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Date : 19991115


Dossier : IMM-5446-99



ENTRE :



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION


demandeur

                    

- et -


RI WO CHEN


défendeur




MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE NADON

[1]      Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration (" le ministre ") sollicite une ordonnance suspendant l"ordonnance de l"arbitre Paul Tetreault, datée du 8 novembre 1999, en vertu de laquelle le défendeur a été remis en liberté moyennant le paiement d"un cautionnement en espèces de 15 000 $ et d"autres conditions.

[2]      Le défendeur est un citoyen de la Chine. Il est arrivé au Canada par bateau avec environ 140 autres personnes de la province de Fujian, en Chine. Le bateau est arrivé au large de la côte de l"île de Vancouver le 10 septembre 1999. Depuis le 20 juillet 1999, quatre bateaux, y compris celui sur lequel le défendeur a fait son voyage au Canada, ont amené des citoyens chinois au Canada.

[3]      Le 13 septembre 1999, le défendeur a revendiqué le statut de réfugié. Suite à cela, une mesure d"interdiction de séjour conditionnelle a été prise à son endroit et il a été retenu en vertu de l"article 103.1 de la Loi sur l"immigration du fait de son incapacité à établir son identité à la satisfaction de l"agent d"immigration.

[4]      Le 19 septembre 1999, la détention du défendeur a été examinée par un arbitre qui a ordonné que sa détention soit prolongée pendant que les agents d"immigration allaient procéder à l"enquête relative à son identité.

[5]      Le défendeur est demeuré détenu jusqu"au 8 novembre 1999. Ce jour-là, on a procédé à nouveau à un examen de la détention du défendeur et celle-ci a été prolongée en vertu du 103(3) de la Loi sur l"immigration au lieu de l"alinéa 103.1(1)a ). Le 8 novembre 1999, au début de l"audition devant l"arbitre Tetreault, l"agente chargée de présenter les cas, Mme D. Clément, a fourni à l"arbitre les avis suivants :

         [TRADUCTION]
         AGENTE CHARGÉE DE PRÉSENTER LES CAS : Merci monsieur l"arbitre. Je voudrais tout d"abord expliquer pourquoi aujourd"hui j"annule l"attestation délivrée en vertu de l"article 103.1.
         I -- Le ministre s"est trouvé dans une situation où, dans la pratique, depuis le 21 octobre, nous ne pouvons plus faire les efforts valables pour établir l"identité de M. Chen.
         INTERPRÈTE : Le 31 octobre?
         AGENTE CHARGÉE DE PRÉSENTER LES CAS : Le 21. Monsieur Chen a quitté la Chine -- ou est entré au Canada sans pièces d"identité. C"est en fait sa soeur qui a apporté de Chine ses pièces d"identité originales, et nous avons retourné les originaux à l"ambassade à Beijing. De ce fait, je me trouve dans une situation où je ne sais pas quand je serai en mesure d"authentifier ses documents. Il était important pour moi que cela figure au dossier puisque, comme je l"ai dit, la question de l"identité se posera toujours.

[6]      Lors de l"audition, le ministre a demandé que l"arbitre ordonne la prolongation de la garde du défendeur en vertu du paragraphe 103(3) de la Loi sur l"immigration au motif que le défendeur se déroberait vraisemblablement à son renvoi du Canada si la mesure d"interdiction de séjour au Canada devenait exécutoire.

[7]      À la fin de l"audition, l"arbitre a ordonné que le défendeur soit remis en liberté moyennant un cautionnement en espèces de 15 000 $ et certaines autres conditions. Il s"agit de l"ordonnance que le ministre cherche à faire suspendre.

[8]      Pour les motifs qui suivent, je suis d"avis que la requête du ministre doit être accueillie et en conséquence, que l"ordonnance de l"arbitre du 8 novembre 1999 doit être suspendue.

[9]      Pour que le ministre obtienne une suspension de l"ordonnance contestée, il doit satisfaire au critère énoncé par la Cour d"appel fédérale dans Toth c. MEI (1988) 86 NR 302. En conséquence, le ministre doit me convaincre qu"il existe une question sérieuse à trancher, qu"un préjudice irréparable s"ensuivra si je n"octroie pas l"ordonnance sollicitée et enfin que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur.

[10]      L"alinéa 103(3)b ) et le paragraphe 103(7) de la Loi sur l"immigration sont pertinents et ils prévoient que :

(3) Dans le cas d'une personne devant faire l'objet d'une enquête ou d'une enquête complémentaire ou frappée par une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel, l'arbitre peut ordonner_:
     [...]
     b) soit de la faire garder, s'il croit qu'elle constitue vraisemblablement une menace pour la sécurité publique ou qu'à défaut de cette mesure, elle se dérobera vraisemblablement à l'enquête ou à sa reprise ou n'obtempérera pas à la mesure de renvoi;
[...]
(7) S'il est convaincu qu'il ne constitue vraisemblablement pas une menace pour la sécurité publique et qu'il ne se dérobera vraisemblablement pas à l'interrogatoire, à l'enquête ou au renvoi, l'arbitre chargé de l'examen prévu au paragraphe (6) ordonne la mise en liberté de l'intéressé, aux conditions qu'il juge indiquées en l'espèce, notamment la fourniture d'un cautionnement ou d'une garantie de bonne exécution.

[11]      Il est nécessaire de reproduire une partie de la transcription de l"audition du 8 novembre 1999 pour la bonne compréhension de la question soulevée par le ministre. Après avoir entendu les arguments et les observations de l"agente chargée de présenter les cas et ceux de l"avocat du défendeur, l"arbitre a déclaré :

         [TRADUCTION]
         J"ai pris en considération les observations et la preuve présentées. Ce que je dois décider, Monsieur, est de savoir si, à mon avis, si l"on peut vous faire confiance pour que vous ne vous dérobiez pas à votre renvoi. Veuillez noter que j"ai dit gardé aux fins d"être renvoyé parce que c"est ce à quoi on s"attend. Être reconnu réfugié au sens de la Convention, il s"agit de l"exception à la règle.
         Il y a eu débat relativement au montant que vous avez dû payer pour venir au Canada, mais je suis convaincu que vous avez engagé des frais considérables ou que vous êtes redevable à des criminels. De plus, vous vous êtes lancé dans un voyage périlleux au Canada en utilisant les services de ces criminels, soit ces passeurs de réfugiés clandestins.
         Je note également que vous avez laissé derrière vous votre épouse -- votre épouse et votre enfant. Si je me souviens bien, vous avez un enfant et votre épouse est enceinte du deuxième, n"est-ce pas?
         Je note qu"il a dit oui.
         Ce que cela m"indique est que vous étiez extrêmement motivé pour venir au Canada et que cela a dû être un acte de désespoir. Je ne pense pas que, tout bien pesé, vous retourneriez volontairement en Chine si votre revendication du statut de réfugié n"était pas accueillie, compte tenu des démarches que vous avez entreprises pour venir au Canada.
         Comme je l"ai dit, une analyse de votre situation m"amènerait à croire que votre intention est de rester au Canada ou en Amérique du Nord et non de retourner en Chine.
         Quant à savoir s"il existe d"autres garanties qui pourraient être offertes pour garantir que vous obtempérerez, je serais d"accord avec M. Larsen que la détention se doit toujours d"être la dernière mesure à retenir et jamais la première.
         Je note que dans l"affaire Yao Lin, dont la décision a récemment été rendue le 22 octobre, la décision de l"arbitre n"a pas été infirmée, mais la saveur de la décision, si je puis utiliser cette tournure, est que le -- juge (inaudible) remet assurément en question le jugement de l"arbitre.
         Il est dommage que dans son dernier paragraphe le juge n"ait pas limité ses remarques au cas en l"espèce, mais a généralisé à tous les arbitres, et l"opinion que je me suis forgée de la Cour fédérale est que, dans le passé, la Cour fédérale en général voit la détention comme une question très grave, et que plus la détention est longue, plus l"on doit envisager des solutions de rechange.
         Dans votre situation en particulier, avec la pièce D2, je suis convaincu que vous avez des liens au Canada. La façon dont cela peut vous aider est que vous avez un réseau de soutien, et que votre soeur et votre frère sont en mesure de déposer un cautionnement. Je pense qu"un cautionnement est approprié en l"espèce en ce sens que, tout d"abord, je pense que vous aurez -- que vous serez peu disposé à enfreindre les conditions du cautionnement si c"est votre propre famille qui dépose l"argent.
         De plus, je crois que le montant du cautionnement peut inspirer le respect des conditions même s"il ne le garantit pas.
         Le seul moyen de garantir que vous serez présents au moment du renvoi, de même que toutes les autres personnes, -- toutes les 420 autres personnes qui sont en détention, est de ne pas chercher à vous relâcher et de dire simplement, tout le monde reste derrière les barreaux. Je crois que si je faisais cela, cela serait négliger mon devoir. Comme M. Larsen l"a dit à juste titre, et je crois qu"il est important de ne pas dévier de l"objectif, c"est le nombre de personnes qui sont arrivées dans votre situation et la manière dont elles sont arrivées qui ont attiré l"attention de la société canadienne.
         Des personnes passent illégalement la frontière à pied ou en avion chaque jour et j"évalue votre situation de la même manière que je le ferais pour toute autre situation et je recherche les mêmes types de garanties.
         La raison pour laquelle je fais ces commentaires est que les deux parties ont présenté des observations étoffées et j"estime que les deux parties sont en droit de savoir ce sur quoi je me suis basé. Alors, en résumé, je crois qu"un cautionnement est approprié, le fait qu"il existe des liens familiaux, en plus d"un cautionnement considérable, est une bonne indication selon la prépondérance des probabilités, que vous respecterez vos engagements. Encore une fois, il n"y a aucune garantie.
         Maintenant, en ce qui concerne le montant du cautionnement. La somme de 5 à 10 000 $ proposée par votre avocat serait inappropriée selon moi et le minimum qui pourrait être acceptable en l"espèce serait de 15 000 $ en argent. Serait-t-il possible, Maître, de recueillir les fonds nécessaires?

[12]      Tel qu"il appert de la transcription de l"audience, l"arbitre a conclu que le défendeur avait effectivement déboursé une somme d"argent considérable pour venir au Canada et que, ce faisant, il avait eu recours aux services de criminels. L"arbitre a ensuite conclu qu"il était peu probable que le défendeur " retourne volontairement en Chine " si sa revendication du statut de réfugié s"avérait infructueuse. Compte tenu de la conclusion de l"arbitre, le ministre affirme qu"il ne lui était pas loisible de remettre le défendeur en liberté en contrepartie du dépôt d"un cautionnement en espèces et du respect d"autres conditions. Au paragraphe 9 de son mémoire, le ministre fait l"observation suivante :

[TRADUCTION]
Nous soumettons qu"en remettant le défendeur en liberté, en dépit de la conclusion de l"arbitre selon laquelle le défendeur se déroberait au moment de son renvoi, l"arbitre a commis une erreur de droit.

[13]      Je suis d"accord avec l"avocate du ministre qu"il existe une question importante à trancher. Il ne fait aucun doute que l"arbitre était d"avis que, compte tenu des éléments de preuve que les parties lui avaient présentés, le défendeur se déroberait vraisemblablement au renvoi si sa revendication du statut de réfugié se soldait pas un échec. La décision de l"arbitre de mettre le défendeur en liberté semble être basée sur sa croyance que le cautionnement en espèces serait déposé par la soeur et le frère du défendeur et que, par conséquent, celui-ci ne se soustrairait pas à la justice parce que, ce faisant, il ferait perdre 15 000 $ à sa soeur et à son frère. À ce sujet, je note les commentaires de l"arbitre qui figurent au bas de la page 13 de la transcription :

[TRADUCTION]
Mon expérience m"a démontré que généralement l"argent a un grand effet dissuasif. Selon mon expérience, l"argent a généralement un plus grand effet dissuasif qu"une garantie de bonne exécution. L"avocat n"a aucunement mentionné d"éléments d"actifs que ces personnes pourraient avoir et je crois, compte tenu des circonstances, que 15 000 $ en argent comptant constitue le minimum acceptable.

Non seulement n"y avait-il aucune preuve quant aux éléments d"actif qu"auraient pu avoir le frère et la soeur du défendeur, mais l"arbitre ne disposait d"aucune preuve à savoir si le frère et la soeur avaient les moyens de fournir 15 000 $. Le seul élément de preuve dont il disposait était la déclaration de la soeur du défendeur qui figure au paragraphe 7 de son affidavit, daté du 5 novembre 1999, dans lequel elle affirme :

[TRADUCTION]
Mon frère et moi ne sommes pas riches mais nous avons quelques ressources et des amis qui sont prêts à nous aider financièrement à recueillir l"argent nécessaire à garantir la remise en liberté de Chen Ri Wo.

[14]      L"arbitre ne semble pas avoir pensé à la possibilité que les passeurs de réfugiés clandestins qui ont amené le défendeur au Canada fournissent les 15 000 $ du cautionnement en espèces. Compte tenu des éléments de preuve, et compte tenu du fait qu"il n"existe aucun élément de preuve qui atteste que le frère et la soeur du défendeur ont les moyens de fournir 15 000 $, la possibilité que les passeurs de réfugiés clandestins puissent fournir l"argent est plus que de la conjecture. Après tout, s"ils ont en effet financé, à grands frais, l"aventure du défendeur au Canada, ces passeurs ont intérêt à faire en sorte qu"il reste au Canada ou aux États-Unis pour travailler, de façon à ce qu"il puisse leur rembourser le " prêt ".

[15]      Si je comprends bien l"alinéa 103(3)b ) et le paragraphe 103(7), un arbitre doit ordonner la mise en liberté de l"intéressé " aux conditions qu'il juge indiquées en l'espèce, notamment la fourniture d'un cautionnement ou d'une garantie de bonne exécution " s"il est convaincu que la personne sous garde ne se dérobera vraisemblablement pas au renvoi. Autrement dit, si l"arbitre est convaincu, compte tenu des éléments de preuve qui lui ont été présentés, que la personne sous garde ne se soustraira pas à la justice, il doit alors ordonner la mise en liberté de cette personne et il peut l"assortir de conditions, dont notamment la fourniture d"un cautionnement. Le dépôt d"un cautionnement et le montant de celui-ci ne font pas partie des éléments de preuve pertinents quant à la décision que l"arbitre doit rendre relativement à la vraisemblance que la personne ne se dérobera pas à son renvoi. En conséquence, si je comprends bien les dispositions en question, l"arbitre doit décider de la vraisemblable que la personne se soustraira à la justice ou qu"elle ne se dérobera pas au renvoi, en fonction des éléments de preuve, sans tenir compte du cautionnement qu"il pourrait imposer s"il était convaincu que la personne sous garde ne se dérobera vraisemblablement pas au renvoi.

[16]      Je ne suis évidemment pas en train de décider de la question soulevée par le ministre. J"ai simplement émis une opinion sur la question de façon à démontrer que la demande de contrôle judiciaire déposée par le ministre soulève en effet une question importante.

[17]      En ce qui concerne le préjudice irréparable, je suis d"accord avec l"observation du ministre selon laquelle un préjudice irréparable se produira si la décision de l"arbitre n"est pas suspendue. Premièrement, si le défendeur est remis en liberté, la procédure de contrôle judiciaire du ministre sera sans objet et deuxièmement, il est très probable que le défendeur se soustraira à son renvoi du Canada si sa revendication du statut de réfugié se soldait par un échec.

[18]      Quant à la prépondérance des inconvénients, je suis également d"accord avec le ministre. L"intérêt public, en l"espèce, l"emporte sur les intérêts du défendeur.

[19]      Pour ces motifs, l"ordonnance de l"arbitre Paul Tetreault, datée du 8 novembre 1999, est suspendue et, en conséquence, le défendeur doit demeurer en détention jusqu"à ce qu"il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire du ministre ou jusqu"à ce que le défendeur soit renvoyé du Canada.


Signé " M. Nadon "


Juge

Le 15 novembre 1999

Vancouver (Colombie-Britannique)






Traduction certifiée conforme


Kathleen Larochelle, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE L"IMMIGRATION


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :                  IMM-5446-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          MCI

                         c.

                         Ri Wo Chen

LIEU DE L"AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L"AUDIENCE :              le 10 novembre 1999
MOTIFS DE L"ORDONNANCE PAR :      monsieur le juge Nadon
EN DATE DU :                  15 novembre 1999

ONT COMPARU :                     

Emilia Pech                      pour le demandeur

Darryl Larson                      pour le défendeur

                            

            

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

Morris Rosenberg         
Sous-procureur général du Canada          pour le demandeur

Larson, Boulton,

Sohn, Stockholder

Vancouver (C.-B.)                  pour le défendeur

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