n'encourage pas le respect de la loi.

[19]      Il ressort manifestement de tout ce qui précède qu'il ne s'agit pas de pure spéculation ou de babillage judiciaire. Le législateur a modifié la Loi sur la citoyenneté à quelques reprises depuis la promulgation des lois révisées. Il n'a jamais profité de l'occasion pour adopter d'autres dispositions concernant les règles de résidence, pour prévoir des exceptions ou pour autoriser l'octroi de la citoyenneté à un requérant qui :

- aimerait devenir un bon citoyen, mais ne respecte pas l'alinéa 5(1)c);

- a "centralisé" son "mode de vie" au Canada pour une raison ou pour une autre, mais en est absent;

- a envoyé ou déposé ses effets personnels (c.-à-d. compte bancaire, vêtements, automobile, etc.) en vue de sa résidence au Canada, pendant qu'il est absent du pays;

- s'est "canadianisé" en moins de temps que le délai prescrit, c'est-à-dire trois ans sur les quatre années précédant immédiatement sa demande;

- doit s'absenter du Canada pour faire des affaires ou pour quelque autre raison pendant plus d'un an au cours de ces quatre années;

- a un conjoint et/ou des enfants ou d'autres membres de sa famille qui sont déjà citoyens.

[20]      Cette tendance à passer outre au droit adopté par le législateur semble avoir débuté avec l'arrêt Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208. Bien que cette affaire ait été décidée par un éminent juge de l'époque, la décision ne lie pas la Cour simplement parce qu'aucun appel n'a été interjeté contre ces jugements d'appel en matière de citoyenneté. Ce facteur peut créer et, en fait, crée encore une incertitude scandaleuse au niveau du droit. Après tout, à la page 75 du même volume des Rapports de la Cour fédérale figure la décision Khoury, qui a été rendue par un juge tout aussi éminent de la même époque qui en est arrivé à la conclusion exactement contraire, et la dichotomie s'est maintenue jusqu'à ce jour.

[21]      Comme on l'a déjà noté, pendant tout ce temps, le législateur a à de nombreuses reprises modifié la Loi, jusqu'à la modification publiée à L.C. 1997, ch. 22, dont certaines parties sont entrées en vigueur le 20 mai 1997. La dernière modification des règles de résidence à l'article 5, qui témoigne de la volonté du législateur, a été apportée à L.C. 1987, ch. 53, qui a été proclamée en décembre 1987. Cette modification dispose comme suit :

1. Section 5 of the Citizenship Act is amended by adding thereto, immediately after subsection (1) thereof, the following subsection:

(1.1) Any day during which an applicant for citizenship resided whith the applicant's spouse who at the time was a Canadian citizen and was employed outside of Canada in or with the Canadian armed forces or the public service of Canada or of a province, otherwise than as a locally engaged person, shall be treated as equivalent to one day of residence in Canada for the purposes of paragraphe (1)(c) and subsection 11(1).

1. La Loi sur la citoyenneté est modifiée par insertion, après le paragraphe 5(1), de ce qui suit :

(1.1) Est assimilé à un jour de résidence au Canada pour l'application de l'alinéa (1)c) et du paragraphe 11(1) tout jour pendant lequel l'auteur d'une demande de citoyenneté a résidé avec son conjoint alors que celui-ci était citoyen et était, sans avoir été engagé sur place, en service, à l'étranger, des forces armées canadiennes ou de l'administration publique fédérale ou de celle d'une province.

[22]      Comme si les règles de résidence n'avaient pas déjà été suffisamment claires, le législateur (et non le pouvoir judiciaire) a apporté d'autres précisions à ces règles en adoptant la modification reproduite ci-dessus. Cette modification dispose, en fait, qu'un requérant peut se "canadianiser" en vivant avec son conjoint canadien qui est affecté à l'étranger et qui accumule la résidence "au jour le jour". En vertu de la Loi, la résidence s'acquiert donc au cours de trois années sur quatre composées de jours de présence - et non d'absence. Quand le législateur parle de la période d'admissibilité ou de la condition de résidence, il envisage la résidence acquise au jour le jour, et non l'absence, mais la présence; il ne pense pas à l'envoi des biens personnels, mais à la présence personnelle; il ne pense pas à la centralisation du mode de vie d'une personne, mais au fait de vivre jour après jour au Canada, jusqu'à ce que le nombre requis de jours permette au requérant de se conformer au paragraphe 5(1) ou (1.1). Le paragraphe (1.1) est la seule exception qui permet à un requérant de se "canadianiser" pendant qu'il réside à l'extérieur du Canada, mais avec son conjoint canadien, en tout temps .

[23]      Il ne fait aucun doute que le requérant qui ne peut obtenir la citoyenneté sera déçu, mais la Cour n'y peut rien. C'est l'affaire du législateur. Le législateur pense que la résidence s'acquiert par des jours de présence.

[24]      La Cour n'est pas une législature. Elle peut donner forme à cette pâte à modeler qu'est la common law et l'equity, mais les lois du Parlement sont gravées dans la pierre, tant et aussi longtemps que le législateur ne décide pas de les abroger ou de les modifier (ou de violer la Charte). La dernière fois que le Cabinet a essayé de légiférer sans passer par l'adoption d'une loi au Parlement, sa tentative illégale a été annulée par la présente Cour : voir Saskatchewan Wheat Pool c. Canada (Procureur général) (1994), 67 F.T.R. 98, par. 67, 68 et 69. La Cour ne peut faire moins que d'observer les normes qu'elle a elle-même édictées.

[25]      Dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada, R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, la décision majoritaire a cité avec approbation à la page 702 le principe énoncé avec éloquence par le juge La Forest, qui était alors juge à la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick, dans New Brunswick c. Estabrooks Pontiac Buick Ltd. (1982), 44 N.B.R. (2d) 201, aux pages 230 et 231 :

             [TRADUCTION] Il ne fait aucun doute que le devoir des tribunaux est de donner effet à l'intention du législateur, telle qu'elle est formulée dans le libellé de la Loi. Tout répréhensible que le résultat puisse apparaître, il est de notre devoir, si les termes sont clairs, de leur donner effet. Cette règle découle de la doctrine constitutionnelle de la suprématie de la Législature lorsqu'elle agit dans le cadre de ses pouvoirs législatifs. Cependant, le fait que les termes, selon l'interprétation qu'on leur donne, conduiraient à un résultat déraisonnable constitue certainement une raison pour motiver les tribunaux à examiner minutieusement une loi pour bien s'assurer que ces termes ne sont pas susceptibles de recevoir une autre interprétation, car il ne faudrait pas trop facilement prendre pour acquis que le législateur recherche un résultat déraisonnable ou entend créer une injustice ou une absurdité.                 
         Ce qui précède ne signifie pas que les tribunaux devraient tenter de reformuler les lois pour satisfaire leurs notions individuelles de ce qui est juste ou raisonnable.                 

[26]      Par conséquent, l'appel concernant la décision du juge de la citoyenneté statuant que les conditions de résidence n'étaient pas réunies, doit être rejeté.

[27]      Certains prétendent qu'une application littérale de l'alinéa 5(1)c) est trop rigide, comme si le législateur ne savait pas ce qu'il fait. Toutefois, le paragraphe 5(4) montre bien que le législateur était très au courant qu'une application littérale, notamment de l'alinéa 5(1)c) - même en autorisant une année d'absence sur quatre ou un mois d'absence sur quatre - pouvait créer "des cas de difficultés spéciales et exceptionnelles". Le Parlement a donc conféré un pouvoir discrétionnaire au juge de la citoyenneté, mais non pas à la présente Cour, au paragraphe 15(1) de la Loi. Celui-ci dispose comme suit :

         15.(1) Avant de rendre une décision de rejet, le juge de la citoyenneté examine s'il y a lieu de recommander l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3) ou (4) ou 9(2), selon le cas.                 

[28]      En l'espèce, le juge de la citoyenneté n'a pas respecté le mandat qui lui est imposé au paragraphe 15(1). Par conséquent, cette affaire doit lui être renvoyée, ou si elle n'est pas inscrite au rôle, à un autre juge de la citoyenneté, pour terminer le travail en se prononçant, selon son appréciation du cas de l'appelant, aux termes de l'article 15. Rien n'empêche le juge de la citoyenneté, si elle le décide ainsi, sans pourtant y être obligée, de prendre connaissance d'une transcription de l'audience d'appel, si elle estime ou si l'autre juge estime que cela est nécessaire.

[29]      En résumé :

     1)      l'appel concernant la condition de résidence est rejeté; et
     2)      l'affaire est renvoyée, conformément aux motifs de la Cour ci-dessus, pour qu'une décision appropriée soit prise conformément au paragraphe 15(1) de la Loi.

                             (Signature) "F.C. Muldoon"

                         Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 3 février 1998

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL. L.

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-804-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la
                     citoyenneté , L.R.C. (1985), ch. C-29;
                     ET un appel de la décision d'un juge de la
                     citoyenneté;

                     ET

                     YAU WAI CHRISTOPHER CHAN,

     appelant.

LIEU DE L'AUDIENCE :      Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 30 janvier 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR : LE JUGE MULDOON

DATE :                  le 3 février 1998

ONT COMPARU :

     Gerald Goldstein                  pour l'appelant

     Julie Fisher                      amicus curiae

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Gerald Goldstein                  pour l'appelant

     Evans, Goldstein

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