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Date : 2000505


Dossier : T-49-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 5 MAI 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NADON

ENTRE :

                            

     DOROTHY A. HUYCK ET AUTRES et

ROBERT B. LYMAN & MARGARET M. LYMAN ET AUTRES

(au nom de plusieurs résidents des parcs Musqueam et Salish)

     demandeurs

ET :

     LA BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM,

L'ÉVALUATEUR DE LA BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM et

Dr J. KESSELMAN

     défendeurs

ET :

LE CONSEIL D'EXAMEN DE LA BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM

     intervenant



ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée. La question des dépens doit être débattue.





« Marc Nadon »

Juge

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL. B.




Date : 2000505


Dossier : T-49-99

ENTRE :

                            

     DOROTHY A. HUYCK ET AUTRES et

ROBERT B. LYMAN & MARGARET M. LYMAN ET AUTRES

(au nom de plusieurs résidents des parcs Musqueam et Salish)

     demandeurs

ET :

     LA BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM,

L'ÉVALUATEUR DE LA BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM et

Dr J. KESSELMAN

     défendeurs

ET :

LE CONSEIL D'EXAMEN DE LA BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM

     intervenant


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE NADON


Le contexte

[1]          Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par un tribunal du Conseil d'examen de la Bande indienne de Musqueam ( le Conseil) le 6 juillet 1998, relativement aux évaluations de taxes foncières pour l'année 1997.

[2]          Le Conseil a été créé en vertu de l'article 40 du règlement administratif sur l'évaluation foncière PR-96-01 (le règlement administratif) pris par la Bande indienne de Musqueam (la Bande) en application de l'alinéa 83(1)a) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, modifié1. Le régime établi est le suivant : la Bande nomme les membres du Conseil. Le Conseil choisit ensuite les membres du tribunal. Le Conseil entend les appels de l'évaluation des immeubles situés sur la réserve de Musqueam. Cent soixante-quinze demandeurs sont en cause. Les défendeurs sont la Bande et l'évaluateur de la Bande2. Le Conseil a la qualité d'intervenant relativement à la question de la compétence.

[3]          La demande s'appuie sur les moyens suivants : une crainte raisonnable de partialité quant à l'indépendance du Conseil; une crainte raisonnable de partialité quant à l'indépendance du tribunal qui a entendu les appels des demandeurs à l'encontre des évaluations de taxes foncières; le défaut de compétence du Conseil; des manquements, de la part du Conseil, aux règles de la justice naturelle et de l'équité procédurale.

[4]          Les demandeurs sollicitent une ordonnance annulant la décision du 6 juillet 1998 et renvoyant l'affaire pour réexamen par un tribunal dont les membres sont approuvés par la Cour, par la Cour suprême de la Colombie-Britannique ou par les avocats des demandeurs. Les demandeurs réclament aussi que la Bande paie leurs dépens, sur la base procureur-client.

Les faits

[5]          Les demandeurs sont des locataires non autochtones d'immeubles situés dans la réserve et n'ont pas droit de vote. Ils ont interjeté appel devant le Conseil de leurs évaluations de taxes foncières pour 1997. À l'origine, le tribunal constitué pour entendre l'affaire était composé de M. David Cavazzi, du juge Alfred Scow3 et de M. Peter Clark, mais il s'est ensuite avéré que M. Clark n'était pas libre4 pour siéger à l'audition fixée au 14 janvier 1998. Le 3 janvier 1998, M. Cavazzi a téléphoné à l'avocat de la Bande5, Me Lawrence Fast, pour l'informer que M. Clark n'était pas disponible. Me Fast a dit qu'il recommanderait que M. Alasdair Gordon soit nommé au Conseil lors de la réunion de la Bande, le 5 janvier 19986. Lors de cette même conversation téléphonique, M. Cavazzi a informé Me Fast que le cabinet de M. Gordon avait agi à titre d'experts au nom des locataires du parc Musqueam dans une autre cause, mais que M. Gordon n'avait pas participé personnellement à ce dossier. M. Cavazzi a aussi informé Me Fast qu'il avait été employé dans le même cabinet que l'un des experts des demandeurs. Me Fast a répondu que, selon lui, les antécédents de M. Gordon et de M. Cavazzi ne posaient pas de problème. Conformément à la recommandation de Me Fast, M. Gordon a été nommé membre du Conseil le 5 janvier 1998.

[6]          Le tribunal du Conseil composé du juge Scow, de M. Gordon et de M. Cavazzi, agissant à titre de président7, s'est réuni le 14 janvier 1998. Les demandeurs ne se sont pas opposés à la composition du tribunal. Toutefois, l'évaluateur et la Bande se sont opposés à ce que MM. Cavazzi et M. Gordon siègent comme membres de ce tribunal en invoquant une crainte raisonnable de partialité. Le tribunal du Conseil s'est désisté et l'audition a été ajournée jusqu'à ce qu'un nouveau tribunal puisse être nommé8.

[7]          Environ un mois plus tard (le 10 février 1998), M. Cavazzi a écrit à la Bande (à l'attention de Me Fast) pour l'informer qu'à la suite de l'ajournement de l'audition, on avait demandé au juge Scow d'enquêter sur les allégations de partialité et d'exprimer une opinion sur la validité de ces allégations. De l'avis du juge Scow, il existait une crainte raisonnable de partialité concernant M. Gordon, mais non M. Cavazzi. En conséquence, M. Cavazzi a informé la Bande que le Conseil comptait un nombre suffisant de membres9 pour entendre l'appel et que le Conseil s'inquiétait des retards. Une copie de cette lettre a été transmise à Me John Savage, avocat de l'évaluateur; à Me Howard Mickelson, avocat de Mme Huyck et de certains résidents du parc Musqueam; à Me Gordon Funt, avocat de Mme et M. Lyman et de certains résidents du parc Salish; au chef et au conseil de la Bande et aux membres du Conseil.

[8]          Le 12 février 1998, Me Fast a écrit à Me Funt, à Me Savage et à Me Mickelson pour les informer que, à la suite de la récusation de deux membres au moment de l'audition de janvier, la Bande procéderait à de nouvelles nominations au Conseil. Le 17 février 1998, Me Fast a écrit au Conseil pour l'informer que deux nouveaux membres du Conseil (Me Donald Brothers et Me Carol Roberts) avaient été nommés. Le 19 février 1998, il a écrit à nouveau au Conseil et remercié MM. Gordon et Cavazzi d'avoir renoncé à siéger lors de l'audience du mois de janvier10. Il a aussi précisé que la nomination des deux nouveaux membres avait réglé la question de la fixation de la date des audiences11. Le 20 février 1998, Me Fast a envoyé une autre lettre au Conseil indiquant que le Conseil avait [Traduction] « un tribunal de quatre membres12 compétents pour entendre les appels en instance » . Des copies de ni l'une ni l'autre de ces lettres n'ont été envoyées aux demandeurs.

[9]          Le 19 février 1998, Me Mickelson a écrit à la Bande pour demander qui était responsable d'organiser l'audition - c'est-à-dire, la Bande ou M. Cavazzi. Sur ce point, Me Mickelson se reportait à la lettre rédigée le 10 février par M. Cavazzi, selon laquelle le Conseil comptait suffisamment de membres pour entendre l'appel et à la lettre rédigée par Me Fast le 12 février, indiquant que la Bande procéderait à de nouvelles nominations à la suite des deux récusations.

[10]          Le 23 février 1998, le Conseil s'est réuni et les membres présents à la réunion du Conseil, soit le juge Scow, M. Cavazzi, M. Gordon, et M. Clark, ont démissionné. Les nouveaux membres nommés, savoir Me Don Brothers et Me Carol Roberts, n'ont pas assisté à cette réunion et n'ont pas démissionné13.

[11]          Les personnes suivantes ont été nommées au Conseil le 23 mars 1998 : M. David Sparks, M. Fred Cunningham, M. Laurent Rivard, M. Michael James O'Connor, Mme Cheryl Lynn Adams, M. Rob Fraser et M. Leon Getz.

[12]          Le 2 avril 1998, le Conseil s'est réuni et a choisi un nouveau tribunal. Me Brothers, en sa qualité de président du Conseil, a laissé entendre qu'il devrait faire partie du tribunal. Les membres du Conseil ont alors convenu que le deuxième membre du tribunal devrait être un avocat et Me Roberts a été nommée. Quant à la troisième personne qui devrait siéger, MM. Fraser et Rivard ont tous les deux offert leurs services, selon la date de l'audition.

[13]          Un nouveau tribunal, composé de Me Brothers, Me Roberts et M. Larry Rivard s'est réuni le 11 mai 1998 . L'audition a duré six jours (du 11 au 14 mai 1998 et les 10 et 11 juin 1998). La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision rendue par ce tribunal le 6 juillet 1998. Les demandeurs ont aussi interjeté appel de cette décision par voie d'exposé de cause devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique; cet appel a été déposé le 21 août 1998 et a été ajourné jusqu'à l'issue de la présente demande de contrôle judiciaire.

[14]          Avant et après l'audition du mois de mai 1998, les demandeurs ont demandé à maintes reprises des renseignements à la Bande concernant la raison de la démission du juge Scow et de MM. Cavazzi, Gordon et Clark. La Bande n'a jamais répondu. En septembre 1998, les demandeurs ont alors demandé ces renseignements à M. Cavazzi, qui leur a fourni les documents le 24 novembre 1998. Ceux-ci incluaient l'opinion du juge Scow, selon laquelle une crainte de partialité était possible concernant M. Gordon, mais non M. Cavazzi. Ils comprenaient aussi de la correspondance adressée par l'avocat de la Bande au Conseil et dont copie n'a pas été envoyée aux demandeurs14, ainsi que des documents concernant une conversation survenue entre l'avocat de la Bande et le Conseil, avant l'audition du mois de janvier 1998, relativement à la nomination de M. Gordon. De plus, ces documents démontraient que le Conseil s'était réuni le 23 février 1998 et avait décidé que son indépendance semblait mise en doute. En conséquence, le juge Scow et MM. Gordon, Cavazzi et Clark ont démissionné.

[15]          Avant d'exposer les arguments des parties, j'estime utile d'inclure une chronologie détaillée des événements survenus après l'ajournement de l'audition initiale afin de faciliter la compréhension des positions respectives des parties.

    

Chronologie des événements

-      14 janvier 1998 : l'audition est ajournée à la suite d'objections soulevées par l'évaluateur et par la Bande concernant une possibilité de crainte raisonnable de partialité de la part de M. Gordon et de M. Cavazzi.

-      26 janvier 1998 : Me Mickelson écrit à Me Harvey pour lui indiquer que, conformément à la discussion entre les avocats selon laquelle une « recommandation conjointe » devrait être faite à la Bande pour la nomination d'un autre membre du Conseil, lui et Me Savage aimeraient recommander Me Roberts. Il demande à Me Harvey de recommander Me Roberts à la Bande immédiatement, de façon qu'elle puisse être nommée au Conseil. Enfin, il dit : [Traduction] « Lorsqu'elle sera nommée, nous pourrons fixer une date rapprochée pour l'audition. »

-      30 janvier 1998 : Me Mickelson écrit au Conseil et demande que l'affaire soit traitée le plus rapidement possible. Il mentionne également qu'il a écrit aux avocats de la Bande le 26 janvier 1998 et recommandé la nomination de Me Roberts au Conseil. Enfin, il demande qu'un troisième membre du Conseil soit nommé le plus vite possible pour que l'affaire puisse être traitée au plus tôt.

-      10 février 1998 : M. Cavazzi, au nom du Conseil, écrit à la Bande (à l'attention de l'avocat général, Me Fast), et relate les faits suivants : le Conseil [Traduction] « se trouve dans une situation assez étrange. Les membres du Conseil sont nommés par la Bande indienne de Musqueam, qui est l'un des appelants en l'espèce » ; le Conseil [Traduction] « estimait important de veiller à ce que toutes les autres parties à l'appel disposent des mêmes renseignements que la Bande concernant les membres du Conseil ... » ; le juge Scow avait fait enquête sur les allégations de crainte raisonnable de partialité et indiqué qu'il existait une crainte raisonnable de partialité de la part de M. Gordon, mais non de celle de M. Cavazzi; et le Conseil [Traduction] « compte toujours suffisamment de membres pour entendre l'appel conformément au règlement administratif et il est prêt à fixer la date des audiences pour régler l'affaire. » Une copie de cette lettre est transmise aux avocats des demandeurs, à l'évaluateur, au chef et au conseil de la Bande et aux membres du Conseil. (Cette lettre est également expédiée séparément à Me Funt).

-      12 février 1998 : Me Fast écrit à Mes Funt, Savage et Mickelson et leur dit : [Traduction] « Comme vous le savez, deux membres du Conseil d'examen de Musqueam, qui siégeaient comme membres du tribunal, se sont récusés de l'audition de certains appels résidentiels ... » Il dit aussi que la Bande procédera bientôt à de nouvelles nominations au Conseil. Il suggère en outre que toute demande de renseignements soit adressée au Conseil.

-      17 février1998 : Me Fast, au nom de la Bande, écrit au Conseil (à l'attention de M. Cavazzi) et l'informe que deux membres additionnels (Mes Brothers et Roberts) ont été nommés au Conseil15. Il donne une brève description des antécédents et de l'expérience de ces deux membres. Il dit de plus que [Traduction] « on s'attend à ce que plusieurs membres du Conseil d'examen de la Bande indienne de Musqueam soient nommés membres des conseils d'examen d'autres premières nations, et vice versa. Les modalités de ces nominations réciproques font l'objet de négociations. » Une copie de cette lettre a été envoyée au Conseil d'examen (comme la lettre est adressée au Conseil d'examen, je suppose que ces copies sont adressées aux autres membres du Conseil). Aucune copie de cette lettre n'a été envoyée aux demandeurs.

-      19 février 1998 : Me Fast, au nom de la Bande, écrit au Conseil (à l'attention de M. Cavazzi) et indique que la Bande s'est toujours souciée de préserver l'intégrité du Conseil et qu'elle a soulevé une objection parce qu'elle [Traduction] « n'était pas prête à prendre le risque d'une allégation, même la plus ténue, de possibilité de partialité de la part du Conseil d'examen » . Me Fast remercie aussi MM. Gordon et Cavazzi d'avoir [Traduction] « renoncé à siéger lors des audiences en cause » . Il précise que la [Traduction] « question de la fixation de la date des audiences a été résolue par la nomination de deux membres additionnels » au Conseil. Une copie de cette lettre est envoyée à tous les membres du Conseil (M. Clark, le juge Scow, M. Gordon, Me Brothers et Me Roberts). Cette fois encore, aucune copie n'est transmise aux demandeurs.

-      19 février 1998 : Me Mickelson écrit à la Bande (à l'attention de Me Fast) et indique que, compte tenu de l'opinion du juge Scow selon laquelle M. Cavazzi peut siéger comme membre du tribunal, il n'y a aucune raison pour laquelle l'audition ne pourrait pas se dérouler devant le tribunal initial ( c'est-à-dire le juge Scow, M. Clark et M. Cavazzi). Il affirme en outre qu'il [Traduction] « ne sait pas avec certitude qui est responsable d'organiser l'audition de l'affaire - vous-même ou M. Cavazzi » . (Il renvoie à l'indication fournie par M. Cavazzi le 10 février, selon laquelle le Conseil compte suffisamment de membres pour procéder, alors que la lettre de Me Fast en date du 12 février indique qu'un nouveau tribunal sera constitué.) Une copie de cette lettre est envoyée à M. Cavazzi et à Mes Savage, Funt et Harvey.

-      20 février 1998 : Me Fast, au nom de la Bande, écrit à M. Cavazzi, au juge Scow, à Me Roberts, à Me Brothers, à M. Clark et à M. Gordon, pour leur dire que le Conseil [Traduction] « a un tribunal de quatre membres compétents pour entendre les appels en instance » . Il affirme aussi que [Traduction] « À ce que nous (la Bande) comprenons, les quatre membres du tribunal actuel se rencontrerons d'abord pour élire un président qui s'occupera des questions administratives liées aux appels, puis fixera la date des audiences et entendra les appels. » Aucune copie de cette lettre n'a été envoyée à qui que ce soit.

-      20 février 1998 : Me Savage écrit à Me Funt pour [Traduction] « exprimer [son] inquiétude relativement à l'échange de correspondance entre Me Mickelson , M. Cavazzi et, maintenant, Me Fast. » Il dit qu'un membre du tribunal qui s'est récusé n'a pas le pouvoir de se déclarer à nouveau compétent (il fait allusion à la suggestion de Me Mickelson selon laquelle le tribunal initial peut entendre l'appel). Il laisse aussi entendre que le président aurait dû soulever cette question plus tôt et que [Traduction] « si quelqu'un est fautif à cet égard, ce n'est certainement pas la Bande. » Une copie de cette lettre est envoyée à Mes Mickelson et Fast et au juge Scow.

-      23 février 1998 : Procès-verbal d'une réunion du Conseil à laquelle quatre membres ont assisté (le juge Scow, M. Clark, M. Gordon et M. Cavazzi). Le procès-verbal démontre que le Conseil n'a pas été consulté avant la nomination des deux nouveaux membres du Conseil (Mes Brothers et Roberts). Le procès-verbal révèle aussi que [Traduction] « l'avocat de la Bande a indiqué que seulement quatre membres du nouveau Conseil, élargi depuis peu, étaient aptes à entendre les appels des évaluations en instance et des inquiétudes ont été exprimées quant à l'apparence d'ingérence dans l'administration du Conseil. » De plus, le procès-verbal constate que le Conseil croit, à l'unanimité, que la correspondance envoyée par Me Fast après l'ajournement de l'audition n'a pas favorisé le traitement rapide de l'affaire. Enfin, le procès-verbal dit ce qui suit : [Traduction] « En regard des événements survenus, tous les membres ont indiqué qu'ils ne se sentaient plus à l'aise de participer au Conseil, car il semble qu'il ne bénéficie plus de l'appui de la Bande et son indépendance semble mise en doute. Toutes les personnes présentes ont manifesté leur intention de remettre séparément leur démission au chef et au conseil de la Bande. »

-      27 février 1998 : Me Funt répond à la lettre de Me Savage en date du 20 février. Il conteste l'affirmation de Me Savage portant que la Bande n'est pas fautive et souligne que la Bande connaissait les antécédents de M. Gordon et l'a quand même nommé. Par conséquent, la Bande est responsable du fait que l'audition n'a pas pu être tenue. Me Funt dit en outre que [Traduction] « la Bande doit maintenant fournir une explication complète et honnête. Autrement, il faudra conclure que le processus d'audition comporte un vice fondamental. Une explication complète de la part de la Bande à cette étape permettrait de calmer les craintes de beaucoup de nos clients et de limiter le tort causé à la réputation de la Bande par les événements qui précèdent. » Une copie de cette lettre est envoyée au juge Scow et à Mes Harvey, Fast et Mickelson .

-      25 février, 3 mars et 4 mars 1998 : Le juge Scow, M. Gordon, M. Clark et M. Cavazzi envoient leurs lettres de démission au chef Sparrow. Ces lettres de démission, à l'exception de celle de M. Cavazzi, ne fournissent aucun motif explicite pour expliquer la démission des membres. Toutefois, la lettre de M. Cavazzi passe en revue les événements des derniers mois (décrits ci-dessus) et dit : [Traduction] « Le 17 février 1998, l'avocat de la Bande nous a informés que deux nouvelles personnes avaient été nommées au Conseil, sans que qui que ce soit ait été consulté. Ensuite, on nous a suggéré à quels membres du Conseil nous devrions songer pour la tenue de l'audition ajournée. Ces faits sont troublants, étant donné que la Bande est aussi partie appelante à l'audition. Les événements des derniers mois ont été perturbateurs. La nomination et le rejet d'un membre du Conseil dans l'espace d'une semaine, le rejet apparent des conclusions du juge Scow concernant la crainte raisonnable de partialité, sans la tenue d'une audition, et la suggestion des membres du Conseil qui seraient acceptables au sein du tribunal chargé d'une audition soulèvent des doutes quant à la capacité du Conseil de fonctionner de façon impartiale. »

-      6 mars 1998 : Me Fast adresse une lettre à Me Funt pour lui expliquer pourquoi les deux membres se sont récusés et exprimer sa confiance envers le Conseil. Une copie de cette lettre est envoyée au juge Scow et à Mes Savage et Mickelson .

-      12 mars 1998 : Me Funt adresse une lettre à Me Fast pour réitérer sa demande d'explication du rôle de la Bande (aussi exprimée dans la lettre du 27 février adressée à Me Savage). Me Funt précise que [Traduction] « le défaut de fournir une explication [...] ne servira qu'à exacerber les craintes de beaucoup de nos clients. » Une copie de cette lettre est envoyée au juge Scow et à Mes Harvey, Mickelson et Savage.

-      13 mars 1998 : Me Mickelson adresse une lettre à la Bande (à l'attention de Me Fast) pour lui dire qu'il n'avait pas été avisé par Me Fast ni par la Bande que M. Gordon siégerait au sein du tribunal en janvier et, en fait, qu'il était membre du tribunal. Il a aussi affirmé : [Traduction] « Enfin, je me demandais si vous donneriez avis des démissions de MM. Clark, Gordon et Cavazzi et du juge Scow du Conseil d'examen de la Bande indienne de Musqueam et quand vous le feriez. J'aimerais aussi connaître la date de leur démission. » Une copie de cette lettre a été envoyée au juge Scow et à Mes Harvey, Savage et Funt.

-      26 mars 1998 : Me Fast écrit à Me Brothers pour l'informer de plusieurs nouvelles nominations au Conseil. Il ajoute : [Traduction] « Bien qu'un nombre relativement élevé de personnes aient été nommées au Conseil d'examen, il serait probablement plus efficace que la majorité des appels soient entendus par un noyau plus restreint de personnes. Le choix du tribunal chargé d'entendre un appel donné relève, bien sûr, entièrement du pouvoir discrétionnaire du Conseil d'examen. Compte tenu du nombre de membres du Conseil disponibles, il devrait être relativement simple de constituer un tribunal pour l'audition de tout appel en particulier. »

-      2 avril 1998 : Le Conseil se réunit et élit le tribunal chargé d'entendre l'affaire.

-      7 avril 1998 : Me Brothers, au nom du Conseil, écrit aux avocats des demandeurs pour les informer que le Conseil s'est réuni le 2 avril et a choisi un tribunal chargé d'entendre l'affaire. Ce tribunal est composé de Me Brothers, qui le préside, de Me Roberts, co-présidente et de l'un ou l'autre de deux autres membres, selon leur disponibilité. Cette lettre mentionne aussi les démissions des membres du tribunal précédent et la nomination des nouveaux membres.

-      16 avril 1998 : Me Mickelson écrit à Me Harvey. Il précise qu'il adresse sa lettre à Me Harvey en sa qualité d'avocat de la Bande et qu'il estime qu'il conviendrait davantage, dans les circonstances, que les questions soulevées dans la lettre soient traitées par Me Harvey plutôt que par Me Fast. Il précise aussi, notamment, qu'il a confiance dans le nouveau tribunal, mais qu'il serait néanmoins important que [Traduction] « justice paraisse être rendue de façon que, peu importe la décision rendue par le Conseil, elle soit valable quant au fond et ne puisse être perçue comme entachée d'un conflit ou de partialité. » En conséquence, il suggère qu'une réunion regroupant les avocats des demandeurs, Me Harvey et le chef de la Bande soit convoquée pour l'examen de trois questions : premièrement, les motifs et la date des démissions; deuxièmement, le processus utilisé pour nommer les nouveaux membres du Conseil; troisièmement, le processus utilisé pour constituer le nouveau tribunal16. Une copie de cette lettre est envoyée à Me Funt.

-      11 mai 1998 : L'audition débute.

-      6 juillet 1998 : le nouveau tribunal du Conseil rend sa décision.

-      21 août 1998 : Les demandeurs déposent leur exposé de cause devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique.

-      11 septembre 1998 : Me Funt adresse une lettre à Me Brothers pour l'informer que lui et Me Mickelson organiseront une assemblée générale de leurs clients pour discuter de l'intégrité du processus d'évaluation. Il indique que l'assemblée étudiera trois problèmes : la nomination des nouveaux membres, la démission du tribunal précédent et les discours de Me Brothers aux conférences des Premières nations concernant l'évaluation des immeubles.                             

-      15 septembre 1998 : Me Brothers adresse une lettre à Me Funt pour lui expliquer le processus de nomination. Il mentionne le moment des nominations, inclut des extraits de sa correspondance avec Me Fast et fournit une copie du procès-verbal de la réunion du Conseil tenue le 2 avril 1998 afin de calmer les craintes de Me Funt. Me Brothers affirme en outre ne pas connaître le motif de la démission du tribunal précédent et précise que toute question à ce sujet doit être adressée à M. Cavazzi. De plus, il répond aux inquiétudes de Me Funt concernant ses discours et inclut les causes auxquelles il a participé.

-      22 septembre 1998 : Me Funt adresse une lettre à M. Cavazzi pour lui demander tous les documents pertinents aux démissions.

        

-      29 septembre 1998 : M. Cavazzi adresse une lettre à Me Mickelson pour lui dire qu'il ne s'oppose à la communication d'aucun renseignement concernant les démissions. Toutefois, il suggère que Me Mickelson demande d'abord ces documents directement à la Bande.

-      2 octobre 1998 : Me Funt adresse une lettre à Me Harvey pour lui demander les documents relatifs aux démissions.

-      16 novembre 1998 : Me Mickelson adresse une lettre à Me Harvey et lui répète la demande formulée par Me Funt en vue d'obtenir les documents et lui souligne que ni lui ni Me Funt n'ont reçu une réponse.

-      23 novembre 1998 : Me Mickelson adresse une lettre à M. Cavazzi pour lui expliquer qu'ils ont tenté d'obtenir les documents de la Bande, mais que la Bande n'a jamais répondu à cette demande. En conséquence, Me Mickelson demande à M. Cavazzi de fournir ces documents.

-      24 novembre 1998 : M. Cavazzi fournit les documents aux avocats des demandeurs.

-      8 décembre 1998 : Me Funt adresse une lettre à Me Harvey, dans laquelle il se reporte aux nouveaux renseignements obtenus relativement aux démissions et exprime ses inquiétudes. Il dit, notamment, que la procédure a été [Traduction] « contaminée » par les actes du Conseil, et il demande à la Bande de payer les frais de représentation et que l'affaire soit entendue à nouveau par un tribunal dont les membres sont approuvés par la Cour fédérale, par la Cour suprême de la Colombie-Britannique ou par lui et par Me Mickelson. Il précise aussi qu'à défaut de recevoir une réponse de Me Harvey dans le délai fixé, il introduira une instance devant la Cour fédérale.

-      11 janvier 1999 : Les demandeurs introduisent une instance devant la Cour fédérale.

Les arguments des demandeurs

[16]          Les demandeurs soutiennent que les documents qu'ils ont obtenus de M. Cavazzi révèlent plusieurs événements qui sont survenus à leur insu et que ces événements engendrent une crainte raisonnable de partialité pour les raisons suivantes :

     1.      L'avocat de la Bande, Me Fast, connaissait les antécédents des membres du tribunal avant l'audition du mois de janvier et avait approuvé ce tribunal.
     2.      Me Fast a communiqué directement avec le Conseil, sans envoyer de copie de ses lettres aux demandeurs. Dans sa correspondance, Me Fast précisait que la Bande avait nommé deux nouveaux membres du Conseil pour résoudre la question de la fixation de la date des audiences. De l'avis des demandeurs, cette lettre passe outre l'opinion du juge Scow selon laquelle une crainte raisonnable de partialité de la part de M. Cavazzi est impossible.
     3.      Le fait que deux nouveaux membres ont été nommés au Conseil avant la démission des membres initiaux. De l'avis des demandeurs, dans la mesure où le Conseil avait indiqué qu'il comptait suffisamment de membres pour entendre l'appel, la décision de la Bande de procéder à ces nominations rejetait essentiellement l'opinion du juge Scow concernant la crainte raisonnable de partialité.
     4.      L'incitatif financier que constitue pour la Bande les [Traduction] « nominations réciproques éventuelles » des membres du Conseil à d'autres conseils autochtones; cet élément renvoie à la lettre adressée par Me Fast au Conseil le 17 février 1998.
     5.      L'affirmation faite par M. Cavazzi dans sa lettre de démission portant que la Bande [Traduction] « nous a suggéré [au Conseil], à quels membres du Conseil nous devrions songer pour la tenue de l'audition ajournée. »
     6.      L'affirmation faite par M. Cavazzi dans sa lettre de démission portant que les événements des derniers mois ont été [Traduction] « perturbateurs » compte tenu de la nomination et du rejet d'un membre du Conseil dans l'espace d'une semaine et du « rejet apparent » des conclusions du juge Scow, [Traduction] « sans la tenue d'une audition » .
     7.      L'inquiétude exprimée à la réunion du Conseil tenue le 23 février 1998, [Traduction] « quant à l'apparence d'ingérence dans l'administration du Conseil » (procès-verbal).
     8.      La crainte unanime des membres du tribunal initial du Conseil que la correspondance envoyée par Me Fast après l'ajournement de l'audience de janvier n'ait pas [Traduction] « favorisé la reprise de l'audition et le règlement de l'appel » (procès-verbal).
     9.      Le fait que tous les anciens membres du Conseil ont dit qu'ils [Traduction] « ne se sentaient plus à l'aise de participer au Conseil, car il semble qu'il ne bénéficie plus de l'appui de la Bande et son indépendance semble mise en doute » (procès-verbal).
     10.      Le fait que Me Brothers n'a pas divulgué l'information relative aux éléments suivants : le moment de sa nomination et de la nomination de Me Roberts; le rôle qu'il a joué en donnant son avis sur la nomination du troisième membre du tribunal (M. Rivard); les motifs de la démission du tribunal précédent; le refus de la Bande d'accepter l'opinion du juge Scow; enfin, l'affirmation de la Bande selon laquelle la question de la fixation de la date des audiences serait résolue avec la nomination de deux nouveaux membres.
     11.      La non-divulgation par la Bande de l'information relative aux éléments suivants : la nomination des deux nouveaux membres, la démission du tribunal précédent, le refus de la Bande d'accepter l'opinion du juge Scow, la promesse de nominations réciproques éventuelles des membres du Conseil à d'autres conseils.

[17]          Les demandeurs soutiennent qu'il existe une crainte raisonnable de partialité de la part du tribunal du Conseil qui a entendu l'affaire et relativement à l'indépendance de ce tribunal; ils soulignent que la démission du tribunal initial constitue une preuve de cette partialité. Les demandeurs font valoir que la Bande n'aurait pas dû s'abstenir de divulguer l'information relative aux démissions aux demandeurs. De plus, les demandeurs affirment que le nouveau président n'a jamais répondu aux problèmes soulevés par les demandeurs concernant l'intégrité du processus, alors qu'il était au courant des événements survenus avant sa nomination. En effet, les demandeurs soutiennent que [Traduction] « l'ingérence directe de la Bande dans les pouvoirs administratifs et décisionnels du Conseil précédent et le fait qu'elle a caché par la suite les motifs de la démission du Conseil précédent portent un coup fatal à la procédure qui s'est poursuivie devant le nouveau tribunal chargé d'entendre la cause type, sans égard à la bonne foi des membres de ce dernier. »

Les arguments de la Bande

[18]          La Bande fait valoir qu'au début de l'audition devant le nouveau tribunal, on a demandé aux parties si elles avaient des inquiétudes concernant des conflits d'intérêts et toutes les parties ont déclaré faire confiance au nouveau tribunal du Conseil et accepté de procéder à l'audition. En effet, la Bande affirme que les avocats des demandeurs on dit, et la transcription l'atteste : [Traduction] « Je n'ai expressément aucune objection et je n'ai aucune inquiétude quant à l'exercice par le Conseil de ses fonctions de façon indépendante et impartiale. » Les avocats des demandeurs ont aussi reconnu que [Traduction] « ce qui est passé est passé » . Par conséquent, la Bande fait valoir que la question de l'indépendance et de l'impartialité du nouveau tribunal ne se pose pas; les allégations de partialité formulées par les demandeurs s'articulent plutôt exclusivement autour du tribunal initial et des démissions qui en ont résulté.

[19]          En ce qui a trait à la question de l'indépendance, la Bande soutient que le Conseil est indépendant de la Bande.

[20]          En ce qui concerne la crainte raisonnable de partialité, la Bande affirme que l'unique élément dont les demandeurs peuvent effectivement se plaindre est le refus de l'avocat de la Bande d'accepter l'opinion du juge Scow, selon laquelle la présence de M. Cavazzi au Conseil ne pouvait pas engendrer de crainte raisonnable de partialité.

[21]          La Bande fait valoir que Me Fast n'a pas agi de façon irrégulière. Me Fast déclare dans son affidavit signé le 16 mars 1999 qu'il avait l'intention d'envoyer une copie de ces lettres du 19 et du 20 février à tous les avocats inscrits au dossier, mais que cela n'a pas été fait en raison d'une erreur administrative et de l'arrivée d'une nouvelle secrétaire à son bureau. Il a aussi dit ne pas avoir eu d'autre contact avec M. Cavazzi, hormis ces deux lettres, jusqu'à sa démission le 3 mars 199817.

[22]          La bande plaide aussi que le Conseil a commis une erreur en sollicitant l'opinion du juge Scow et qu'un membre du tribunal ne pouvait se prononcer sur l'impartialité ou la partialité des autres membres du tribunal. De plus, Me Fast souligne, dans son affidavit, au paragraphe 29, qu'en raison d'une erreur administrative de son bureau, ce n'est que le 19 février, à l'occasion d'une conversation avec Me Savage qu'il a pris connaissance de la lettre de M. Cavazzi en date du 10 février, informant les parties de l'opinion du juge Scow. Me Fast atteste que lui et Me Savage s'entendaient pour dire qu'il était irrégulier de la part de M. Cavazzi de se « déclarer à nouveau compétent » pour siéger au sein du tribunal après s'être récusé. Au paragraphe 30 de son affidavit, Me Fast affirme :

[Traduction] À la suite de ma conversation avec Me Savage, le 19 février 1998, j'ai écrit au Conseil d'examen pour tenter de lui faire comprendre, de façon diplomatique, qu'un membre du Conseil ne peut plus revenir sur sa décision après s'être récusé. J'estimais qu'une approche plus modérée, moins directe, convenait parce que je ne voulais pas créer de tension entre la Bande de Musqueam et le Conseil d'examen. J'ai écrit cette lettre en sachant que Me Savage exprimerait la même opinion au nom de la British Columbia Assessment Authority, bien qu'il soit probable qu'il adopterait une approche plus directe.

En conséquence, lui et Me Savage ont convenu que la façon de procéder qui convenait était que le Conseil constitue un tribunal avec les quatre membres restants du Conseil (affidavit de Me Fast, par. 28) - c'est-à-dire le juge Scow, M. Clark, Me Roberts et Me Brothers.

[23]          De plus, la Bande soutient que tout manquement du Conseil en ce qui concerne la partialité a été corrigé avec la constitution du nouveau tribunal. Par conséquent, la Bande conteste la prétention des demandeurs que la « contamination » des démissions précédentes s'est propagée au nouveau tribunal car cela signifierait que le Conseil est entaché de façon permanente en raison d'un incident passé. De plus, la Bande fait valoir qu'un nouveau tribunal n'a pas le fardeau de faire enquête sur les démissions passées. Bref, la Bande plaide que les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau d'établir un fondement valable à une crainte raisonnable de partialité et avance que la position des demandeurs s'appuie seulement sur des soupçons.

[24]          Par ailleurs, la Bande affirme que la Cour devrait rejeter la demande de contrôle judiciaire parce qu'il existe un autre recours (le droit d'appel légal devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique prévu par le règlement administratif) et que les demandeurs explorent déjà cette voie (leur appel devait être entendu en janvier 1999, mais l'audition a été ajournée en attendant l'issue de la présente instance). Enfin, la Bande soutient que la Cour n'a pas compétence pour adjuger les dépens et, subsidiairement, que la Cour ne doit pas accorder de dépens spéciaux aux demandeurs.

Les arguments de l'évaluateur

[25]          L'évaluateur de la Bande (l'évaluateur) soutient que la structure du Conseil n'engendrerait pas une crainte de partialité chez une personne raisonnable. De plus, l'évaluateur fait valoir que le tribunal initial a agi régulièrement en démissionnant lorsqu'il a cru qu'une possibilité de partialité pouvait exister. L'évaluateur conteste en outre l'allégation portant que la Bande a influencé le tribunal initial du Conseil et plaide que, même si la Bande a vicié le tribunal initial du Conseil, il n'en résulte pas de crainte de partialité de la part du nouveau tribunal. De l'avis de l'évaluateur, le deuxième tribunal a été constitué régulièrement et il est indépendant et impartial; il souligne les parties de la transcription où les parties le reconnaissent. Par ailleurs, en ce qui concerne le fait que le nouveau président était au courant des démissions antérieures, l'évaluateur le juge non pertinent relativement à la question de la partialité. L'évaluateur souligne aussi que le nouveau président a demandé aux parties si elles voulaient soulever une question de conflit d'intérêts et que Me Mickelson , l'avocat de certains demandeurs, a expressément dit ne pas avoir de doutes sur l'indépendance et l'impartialité du nouveau tribunal. En résumé, l'évaluateur soutient qu'il n'existe aucune preuve à l'appui des allégations des demandeurs selon lesquelles il existe une crainte raisonnable de partialité. Enfin, l'évaluateur demande à la Cour de rejeter la demande de contrôle judiciaire non seulement sur le fond, mais aussi parce que les demandeurs disposent d'un autre recours (l'appel devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique), qu'ils exercent concurremment.

Les arguments de l'intervenant

[26]          Le Conseil intervenant soutient qu'aucune preuve n'étaye les prétentions des demandeurs et que la preuve des demandeurs s'appuie uniquement sur des soupçons. De l'avis de l'intervenant, il n'existe aucune preuve de crainte raisonnable de partialité relativement au nouveau tribunal et, qui plus est, aucune source n'appuie la proposition des demandeurs selon laquelle la conduite de l'ancien tribunal éclabousse le nouveau tribunal, dont la conduite est exemplaire. Plus précisément, le Conseil soutient qu'il n'existe aucune preuve démontrant que le nouveau président a refusé de tenir compte des préoccupations des demandeurs quant à l'intégrité du processus et, en fait, renvoie à des parties de la transcription où on a demandé directement aux parties si elles avaient de telles préoccupations et où l'avocat des demandeurs déclare n'entretenir aucun doute quant à l'indépendance et à l'impartialité du Conseil. Le Conseil souligne aussi que l'exposé de cause, déposé le 21 août 1998, ne fait pas allusion à la partialité.

L'existence d'une autre juridiction appropriée

[27]          Il est clair que la Cour peut refuser d'entreprendre la procédure de contrôle judiciaire lorsqu'il existe une autre juridiction appropriée ou lorsque les parties n'ont pas épuisé leurs recours18. Il n'est pas nécessaire que l'autre juridiction soit plus indiquée, mais seulement qu'elle offre un autre recours approprié. Par exemple, dans Mackie, précité, la Cour a jugé que la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles constituait une autre juridiction appropriée. Selon la jurisprudence, il n'existerait pas d'autre juridiction appropriée notamment dans les situations suivantes : la juridiction n'a pas compétence pour trancher la question en litige19; la juridiction n'est pas suffisamment indépendante20; il existe une crainte raisonnable de partialité de la part de cette juridiction21.

[28]          En l'espèce, la Bande et l'évaluateur ont soulevé la question de l'autre juridiction appropriée à titre préliminaire et soutiennent que la Cour ne devrait pas entreprendre la procédure de contrôle judiciaire parce que les demandeurs peuvent s'adresser à une autre juridiction appropriée, savoir la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Les demandeurs ont déposé un exposé de cause devant la Cour de la Colombie-Britannique le 21 août 1998, en vertu du paragraphe 80(2) du règlement administratif qui permet à une partie visée par une décision du Conseil de [Traduction] « demander au Conseil de soumettre une affaire à un tribunal compétent pour obtenir son avis sur une question de droit seulement ... »

[29]          Les demandeurs soutiennent qu'une conclusion de crainte raisonnable de partialité n'est pas une question de droit pure, mais une question mixte de fait et de droit et, en conséquence, qu'ils ne pouvaient pas présenter un exposé de cause relativement à cette question particulière.

[30]          Dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam, [1997] 1 R.C.S. 748, aux pages 766 et 767, le juge Iacobucci a établi une distinction entre une question de droit et une question mixte de fait et de droit dans les termes suivants :

     En résumé, les questions de droit concernent la détermination du critère juridique applicable; les questions de fait portent sur ce qui s'est réellement passé entre les parties; et, enfin, les questions de droit et de fait consistent à déterminer si les faits satisfont au critère juridique. Un exemple simple permettra d'illustrer ces concepts. En droit de la responsabilité civile délictuelle, la question de savoir en quoi consiste la « négligence » est une question de droit. Celle de savoir si le défendeur a fait ceci ou cela est une question de fait. Une fois qu'il a été décidé que la norme applicable est la négligence, la question de savoir si le défendeur a respecté la norme de diligence appropriée est une question de droit et de fait.

[31]          Si l'on applique ce critère à la présente espèce, une question de droit concernerait la détermination du critère juridique à appliquer en matière de crainte raisonnable de partialité, alors qu'une question de droit et de fait consisterait à déterminer si les faits de l'espèce satisfont au critère juridique. Selon cette analyse, il est clair que la Cour suprême de la Colombie-Britannique ne devrait pas déterminer seulement quel est le critère applicable en matière de crainte raisonnable de partialité22, mais si la situation factuelle en cause engendre une crainte raisonnable de partialité. Comme il s'agit d'une question mixte de fait et de droit, la Cour de la Colombie-Britannique n'aurait pas compétence pour trancher cette question en vertu du règlement administratif qui limite son pouvoir aux questions de droit. En conséquence, je suis d'avis que la Cour suprême de la Colombie-Britannique n'est pas une autre juridiction appropriée et j'exercerai donc mon pouvoir discrétionnaire d'entreprendre la procédure de contrôle judiciaire.

Les principes jurisprudentiels applicables en matière de crainte raisonnable de partialité

Le crainte raisonnable de partialité

[32]          Dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, le juge de Grandpré a formulé le critère applicable en matière de crainte raisonnable de partialité dans les termes suivants :

     ...la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » .

[33]          La Cour suprême a ajouté que les motifs de la crainte ne peuvent relever de la simple conjecture, mais doivent être sérieux. La Cour a de plus statué que l'examen de la question de savoir s'il existe une crainte raisonnable de partialité doit être plus souple dans le contexte d'un tribunal administratif.

L'indépendance judiciaire -- Tobiass

[34]          Il est clair qu'il existe une crainte raisonnable de partialité lorsque l'indépendance judiciaire est compromise. La Cour suprême du Canada a expliqué ainsi le critère applicable en matière d'indépendance judiciaire dans l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, aux paragraphes 70 et 71 (Tobiass) : « Le critère qui permet de déterminer si l'impression d'indépendance que doit donner le pouvoir judiciaire a été maintenue est un critère objectif. Il s'agit de savoir si un observateur bien informé et raisonnable conclurait que l'indépendance du pouvoir judiciaire a été compromise. » . Pour la Cour, l' « essence de l'indépendance judiciaire est le fait d'être libre de toute ingérence extérieure. »

[35]          Les faits en cause dans l'affaire Tobiass présentent certaines similitudes avec ceux dont la Cour est saisie en l'espèce et peuvent contribuer à éclaircir certaines questions en litige. Dans Tobiass, un sous-ministre adjoint du ministère de la Justice avait rencontré le juge en chef, en l'absence des avocats des parties, et lui avait demandé que l'affaire soit traitée le plus rapidement possible. Ce qui était dans l'intérêt de cette partie. Le juge en chef a ensuite parlé au juge en chef associé chargé de l'affaire et ils se sont engagés à procéder avec célérité. La Cour suprême a jugé cette façon de faire irrégulière parce qu' « une règle de conduite générale veut que l'avocat d'une partie ne discute pas d'une affaire donnée avec le juge sauf si les avocats des autres parties sont au courant et de préférence, participent à la discussion » (par. 74). Une crainte raisonnable de partialité existe évidemment aussi lorsque le décideur subit l'influence d'une partie. Par exemple, dans Tobiass, la Cour a jugé que la partie avait influencé le juge pour que l'affaire soit traitée rapidement, résultat qui favorisait cette partie.

L'indépendance judiciaire et le « choix » du juge - MacBain

[36]          Une crainte raisonnable de partialité existe en outre lorsqu'une partie choisit son propre juge. Cela s'est produit dans l'affaire MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856 (C.A.F.), où la Commission canadienne des droits de la personne a fait enquête et engagé une procédure dans un dossier, puis a nommé les membres du tribunal qui ont entendu l'affaire. La Cour d'appel fédérale a statué qu' « [u]ne telle façon de procéder viole le principe voulant que nul ne soit juge en sa propre cause, puisqu'on ne peut dire qu'il y ait une différence significative entre être son propre juge et choisir les juges dans sa propre cause. Par conséquent, cette manière de procéder est, en soi, irrégulière; elle suscite une crainte raisonnable de partialité, violant par là les principes de justice naturelle. » (p. 867). Comme l'a souligné le juge Heald, le lien entre le poursuivant (la Commission) et le décideur (le Tribunal) :

     permet de redouter une influence ou une dépendance quelconques. Après avoir étudié une affaire et décidé que la plainte était fondée, le « poursuivant » choisit le tribunal qui entendra la cause. Mon opinion est que même si la Loi exigeait seulement que la Commission décide si la preuve est suffisante pour justifier la constitution d'un tribunal, il existerait encore une crainte raisonnable de partialité (p. 869).

[37]          Mon interprétation de cette décision comporte deux volets : premièrement, les parties ne peuvent pas « choisir » leurs juges; cela n'est pas contesté. Deuxièmement, et cela me paraît moins évident, la conclusion tirée par la Cour qu'il existe une crainte raisonnable de partialité semble fondée sur le fait que la Commission, avant de nommer un tribunal pour entendre l'affaire, détermine si l'allégation de discrimination est bien fondée. De l'avis de la Cour, lorsque la Commission choisit les membres du tribunal après avoir décidé que la plainte est bien fondée, cela « revient à faire justifier après coup, par des juges qu'elle a elle-même choisis, une décision qu'elle a déjà prise » (p. 874). Par conséquent, la Cour d'appel a statué que la disposition qui permettait à la Commission de nommer un tribunal était inopérante.

[38]          La jurisprudence ultérieure de la Cour d'appel fédérale a clarifié que l'arrêt MacBain ne signifie pas qu'un organisme (p. ex. la Commission) ne peut pas nommer un autre organisme (p. ex. le Tribunal). Ainsi, dans In Re Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique Canada, [1986] 1 C.F. 103 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a statué que la décision MacBain n'a pas établi qu'il était « de manière inhérente contestable » que la Commission nomme le Tribunal, ni que de tels tribunaux établis sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne étaient nécessairement incompétents. Le juge Marceau a plutôt interprété l'arrêt MacBain comme signifiant ce qui suit : « [L]orsque en vertu de la Loi une plainte a été considérée comme fondée après enquête, le choix par la Commission elle-même du tribunal qui sera chargé de considérer la plainte peut soulever une crainte raisonnable de partialité » (p.110).

Défaut structurel inhérent et crainte de partialité -- Bande de Matsqui

[39]          La Cour suprême a étudié la question d'une structure institutionnelle comportant implicitement des défauts inhérents qui entraînent une crainte raisonnable de partialité dans l'affaire Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3. La principale question en litige dans cette affaire était celle de savoir si le juge de première instance avait exercé correctement son pouvoir discrétionnaire de ne pas entreprendre la procédure de contrôle judiciaire parce que les parties pouvaient s'adresser à une autre juridiction appropriée. La Cour a statué, à la majorité, (le juge en chef Lamer, les juges Cory, LaForest, Major et McLachlin), pour des motifs différents, que le juge de première instance n'avait pas exercé correctement son pouvoir discrétionnaire et qu'il n'existait pas d'autre juridiction appropriée. La minorité (les juges Sopinka, L'Heureux-Dubé, Gonthier et Iacobucci) a conclu que le juge de première instance avait exercé correctement son pouvoir discrétionnaire de refuser d'entreprendre le contrôle judiciaire et que le tribunal de la Bande en matière fiscale constituait une autre juridiction appropriée.

[40]          Seulement six membres de la Cour ont analysé la question de l'indépendance judiciaire, de l'impartialité et de la crainte raisonnable de partialité. Le juge en chef Lamer et le juge Cory ont conclu que l'autre juridiction (le tribunal de la Bande en matière fiscale) n'avait pas l'indépendance institutionnelle voulue et qu'elle ne constituait donc pas une juridiction appropriée, alors que les juges Sopinka, L'Heureux-Dubé, Gonthier et Iacobucci ont statué que le tribunal de la Bande était une autre juridiction appropriée et que les allégations de partialité étaient prématurées.

[41]          Quant à la question de la crainte raisonnable de partialité, le juge Sopinka approuvait la décision du juge de première instance de ne pas procéder au contrôle judiciaire et il a mentionné que, « souvent, l'indépendance institutionnelle s'apprécie par l'examen de la pratique du tribunal telle qu'elle se dégage dans le contexte d'une audience » (p.72). Le juge Sopinka a retenu le critère applicable en matière de crainte raisonnable de partialité, mais dit qu'il « remettrai[t] à un stade ultérieur l'application du critère afin que la personne raisonnable puisse avoir l'avantage de savoir comment le tribunal en question fonctionne dans les faits » (p.68). Par conséquent, contrairement au juge en chef Lamer qui a axé ses motifs sur la procédure établie par le règlement administratif pour conclure que la structure entraînait implicitement une crainte raisonnable de partialité, le juge Sopinka a refusé d'entreprendre cet examen parce que l'audition n'avait pas eu lieu et que les membres du tribunal n'avaient pas été choisis.

[42]          De l'avis du juge en chef Lamer, il n'était pas prématuré d'examiner la question de la crainte raisonnable de partialité car elle touchait la formation même du tribunal. Comme l'a souligné le juge en chef : « L'indépendance institutionnelle vise à faire en sorte qu'un tribunal soit doté d'une structure juridique qui permette que ses membres soient, dans une mesure raisonnable, indépendants des personnes auxquelles ils doivent leur nomination » (p.60, souligné dans l'original)23. Le juge en chef a conclu qu'il existait une crainte raisonnable de partialité, et ce pour trois motifs : premièrement, l'absence de garantie quant à la rémunération; deuxièmement, l'absence de garantie quant à la durée des fonctions; troisièmement, le fait que la Bande nomme le tribunal. Voici les propos tenus par le juge en chef à cet égard, à la page 58 :

     Les tribunaux, dont les membres sont nommés par les chefs et conseils de bande, se voient appelés à statuer sur un litige où les intérêts des bandes s'opposent à des intérêts étrangers (c.-à-d. ceux des intimées). Dans les faits, les membres des tribunaux ont à se prononcer relativement aux intérêts de celles-là même (les bandes) auxquelles ils doivent leur nomination.

[43]          Avant de parler davantage de la façon dont la Cour perçoit ce troisième élément, il est important de souligner que, de l'avis du juge en chef, ces trois éléments combinés ont donné naissance à une crainte raisonnable de partialité. Ainsi, il a expressément précisé qu'il ne décidait pas si l'un quelconque de ces éléments mènerait en soi à la même conclusion (p. 58)24.

[44]          Quant à la nomination du tribunal, le juge en chef a déclaré ce qui suit : le fait que la Bande choisisse les membres du tribunal contribuait à susciter une crainte d'indépendance institutionnelle insuffisante. De plus,

     Ce fait tend à confirmer l'apparence d'un lien de dépendance entre le tribunal et la bande, particulièrement dans la présente affaire, où les intérêts de la bande sont manifestement opposés à ceux des intimées. De fait, les règlements administratifs tant de la bande de Matsqui que de la bande Siska autorisent les bandes elles-mêmes à être parties devant leurs tribunaux respectifs [...] Les intimées se voient donc obligées de plaider devant des tribunaux dont les membres ont été nommés précisément par les chefs et conseils de bande qui s'opposent à leur demande, ce qui soulève un problème analogue à celui abordé dans l'arrêt MacBain, précité. Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale a conclu à l'existence d'une crainte raisonnable de partialité dans un cas où le poursuivant en matière de violations des droits de la personne (c.-à-d. la Commission des droits de la personne) choisissait également les membres du tribunal qui seraient appelés à statuer sur l'affaire. La présente espèce, quoique non identique, met en cause une préoccupation similaire, à savoir qu'une partie ne devrait pas être tenue de plaider devant un tribunal dont les membres ont été nommés par une partie adverse. (p. 57).

[45]          Enfin, le juge en chef s'est penché sur les changements qui satisferaient aux exigences relatives à l'indépendance judiciaire dans le contexte de l'autonomie gouvernementale des Autochtones :

     Les bandes indiennes peuvent, bien sûr, hésiter à céder au gouvernement fédéral le pouvoir de nommer les membres des tribunaux, étant donné que le nouveau régime d'évaluation en matière de taxation vise notamment à favoriser l'autonomie gouvernementale des autochtones. Par conséquent, pour que soient respectées les exigences relatives à l'indépendance institutionnelle, il faudra que les règlements administratifs des bandes appelantes garantissent aux membres des tribunaux une rémunération et précisent la durée de leurs fonctions. (p. 59).

Ces propos laissent entendre que, malgré le processus de nomination, le fait que la rémunération et la durée des fonctions soient garanties peut blanchir une bande autochtone d'une accusation de partialité institutionnelle.

Application de ces principes aux faits de l'espèce

[46]          À la lumière de ces principes généraux, les trois questions fondamentales suivantes se posent en l'espèce : Premièrement, un personne raisonnablement bien renseignée, qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, croirait-elle qu'il existe une crainte raisonnable de partialité de la part du tribunal qui a entendu l'affaire? Cette question suppose un examen des événements survenus après l'ajournement de l'audience du 14 janvier 1998 et de la question de savoir si ces événements ont éclaboussé et contaminé le nouveau tribunal qui a entendu l'affaire et rendu la décision. Deuxièmement, une personne raisonnable croirait-elle que l'indépendance judiciaire a été compromise? Pour répondre à cette question, il faut examiner l'allégation d'ingérence de la part de la Bande, et plus particulièrement les moyens utilisés pour choisir et nommer les membres du tribunal. Enfin, il faut examiner la question de la partialité institutionnelle; c'est-à-dire celle de savoir si, dans la mesure où la Bande nomme les membres du Conseil et assiste aux réunions du Conseil, il en résulte un défaut structurel qui donne implicitement naissance à une crainte raisonnable de partialité. Compte tenu du nombre d'allégations énoncées par les demandeurs à l'appui de leur argument sur la crainte raisonnable de partialité, j'estime pratique de traiter chaque allégation séparément.

[47]          La première allégation des demandeurs porte qu'il existe une crainte raisonnable de partialité parce que la Bande connaissait et approuvait les antécédents de MM. Cavazzi et Gordon. En effet, les demandeurs contestent l'objection subséquente de la Bande aux antécédents de ces membres du tribunal qu'elle avait nommés au Conseil. La Bande a expliqué son objection en disant qu'au moment où elle a nommé M. Gordon, le 5 janvier 1998, elle n'avait pas vu le mémoire de frais du cabinet de M. Gordon et ne savait donc pas à quel point ce cabinet avait participé aux litiges concernant les parcelles de terre en cause. Quant à M. Cavazzi, la Bande explique qu'elle ne s'est pas opposée à l'origine parce qu'elle ne savait pas que l'unique témoin expert des demandeurs était un ancien associé de M. Cavazzi; jusqu'à l'audition, la Bande croyait que ce témoin ne serait que l'un des nombreux témoins qui seraient cités. Je retiens les explications données par la Bande concernant son objection à ce que MM. Cavazzi et Gordon fassent partie du tribunal et je ne crois pas qu'elles suscitent une crainte raisonnable de partialité. Au contraire, la raison de l'objection de la Bande semble avoir été d'éviter toute possibilité de crainte de partialité. Quoi qu'il en soit, la véritable question consistait à déterminer si la Bande avait un motif valable de s'opposer à la présence de MM. Cavazzi et Gordon au sein du tribunal. Cette question a été tranchée lorsque le tribunal a renoncé à siéger. De plus, aucun argument n'a été invoqué devant le tribunal le 14 janvier 1998 ni devant moi, selon lequel la Bande aurait renoncé à son droit de soulever une objection en nommant M. Gordon au Conseil et en ne s'opposant pas dès le départ à la présence de MM. Cavazzi et Gordon au sein du tribunal.

                                    

[48]          La deuxième allégation des demandeurs porte que Me Fast a correspondu directement avec le Conseil le 17 février 1998 et le 19 février 1998, sans envoyer de copie de ces lettres aux avocats des demandeurs. Le principe général tiré de Tobiass veut qu'une partie ne puisse pas rencontrer le décideur sans que l'autre partie assiste à la rencontre ou y participe. Me Fast jure, dans son affidavit, avoir eu l'intention d'envoyer une copie aux autres avocats et que c'est par inadvertance qu'il ne l'a pas fait en raison d'une erreur administrative commise par son bureau; il attribue cette erreur au fait qu'il avait récemment emménagé dans un nouveau bureau et qu'il avait embauché une nouvelle secrétaire. Je retiens la déclaration de Me Fast à cet égard. Cela dit, il faut encore résoudre la question de savoir si, malgré l'intention de Me Fast d'envoyer une copie aux demandeurs, le fait qu'il ne l'ait pas fait suscite une crainte raisonnable de partialité.

[49]          Le contenu des lettres de Me Fast dont aucune copie n'a été envoyée clarifiera le fondement des allégations de crainte raisonnable de partialité formulées par les demandeurs. L'élément central de leurs allégations est le suivant : les demandeurs contestent le fait qu'ils n'ont pas été mis au courant que deux membres avaient été nommés. Ils considèrent de plus que les nouvelles nominations passaient outre l'opinion du juge Scow portant qu'il n'existait pas de crainte raisonnable de partialité de la part de M. Cavazzi. De plus, ils soutiennent qu'il existait une crainte raisonnable de partialité du fait que les nouveaux membres du Conseil ont été nommés avant la démission des membres du tribunal initial25. Enfin, les demandeurs font valoir que la promesse de nominations réciproques constitue un [Traduction] « incitatif financier » de la part de la Bande, qui a indûment influencé le Conseil. En fait, les demandeurs soutiennent que le fait qu'ils n'aient pas connaissance du contenu de ces lettres implique une faille dans l'intégrité du processus.

[50]          Comme je le mentionne dans la chronologie des événements, la lettre adressée par Me Fast au Conseil le 17 février 1998 contient deux renseignements principaux : premièrement, la nomination de deux nouveaux membres du Conseil (savoir, Me Roberts et Me Brothers) et, deuxièmement, la tenue de négociations relativement à des nominations réciproques de membres du Conseil à d'autres conseils. Les demandeurs reprennent ces deux questions dans leur troisième et leur quatrième allégation et je les analyserai de façon plus détaillée dans ces sections. Pour l'instant, en ce qui concerne le défaut de Me Fast d'envoyer une copie de sa lettre du 17 février, je conclus qu'il n'avait pas l'obligation d'en envoyer une copie aux demandeurs. Il me semble clair que Me Fast traitait alors de questions internes et qu'il écrivait alors au Conseil au nom de la Bande à titre de Bande (la Bande en sa qualité de Bande, c'est-à-dire d'entité qui nomme les membres du Conseil) et non à titre de partie au litige.

[51]          Voici le libellé de la lettre du 19 février 1998 :

     Conseil d'examen
     Bande indienne de Musqueam
     6735, promenade Salish
     Vancouver (C.-B.)
     V6N 4C4
     à l'attention de: D.C. Cavazzi, évaluateur, (AACI, RI (C.-B.)
     Mesdames, Messieurs,                     
     OBJET : Appels des évaluations pour 1997 devant le Conseil d'examen de Musqueam
         Nous vous remercions de votre lettre du 10 février 1998. Nous espérons que les renseignements qui suivent contribueront à clarifier la position de la Bande indienne de Musqueam dans cette affaire.
         La Bande indienne de Musqueam se soucie au plus haut point de la réputation du Conseil d'examen de Musqueam. Pour protéger l'intégrité du Conseil d'examen de Musqueam et garantir que toutes les personnes concernées, les locataires et les neuf cent quatre-vingt membres de la Bande de Musqueam, la Bande indienne de Musqueam a décidé délibérément de nommer au Conseil uniquement des personnes intègres et dont la compétence professionnelle est reconnue.
         La Bande indienne de Musqueam a toujours préféré pécher par excès de prudence lorsque des questions concernant le Conseil d'examen ont été soulevées. Lorsque c'est nécessaire, la Bande indienne de Musqueam prend des mesures pour renforcer l'intégrité du Conseil d'examen de Musqueam aux yeux du public.
         En l'espèce, la question d'une éventuelle partialité juridique a été soulevée à l'audition par les membres du Conseil d'examen. Les faits en cause sont les suivants. Le cabinet d'un des membres du Conseil d'examen avait participé à plein temps et activement à une poursuite judiciaire impliquant la Bande indienne de Musqueam et mettant en cause plusieurs questions encore irrésolues. Dans le deuxième cas, le principal, et en fait le seul témoin professionnel cité par les appelants avait déjà eu des rapports financiers et personnels avec l'un des membres du Conseil d'examen.
         Dans les circonstances, la Bande indienne de Musqueam craignait, malgré sa confiance totale et entière en l'intégrité des deux membres du Conseil d'examen, que le membre moyen de la Bande indienne de Musqueam ou du public en général perçoive à tout le moins une possibilité de partialité. Plutôt que de risquer que qui que ce soit croie que l'intégrité du Conseil d'examen de la Bande indienne de Musqueam peut être compromise, la Bande indienne de Musqueam a décidé qu'il était préférable de faire preuve de prudence. La Bande indienne de Musqueam n'était pas prête à prendre le risque d'une allégation, même la plus ténue, de possibilité de partialité de la part du Conseil d'examen.
         Quoi qu'il en soit, la question de la fixation de la date des audiences a été résolue par la nomination de deux membres additionnels au Conseil d'examen. Ces deux membres additionnels sont avocats et ont beaucoup d'expérience dans le domaine du droit de l'évaluation et du fonctionnement des tribunaux d'appel en matière d'évaluation.
         Au nom de la Bande indienne de Musqueam, nous souhaitons remercier les deux membres du Conseil d'avoir soulevé la question et par la suite, lorsque des doutes ont été exprimés, d'avoir renoncé à siéger lors des audiences en cause. Vos actes non seulement confirment votre intégrité professionnelle, mais ont aussi pour effet de renforcer et de protéger la réputation du Conseil d'examen de Musqueam.
         Nous vous remercions de votre attention et nous vous prions de recevoir nos salutations distinguées.
                         Lawrence R. Fast,

                         Avocat général

                         pour

                         LA BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM
     LRF/af
     c.c. M. Peter Clark
     Le juge Alfred Scow
     M. Alasdair K. Gordon
     Me Donald Borthers [sic]
     Me Carol Roberts

[52]          Selon moi, contrairement à la lettre du 17 février qui traitait de questions administratives internes, Me Fast écrit ici au nom de la Bande, partie au litige, mais aussi au nom de la Bande en sa qualité de Bande. En ce qui concerne cette allégation particulière, je considère Me Fast comme l'avocat de la partie au litige. Par conséquent, j'estime qu'une copie de cette lettre aurait dû être envoyée à toutes les parties. Me Fast répond à la lettre envoyée par M. Cavazzi le 10 février (à Me Fast en sa qualité d'avocat de la Bande, la partie au litige) et laisse entendre que le tribunal ne peut se déclarer à nouveau compétent après s'être récusé. Il le dit indirectement, mais il est évident que, lorsque Me Fast remercie le tribunal d'avoir renoncé à siéger, c'est ce qu'il faut en déduire. Il l'exprime avec encore plus de force dans la déclaration suivante incluse dans son affidavit :

     [Traduction] À la suite de ma conversation avec Me Savage, le 19 février 1998, j'ai écrit au Conseil d'examen pour tenter de lui faire comprendre, de façon diplomatique, qu'un membre du Conseil ne peut plus revenir sur sa décision après s'être récusé. J'estimais qu'une approche plus modérée, moins directe, convenait parce que je ne voulais pas créer de tension entre la Bande de Musqueam et le Conseil d'examen. J'ai écrit cette lettre en sachant que Me Savage exprimerait la même opinion au nom de la British Columbia Assessment Authority, bien qu'il soit probable qu'il adopterait une approche plus directe (par. 30).

[53]          Me Savage a effectivement écrit une lettre aux demandeurs le 20 février 1998, dont il a envoyé une copie à la Bande et au juge Scow. Dans cette lettre, il dit directement ce que Me Fast avait laissé entendre dans sa propre lettre du 19 février - soit qu'un [Traduction] « membre du tribunal qui s'est récusé, après des observations, n'a pas le pouvoir de se déclarer à nouveau compétent. » Par conséquent, à la suite de la lettre de Me Savage, cette question appartenait nettement au domaine public. Les demandeurs avaient donc la possibilité de présenter des observations sur cette question. Toutefois, il est intéressant de constater que, dans sa réponse à cette lettre en date du 27 février 1998, Me Funt n'a jamais abordé cette question, mais s'est concentré sur la question des dépens et de la nomination de M. Gordon. Me Mickelson n'a pas répondu à la lettre de Me Savage.

[54]          Dans les circonstances, je suis d'avis qu'une personne bien renseignée qui étudierait la question de façon réaliste et pratique ne conclurait pas que le défaut de Me Fast d'envoyer une copie suscite une crainte raisonnable de partialité. Si Me Savage n'avait pas placé cette question au premier plan en écrivant sa lettre, je serais peut-être parvenu à une conclusion différente. Je n'ai toutefois pas à trancher cette question.

[55]          Dans leur troisième allégation, les demandeurs laissent entendre qu'il était irrégulier de nommer Mes Brothers et Roberts avant la démission des membres de la première formation, d'autant plus que les demandeurs n'en ont pas été informés. On en déduit qu'en agissant ainsi, la Bande a tenté d'influencer la composition du tribunal [Traduction] « dans le dos des demandeurs » . Je ne puis retenir les prétentions des demandeurs, pour les raisons suivantes : premièrement, Me Fast a informé les demandeurs le 12 février 1998 que la Bande procéderait bientôt à de nouvelles nominations et que toute demande de renseignements devait être adressée au Conseil. Ainsi, les demandeurs ne connaissaient peut-être pas la date exacte de ces nominations, mais ils savaient qu'elles étaient imminentes. De plus, je constate que la Bande n'est pas tenue d'informer quiconque des nominations auxquelles elle procède, ni d'entendre le point de vue de quiconque à leur égard. Le choix et le moment de la nomination des membres du Conseil relèvent totalement du pouvoir discrétionnaire de la Bande. Néanmoins, la Bande a pris connaissance du point de vue des parties au sujet des nominations possibles et chaque personne recommandée par les parties a finalement été nommée26. Par exemple, après l'ajournement de l'audience du 14 janvier, les avocats se sont entendus pour suggérer des candidats au poste de membre du Conseil pour accélérer le processus. Ainsi, le 26 janvier 1998, les demandeurs et l'évaluateur ont recommandé conjointement la nomination de Me Roberts au Conseil. Cette suggestion a certainement joué un rôle dans sa nomination. Enfin, bien que les demandeurs n'aient pas été informés des sept autres nominations au Conseil, il ont été informés de la nomination et de la composition du nouveau tribunal le 7 avril 1998, cinq jours après la réunion à laquelle le choix de ce tribunal a été fait. Pour tous ces motifs, je conclus que le fait que les demandeurs n'aient pas été au courant des sept nominations additionnelles et de leur moment n'engendre pas de crainte raisonnable de partialité.

[56]          Quant à l'argument des demandeurs selon lequel la Bande a passé outre l'opinion du juge Scow en nommant de nouveaux membres au Conseil, alors que le Conseil estimait compter suffisamment de membres pour entendre l'affaire (en se fondant sur l'opinion du juge Scow selon laquelle M. Cavazzi était compétent pour siéger au sein du tribunal), la Bande fait valoir que le Conseil a commis une erreur en sollicitant cette opinion. La Bande affirme qu'un membre du tribunal n'était pas compétent pour déterminer si la présence d'un autre membre du tribunal aurait engendré une crainte raisonnable de partialité. Je suis d'accord avec la Bande sur ce point.

[57]          À mon avis, voici ce qui aurait dû se produire : la question de savoir si M. Cavazzi pouvait siéger au sein du tribunal aurait dû être débattue publiquement lors d'une nouvelle audience. Si le Conseil estimait compter suffisamment de membres pour constituer un tribunal, il aurait dû se réunir, malgré l'opinion contraire de Me Fast et de Me Savage. À l'audience, la Bande et l'évaluateur auraient vraisemblablement soulevé leur objection à la présence de M. Cavazzi au sein du tribunal et le débat aurait eu lieu en présence des parties.

[58]          Au lieu de cela, Me Fast (à l'instar de Me Savage) n'a pas accepté27 l'opinion du juge Scow et la Bande a procédé à la nomination de nouveaux membres pour créer un groupe de personnes assez grand pour qu'un tribunal puisse être constitué. Je crois que la Bande pouvait assurément nommer le nombre de membres du Conseil qu'elle jugeait opportun dans les circonstances. Le règlement administratif dispose clairement qu'un tribunal doit être composé de trois membres, mais aucune disposition du règlement administratif ne fixe le nombre de membres du Conseil en général. Par conséquent, rien n'empêche la Bande de nommer autant de membres du Conseil qu'elle le juge opportun. Ainsi, lorsque la Bande a cru que le Conseil ne comptait pas suffisamment de membres pour constituer un nouveau tribunal après la récusation des deux membres du tribunal initial, elle a nommé deux membres additionnels au Conseil. J'estime que la nomination des nouveaux membres n'engendre pas en soi de crainte raisonnable de partialité.

[59]          L'idée qui sous-tend la position des demandeurs est toutefois que ces nominations additionnelles constituent de l'ingérence de la part de la Bande. Je trancherai cette question de façon plus détaillée dans mon analyse de la cinquième allégation des demandeurs, mais, pour l'instant, je souligne que rien ni personne (y compris la Bande) n'empêchait le Conseil de convoquer un tribunal comme il le jugeait opportun. Comme je l'ai déjà indiqué, je suis d'accord avec la Bande et l'évaluateur lorsqu'ils affirment que M. Cavazzi et M. Gordon ne pouvaient pas, après s'être récusés, se déclarer à nouveau compétents pour siéger au sein d'un nouveau tribunal. Si les membres du tribunal présidant l'audience en janvier avaient quelque doute sur leur capacité de siéger, ils auraient pu ajourner l'audition pour examiner la question de savoir si les objections étaient bien fondées. Toutefois, ce n'est pas ainsi qu'ils ont agi. Il ressort de la correspondance ultérieure entre les parties (p. ex. les lettres du 26 janvier et du 30 janvier émanant de Me Mickelson qui recommandaient la nomination de Me Roberts au Conseil) que tous comprenaient qu'un nouveau tribunal serait constitué à la suite de la récusation du tribunal en janvier. Compte tenu du fait que le tribunal du 14 janvier s'est dissout, la conduite subséquente de M. Cavazzi (soit le fait qu'il ait sollicité l'opinion du juge Scow) est surprenante, pour utiliser un euphémisme. M. Cavazzi qui avait pourtant reconnu que les objections à sa présence et à celle de M. Gordon au sein du tribunal étaient bien fondées, a néanmoins décidé de ne pas tenir compte de la décision prise le 14 janvier 1998. Dans les circonstances, Me Fast a certainement été décontenancé lorsqu'il a lu la lettre de M. Cavazzi annonçant qu'il pouvait maintenant siéger comme membre du tribunal. Comme je l'ai déjà indiqué, Me Fast aurait dû envoyer aux demandeurs une copie de sa lettre du 19 février 1998, mais j'estime qu'une personne raisonnablement bien renseignée ne considérerait pas cette omission, dans les circonstances, comme une tentative d'ingérence ou d'influence vis-à-vis du Conseil.

[60]          La quatrième allégation porte que l'affirmation de Me Fast concernant les nominations réciproques engendre une crainte raisonnable de partialité. Selon moi, cette prétention constitue une pure conjecture. À la lecture de la lettre écrite le 17 février par Me Fast, il me semble qu'il ne fait que transmettre des renseignements au Conseil (il l'informe des nouvelles nominations, décrit les antécédents des nouveaux membres et précise que des négociations sont en cours relativement à des nominations réciproques.) Au vu de cette lettre, je ne suis pas convaincu qu'elle révèle l'existence d'une crainte raisonnable de partialité. La preuve établie par cette lettre est tout simplement insuffisante pour mener à la conclusion que Me Fast essaie « d'acheter » le Conseil avec la promesse de nominations réciproques à d'autres conseils.

[61]          La cinquième allégation concerne l'affirmation faite par M. Cavazzi dans sa lettre de démission, selon laquelle [Traduction] « on nous a suggéré [au Conseil] à quels membres du Conseil nous devrions songer pour la tenue de l'audition ajournée » . Comme aucun élément de preuve (dans le procès-verbal de la réunion du Conseil tenue le 2 avril 1998, au cours de laquelle les membres du tribunal ont été choisis) n'établit que la Bande a littéralement suggéré quels membres du Conseil devraient tenir l'audition, je tiens pour acquis que cette allégation renvoie à la lettre adressée au Conseil par Me Fast le 20 février 1998 (dont il n'a pas envoyé copie aux autres parties), dans laquelle il dit que le Conseil a un tribunal de quatre membres (soit le juge Scow, M. Clark, Me Brothers et Me Roberts) compétents pour entendre l'appel. Cette affirmation crée-t-elle une crainte raisonnable de partialité? On laisse entendre que l'affirmation de Me Fast constitue de l'ingérence de l'extérieur de la Bande et, en fait, les demandeurs font valoir que [Traduction] « les actes de la Bande reviennent à choisir ses propres juges pour entendre les appels »

[62]          Certes, les arrêts MacBain et Matsqui nous enseignent qu'une crainte raisonnable de partialité peut survenir lorsqu'une partie au litige « choisit » ou nomme le décideur qui entend sa cause. Cette allégation regroupe deux questions cruciales soulevées dans MacBain et Matsqui : « le choix » des juges et les défauts structurels qui entraînent implicitement une crainte raisonnable de partialité. En l'espèce, la question pivot est la suivante : le droit de la Bande de choisir les membres du Conseil constitue-t-il un défaut inhérent, selon les principes énoncés dans MacBain et Matsqui? En l'espèce, je dois résoudre la question même que le juge Lamer n'a pas tranchée dans Matsqui - savoir, le seul fait de nommer les membres du Conseil suscite-t-il une crainte raisonnable de partialité?

[63]          À mon avis, l'analyse de la question de la crainte raisonnable de partialité en l'espèce doit nécessairement prendre en compte la structure même du Conseil et ne peut s'en dissocier. Je constate, en particulier, que la Bande est inextricablement liée au Conseil, au moins à deux égards importants : par exemple, la Bande a le droit d'assister aux réunions du Conseil et la Bande nomme les membres du Conseil. Ainsi, en raison de la structure même du Conseil, la Bande est nécessairement mêlée au fonctionnement et à l'administration du Conseil. Par exemple, Me Fast a assisté à la réunion du Conseil tenue le 2 avril 1998, au cours de laquelle les membres du tribunal ont été choisis. On peut facilement comprendre en quoi cela peut créer un problème dans une situation comme celle qui nous intéresse où la Bande est aussi partie à un litige devant le Conseil. Cette situation est semblable à celle en cause dans l'affaire Matsqui où le juge en chef a souligné :

     Les tribunaux, dont les membres sont nommés par les chefs et conseils de bande, se voient appelés à statuer sur un litige où les intérêts des bandes s'opposent à des intérêts étrangers (c.-à-d. ceux des intimées). Dans les faits, les membres des tribunaux ont à se prononcer relativement aux intérêts de celles-là même (les bandes) auxquelles ils doivent leur nomination. (p. 58).

[64]          Pour le juge en chef, le fait que la Bande choisisse les membres du tribunal laisse croire à un degré de dépendance qui, à son tour, suscite une crainte raisonnable de partialité. En effet, le juge en chef affirme qu'une « partie ne devrait pas être tenue de plaider devant un tribunal dont les membres ont été nommés par une partie adverse » (p.57).

[65]          En l'espèce, il est clair que la Bande nomme les membres du Conseil (parfois sur recommandation des parties), mais non les membres du tribunal qui entend une cause en particulier. Le procès-verbal de la réunion du Conseil tenue le 2 avril 1998, par exemple, démontre que Me Fast a assisté à la réunion et y a agi comme commissaire à l'assermentation, mais qu'il n'a pas participé au choix des membres du tribunal. En fait, comme il l'a déjà été mentionné, Me Brothers a suggéré qu'il devrait siéger au sein du tribunal. Tous les membres du Conseil ont ensuite convenu que le deuxième membre du tribunal devrait être avocat et c'est pourquoi Me Roberts a été nommée. MM. Fraser et Rivard ont ensuite proposé de siéger au sein du tribunal et une décision finale devait être prise quand la date de l'audition serait fixée.

[66]          Par conséquent, la seule insinuation contre la Bande découle de la lettre adressée par Me Fast au Conseil le 20 février 1998, dans laquelle il disait que, de l'avis de la Bande, seulement quatre membres du Conseil étaient compétents pour entendre les appels à la suite de la récusation des deux membres du tribunal initial. Selon moi, l'affirmation de Me Fast ne révèle pas que la Bande avait la sinistre intention que les demandeurs lui attribuent - c'est-à-dire, qu'elle « choisissait » ses juges pour entendre sa cause. Sur ce point, l'affidavit signé par Me Fast dit : Me Savage et moi avons en outre convenu que la bonne façon de procéder était que le Conseil d'examen constitue un tribunal pour entendre l'appel avec les quatre membres du Conseil qui n'avaient pas renoncé à siéger et ne s'étaient pas récusés » (par. 28). Bien que cela corresponde certainement au point de vue de Me Fast qui ne croyait pas, malgré l'opinion du juge Scow, que M. Cavazzi devrait se déclarer à nouveau compétent pour siéger au sein du tribunal après s'être récusé, il ne s'ensuit pas, selon moi, que Me Fast tentait de choisir les juges qui entendraient l'affaire. De plus, une télécopie envoyée par Me Fast à Mes Brothers et Roberts, en date du 26 mars 1998, le confirme. Dans cette télécopie, Me Fast recommande que la date des audiences soit fixée le plus rapidement possible et écrit ce qui suit, concernant le tribunal : [Traduction] « Bien qu'un nombre relativement élevé de personnes aient été nommées au Conseil d'examen, il serait probablement plus efficace que la majorité des appels soient entendus par un noyau plus restreint de personnes. Le choix du tribunal chargé d'entendre un appel donné relève, bien sûr, entièrement du pouvoir discrétionnaire du Conseil d'examen. » (non souligné dans l'original).

[67]          À la suite de cette télécopie, Me Brothers a organisé une réunion du Conseil, qui a eu lieu le 2 avril 1998. Selon le par. 4 de l'affidavit signé par Me Brothers le 12 mars 1998, [Traduction] « jamais, au cours de cette réunion, le Conseil n'a débattu de la démission des membres du premier tribunal. Nous nous sommes concentrés sur l'élection d'un président et d'un vice-président, sur la constitution d'un tribunal chargé d'entendre la cause type concernant l'évaluation des immeubles et des améliorations dans la réserve indienne de la Bande de Musqueam et sur la fixation d'une date pour l'audition de la cause type. » C'est lors de cette réunion que Mes Brothers et Roberts ont été nommés au tribunal. J'ai déjà mentionné que Me Roberts a été nommée au Conseil sur recommandation des demandeurs et de l'évaluateur. À cet égard, les demandeurs ont participé au fonctionnement du Conseil. Ni eux ni la Bande n'ont toutefois choisi réellement les membres du tribunal. Quant au fait que la Bande était au courant de renseignements inconnus des demandeurs, on peut dire tout au plus que la Bande connaissait la composition du tribunal dès le 2 avril 1998, alors que les demandeurs n'en ont été avisés que par une lettre en date du 7 avril 1998. J'estime que ce retard de cinq jours avec lequel les demandeurs ont été mis au courant n'est pas pertinent. Je crois donc que la Bande n'a pas suggéré quels membres devaient siéger au sein du tribunal qui devait entendre l'affaire. Dans les circonstances, le fait que la Bande nomme les membres du Conseil n'inciterait pas, en soi, une personne raisonnable à conclure qu'il en découle une crainte raisonnable de partialité.

[68]          La sixième allégation des demandeurs concerne la façon dont M. Cavazzi qualifie les événements passés de « perturbateurs » dans sa lettre de démission. À titre d'exemple de tels événements, il cite la nomination et le rejet de M. Gordon dans l'espace d'une semaine, ainsi que le fait que la Bande n'a tenu aucun compte de l'opinion du juge Scow28. J'ai déjà traité de ces deux questions dans mon analyse de la première et de la deuxième allégation, respectivement.

[69]          Les septième, huitième et neuvième allégations concernent toutes le procès-verbal de la réunion du Conseil tenue le 23 février 1998, à laquelle les membres du tribunal initial ont démissionné. Toutes ces allégations touchent la perception que le Conseil a des événements : la septième allégation vise la crainte d'ingérence de la Bande dans les affaires du Conseil; la huitième allégation traite de la crainte du Conseil que la correspondance envoyée par Me Fast n'ait pas favorisé le traitement rapide de l'affaire; et la neuvième allégation traite de la conviction du Conseil que son indépendance était mise en doute. À cet égard, il est important de se rappeler que l'analyse de la crainte raisonnable de partialité s'effectue dans la perspective d'une personne raisonnablement bien informée qui étudierait la question de façon réaliste et pratique. En conséquence, la question à trancher est celle de savoir si une telle personne conclurait que les convictions du Conseil entraînent une crainte raisonnable de partialité. Les demandeurs soutiennent qu'un [Traduction] « observateur raisonnable, bien informé des préoccupations du Conseil d'examen et des démissions qui en ont résulté, aurait une crainte raisonnable et bien fondée de partialité touchant l'essence même de l'indépendance du Conseil d'examen. » Avant de trancher cette question, je souligne ce qui suit : le fait que le Conseil ait le sentiment que son indépendance est mise en doute ne signifie pas nécessairement que son indépendance est effectivement compromise ou en péril. Les démissions en elles-mêmes n'engendrent pas de crainte raisonnable de partialité. Selon moi, on ne peut tirer une telle conclusion qu'après avoir examiné les motifs des démissions. Selon les lettres de démission, M. Clark a démissionné parce que son nouveau poste le rendrait moins disponible. Le juge Scow a démissionné parce que de récents changements apportés au rôle du Conseil en matière d'évaluation lui ont fait reconsidérer sa participation continue. M. Gordon a démissionné après avoir analysé les événements - en particulier le fait que la Bande l'a d'abord nommé au Conseil, pour contester ensuite sa présence au sein du tribunal. La lettre de démission de M. Cavazzi, par contre, souligne les événements récents et les décrit comme « perturbateurs » . Il écrit notamment :

     [Traduction] Le 17 février 1998, l'avocat de la Bande nous a informés de deux nouvelles nominations au Conseil, sans que qui que ce soit ait été consulté. On nous a ensuite suggéré à quels membres nous devrions songer pour la tenue de l'audition ajournée. Ces faits sont troublants, étant donné que la Bande est aussi partie appelante à l'audition.
     Les événements des derniers mois ont été perturbateurs. La nomination et le rejet d'un membre du Conseil dans l'espace d'une semaine, le rejet apparent des conclusions du juge Scow concernant la crainte raisonnable de partialité, sans la tenue d'une audition, et la suggestion des membres du Conseil qui seraient acceptables au sein du tribunal chargé d'une audition soulèvent des doutes quant à la capacité du Conseil de fonctionner de façon impartiale.

Dans mon analyse, j'ai examiné chacun des motifs mentionnés dans la lettre de démission de M. Cavazzi et j'ai conclu qu'aucun de ces motifs ne crée de crainte raisonnable de partialité. La question de la non-divulgation de ces motifs aux demandeurs sera traitée dans le contexte de la non-divulgation.

[70]          La dixième allégation des demandeurs touche le fait que Me Brothers n'a pas divulgué certains renseignements aux demandeurs - notamment le moment de sa nomination, ainsi que de celle de Me Roberts, les motifs de la démission du tribunal précédent et la promesse de nominations réciproques faite par Me Fast. Les demandeurs soutiennent essentiellement qu'un [Traduction] « observateur bien informé craindrait raisonnablement, en raison du défaut de Me Brothers de divulguer ou de faire divulguer les renseignements concernant les démissions et les questions qui précèdent, que Me Brothers n'agirait pas de manière totalement impartiale en tranchant les appels des demandeurs. » J'estime que cet argument n'est pas fondé et je retiens l'argument de la Bande selon lequel le nouveau tribunal n'était pas tenu de faire enquête sur les démissions passées. En fait, les éléments qui suivent démontrent que le nouveau tribunal n'a pas fait pareille enquête. Me Brothers jure, au paragraphe 3 de son affidavit en date du 24 février 1999 et au paragraphe 1 de son affidavit du 12 mars 1999, qu'au moment où il a été informé des démissions, on ne lui a donné aucun motif justifiant ces démissions. Au paragraphe 13 de son affidavit du 24 février 1999, il indique que les démissions des anciens membres du Conseil ne le préoccupaient pas. Sa seule préoccupation était de traiter l'affaire promptement et de parvenir à une décision raisonnable. De plus, j'estime que la lettre écrite par Me Brothers le 17 avril 1998 témoigne d'un effort fait de bonne foi afin de clarifier des questions concernant la nomination des nouveaux membres et l'administration du Conseil en général. Je conclus donc que Me Brothers n'a pas omis de divulguer des renseignements clés qu'il aurait été tenu de divulguer aux demandeurs. Il a plutôt été franc en ce qui concerne le processus. Je suis donc d'avis que les demandeurs n'ont pas démontré qu'il existait une crainte raisonnable de partialité relativement à cette allégation en particulier.

[71]          La onzième et dernière allégation des demandeurs touche la non-divulgation par la Bande de certains renseignements - notamment l'approbation et la nomination de M. Gordon par la Bande, le moment de la nomination des nouveaux membres du Conseil, les motifs des démissions, le rejet par la Bande de l'opinion du juge Scow, la promesse de nominations réciproques à d'autres conseils faite par la Bande et la suggestion par la Bande que quatre membres pouvaient entendre l'appel.

[72]          Comme je l'ai indiqué plus tôt, je ne crois pas que la Bande avait un devoir d'informer les demandeurs de la nomination de M. Gordon ni des nominations subséquentes au Conseil. J'ai aussi conclu que la question des éventuelles nominations réciproques était une question interne qui ne devait pas nécessairement être divulguée aux demandeurs. En conséquence, la Bande n'avait pas l'obligation de divulguer ces renseignements.

[73]          Toutefois, selon moi, la Bande en sa qualité de Bande avait l'obligation de divulguer les deux renseignements suivants aux demandeurs : premièrement, la lettre écrite par Me Fast le 19 février 1998 et, deuxièmement, les motifs des démissions. Je suis de cet avis parce que la lettre écrite par Me Fast le 19 février semble avoir déclenché les démissions du Conseil. À tort ou à raison, quatre membres du Conseil ont perçu cette lettre comme de l'ingérence de la part de la Bande. Comme l'atteste le procès-verbal de la réunion du 23 février 1998 : [Traduction] « On a aussi souligné que l'avocat de la Bande a indiqué que seulement quatre membres du nouveau Conseil, élargi depuis peu, étaient aptes à entendre les appels des évaluations en instance et des inquiétudes ont été exprimées quant à l'apparence d'ingérence dans l'administration du Conseil » . De plus, M. Cavazzi a clairement attribué sa démission à cette perception d'ingérence de la part de la Bande. Comme la lettre du 19 février semble avoir été le catalyseur des démissions, je crois que cette lettre aurait dû, eu égard aux circonstances, être divulguée aux demandeurs lorsqu'ils ont demandé des renseignements concernant les démissions.

[74]          Après tout, il faut se rappeler que Me Fast avait pleinement l'intention, comme il l'affirme dans son affidavit, d'envoyer une copie de cette lettre aux demandeurs29. Me Fast jure dans son affidavit avoir eu l'intention d'envoyer une copie des lettres du 17 et du 19 février aux demandeurs et, partant, de divulguer les renseignements qu'elles contiennent. Comme je l'ai déjà mentionné, je crois qu'il avait l'intention de divulguer cette information à l'époque. Toutefois, la correspondance qui a suivi soulève un doute quant à son comportement ultérieur : si Me Fast avait l'intention d'envoyer une copie aux demandeurs et de leur divulguer ainsi les renseignements qui y figuraient, pourquoi n'a-t-il pas mentionné ces renseignements lorsqu'il a écrit à Me Funt le 6 mars 1998? De plus, pourquoi la Bande n'a-t-elle pas répondu aux demandes de renseignements incessantes des demandeurs (lettres du 12 mars, du 13 mars, du 16 avril, du 2 octobre, du 16 novembre et du 8 décembre)30? À mon avis, le défaut de Me Fast de répondre aux demandes de renseignements répétées des demandeurs concernant ces événements entraîne une crainte raisonnable de partialité31. Je crois que, dans les circonstances, la Bande aurait dû divulguer aux demandeurs les motifs des démissions ou, à tout le moins, le procès-verbal de la réunion du 23 février 1998. La Bande savait que quatre membres du Conseil estimaient, à tort ou à raison, que l'indépendance du Conseil était menacée par la Bande. Étant donné que les demandeurs sont des résidents non autochtones de la réserve, sans droit de vote, que leurs immeubles sont évalués par un Conseil dont les membres sont tous nommés par la Bande et que la Bande est partie au litige, il était extrêmement important de s'assurer non seulement que le Conseil était indépendant, mais encore que toutes les parties le voyaient comme un organisme indépendant. Comme Me Fast l'a dit lui-même dans sa lettre du 19 février :

     Dans les circonstances, la Bande indienne de Musqueam craignait, malgré sa confiance totale et entière en l'intégrité des deux membres du Conseil d'examen, que le membre moyen de la Bande indienne de Musqueam ou du public en général perçoive à tout le moins une possibilité de partialité. Plutôt que de risquer que qui que ce soit croie que l'intégrité du Conseil d'examen de la Bande indienne de Musqueam peut être compromise, la Bande indienne de Musqueam a décidé qu'il était préférable de faire preuve de prudence. La Bande indienne de Musqueam n'était pas prête à prendre le risque d'une allégation, même la plus ténue, de possibilité de partialité de la part du Conseil d'examen.

Compte tenu des remarques formulées par Me Fast, il est difficile de comprendre pourquoi il n'a pas divulgué les renseignements demandés concernant les démissions.

[75]          Si ces renseignements avaient été divulgués, la question de savoir si les quatre membres du Conseil percevaient la situation correctement (c'est-à-dire, l'ingérence apparente de la part de la Bande) aurait pu être débattue devant une juridiction à laquelle toutes les parties auraient pu présenter des observations sur le processus et, en particulier, sur la légitimité de la décision du Conseil de déclarer à nouveau M. Cavazzi compétent pour siéger au sein du tribunal après sa récusation. Pourquoi Me Fast n'a-t-il pas fourni les renseignements que les demandeurs demandaient concernant les démissions? Comme je l'ai mentionné plus tôt, Me Fast n'a pas abordé cette question dans son affidavit. Toutefois, je ne peux imaginer qu'une raison au refus de Me Fast de fournir ces renseignements : il estimait qu'il ouvrirait une boîte de Pandore s'il divulguait que les quatre membres du Conseil avaient démissionné parce qu'ils avaient le sentiment que la Bande s'ingérait dans les affaires du Conseil. En conséquence, il essayait d'éviter des attaques fondées sur une crainte raisonnable de partialité, mais en fin de compte, ses actes ont renforcé et étayé ces attaques. Je suis donc d'avis qu'une personne raisonnablement bien informée qui étudierait la situation de façon réaliste et pratique conclurait que la non-divulgation de ces renseignements par la Bande engendre une crainte raisonnable de partialité parce qu'elle porte atteinte à l'intégrité même du processus qu'elle visait à préserver.

[76]          La Bande soutient que, même s'il existe une crainte raisonnable de partialité relativement aux actes du premier tribunal, cette crainte ne porte pas atteinte à l'indépendance du deuxième tribunal qui a effectivement entendu l'affaire en mai et juin. Je ne partage pas cette opinion. Il ressort clairement du procès-verbal du 23 février 1998 que les quatre membres du Conseil avaient le sentiment que leur indépendance et celle du Conseil étaient menacées par la Bande. Comme le procès-verbal le révèle : « En regard des événements survenus, tous les membres ont indiqué qu'ils ne se sentaient plus à l'aise de participer au Conseil, car il semble qu'il ne bénéficie plus de l'appui de la Bande et son indépendance semble mise en doute. » J'estime que la non-divulgation de ces renseignements inciterait un observateur raisonnablement bien informé à conclure que la perception d'une ingérence de la part de la Bande ne s'est pas dissipée avec la nomination du nouveau tribunal. Ainsi, selon moi, une personne raisonnablement bien informée, pleinement au courant de la conviction du Conseil que son indépendance était mise en doute, ne serait pas rassurée du fait qu'un nouveau tribunal a été nommé. Bref, la nomination d'un nouveau tribunal ne pouvait remédier à la crainte raisonnable de partialité engendrée par la non-divulgation de la part de la Bande. Je conclus donc que la crainte raisonnable de partialité imputable à la non-divulgation par la Bande s'étend au nouveau tribunal.

Renonciation

[77]          Bien que j'aie conclu qu'il existe une crainte raisonnable de partialité découlant de la non-divulgation par la Bande de la lettre écrite par Me Fast le 19 février et des motifs des démissions, je suis aussi d'avis que les demandeurs ont renoncé à leur droit de soulever cette question. La jurisprudence établit clairement qu'un demandeur doit formuler une allégation de crainte raisonnable de partialité à la première occasion où il est pratique de le faire. Comme la Cour suprême32 l'a confirmé, dans l'arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892, à la page 896 : « L'omission des appelants de soulever la question de la partialité en temps opportun constitue une renonciation au droit de contester pour ce motif la compétence du Tribunal. La partialité doit être invoquée à la première occasion où il est pratique de le faire. » La jurisprudence de la présente Cour a aussi établi que le demandeur qui ne soulève pas la question de la partialité à la première occasion où il est pratique de le faire ou qui ne soulève pas une objection y renonce implicitement33. Le juge Denault a confirmé, dans la décision Abdalrithah v. M.E.I. (1991), 40 F.T.R. 306, aux pages 308 et 309 : « même en prenant pour acquis que les faits auraient démontré une probabilité de partialité de la part de l'agent, ce qui n'est pas le cas, le défaut par son procureur de soulever cette question séance tenante, fait présumer qu'il a renoncé à invoquer cette appréhension raisonnable de préjugé. » De même, dans Affaire intéressant le tribunal des droits de la personne et Énergie Atomique du Canada Limitée, [1986] 1 C.F. 103, à la page 110, la Cour d'appel fédérale a dit :

     Corrélativement, le droit de celui qui craint que le tribunal devant lequel il se présente ne soit partial a toujours été, encore une fois selon mon interprétation de la jurisprudence, le droit de s'opposer à être jugé par le tribunal, mais un droit qui ne subsiste que jusqu'à ce qu'il se soumette à lui de manière expresse ou implicite. C'est seulement parce que M. MacBain a soulevé ses objections au début de l'affaire que sa contestation à l'égard des procédures pouvait réussir.

Par conséquent, les demandeurs ne peuvent « reporter » une allégation de partialité, ni s'abstenir de soulever une objection lorsqu'ils croient que les circonstances engendrent une crainte raisonnable de partialité. Lord Goddard a fait remarquer, dans Regina v. Nailsworth Licensing Justices Ex parte Bird (1953), 1 W.L.R. 1046 (Q.B. Div.), à la page 1048 :

     [Traduction] Le procureur n'a pas immédiatement soulevé son objection et il semble clair qu'il a décidé de laisser l'affaire se poursuivre, en considérant qu'il s'agissait là d'une occasion en or pour demander l'annulation de l'ordonnance au cas où le comité se prononcerait en faveur de la demande. Voilà un motif suffisant pour justifier le rejet de cette requête . . .

De plus, comme le juge Muldoon l'a dit habilement dans Kostyshyn c. West Region Tribal Council (1992), 55 F.T.R. 28, à la page 46 :

     ... [S]i une partie allègue le déni de justice naturelle pour cause de préjugé, cette partie devrait, non, elle est tenue d'exprimer immédiatement son allégation, car avec le passage du temps, pareille allégation ne serait peut-être plus démontrable. Il ne faut pas que l'allégation de préjugé soit tenue secrète, il faut qu'elle soit immédiatement rendue publique, afin de prendre le tribunal administratif « en flagrant délit » , si on peut dire, de préjugé et de faute. Ainsi donc, l'attitude qui consiste à attendre de voir si on a gain de cause devant l'arbitre, auquel cas on ne fera aucune allégation de préjugé, et à faire cette allégation afin de se soustraire à une perte confirmée, est abusive et doit être découragée.

[78]          De même, en l'espèce, les demandeurs n'ont pas, selon moi, soulevé d'objection à la première occasion où il était pratique de le faire. Dans une lettre en date du 7 avril 1998, Me Brothers a donné aux parties la possibilité de soulever toutes les questions qui les préoccupaient. Voici comment il s'est exprimé :

     [Traduction] Le Conseil ne veut pas être harcelé par des requêtes touchant la procédure au début des audiences. Si certaines questions préoccupent les parties, elles doivent les porter à notre attention le plus tôt possible, de sorte que je puisse obtenir l'opinion du tribunal chargé d'entendre la cause type.
     Vous m'obligeriez en communiquant avec moi le plus tôt possible relativement à l'objet de la présente lettre.

Les demandeurs n'ont jamais répondu à cette lettre et n'ont jamais soulevé la question d'une crainte raisonnable de partialité. Ils semblent avoir attendu d'avoir perdu leur cause pour formuler leurs allégations de crainte raisonnable de partialité. Je suis de cet avis pour les motifs suivants : premièrement, les demandeurs soupçonnaient que quelque chose n'allait pas depuis le tout début. La correspondance en témoigne, plus précisément la lettre adressée par Me Mickelson à Me Fast le 19 février, dans laquelle il lui demandait [Traduction] « qui est responsable d'organiser l'audition de l'affaire - vous-même ou M. Cavazzi » ; la lettre adressée par Me Funt à Me Savage le 27 février, dans laquelle il demandait [Traduction] « une explication complète et honnête. Autrement, il faudra conclure que le processus d'audition comporte un vice fondamental » ; la lettre adressée par Me Funt à Me Fast le 12 mars, dans laquelle il demandait une explication du rôle de la Bande et affirmait que [Traduction] « le défaut de fournir une explication [...] ne servira qu'à exacerber les craintes de beaucoup de nos clients » ; la lettre adressée par Me Mickelson à la Bande le 13 mars (à l'attention de Me Fast) pour demander des renseignements concernant les démissions; enfin, la lettre adressée par Me Mickelson à Me Harvey le 16 avril, dans laquelle il demandait une rencontre entre les demandeurs et la Bande pour qu'ils puissent discuter des démissions, des nouvelles nominations et du nouveau tribunal.

[79]          Malgré toutes ces demandes de renseignements concernant la raison pour laquelle quatre membres du Conseil avaient démissionné et le processus utilisé pour constituer le nouveau tribunal, lorsqu'est venu le temps de la véritable audition en mai 1998, les demandeurs n'ont soulevé aucune objection. En fait, ils ont exprimé leur confiance envers le processus et le nouveau tribunal. Le président Brothers semble avoir répondu à leurs préoccupations ou les avoir calmées. La transcription de l'audience du 11 mai 1998 démontre que Me Mickelson a demandé des explications relativement aux événements passés34, mais qu'il a aussi précisé que sa demande ne s'adressait pas au nouveau tribunal. Ce qui est plus important, il ne soulève expressément aucune objection. Voici ce passage, reproduit en entier :

     [Traduction]

     Le président Brothers : [....]Voyez-vous une objection à ce que nous siégions comme tribunal?

     Me Mickelson : M. le président, je n'ai expressément aucune objection et je n'ai aucune inquiétude quant à l'exercice par le Conseil de ses fonctions de façon indépendante et impartiale. Il y a une question que je voulais soulever, et il me semble opportun de le faire maintenant, et je le ferai beaucoup plus brièvement, compte tenu de vos remarques, mais je croyais qu'il pourrait être utile de relater brièvement, très brièvement, ce qui s'est passé depuis -- Je n'ai donc pas à le faire, mais je suppose que la seule chose qui est gênante, pas pour moi en qualité d'avocat, mais pour mes clients et c'est réellement une question de processus et une des choses qui préoccupaient mes clients était, premièrement, le délai écoulé avant la reprise de l'audition et il n'a jamais été expliqué. Je ne demande pas au tribunal de l'expliquer -

     Le président : Nous avons agi à la vitesse de l'éclair.

     Me Mickelson : Oui, je veux seulement - jusqu'au mois d'avril - je n'ai pas de critique -

     Le président : Je préfère ne pas parler du passé. Je vous parle du présent et de l'avenir.

     Me Mickelson : C'est bien.

     Le président : Ce qui est passé est passé.

     Me Mickelson : C'est bien, M. le président, j'accepte cela. Je veux seulement, je crois, exprimer au nom de mes clients qu'il est à espérer pour ce qui est du passé que nous pouvons passer à l'avenir aujourd'hui, qu'il y aura des - pas de la part du tribunal, mais des explications qui viendront -

     Le président : Je vais laisser les parties régler ça.

     Me Mickelson : Merci.

Selon moi, c'est à ce moment que les demandeurs devaient exprimer les préoccupations qu'il avaient soulevé tout ce temps et, en ne les exprimant pas, ils ont implicitement renoncé à leur droit d'alléguer plus tard une crainte raisonnable de partialité. En fait, Me Mickelson a expressément dit ne pas avoir de doutes sur l'indépendance et l'impartialité du nouveau tribunal. La seule préoccupation qu'il a exprimée concernait le délai écoulé et semble avoir été dissipée par la suggestion de Me Brothers que les parties règlent cette question entre elles35.

[80]          Ce n'est qu'en septembre 1998, deux mois après une décision défavorable, que les demandeurs ont commencé à exprimer exactement les mêmes préoccupations que celles qu'ils avaient exprimées avant l'audition du mois de mai. Par exemple, le 11 septembre 1998, Me Funt a écrit à Me Brothers et l'a informé que les demandeurs tiendraient une réunion lors de laquelle ils discuteraient des démissions des quatre membres du Conseil et de la nomination du nouveau tribunal. De plus, le 22 septembre 1998, Me Funt a écrit à M. Cavazzi pour lui demander tous les documents pertinents aux démissions. En réponse, M. Cavazzi a dit qu'il n'avait pas d'objection à communiquer ces documents, mais il a suggéré que les demandeurs essaient d'abord d'obtenir ces renseignements de la Bande. Ainsi, le 2 octobre 1998 et le 16 novembre 1998, Me Funt et Me Mickelson, respectivement, ont écrit à Me Harvey pour lui demander ces documents. Comme ils n'ont pas reçu de réponse, ils ont réitéré leur demande de renseignements à M. Cavazzi, qui a fourni ces renseignements le 24 novembre 1998.

[81]          À mon avis, les demandeurs pouvaient et auraient dû demander ces renseignements à M. Cavazzi bien avant l'audition du mois de mai. Bien qu'ils ne connaissaient pas le contenu exact de ces documents, il avaient certainement des doutes concernant le processus, comme en témoigne la correspondance qu'ils ont adressée à la Bande. Plutôt que d'attendre en septembre pour demander ces renseignements à M. Cavazzi, ils auraient pu lui faire cette demande dès qu'ils ont découvert que les quatre membres du Conseil avaient démissionné et qu'un nouveau tribunal avait été nommé. Rien ne les empêchait de demander ces renseignements à M. Cavazzi ou aux autres membres du Conseil qui avaient démissionné. De plus, je n'ai aucune raison de croire que M. Cavazzi n'aurait pas été aussi disposé à communiquer ces renseignements qu'à l'automne; il aurait peut-être demandé aux demandeurs de présenter leur demande de renseignements à la Bande d'abord, mais, quoi qu'il en soit, les demandeurs avaient la possibilité et, à mon avis, le devoir de présenter leur demande de renseignements à la première occasion. De plus, les demandeurs n'avaient aucune raison de se soumettre au processus en mai et d'attendre qu'une décision soit rendue pour communiquer avec M. Cavazzi et formuler leurs allégations. En fait, les demandeurs savaient exactement la même chose avant l'audition du mois de mai et après cette audition; ils ont éprouvé des craintes relativement au processus dès le début. Aucun fait nouveau qui aurait enclenché leur demande de renseignements n'a été découvert pendant ni après l'audition du mois de mai. Bref, si les demandeurs avaient demandé plus tôt les renseignements qu'ils ont obtenus en novembre 1998, ils les auraient obtenus avant le début de l'audition du mois de mai.

[82]          Par conséquent, compte tenu de l'ensemble de ces faits, je conclus que les demandeurs ont renoncé à leur droit de s'opposer plus tard au processus et de formuler des allégations de crainte raisonnable de partialité.

Conclusion

[83]          Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les parties pourront débattre devant moi de la question des dépens d'ici 60 jours.

     Marc Nadon

     JUGE

O T T A W A (Ontario)

5 mai 2000

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-49-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Dorothy A. Huyck et autres c. La Bande indienne de Musqueam
LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE :          le jeudi 18 novembre 1999

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE NADON

EN DATE DU :                  vendredi 5 mai 2000

ONT COMPARU :

Me Gordon Funt                  POUR LES DEMANDEURS (LYMAN ET AUTRES)
Me Howard Mickelson              POUR LES DEMANDEURS (HUYCK ET AUTRES)
Me Wendy Baker                  POUR LA DÉFENDERESSE (LA BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM)
Me John Savage                  POUR LE DÉFENDEUR (L'ÉVALUATEUR DE LA BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM)
Me John Lakes                  POUR L'INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Fraser Miller                  POUR LES DEMANDEURS (LYMAN ET

Vancouver (C.-B.)              AUTRES)

McAlpine Gudmundseth Mickelson      POUR LES DEMANDEURS (HUYCK ET

Vancouver (C.-B.)              AUTRES)

Roberts & Griffin              POUR LA ÉFENDERESSE (LA BANDE

Vancouver (C.-B.)              INDIENNE DE MUSQUEAM)

Crease Harman & Company          POUR LE DÉFENDEUR (L'ÉVALUATEUR DE

Victoria (C.-B.)                  LA BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM)
Dr Kesselman                  POUR LE DÉFENDEUR

Vancouver (C.-B.)

Me John Lakes                  POUR L'INTERVENANT (LE CONSEIL D'EXAMEN
Vancouver (C.-B.)              DE LA BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM)
__________________

1      83. (1) Sans préjudice des pouvoirs que confère l'article 81, le conseil de la bande peut, sous réserve de l'approbation du ministre, prendre des règlements administratifs dans les domaines suivants :              a) sous réserve des paragraphes (2) et (3), l'imposition de taxes à des fins locales, sur les immeubles situés dans la réserve, ainsi que sur les droits sur ceux-ci, et notamment sur les droits d'occupation, de possession et d'usage;             

2      L'évaluateur est la British Columbia Assessment Authority, représentée par Me John Savage.

3      Le juge Scow est un juge de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique à la retraite.

4      M. Clark a été élu à un poste de l'Institut canadien des évaluateurs auquel il doit consacrer beaucoup de temps, ce qui a limité sa disponibilité pour siéger au Conseil.

5      Me Fast est l'avocat interne de la Bande. En l'espèce, il faisait équipe avec Me Lewis F. Harvey, un avocat du cabinet Davis & Co. de Vancouver.

6      Le 12 novembre 1997, M. Cavazzi a suggéré à Me Fast que M. Gordon soit nommé au Conseil.

7      M. Cavazzi était président du Conseil et président du tribunal qui s'est réuni pour l'audition du 14 janvier.

8      Comme le président l'a dit : [ Traduction] « Je pense, compte tenu des remarques formulées par les défendeurs en l'espèce pour s'opposer à deux membres du Conseil - le règlement administratif prescrit que c'est un tribunal de trois membres qui entend l'appel ... Je ne pense pas que le tribunal ait d'autre recours que de renoncer à siéger ... Je pense qu'il s'ensuit cependant que l'audition est ajournée à une date ultérieure et je suppose qu'un nouveau tribunal sera nommé et je suis désolé de dire que les choses prennent fin plutôt abruptement » (Procédure ajournée).

9      Soit le juge Scow et MM. Cavazzi et Clark.

10      Dans une lettre en date du 20 février 1998, Me Savage a écrit à Me Funt et réitéré les propos tenus par Me Fast dans sa lettre du 19 février, c'est-à-dire que le tribunal qui s'était récusé ne pouvait par la suite se déclarer à nouveau compétent.

11      Dans son affidavit, Me Fast affirme n'avoir pris connaissance de la lettre rédigée par M. Cavazzi le 10 février que le 19 février, après avoir discuté avec Me Savage.

12      Savoir, le juge Scow, M. Clark, Me Brothers et Me Roberts.

13      Au cours de l'audition, on m'a informé que Mes Brothers et Roberts n'ont pas été avisés de cette réunion.

14      C'est-à-dire les lettres rédigées par Me Fast le 17 et le 19 février.

15      Les nouveaux membres du Conseil ont été nommés (le 16 février) avant la démission des membres du tribunal initial (procès-verbal du 23 février, suivi des lettres de démission en date du début mars). Selon les demandeurs, il faut en déduire que la Bande avait décidé de passer outre l'opinion du juge Scow, selon laquelle M. Cavazzi pouvait siéger comme membre du tribunal.

16      Cette réunion n'a jamais eu lieu.

17      Par. 31 de l'affidavit de Me Fast.

18      Giesbrecht c. Canada (1998), 148 F.T.R. 81; Mackie c. Canada, [1998] 1 C.F. 219; Anderson c. Canada (Ministre de la Défense nationale) [1997] 1 C.F. 273 (C.A.); Pisces Marine Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1997] A.C.F. no 1388; Rae c. Canada (P.G.), [1995] A.C.F. no 1269.

19      Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3 (Matsqui).

20      Matsqui, supra.

21      C.D. Lee Trucking Ltd. v. Industrial Wood and Allied Workers of Canada, [1998] B.C.J. no 2776.

22      Le critère applicable à la crainte raisonnable de partialité est incontestablement celui établi par le juge de Grandpré dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, comme je le mentionnerai dans la section qui suit intitulée « Les principes jurisprudentiels applicables en matière de crainte raisonnable de partialité » .

23      J'adhère aux motifs prononcés par le juge en chef. Selon moi, le juge Sopinka semble défendre une démarche attentiste sans s'intéresser suffisamment à la façon dont une structure peut comporter des défauts inhérents qui entraîneraient une crainte raisonnable de partialité.

24      Par conséquent, en l'espèce, comme la rémunération et la durée des fonctions du Conseil sont garanties, la seule question à trancher est celle de savoir si la nomination du Conseil par la Bande crée en soi une crainte raisonnable de partialité.

25      Les nominations ont été faites le 16 février 1998, tandis que les démissions se sont produites le 23 février 1998.

26      M. Getz, Me Brothers, Me Roberts et M. Sparks.

27      Me Fast et Me Savage n'ont pas contesté le fond ni le contenu de l'opinion du juge Scow, mais le pouvoir et la compétence du Conseil de solliciter son opinion.

28      Je tiens à nouveau à souligner que la Bande et l'évaluateur ne contestent pas l'opinion du juge Scow sur le fond. Ils attaquent simplement la compétence du juge Scow pour donner son opinion compte tenu que deux membres du Conseil s'étaient récusés à l'audience du 14 janvier 1998.

29      Je conclus que le défaut de Me Fast d'envoyer une copie de sa lettre n'a pas suscité une crainte raisonnable de partialité, compte tenu que la lettre de Me Savage avait placé la même question au premier plan. Toutefois, dans la présente section, je traite de la question de la non-divulgation des renseignements par la Bande.

30      Aux fins de la présente section, la correspondance pertinente est composée des lettres envoyées avant l'audition.

31      Il faut mentionner que, dans cet affidavit, Me Fast ne précise pas pourquoi il n'a pas divulgué ces renseignements par la suite.

32      Trois membres de la Cour étaient dissidents en partie, mais ils étaient d'accord avec la majorité pour dire qu'il faut soulever la crainte raisonnable de partialité à la première occasion où il est pratique de le faire.

33      Voir aussi : Del Moral c. M.C.I., (1998), 46 Imm. L.R. (2d) 98, Hernandez c. M.C.I., [1999] A.C.F. no 607, Nartey c. M.E.I. (1994) F.T.R. 74.

34      Me Funt n'a formulé aucune remarque sur cette question. La première fois qu'il parle, il s'informe de la preuve que la Bande a l'intention de produire. Il faut en déduire qu'il accepte le processus.

35      Aucune preuve n'établit que les demandeurs aient déjà tenté de [Traduction] « régler » ni qu'ils aient soulevé à nouveau la question du délai écoulé.

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