Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                                                       

                                                                                                                                            Date: 20020813

                                                                                                                           Dossier :    IMM-3505-00

Référence Neutre: 2002 CFPI 855

Ottawa, Ontario, ce 13e jour de août 2002

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                             LUCERO MICAELA BERDEJO COSSIO

                                                                                                                                - Partie demanderesse

                                                                                  et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                                  - Partie défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Lucero Micaela Berdejo Cossio était membre d'une société secrète à Lima Pérou dont la mission était d'enquêter et de dénoncer les cas d'étudiants disparus et assassinés par le Service d'Intelligence National (SIN). Le frère de la revendicatrice, Enrique, était le fondateur de ce groupe qui ne comptait que 13 membres.    Le groupe faisait son travail dans le plus grand secret. Même les parents de la revendicatrice en ignorait l'existence. La revendicatrice enquêtait la disparition d'un étudiant nommé Paez. Elle avait un contact parmi les journalistes qui lui fournit des informations au sujet de Paez. En plus, elle parla à certains individus qui l'auraient connu, mais de façon furtive pour éviter d'attirer l'attention des agences de sécurité.

[2]                 Vers le début du mois de mai 1997, Enrique annonça au groupe qu'il soupçonnait que les autorités étaient au courant de leurs activités. Il les prévenait que s'il lui arrivait quelque chose, ils devraient s'adresser au parlementaire Javier Diez-Canseco[1]. Ce fût des propos prophétiques car le malheureux Enrique fut trouvé mort chez lui par sa femme le 28 mai 1997. Le décès fut l'objet d'un reportage dans un journal de la région qui précisa que sa mort était le résultat d'un contact accidentel des fils de courant électrique de 10,000 volts avec un appareil téléphonique. En plus d'abattre Enrique, l'accident infligea 3 autres habitants de brûlures prononcées. Le reportage de l'incident (la pièce P-4) annonçait l'intention des autorités civiles de faire une enquête au sujet de cette tragédie. Mais, la revendicatrice croyait que le Service d'intelligence nationale (le "SIN") était impliqué dans la mort de son frère.


[3]                 Elle n'était pas rassurée lorsqu'elle constata, au cours des jours suivant la mort de son frère, qu'elle était surveillée. Le 7 juin, lorsqu'elle tentait de se rendre à un rendez vous avec M. Diez-Canseco, sa voiture fut croisée par une camionnette de façon qu'elle subit une collision avec une autre auto. Plus tard dans le même mois, elle trouva les pneus de sa voiture dégonflés après avoir aperçu cette même camionnette arrêtée près de sa voiture. Prise de peur, la revendicatrice décida de quitter Lima et, par l'entremise d'une amie, se trouva un emploi comme travailleuse sociale dans un village situé à douze heures de Lima. Elle y est arrivée au mois de juin 1997 pour y demeurer jusqu'au moi de mars 1998 quand elle décida de retourner à Lima pour reprendre son travail secret.

[4]                 De retour à Lima, la revendicatrice parla de nouveau à M. Diez-Canseco pour lui demander de mettre sur pied une enquête au sujet de la mort de son frère. Celui-ci entreprit de faire son possible tout en disant qu'il doutait être capable de mobiliser les autorités. En plus, la revendicatrice s'adressa à la Commission interaméricaine des droits de l'homme au sujet de la mort de son frère. Le secrétaire de cette organisation lui demanda si elle avait une preuve à l'appui de ses soupçons. Elle dû répondre qu'elle avait seulement des soupçons. Le secrétaire fut incapable d'agir sans preuve. La revendicatrice s'adressa aussi à Monseigneur Cipriano, l'archevêque de Lima, qui s'est dit impuissant face aux questions politiques. En plus, la revendicatrice repris son enquête au sujet de Paez, malgré le fait que son groupe secret avait cessé les activités à la suite de la mort de son frère. Les activités de la revendicatrice lui ont mérité des menaces anonymes. Le 28 juillet 1998, deux hommes armés se sont introduits dans son appartement pour la tabasser et l'avertir de cesser ses démarches. Elle constata qu'ils conduisaient la camionnette qu'elle avait remarquée auparavant.


[5]                 C'est à cette époque qu'elle décida de donner un interview à un journaliste de sa connaissance pour hausser le profil de ses enquêtes. Il n'est pas contesté qu'un reportage paru dans un journal de la région qui fit part des activités politiques de la revendicatrice. Ce reportage, (la pièce P-7) qui se disait basé sur des informations fournies par la famille de la revendicatrice, parlait de la chaîne de dénonciations que cette dernière avait initiée et d'autres gestes publics d'opposition au régime qu'elle aurait posés. Ce reportage paru le 12 septembre 1998 et le même jour elle reçu un appel anonyme qui la conseillait de laisser les choses telles qu'elles étaient. Pour éviter de mettre en danger son père, avec qui elle demeurait, elle quitta Lima encore une fois, cette fois pour aller dans un village près de Cayamarca, situé à une heure de vol de Lima. Elle y demeura 5 mois au cours desquels elle décida d'aller à l'étranger afin d'être en meilleure mesure pour combattre l'impunité.

[6]                 Alors, elle retourna à Lima au début de mars 1999 pour renouveler son passeport et faire le nécessaire pour se rendre à l'étranger. Le 29 mars elle reçut un visa lui permettant d'entrer aux États-Unis. Ce même jour, elle fut interceptée par deux hommes armés, habillés en noir. Ils l'ont obligée d'entrer chez elle avec eux et ils l'ont placée sur son lit, tout en lui liant les mains et les pieds. Ils étaient au courant qu'elle devait quitter le Pérou et la menaça de la mort de ses proches si elle diffamait le Pérou à l'étranger. Ses interlocuteurs ont commencé à se déshabiller. Paralysée de peur, elle s'évanouit. Elle se réveilla plus tard avec deux condoms sur la poitrine et des douleurs à la région génitale. Elle en tira la conclusion qu'elle fut violée.


[7]                 Le lendemain elle appela une amie qui est venue à son secours. Cette amie prépara une déclaration qui fut déposée devant la Section du statut et qui corroborait le récit de la revendicatrice. La revendicatrice quitta le Pérou le 28 avril 1999. Elle s'est rendue aux États-Unis où elle habita pendant 3 mois, avant de se rendre au Canada pour réclamer le statut de réfugié en franchissant la frontière.

[8]                 La Section du statut rejeta la demande de statut de réfugié de la revendicatrice. Elle considéra la mort du frère de la revendicatrice comme un élément de base de sa revendication. La Section du statut ne doutait pas du fait qu'il soit mort. Mais la Section du statut n'acceptait pas que cette mort aurait été le travail des agences de sécurité compte tenu du reportage qui démontrait que sa mort résultait d'un accident. Selon la Section du statut, cette conclusion était appuyée par le fait que le Ministère public a ouvert un enquête et que les autres victimes et sa belle soeur refusait de lui en parler. De plus, la Section trouvait invraisemblable que la revendicatrice aurait poursuivi ses enquêtes au sujet de Paez après la dissolution du groupe secret.


[9]                 La Section du statut trouva une contradiction entre le fait que la revendicatrice aurait témoigné d'une part qu'elle aurait porté à l'attention de M. Diez-Canseco, avant la mort de son frère, les informations qu'elle possédait au sujet de la disparition de Paez et d'autre part qu'elle aurait appris l'existence de M. Diez-Canseco que lorsque son frère communiqua ses soupçons que les autorités étaient au courant de leurs activités. Une autre contradiction se dégageait du fait que la revendicatrice aurait témoigné qu'elle n'aurait rien fait de concret pour mettre à la lumière le rôle des agences de sécurité dans la mort de son frère, sauf la porter à l'attention de la Commission Interaméricaine des droits de l'homme tandis que le reportage au sujet de sa mort prétendait qu'elle aurait commencé une chaîne de dénonciations et protestations contre l'impunité et les disparitions. Confrontée par cette contradiction, la revendicatrice témoigna que les journaux exagéraient souvent les faits.

[10]            Finalement, la Section conclut à l'absence de crainte subjective de la revendicatrice du fait qu'elle soit retournée à Lima à deux reprises lorsqu'elle aurait vécue sans difficulté dans deux villages à quelque distance de la capitale. En plus, le fait de ne pas avoir réclamé le statut de réfugié aux Etats-Unis au cours de son séjour de trois mois était incompatible avec un crainte authentique de persécution.

[11]            La revendicatrice reproche à la Section du statut d'avoir mis en question sa crédibilité à partir du comportement des tiers, c'est à dire le Ministère public, qui lança une enquête, et les autres victimes et sa belle-soeur qui refusait de lui parler. En plus, la revendicatrice trouve injuste que la Section n'ait accordé aucune foi aux documents qu'elle avait déposés en preuve, notamment la lettre de son amie qui faisait preuve de son viol et le reportage de ses activités politiques (la pièce P-7). De plus, la Section a faillit considérer si le contenu de la pièce P-7 exposerait la revendicatrice à la persécution, étant donné le contenu de ce reportage.

[12]            La partie défenderesse appuie la décision de la Section du statut en soulignant les incohérences dans le témoignage de la revendicatrice. L'attribution de la mort de son frère aux agences de sécurité n'est appuyée par aucune preuve. En fait, la preuve présentée par la revendicatrice elle-même, soit le reportage de sa mort, fait état que sa mort était le résultat d'un accident. Qui plus est, le comportement de la revendicatrice n'est pas celui d'une personne qui a une crainte authentique de persécution.


[13]            Il est de jurisprudence constante qu'il appartient à la Section du statut d'apprécier la plausibilité du témoignage d'un revendicateur. De même, la Section du statut peut se fier à la preuve documentaire de préférence au témoignage de la partie demanderesse. Zhou v.Canada, [1994] F.C.J. No. 1087. Le fait de ne pas référer à un élément de preuve ne veut pas dire nécessairement que la Section du statut ne l'aurait pas considéré en faisant son appréciation de la preuve. Hassan v. Canada, [1992] F.C.J. 946. Ceci étant dit, la Section ne peut passer sous silence un élément de preuve qui est pertinent à un élément déterminant de la revendication de la revendicatrice. Voici ce qu'en a dit le juge Simpson dans l'arrêt Gourenko c. Canada, [1995] A.C.F. No. 685:

[para4]      À mon avis, un document doit seulement être mentionné dans une décision si, en premier lieu, il est pertinent, en ce sens qu'il porte sur la période en cause. En second lieu, il doit être rédigé par un auteur indépendant de bonne réputation qui soit la source de renseignements la plus fiable. En troisième lieu, il me semble que le sujet abordé dans le document doit se rapporter directement à la revendication d'un requérant. Par exemple, des documents envoyés à un requérant ou que ce dernier a reçus, ou rédigés pour un requérant ou concernant un requérant, qui portent sur des questions pertinentes, seraient, dans le cours ordinaire, mentionnés dans les motifs. En outre, si un document se rapporte directement aux faits allégués par un requérant, on s'attendrait à ce que ce document soit abordé dans les motifs de la Commission. D'autre part, de nombreux documents peuvent être seulement d'une pertinence marginale. À mon avis, le fait pour la Commission de ne pas aborder ces documents dans ses motifs ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle.

   

[14]            Voici ce qu'en dit le juge Evans dans l'affaire Ranganathan v. Canada, [1999] 4 F.C. 269 au para.17:

[para17]      Whether the Refugee Division is required as a matter of law to deal in its reasons with particular items of evidence before it depends, among other things, on the cogency of the evidence in question and on the importance to the disposition of the issues in dispute of the facts to which the evidence relates


[15]            Si un élément de preuve pourrait avoir un effet déterminant sur le traitement de la revendication, la Section du statut doit en discuter dans ses motifs. Dans l'arrêt Ranganathan, la Section du statut n'a pas traité de la preuve documentaire qui démontrait qu'un tamoul du nord ne pouvait demeurer à Colombo au-delà de trois jours. Le juge Evans décida que la Section du statut avait tort de ne pas en discuter dans ses motifs:

                 [para22]      If the Refugee Division had been satisfied that Ms. Ranganathan would not be permitted to remain in Colombo for more than three days, it would surely have found that Colombo was not a reasonably available safe place for her. The evidence was thus relevant to a material issue. In addition, the documentary evidence of police practice, and of the warning given by the police officers that the applicant must leave, is sufficiently cogent to require the Refugee Division to have considered it in its reasons. Accordingly, the Refugee Division's failure even to mention this issue in its reasons rendered its dismissal of the applicant's claim erroneous in law.[2]


[16]            Dans l'instance, la Section du statut n'a pas traité de la preuve que la revendicatrice avait été violée par deux agents du SIN. Le témoignage de la revendicatrice sur ce point était appuyé par une déclaration assermentée de son amie Aurora Martinez (la pièce P-2) qui lui avait rendu secours après l'incident en question. Cette preuve ne liait pas la Section du statut, mais si elle l'acceptait, ce serait un élément de preuve de persécution de la revendicatrice à cause de ses enquêtes au sujet de la mort de son frère. La Section du statut traita la mort du frère de la revendicatrice comme élément de base de sa revendication, et conclut qu'il était invraisemblable qu'il aurait été tué par le SIN. Par contre, si la Section du statut acceptait le fait que la revendicatrice fut violée par deux agents de cette agence, elle aurait donc à se demander pourquoi cette dernière suscitait l'intérêt d'une agence de sécurité, ce qui pourrait entraîner une différente appréciation de la preuve quant à la cause de la mort de son frère. L'important n'est pas que la Section du statut devait accepter ou ne pas accepter cette preuve, mais qu'elle devait expliquer pourquoi elle la rejetait, si tel était bien le cas, compte tenu de sa pertinence à la revendication de la demanderesse. En ne considérant pas cette preuve dans ses motifs, la Section du statut commis une erreur de droit justifiant l'intervention de cette cour.

Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accordée.

                « J.D. Denis Pelletier »                               Juge                   


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                                                       

DOSSIER :                                                  IMM-3505-00

INTITULÉ :                                                LUCERO MICAELA BERDEJO COSSIO

                                                                      c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                       le 12 juin 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE: l'Honorable Juge Pelletier

DATE DES MOTIFS :                              le 13 août 2002

COMPARUTIONS:

Me Michel Le Brun                                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Me Michel Pépin                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                                                                                                  

Me Michel Lebrun                                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Procureur Général du Canada



[1]Ce nom parait au dossier sous différentes formes. Les motifs de la Section du Statut parlent de Diez Causeco tandis que la traduction du Formulaire de Renseignements Personnels de la revendicatrice fait référence à Diez Canseco. Pourtant, la revendicatrice a clairement écrit Javier Diez-Canseco dans son FRP.

[2]Cette conclusion fut questionnée par la Cour d'appel parce que la question du séjour de 3 jours n'avait pas été soulevée par la revendicatrice, mais la Cour n'a pas mis en question le principe énoncé par le juge Evans.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.