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Date : 20050119

Dossier : IMM-9213-03

Référence : 2005 CF 64

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

ENTRE :

                                                     MONICA LOURDES PANTAS

                                                 LAYLA YAEL LOURDES PANTAS

                                                RODRIGO FACUNDO ENTRE RIOS

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (Loi), de la décision rendue par un agent de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission) datée du 23 octobre 2003 (décision).


CONTEXTE

[2]                Monica Lourdes Pantas est une citoyenne de l'Argentine âgée de 39 ans.

[3]                Monica Lourdes Pantas et ses deux enfants mineurs, Layla Yael Lourdes Pantas et Rodrigo Facundo Entre Rios, demandent l'asile.

[4]                La demanderesse prétend craindre avec raison d'être persécutée du fait qu'elle est une femme dans une relation de violence.

[5]                Les enfants mineurs fondent leur demande sur celle de Mme Pantas et prétendent en outre qu'ils craignent d'être persécutés du fait de leur appartenance à un groupe social, soit la famille.

[6]                Les demandeurs sont arrivés au Canada en décembre 2001 et ils ont demandé l'asile à la frontière de Fort Erie.

[7]                Mme Pantas affirme qu'elle était dans une relation de violence avec un homme appelé Aldo Ochoa. Elle dit qu'elle a commencé à faire vie commune avec M. Ochoa en août 1996 et que, par la suite, elle [traduction] « a pris conscience de certains traits de caractère de M. Ochoa que je n'avais pas vus auparavant; la jalousie et le désir d'exercer un contrôle sur moi comme si je lui appartenais » .


[8]                M. Ochoa est un arbitre professionnel de basket-ball.

[9]                Mme Pantas affirme qu'elle a [traduction] « tenté de [s]'adapter à la situation et de s'en tirer afin que la relation dure » . Toutefois, elle affirme que : [traduction] « en octobre 1996, M. Ochoa est devenu très agressif. Il m'a battu, il a tenté de m'étrangler, il m'a poussé par terre et il a tenu des propos humiliants à mon égard » . Elle affirme que son fils, Rodrigo, a tenté de la défendre et que M. Ochoa l'a giflé. Par conséquent, son fils a eu la lèvre coupée au point où il fallait des points de suture. Elle l'a amené à l'hôpital. Elle a fourni des notes de médecins, datées du 24 octobre 1996, concernant tant sa visite que celle de son fils. Après avoir quitté l'hôpital, Mme Pantas affirme qu'elle s'est rendue au domicile de ses parents. Elle dit que M. Ochoa a menacé de la tuer si elle le dénonçait à la police.

[10]            Environ une semaine après l'incident du mois d'octobre 1996, M. Ochoa s'est rendu au domicile des parents de Mme Pantas et il a présenté ses excuses. M. Ochoa lui a demandé de revenir chez lui, ce qu'elle fit, deux plus tard.

[11]            Elle a ensuite vécu avec M. Ochoa jusqu'en juin 1997. Elle dit que M. Ochoa est le père de sa fille, Layla, née le 28 novembre 1997.

[12]            Elle affirme qu'un deuxième incident s'est produit en juin 1997 alors qu'elle était enceinte de quatre mois. M. Ochoa l'a accusé de [traduction] « [s]'habiller pour attirer d'autres hommes, puis il [l']a frappée avec tellement de violence qu'[elle a] perdu connaissance et [s'est] réveillée à l'hôpital Fleming, rue Colon, à Mendoza » . Elle affirme être restée à l'hôpital pendant au moins dix jours, puis elle a reçu des soins médicaux au domicile de ses parents pendant le reste de sa grossesse. Elle a produit la note d'un médecin datée du 26 juin 1997 qui dit que : [traduction] « Mme Pantas, qui en est au quatrième mois de sa grossesse, présente des blessures tant légères que graves causées par les sévices de son partenaire; ses symptômes laissent également présager un accouchement avant terme » .

[13]            Mme Pantas affirme qu'après être déménagée au domicile de ses parents, elle a reçu des appels téléphoniques menaçants de la part de M. Ochoa. Elle dit que M. Ochoa a menacé de la tuer si elle [traduction] « fréquentait un autre homme » ou si elle le dénonçait à la police. M. Ochoa prétendait avoir [traduction] « beaucoup d'amis dans la police » .


[14]            Malgré les menaces, Mme Pantas affirme s'être rendue au poste de police no 34, le 2 novembre 1998. Elle dit que [traduction] « il y a eu de la violence dans [s]a rue » et que [traduction] « M. Ochoa [l]'a battue » alors qu'il rendait visite à des membres de sa famille, dans la même rue. Elle dit qu'outre avoir signalé l'incident au poste de police, elle a obtenu des soins médicaux et a intenté une poursuite en justice contre M. Ochoa. Elle dit n'avoir rien entendu de la police ni au sujet de sa poursuite. Elle a produit une note de médecin datée du 2 novembre 1998 qui décrit les diverses blessures qu'elle aurait subies. Elle a fourni une note datée du 6 août 2001 qui, selon elle, proviendrait du cabinet d'avocats qui s'occupait de sa poursuite et qui dit en partie :

[TRADUCTION]

J'ai le plaisir de m'adresser à vous pour vous informer que notre bureau a décidé de ne plus intervenir dans le dossier no 2320 ouvert le 2 novembre 1998 et relatif aux mauvais traitements et au harcèlement dont vous et votre fille avez souffert aux mains de votre partenaire ALDO OCHOA.

Notre décision est motivée par le fait que nous n'avons pas eu de résultats positifs sur les dénonciations déposées, en raison de la forte influence, probablement de nature politique, que possède cette personne. En ce qui concerne les mauvais traitements et le traumatisme dont vous et votre fille avez souffert, nous vous avons conseillé de solliciter l'intervention d'organismes internationaux.

[15]            Mme Pantas affirme qu'un autre incident s'est produit en juin 2001. Elle dit que lorsqu'elle est allée chercher son fils à l'école, M. Ochoa s'y trouvait déjà. Elle dit que M. Ochoa avait discuté avec son fils et [traduction] « lui avait dit que nous devrions vivre de nouveau tous ensemble comme une famille » . Elle dit qu'après cet incident, son fils avait peur de retourner à l'école.

[16]            Mme Pantas dit qu'après avoir reçu d'autres appels téléphoniques menaçants en février 2001, elle a contacté sa soeur qui vit au Canada. Elle dit que sa soeur l'a encouragée à venir au Canada, ce qu'elle a fait en décembre 2001.

[17]            Mme Pantas a subi une évaluation psychologique le 13 juin 2003, à Toronto (Ontario). L'évaluation a été effectuée par M. J. Pilowsky, un psychologue agréé. M. Pilowsky a soumis un rapport écrit daté du 18 juin 2003. Le document dit notamment :

[TRADUCTION]

DIAGNOSTIQUE ET OPINION PROFESSIONNELLE

Mme Pantas s'est présentée à l'heure convenue avec sa fille de cinq ans. Elle s'est mise à pleurer peu après avoir été avisée que, compte tenu de son dossier, sa fille de cinq ans ne pouvait demeurer dans la salle d'entrevue avec elle. Elle a pleuré pendant presque toute l'entrevue et elle semblait mal à l'aise et inquiète de savoir si sa fille était en sécurité à l'extérieur du bureau. Néanmoins, elle était ouverte et elle a semblé décrire tout à fait honnêtement ses symptômes et leurs effets. Elle semblait très déprimée et découragée au sujet de l'avenir, mais elle tentait de faire un effort pour se sentir mieux à cause de ses enfants. Elle s'exprimait clairement et parlait à voix basse. À mon avis, Mme Pantas est très crédible pour ce qui touche sa détresse émotionnelle et sa description des événements.

Mme Pantas présente toutes les caractéristiques d'une personne qui souffre du syndrome de stress post-traumatique (309.81), ainsi que de dépression importante, de gravité modérée (296.22). Elle a été extrêmement traumatisée par les mauvais traitements qu'elle a été obligée de subir dans son pays. Elle avait été avisée que même si elle avait signalé les agressions à la police, elle n'avait reçu aucune aide « parce que les femmes ne sont pas protégées dans [son] pays » . Elle souffre également des symptômes typiques dont souffrent les femmes victimes de violence, notamment une faible estime de soi, un sentiment d'inutilité et une tristesse profonde. Elle a également refoulé les actes de violence et se croit en quelque sorte responsable. Elle continue de revivre les agressions, par des souvenirs et des cauchemars. Elle a constamment peur que ses enfants lui soient enlevés et cette peur s'est généralisée de sorte qu'elle croit qu'on pourrait les enlever à tout moment. Apparemment, les récentes nouvelles concernant une fillette de dix ans qui a été enlevée et tuée a exacerbé ses craintes.

J'estime que Mme Pantas est incapable, sur le plan des émotions, de faire face à un retour en Argentine. Elle est tout à fait convaincue que sa vie, ainsi que celle des ses enfants sont en danger dans ce pays. Elle subirait des difficultés indues et souffrirait peut-être de dépression nerveuse. Cela influerait sur sa capacité de s'occuper de ses jeunes enfants.

Outre les difficultés auxquelles Mme Pantas devrait faire face, il ne faut pas sous-estimer à quel point son fils de douze ans pourrait souffrir de nouveau. Ce jeune homme a été témoin de violence et il a subi des actes de violence et il est assez vieux pour comprendre que s'ils retournent en Argentine, lui et sa mère seront de nouveau agressés. J'estime que cette situation serait la cause de dommages psychologiques graves pour ce jeune homme. Apparemment, l'environnement sécuritaire lui a fait beaucoup de bien et l'obliger à retourner dans un environnement dangereux pourrait avoir des conséquences psychologiques dévastatrices à long terme.


Mme Pantas a obtenu une lettre qui lui permettra de prendre des antidépresseurs qui l'aideront à mieux contrôler ses symptômes. Elle a également été envoyée au Centre de soutien pour les femmes maltraitées d'expression espagnole. J'estime qu'avec les interventions ci-dessus en place et une fois l'incertitude de l'audience passée, Mme Pantas sera beaucoup mieux sur le plan psychologique. Elle sera ensuite en mesure de procurer un environnement aimant et sécuritaire à ses enfants comme elle a toujours voulu le faire.

[18]            Dans ses motifs, la Commission tient compte du rapport du psychologue :

La demandeure a présenté un rapport psychologique daté du 18 juin 2003. Le rapport reprend le récit dans le FRP. Il y est indiqué que la demandeure souffre du syndrome de stress post-traumatique ainsi que d'une grave dépression. La demandeure a été adressée au Centre de soutien pour les femmes maltraitées d'expression espagnole.

Selon le témoignage de la demandeure à l'audience, elle a toujours eu un emploi pendant qu'elle habitait en Argentine, comme inspectrice-hygiéniste pour le secteur public. Aucun des rapports médicaux et psychologiques de l'Argentine ne mentionne l'incapacité de la demandeure de s'adonner à ses activités quotidiennes, ni qu'elle a déjà souffert d'une maladie mentale, que ce soit avant ou après 1999, qui l'aurait rendue incapable de subvenir à ses propres besoins et à ceux de ses enfants.                                                                            [Souligné dans l'original.]

[19]            Mme Pantas n'a produit aucun document de l'Argentine faisant état d'une évaluation psychologique.

[20]            Toutefois, selon son dossier médical, daté du 16 août 2001 : [traduction] « même si certains de ses symptômes sont en rémission, la patiente doit poursuivre son traitement psychologique et psychiatrique » .

[21]            Son dossier médical du 10 août 1998 indique bien qu'elle sera [traduction] « renvoyée à un psychologue expert en la matière et que son dossier a été confié à une équipe multidisciplinaire » . Aucun document de suivi psychologique n'a été fourni.

DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[22]            La Commission a conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés au risque d'être persécutés, d'être soumis à la torture ou à une menace à leur vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités s'ils étaient renvoyés en Argentine parce que : (i) la Commission n'était pas convaincue qu'il y avait une « possibilité raisonnable » ou une « possibilité sérieuse » (Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.F.)) du fait de leur appartenance à un groupe social s'ils devaient retourner en Argentine; (ii) les demandeurs ne sont pas des personnes à protéger au sens des alinéas 97(1)a) ou 97(1)b) de la Loi.

[23]            La Commission a soulevé quatre questions sur lesquelles elle a fondé sa décision :

(i)          la nationalité argentine des demandeurs;

(ii)         la crédibilité;

(iii)        la crainte fondée de persécution;

(iv)        les motifs regroupés.

[24]            Pour ce qui concerne la première question, la Commission a conclu que les demandeurs étaient des ressortissants de l'Argentine.

[25]            Concernant la deuxième question, celle de la crédibilité, la Commission a contesté plusieurs observations des demandeurs : la lettre de l'avocate de Mendoza, la vraisemblance de n'avoir pas signalé les appels téléphoniques menaçants reçus après 2001 à la police; les lettres des médecins de l'Argentine; le rapport du psychologue canadien; la question de savoir si M. Ochoa était bien le conjoint de fait de la demanderesse; la notoriété alléguée de M. Ochoa en tant qu'arbitre de basket-ball.

[26]            La Commission a examiné chacune des observations. Elle a contesté la crédibilité de la lettre de l'avocate aux motifs que : (i) la lettre n'avait pas été rédigée sur du papier à en-tête officiel; (ii) la lettre ne contenait aucun terme juridique; (iii) l'auteure conseillait à sa cliente de solliciter l'intervention d'organismes internationaux; (iv) la lettre semblait avoir été générée par ordinateur. La Commission a également contesté la crédibilité de la lettre au motif que le document avait été envoyé à la résidence de Mme Pantas. La Commission a ensuite conclu que les lettres avaient été fabriquées uniquement aux fins de l'audience devant la SPR.


[27]            La Commission a également contesté la crédibilité de Mme Pantas du fait qu'elle n'avait pas signalé les appels téléphoniques menaçants reçus après juin 2001 à la police. La Commission a conclu que, parce que la demanderesse avait signalé l'incident du 2 novembre 1998, le fait qu'elle n'ait pas signalé les événements subséquents nuisait à sa crédibilité.

[28]            Troisièmement, la Commission a contesté la crédibilité de la demanderesse à cause des lettres de médecins de l'Argentine. La Commission a reconnu que Mme Pantas et son fils avaient reçu des soins médicaux entre 1996 et 1999. La Commission a dit toutefois qu'il n'y avait aucune preuve fiable de soins psychologiques ou médicaux soutenus en Argentine de 1999 et par la suite.

[29]            Quatrièmement, la Commission a contesté le rapport du psychologue canadien. La Commission n'a pas dit pourquoi elle rejetait le rapport, mais elle a dit qu'aucun des documents des médecins de l'Argentine n'appuyait « l'incapacité de la demandeure de s'adonner à des activités quotidiennes » ou « qui l'auraient rendue incapable de subvenir à ses propres besoins et à ceux de ses enfants » en Argentine.


[30]            Cinquièmement, la Commission n'était pas convaincue qu'Aldo Ochoa était le conjoint de fait de Mme Pantas. La Commission a souligné que M. Ochoa n'était mentionné dans aucun des rapports médicaux. La Commission a également tiré des conclusions négatives du fait que M. Ochoa ne figurait pas comme étant le père de Layla sur le certificat de naissance de cette dernière. La Commission conclut : « [l]e tribunal n'est saisi d'aucune preuve fiable qu'Aldo Ochoa était un conjoint de fait ni qu'il était responsable des mauvais traitements infligés à la demandeure » . (Souligné dans l'original.) La Commission a également mis en doute la notoriété, en Argentine, de M. Ochoa, en tant qu'arbitre de basket-ball.

[31]            Après avoir analysé la question de la crédibilité, la Commission s'est penchée sur la crainte fondée de persécution. La Commission a conclu que la protection de l'État existait en Argentine pour les femmes victimes d'un conjoint violent, surtout à Buenos Aires. Sur le plan international, l'Argentine a signé la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CÉFDF), ainsi que la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l'élimination de la violence faite aux femmes (Trousse documentaire de la SPR - Argentine, le 22 septembre 2002, section 3 qui traite de la persécution fondée sur le sexe).


[32]            Sur le plan national, le Consejo National de la Mujer (Conseil national des femmes (CNF)) est chargé de garantir que les droits prescrits par les conventions internationales sont respectés. À Buenos Aires, le gouvernement provincial a créé deux centres ainsi qu'une ligne téléphonique d'urgence ouverte 24 heures sur 24 pour les femmes qui ont été victimes de violence. Il existe également d'autres services à Buenos Aires pour les femmes qui ont été victimes de violence. La Commission a ajouté que la preuve documentaire révèle que l'Argentine, et plus particulièrement Buenos Aires, offre une protection aux demandeurs. La Commission a reconnu que la protection n'est peut-être pas parfaite, mais qu'elle est néanmoins disponible et qu'il incombe aux demandeurs de démontrer qu'ils ne peuvent se prévaloir de la protection de l'État.

[33]            La Commission a conclu qu'il avait été satisfait aux deux volets du critère énoncé par le juge Mahoney dans l'affaire Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.F.) : (i) la Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d'être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge (PRI); (ii) les conditions qui existent dans cette partie du pays sont telles qu'il ne serait pas déraisonnable, eu égard à toutes les circonstances, y compris les circonstances propres au demandeur, que le demandeur y cherche refuge.

[34]            La question finale a été celle des motifs regroupés. La Commission a dit que : « [é]tant donné que le tribunal n'a pas conclu que la prétention de la demandeure selon laquelle elle craint avec raison d'être persécutée est objectivement fondée, sa demande doit aussi être rejetée en ce qui concerne les motifs de menace à sa vie ou de risque de torture » .

QUESTIONS

[35]            Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :


1.          La Commission a commis une erreur de droit en interprétant la preuve et en ne tenant pas compte d'une certaine preuve documentaire, notamment la preuve présentée par un psychologue, et en tirant des conclusions négatives non fondées;

2.          La Commission a commis une erreur de droit en appréciant et en déterminant le bien-fondé de la demande concernant la protection de l'État, la violence familiale et la PRI.

ARGUMENTS

Demandeurs

[36]            Les demandeurs prétendent que la Commission n'a pas donné de motifs concrets de douter de la crédibilité de Mme Pantas. En outre, en contestant la crédibilité de Mme Pantas, la Commission a fondé ses conclusions négatives sur des inférences non fondées.

Mise en doute de la crédibilité de Mme Pantas

La lettre de l'avocate


[37]            La Commission a commencé par attaquer la crédibilité de Mme Pantas en se fondant sur la lettre de l'avocate. Les demandeurs prétendent que la lettre de l'avocate était imprimée sur du papier à en-tête du cabinet d'avocats, en-tête qui indiquait l'adresse et les numéros de téléphone et de télécopieur du cabinet.

[38]            Les demandeurs prétendent également que la lettre de l'avocate est signée du nom de l'avocate. On y trouve également le numéro de membre du Barreau de l'avocate.

[39]            Les demandeurs affirment que la conclusion tirée par la Commission selon laquelle la lettre était fabriquée est erronée parce qu'il est impossible de savoir ce que la Commission entend par « papier à en-tête » . Le nom de l'avocate, l'adresse du cabinet d'avocats, les numéros de téléphone et de télécopieur, ainsi que le numéro de membre du Barreau de l'avocate apparaissent tous sur la lettre. Les demandeurs prétendent que la lettre de l'avocate a une apparence à la fois officielle et authentique et que la Commission ne s'est pas du tout renseignée dans le but de vérifier les renseignements contenus dans la lettre.

[40]            Les demandeurs contestent également la conclusion négative fondée sur le fait que la lettre de l'avocate ne comportait aucun terme juridique. La Commission n'a pas précisé ce qu'elle entendait par cette expression ni ce à quoi elle s'attendait. Les demandeurs soulignent qu'habituellement, les lettres d'un avocat à un client ou à un non-juriste ne contiennent aucun terme juridique.

[41]            Les demandeurs ajoutent qu'il n'y a aucune preuve qu'un des membres de la Commission était un avocat et ils contestent l'expertise de la Commission pour ce qui concerne son appréciation de la lettre de l'avocate.

[42]            Les demandeurs font valoir que la conclusion négative tirée du fait que la lettre a été générée par ordinateur est également sans fondement parce que la plupart des lettres d'avocats sont générées par ordinateur.

[43]            Les demandeurs affirment que le contenu de la lettre de l'avocate ne peut être mis en doute du fait que : a) la lettre a été envoyée à la résidence de Mme Pantas; b) la lettre donne à penser que la protection de l'État n'est pas disponible ou avise Mme Pantas de tenter de solliciter l'aide d'organismes internationaux; c) la lettre attribue une grande influence politique à un arbitre de basket-ball. Aucun de ces facteurs ne permet de dire que le document n'est pas authentique puisque la lettre présente l'opinion de l'avocate.

[44]            Les demandeurs soutiennent que la Commission n'a fourni aucune preuve concrète pour appuyer sa conclusion selon laquelle la lettre de l'avocate était fabriquée et elle ne s'est pas enquise sur les titres de compétence ni sur l'identité de l'avocate, renseignements qui ont été fournis par les demandeurs.


Soins médicaux et psychologiques

[45]            La Commission a accepté les documents médicaux produits pour la période entre 1996 et 1999.

[46]            Les demandeurs prétendent que puisque la Commission a reconnu que Mme Pantas avait fait l'objet de mauvais traitements et de soins médicaux de 1996 à 1999, cela vient confirmer sa crédibilité et contredit les conclusions négatives tirées par la Commission à cet égard.

[47]            Les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur de droit en concluant que Mme Pantas n'avait reçu aucun autre soin médical ou psychologique après 1999 et en ne tenant pas compte du témoignage de Mme Pantas concernant les soins psychologiques périodiques obtenus en 2000.

Rapport du psychologue canadien

[48]            Les demandeurs soulignent que la Commission a accepté le rapport du psychologue canadien, mais qu'elle n'a pas tenu compte du contenu. Au lieu d'analyser le rapport, la Commission a tiré une conclusion négative parce que les documents médicaux provenant de l'Argentine n'affirmaient pas que Mme Pantas n'était pas en mesure de subvenir à ses propres besoins et à ceux de ses enfants.


[49]            Les demandeurs disent que les rapports psychologiques sont importants pour ce qui concerne la crédibilité et qu'il faut motiver leur rejet. L'omission de donner les motifs constitue une erreur de droit.

[50]            Les demandeurs prétendent que le critère appliqué par la Commission n'était pas pertinent pour ce qui concerne les questions médicales et psychologiques qui devaient être tranchées.

[51]            Ils ajoutent qu'un rapport psychologique doit être un élément important des conclusions tirées par la Commission et qu'en l'espèce, la Commission n'a pas analysé le rapport canadien en ce sens.

[52]            Les demandeurs affirment que lorsque la Commission décide qu'un rapport psychologique n'est pas convaincant, elle doit expliquer pourquoi. En l'espèce, la Commission n'a fourni aucun motif lui permettant de conclure que le rapport psychologique canadien n'était pas convaincant.

[53]            Les demandeurs ajoutent que puisque la Commission a reconnu que Mme Pantas avait été victime de violence et avait reçu des soins médicaux entre 1996 à 1999 elle était d'autant plus tenue d'évaluer en détail toute la preuve médicale et psychologique.


Aldo Ochoa comme conjoint de fait

[54]            Les demandeurs affirment que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve écrite et orale qui décrivait M. Ochoa comme étant l'agresseur de Mme Pantas. Ils reconnaissent que le certificat de naissance de Layla ne mentionne pas M. Ochoa et que les rapports médicaux de l'Argentine ne le mentionnent pas non plus. Toutefois, l'absence de nom, sans aucune autre preuve, n'est pas une raison valable de conclure que M. Ochoa n'était pas l'agresseur.

[55]            Les demandeurs prétendent, pour ce qui concerne la notoriété de M. Ochoa, qu'il était bien connu comme arbitre professionnel de basket-ball tant à l'échelle du pays que localement et que son nom était mentionné dans les journaux.

Crainte bien fondée

Protection de l'État

[56]            Les demandeurs prétendent que Mme Pantas a demandé la protection de la police et qu'elle a retenu les services d'une avocate. Ils allèguent que l'avocate s'est récusée à cause de la corruption et de l'influence qui l'ont empêchée d'être utile.

[57]            Les demandeurs soulignent que la corruption et l'inefficacité de la police en Argentine sont bien documentés. Ils se fondent sur le rapport sur les droits de la personne publié par le Département d'État des États-Unis en 2002 (Human Rights Practices - 2002) qui dit notamment :

[TRADUCTION]

De façon générale, le gouvernement respecte les droits de ses citoyens; toutefois, il y a eu des problèmes dans certains domaines. Les gardiens de prison et la police ont tué, torturé et brutalisé certaines personnes. Les autorités ont poursuivi quelques agents de police à cause de ces actes même si les gestes ont perduré impunément, surtout dans les prisons. La corruption policière a posé des problèmes. La police a utilisé une force excessive contre des manifestants à plusieurs reprises. La surpopulation des prisons a posé des problèmes. Il est arrivé que la police provinciale arrête et détienne des citoyens sans raison. La violence familiale à l'égard des femmes a posé des problèmes.

[58]            Les demandeurs font également valoir que le rapport actuel de 2003 du Département d'État fait état des risques pour ce qui concerne les atteintes aux droits de la personne, la corruption de la police, ainsi que l'absence de mécanismes gouvernementaux efficaces pour lutter contre la corruption et l'usage de la force par les agents de la paix. Le rapport actuel insiste sur le fait que la violence familiale n'est pas toujours dénoncée et que les victimes hésitent à le faire a) soit par crainte de la répression policière b) soit parce qu'elles croient que le signalement n'aura aucun effet concret. Le rapport ne donne aucune estimation du pourcentage de cas signalés qui, selon les demandeurs, pourrait se situer entre 10 p. 100 et 20 p. 100.

Crainte bien fondée - PRI


[59]            Les demandeurs soutiennent qu'il n'y a aucune PRI raisonnable à Buenos Aires. Le rapport actuel du Département d'État affirme que [traduction] « Buenos Aires, une ville qui compte plus de 12 millions d'habitants, n'a qu'une seule petite maison de refuge [pour femmes battues] qui, bien entendu, ne suffit pas pour s'attaquer au problème » . Les demandeurs soulèvent ensuite la réponse à la demande d'information ARG 37270.E du 28 juin 2001 qui dit que même si certaines lois interdisent l'exploitation sexuelle, l'intervention judiciaire est quasi non existante.

[60]            Les demandeurs prétendent que la Loi 24.417 a été mise en oeuvre à Buenos Aires, mais que cette loi, qui a pour objet d'empêcher la violence familiale, est inadéquate. Les demandeurs se fondent sur la décision Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1438 (C.F. 1re inst.) qui affirme que la Commission doit « examiner effectivement non seulement s'il existait des mécanismes légaux et procéduraux de protection mais encore si l'État, par l'intermédiaire de la police, était disposé à mettre ces mesures en oeuvre » . Les demandeurs affirment que la police de l'Argentine n'a pas reçu la formation nécessaire pour s'occuper des femmes victimes de violence et qu'il n'y a aucune norme juridique fiable et cohérente applicable en matière de violence familiale.

[61]            Les demandeurs citent les propos du juge Rothstein dans Jane Doe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1579, au paragraphe 1, qui, selon les demandeurs, s'appliquent en l'espèce :

[...] Il ressort des termes employés par le tribunal et des renvois de celui-ci à la preuve qu'il a exigé de la requérante qu'elle épuise absolument tous les recours disponibles pour assurer sa protection et non qu'elle prenne toutes les mesures raisonnables, compte tenu de sa situation, pour obtenir une protection dans son pays.

[62]            Les demandeurs soutiennent qu'il n'y a aucune PRI raisonnable comme le prétend la Commission. L'agresseur des demandeurs est un arbitre national de basket-ball qui se rend partout en Argentine dans le cadre de ses activités professionnelles.

[63]            Les demandeurs ajoutent que ce sont les chefs de police individuellement qui décident des mesures qui sont prises à Buenos Aires et que ce n'est pas la règle de droit qui en dicte l'application.

[64]            Après avoir conclu à l'existence d'une PRI, la Commission devait décider d'une part, si cette PRI était raisonnable dans le cas précis des demandeurs, (Rasaratnam) et d'autre part, si leur crainte d'être persécutés était bien fondée (Nizamov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 805 (C.A.F.)).

[65]            Les demandeurs prétendent également que le rapport du psychologue canadien pourrait être une preuve objective qu'une PRI constituerait un préjudice indu compte tenu de la persécution qui s'est produite dans une partie du pays. (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1044 (C.F. 1re inst.)) Ainsi, la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve psychologique en évaluant le caractère raisonnable d'une PRI.


Défendeur

[66]            Le défendeur prétend que les conclusions de la Commission en matière de crédibilité et de PRI sont bien fondées.

Crédibilité

[67]            Le défendeur affirme que les demandeurs n'ont pas établi l'existence d'une question de droit plaidable pouvant justifier un contrôle judiciaire. Le défendeur cite le juge Noël qui a dit que la Cour devait « se montrer très prudente afin de ne pas substituer sa propre décision à celle du tribunal, en particulier lorsque la décision repose sur une évaluation de la crédibilité » . (Ankrah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 385 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 8.)

[68]            Le défendeur ajoute également que la Cour ne doit pas intervenir à moins que la Commission ait commis une erreur manifeste (Oduro c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 1421 (C.F. 1re inst.)). En se fondant sur Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F), le défendeur affirme que la Commission peut tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur les invraisemblances, sur le bon sens et sur la rationalité.

[69]            Le défendeur prétend également que la Commission peut rejeter une preuve non contredite si ladite preuve n'est pas compatible avec les probabilités qui entrent en jeu dans une affaire. La Commission peut également préférer la preuve documentaire à la preuve orale. (Zvonov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1089 (C.F. 1 re inst.))

[70]            En l'espèce, le défendeur souligne qu'en évaluant la crédibilité, la Commission a conclu, à juste titre, que :

a)          il fallait accorder peu de poids à la lettre de l'avocate qui n'était pas écrite sur un papier à en-tête officiel et qui semblait avoir être générée par ordinateur;

b)          il était peu probable qu'un arbitre de basket-ball ait une influence politique;

c)          il était peu probable que Mme Pantas ne signale pas l'incident allégué de juin 2001 à la police puisqu'elle l'avait fait auparavant;

d)          aucun des rapports médicaux argentins ne mentionnait précisément l'agresseur allégué;

e)          l'agresseur n'est pas nommé comme étant le père de l'enfant sur le certificat de naissance.

[71]            Le défendeur prétend également qu'un rapport d'expert ne peut, en soi, pallier toutes les incohérences du témoignage de Mme Pantas. (Boateng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 517 (C.F. 1re inst.); Rosales c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 1454 (C.F. 1re inst.))

[72]            Le défendeur affirme que la Commission n'a pas commis une erreur en accordant plus de poids à la preuve médicale de l'Argentine qu'au rapport du psychologue canadien.

[73]            Le défendeur souligne que Mme Pantas a été victime de violence entre 1996 et 1999, mais qu'il n'y avait aucune preuve fiable établissant que les demandeurs avaient de nouveau été maltraités après 1999.

[74]            Le défendeur prétend qu'en matière de crédibilité, la Cour ne doit pas réévaluer toute la preuve. Si la conclusion de la Commission est étayée par la preuve, la Cour ne doit pas intervenir. (Azad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 136 (C.F. 1re inst.))


Crainte bien fondée - PRI

[75]            Le défendeur prétend également que lorsqu'il existe une PRI, les demandeurs doivent craindre avec raison d'être persécutés au point de ne pas pouvoir ou de ne pas vouloir retourner dans leur pays.

[76]            Selon le défendeur, la notion de PRI dans une autre partie du même pays est inhérente à la définition de réfugié au sens de la Convention. S'il est possible pour les demandeurs de chercher refuge dans leur propre pays, il n'y a aucune raison de conclure qu'ils ne peuvent ou ne veulent pas se réclamer de la protection de ce pays. En outre, si la Commission soulève la question d'une PRI, il incombe aux demandeurs d'établir qu'ils risquent sérieusement d'être persécutés dans tout le pays (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 89 (C.A.F.)).

[77]            Le demandeur prétend que le critère relatif à une PRI est objectif et qu'en application de Thirunavukkarasu, la question est de savoir si, compte tenu de la persécution qui sévit dans la partie du pays où résident les demandeurs, il est objectivement raisonnable de s'attendre à ce qu'ils tentent d'être protégés dans une partie différente du pays avant de demander l'asile au Canada.

[78]            Le défendeur affirme que sauf dans le cas d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a habituellement lieu de présumer que l'État est capable de protéger un demandeur (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). En outre, le défendeur prétend que la protection n'est pas nécessairement parfaite, mais qu'elle doit être disponible (Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (C.A.F.)). Le défendeur fait valoir que la Commission a conclu à l'existence d'une PRI à Mendoza et que cette conclusion est valable. À titre subsidiaire, le défendeur prétend que la conclusion de la Commission selon laquelle il existe une PRI à Buenos Aires est valable.

[79]            Le défendeur affirme que la Commission n'a pas commis une erreur en concluant qu'il existait une PRI valide et raisonnable pour les raisons suivantes :

a)          Mme Pantas avait un diplôme d'école secondaire et avait fréquenté l'université;

b)          elle avait un emploi régulier et pouvait travailler comme secrétaire ou comme inspectrice-hygiéniste;

c)          Buenos Aires est la capitale et il est raisonnable de s'attendre à ce que les demandeurs puissent recevoir les soins médicaux et psychologiques dont ils ont besoin dans cette ville.


[80]            Le défendeur fait valoir que même si la Commission n'a pas mentionné certains éléments de la preuve documentaire et orale, cette exclusion n'était pas fatale. La Commission a accordé le poids qu'il fallait à la preuve produite. Il faut présumer que la Commission a évalué toute la preuve dont elle était saisie et qu'elle en a tenu compte sauf si le contraire est démontré (Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.)).

Analyse

L'ensemble de la décision

[81]            La décision est quelque peu confuse. En voici les principales conclusions :

1.          « Il n'y a aucune preuve fiable de soins médicaux psychologiques soutenus de 1999 et par la suite. »

2.          « Le tribunal conclut que la preuve documentaire indique clairement que l'État de l'Argentine offre une protection [...] Elle pourrait bénéficier d'une protection à Mendoza ou à Buenos Aires. »

3.          « La demandeure pourrait retourner en Argentine et vivre à Buenos Aires [...] Le tribunal conclut qu'il a été satisfait aux deux volets du critère énoncé dans l'arrêt Rasaratnam. »


[82]            On comprend mal pourquoi, si la Commission a conclu que « la protection de l'État était disponible en Argentine » , elle a cru bon d'ajouter que la demanderesse pouvait « retourner en Argentine et vivre à Buenos Aires [...] » . La Commission semble dire qu'il existe une PRI à Buenos Aires. Cependant, quelle serait la pertinence d'une PRI si la protection de l'État était disponible en Argentine?

[83]            Le défendeur prétend que la décision est fondée sur trois motifs distincts, chaque motif étant suffisant pour justifier l'ensemble de la décision. Cela ne ressort pas clairement de la décision et, quoi qu'il en soit, la Commission tend à exagérer les questions litigieuses dans ses motifs. Par exemple, lorsqu'elle aborde la conclusion négative qu'elle tire de la lettre de l'avocate au sujet de la crédibilité de Mme Pantas, la Commission dit que : « [la] preuve documentaire indique que le système judiciaire de l'Argentine poursuit les auteurs de violence familiale. La preuve documentaire ne confirme pas le manque de protection de l'État auquel il est fait allusion dans la lettre de l'avocate » . En d'autres termes, la Commission se sert de la preuve documentaire sur les conditions qui existent au pays pour donner foi à sa conclusion concernant l'authenticité de la lettre de l'avocate qu'elle met en doute pour d'autres motifs.

[84]            Il faut donc conclure que l'argument inverse s'applique. Si aucune preuve concrète ne permet de mettre en doute l'authenticité de la lettre de l'avocate, la Commission aurait dû soulever la question de la lettre dans le cadre de son examen des conditions qui existent au pays.

[85]            Je ne crois pas que chacun des motifs de la décision puisse être examiné d'une manière distincte comme le propose le défendeur.


Crédibilité

[86]            La Commission donne plusieurs raisons de mettre en doute la crédibilité de Mme Pantas dont un grand nombre ne sont appuyées ni par la preuve, ni par la logique.

Lettre de l'avocate

[87]            La Commission a conclu que la lettre de l'avocate était fabriquée parce que :

1.          la lettre n'était pas rédigée sur du papier à en-tête officiel;

2.          elle ne contenait aucun terme juridique;

3.          la lettre conseillait à la demanderesse de solliciter l'appui d'organismes internationaux;

4.          la lettre semblait avoir été générée par ordinateur;

5.          quand on lui avait demandé si elle s'était rendue au cabinet de l'avocate pour obtenir la lettre, Mme Pantas avait dit que l'enquête pouvait avoir certaines répercussions sur elle et que c'était la raison pour laquelle l'avocate avait envoyé la lettre à sa résidence;

6.          attribuer une influence politique à un arbitre de basket-ball était possible, mais non probable;

7.          la preuve documentaire n'appuyait pas le manque de protection de l'État dans la lettre de l'avocate.


[88]            La Commission avait des motifs, je crois, de ne pas reproduire exactement la lettre dans ses motifs. Le document original déposé à l'audience contient le nom et l'adresse d'apparence toute à fait officielle d'un cabinet d'avocats de Mendoza. Impossible donc, à première vue, de comprendre ce que la Commission voulait dire quand elle a parlé d'un « papier à en-tête officiel » ou pourquoi elle a dit que le document ne comportait ni le nom ni l'adresse du cabinet d'avocats. Il est difficile de comprendre pourquoi une lettre adressée à un client doit contenir des « termes juridiques » ; difficile également de savoir pourquoi la lettre provenant d'un avocat ne serait pas authentique parce que « générée par ordinateur » ou parce que son auteure conseille à sa cliente de « solliciter l'intervention d'organismes internationaux » . La Commission a tout simplement commis une erreur. En outre, lorsqu'elle affirme que la lettre attribue une influence politique à un arbitre de basket-ball, elle commet une autre erreur. La lettre attribue une très grande influence politique à une personne qui s'appelle Aldo Ochoa; elle ne dit pas que cette influence est due au fait qu'il est un arbitre de basket-ball.

[89]            Selon moi, les motifs invoqués par la Commission pour mettre en doute l'authenticité de la lettre de l'avocate sont manifestement déraisonnables et abusifs. La Commission estime que la lettre a été fabriquée « lorsqu'[elle] prend en compte tous les faits décrits ci-dessus » . Par conséquent, même si certains des motifs présentés étaient fondés, les raisons invoquées par la Commission au sujet de la lettre de l'avocate ne peuvent être retenues.


Omission de signaler les appels téléphoniques menaçants

[90]            La Commission a tiré une conclusion négative du fait que Mme Pantas n'avait pas signalé les appels téléphoniques menaçants reçus après juin 2001 :

Lorsqu'on lui a demandé pourquoi elle n'avait pas signalé ces appels à la police, elle a répondu qu'elle avait peur. Les agissements de la demandeure ne sont pas crédibles, compte tenu du fait qu'elle a prétendu avoir déposé une plainte auprès de la police (dénonciation) et avoir intenté des poursuites qui étaient encore en cours.

[91]            Je n'ai rien trouvé dans la transcription de l'audience qui permette de tirer cette conclusion. Mme Pantas a clairement dit qu'elle avait signalé les incidents à la police par le passé, mais que cela n'avait rien donné et qu'en 2001, elle rencontrait régulièrement son avocate pour tenter de régler la question des menaces par des moyens légaux. Selon moi, cette conclusion tirée par la Commission n'est pas justifiée.

Les lettres médicales de l'Argentine

[92]            Les demandeurs ont présenté diverses notes écrites concernant les soins médicaux reçus par Mme Pantas et son fils en Argentine. Voici les conclusions tirées par la Commission :

Lorsque tous les faits ci-dessus sont pris en considération, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que la demandeure et son fils ont reçu des soins médicaux de 1996 à 1999. Il n'y a aucune preuve fiable de soins médicaux ou psychologiques soutenus de 1999 et par la suite. Il n'y aucune mention expresse d'un agresseur nommé Aldo Ochoa dans les rapports médicaux ou psychologiques.

[93]            La Commission accepte le témoignage des demandeurs pour ce qui concerne la période entre 1996 et 1999, mais elle tire une conclusion générale négative parce que l'agresseur n'est pas mentionné précisément dans les rapports médicaux et qu'il n'y a aucune « preuve fiable » de soins médicaux ou psychologiques soutenus en Argentine de 1999 et par la suite. En fait, la Commission dit que, parce qu'aucune preuve écrite n'a été présentée pour la période qui a suivi 1999, elle n'accepte pas le témoignage de Mme Pantas concernant les soins psychologiques périodiques reçus en l'an 2000. En outre, la Commission met en doute la crédibilité générale des demandeurs parce que Aldo Ochoa n'est pas mentionné expressément.

[94]            Cela me paraît peu sensé. Aldo Ochoa n'est pas mentionné spécifiquement dans les rapports soumis à la Commission pour la période entre 1996 et 1999 et la Commission reconnaît néanmoins la véracité de ces rapports et elle reconnaît également que Mme Pantas a reçu des soins pendant cette période. En outre, la Commission ne donne aucun motif de rejeter le témoignage oral de Mme Pantas concernant les soins médicaux obtenus en Argentine pour la période qui a suivi 1999.

[95]            La Commission semble vouloir dire que les rapports médicaux n'établissent pas qu'Aldo Ochoa était l'agresseur. Mais elle ne dit pas pourquoi les rapports médicaux devaient en parler ni quelle était la pertinence de ce fait relativement aux autres preuves déposées par les demandeurs afin de démontrer qu'Aldo Ochoa était l'agresseur ou pourquoi elle rejetait le témoignage assermenté des demandeurs sur cette question.


Rapport du psychologue canadien

[96]            Les demandeurs ont présenté un rapport psychologique détaillé et positif provenant de M. Pilowsky, un psychologue agréé.

[97]            La Commission dit uniquement ce qui suit au sujet du rapport :

Selon le témoignage de la demandeure à l'audience, elle a toujours eu un emploi pendant qu'elle habitait en Argentine, comme inspectrice-hygiéniste pour le secteur public. Aucun des rapports médicaux et psychologiques de l'Argentine ne mentionnent l'incapacité de la demandeure de s'adonner à ses activités quotidiennes ni qu'elle a déjà souffert d'une maladie mentale, que ce soit avant ou après 1999, qui l'aurait rendue incapablede subvenir à ses propres besoins et à ceux de ses enfants.                                                                          [Souligné dans l'original.]

[98]            Cela semble vouloir dire que la Commission était d'avis que le rapport canadien n'est pas probant parce que la preuve médicale argentine ne disait pas que la demanderesse était incapable de travailler ou de s'occuper de ses enfants en Argentine. En fait, la Commission tire une conclusion négative de l'absence de preuve, dans les documents médicaux de l'Argentine, afin de rejeter le rapport du psychologue canadien, en écartant totalement le contenu de ce rapport.


[99]            Le rapport du psychologue canadien appuie le témoignage des demandeurs à plusieurs égards et la Commission ne peut le rejeter sans motifs. Elle ne peut pas dire que l'absence de preuve sur certaines questions dans d'autres documents lui permet de rejeter le rapport canadien ou tirer une conclusion négative contre les demandeurs sur cette question. Le traitement par la Commission du rapport de M. Pilowsky était abusif.

Aldo Ochoa

[100]        La Commission a conclu que : « [l]e tribunal n'est saisi d'aucune preuve fiable qu'Aldo Ochoa était un conjoint de fait ni qu'il était responsable des mauvais traitements infligés à la demandeure » .

[101]        Les motifs invoqués par la Commission pour en arriver à cette conclusion sont que « sur le certificat de naissance de sa fille, Aldo Ochoa ne figure pas comme étant le père » et « Aldo Ochoa n'est mentionné dans aucun des rapports médicaux » . (Souligné dans l'original.)


[102]        Encore une fois, la Commission décide de rejeter l'ensemble du témoignage de Mme Pantas concernant sa relation avec Aldo Ochoa et concernant la violence qu'il lui a fait subir, ainsi qu'à ses enfants, parce que le nom de M. Ochoa n'apparaît pas sur un certificat de naissance ou dans des dossiers médicaux. Au lieu de mentionner ce que la demanderesse a dit concernant Aldo Ochoa et les autres éléments de preuve produits sur cette question, la Commission rejette arbitrairement son témoignage à cause de l'absence de confirmation dans certains documents. En clair, le fait qu'un certificat de naissance et que des dossiers médicaux ne mentionnent pas Aldo Ochoa (mis à part la question de savoir si, en l'espèce, on s'attendrait à ce qu'ils le mentionnent) ne veut pas dire que la preuve directe de Mme Pantas concernant Aldo Ochoa peut être écartée en l'absence d'une analyse du bien-fondé de ce témoignage. L'approche adoptée sur cette question par la Commission était manifestement déraisonnable.

Protection de l'État et PRI

[103]        Le défendeur dit que même si la Cour conclut que l'approche et les conclusions de la Commission concernant la crédibilité sont manifestement déraisonnables, cela n'a pas d'importance puisque la décision est justifiée à cause de la protection adéquate de l'État et d'une PRI.

[104]        Comme je l'ai déjà mentionné, la décision elle-même n'est pas claire pour ce qui concerne la pensée de la Commission quand elle dit : « une protection de l'État existe en Argentine, surtout à Buenos Aires » ; « [e]lle pourrait bénéficier d'une protection à Mendoza ou à Buenos Aires » ; « [l]a demanderesse pourrait retourner en Argentine et vivre à Buenos Aires » .


[105]        À mon avis, les conclusions de la Commission au sujet de la protection adéquate de l'État et une PRI, quelles qu'elles soient, et sans même aborder la façon dont la Commission a tenu compte de la preuve documentaire et des critères juridiques applicables, ne peuvent être examinées sans tenir compte des autres questions traitées par la Commission au chapitre de la « crédibilité » . La lettre de l'avocate, le rapport du psychologue ainsi que le témoignage de Mme Pantas elle-même sur ce qui l'attend en Argentine sont tous extrêmement pertinents pour ce qui concerne la protection adéquate de l'État et une PRI. Comme je l'ai déjà dit, le traitement, par la Commission, des questions importantes était manifestement déraisonnable et il serait dangereux de confirmer la décision pour l'une ou l'autre des raisons invoquées par la Commission pour rejeter la demande d'asile des demandeurs. L'ensemble de la décision est manifestement déraisonnable.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

1.          La demande de contrôle judiciaire soit accueillie et renvoyée pour nouvel examen devant un tribunal différemment constitué.

2.          Il n'y a aucune question de certification.

                                                                                  « James Russell »                  

                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Suzanne de Repentigny


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             IMM-9213-03

INTITULÉ :                            MONICA LOURDES PANTAS ET AL

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 18 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :           LE 19 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Daniel M. Fine                           POUR LES DEMANDEURS

Tamrat Gebeyehu                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel M. Fine                           POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

Ministère de la Justice                POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

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