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Date : 20000321


Dossier : IMM-6104-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 21 MARS 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NADON

ENTRE :

     ANASTASSIA TARTCHINSKA ET ALEXANDRE TARTCHINSKI

     demandeurs

ET :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur


     ORDONNANCE



La demande de contrôle judiciaire est rejetée.





     Marc Nadon

     JUGE


Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, LL.B.





Date : 20000321


Dossier : IMM-6104-98

ENTRE :

     ANASTASSIA TARTCHINSKA ET ALEXANDRE TARTCHINSKI

     demandeurs

ET :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE NADON


Le contexte

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'une agente d'immigration, datée du 10 novembre 1998, de ne pas dispenser les demandeurs de l'exigence de présenter leurs demandes de visa de l'extérieur du Canada. Il est possible d'obtenir une telle dispense pour des motifs d'ordre humanitaire en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration.

[2]      Les demandeurs, une mère et son fils, sont originaires de la Moldova et vivent au Canada depuis octobre 1992. Ils ont revendiqué le statut de réfugiés1, mais leurs revendications ont été refusées le 12 octobre 1994 vu qu'ils ne sont pas parvenus à convaincre la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qu'ils seraient toujours au prise avec une animosité s'ils retournaient en Moldova ou que l'État ne serait pas en mesure de les protéger. Le 16 mars 1995, la demande qu'ils ont présentée dans le cadre de la CDNRSRC (catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada) a été rejetée au motif qu'il n'y avait aucun risque associé à leur retour en Moldova. Par suite du refus de cette demande, leur avocat de l'époque leur a suggéré de présenter immédiatement une demande de droit d'établissement fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, ou encore de demander à la fille de la demanderesse de les parrainer2. Les demandeurs ont présenté leur demande de résidence permanente à partir du Canada (demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire) le 3 mars 1998. En outre, la fille de la demanderesse, à qui le droit d'établissement avait été octroyé le 25 novembre 1997 pour des motifs d'ordre humanitaire, a parrainé sa mère et son frère le 21 octobre 1998. Toutefois, une évaluation de la situation financière a montré que la fille de la demanderesse n'atteignait pas le montant du seuil de faible revenu (SFR) exigé pour le parrainage. Les demandeurs vivent donc au Canada sans statut depuis le rejet de la demande qu'ils ont présentée dans le cadre de la CDNRSRC, en 1995.

[3]      Voici un passage de la décision rejetant la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire que les demandeur ont présentée : [TRADUCTION] « En prenant cette décision, j'ai [l'agente d'immigration] étudié les documents accompagnant votre demande, les observations de votre avocat, et les renseignements que vous avez fournis dans le cadre de votre entrevue du 2 octobre 1998. J'ai soupesé ces renseignements au regard de notre politique figurant au chapitre 9 du Guide de l'immigration : Examen. Je regrette de vous informer qu'après un examen attentif et compatissant de ces renseignements, j'ai jugé que vous n'êtes pas visés par cette dispense » .

[4]      Les notes de l'agente relatives à l'entrevue du 2 octobre 1998 décrivent d'abord brièvement les détails du contexte des revendications des demandeurs (dates des revendications du statut de réfugiés, de la demande fondée sur la CDNRSRC, et de la demande de parrainage) et contiennent ensuite le passage suivant :

[TRADUCTION] ENTREVUE :
L'intéressée, son fils, Alexandre, sa fille résidente permanente, Svetlana, Alexandre, le mari de Svetlana, et leur avocat, Douglas Cannon, se sont présentés à l'entrevue le 2 octobre 1998.
Comme Svetlana avait présenté des formulaires pour parrainer sa mère et son frère, ces documents ont été examinés. Depuis qu'ils ont été remplis (février 1998), la situation financière a apparemment changé et s'est fort probablement améliorée. À l'entrevue, l'avocat a dit qu'il n'avait aucun nouveau renseignement à me fournir. Comme les formulaires qui avaient été remplis étaient également désuets (faits en 1995 et 1996), il était recommandé que de nouveaux formulaires soient remplis et que les documents et les renseignements nécessaires à l'évaluation du parrainage soient présentés. ** L'avocat et le répondant ont accepté de le faire et fourniront le tout dans les trois semaines suivant la date de l'entrevue.
En plus des observations écrites déjà au dossier, l'avocat fournira d'autres renseignements relatifs la situation du conjoint de l'intéressée en ce moment en Moldova. Pendant l'entrevue, l'intéressée et sa fille/répondante ont toutes les deux parlé de leur souhait de voir la famille rester ensemble parce qu'ils entretiennent des liens étroits et que la fille de Svetlana est très attachée à sa grand-mère. Ils rappellent le fait que le fils de l'intéressée, Alexandre, vit ici depuis six ans, soit depuis l'âge de treize ans. Ils prétendent que si ce dernier avait pu obtenir une autorisation d'études, il serait actuellement un étudiant. Il a maintenant 19 ans.
J'ai également été avisée lors de l'entrevue que le conjoint de l'intéressée souhaiterait que sa candidature soit appréciée en même temps que celle de sa famille, mais que si son inclusion à ce moment-ci ferait échouer au répondant le SFR, ils préféreraient le parrainer plus tard, après avoir obtenu le droit d'établissement. Le fait qu'il aurait besoin de satisfaire aux exigences prévues par la loi a été abordé.
L'intéressée et son fils travaillent en ce moment au Canada sans autorisation. L'autorisation de l'intéressée a pris fin le 31 décembre 1996 et celle de son fils, le 30 septembre 1995. L'intéressée travaille depuis août 1994 comme travailleuse domestique dans des résidences privées. Elle a travaillé à temps partiel depuis cette date jusqu'en février 1997, date à laquelle elle a commencé à travailler à temps plein. Son fils, Alexandre, a commencé à travailler à temps partiel comme vendeur de billets pour le cinéma Denman Place en septembre 1994. En outre, en septembre 1998, il a également commencé à travailler à temps plein au Cineplex Odeon, dans un poste similaire. Ils ont tous les deux été avisés qu'ils n'avaient actuellement pas le droit de travailler au Canada et qu'ils devraient cesser de le faire. L'avocat a dit qu'il savait qu'ils avaient travaillé sans autorisation et qu'il les avait mis en garde, mais qu'il leur avait également dit que le fait de pouvoir démontrer leur autonomie était avantageux. Il a été souligné qu'afin d'éviter de travailler sans autorisation et de peut-être enlever des possibilités d'emploi à des citoyens canadiens ou à des résidents permanents, les répondants de l'intéressée, qui prétendent pouvoir leur venir en aide, auraient peut-être pu leur fournir une aide financière afin de leur éviter l'aspect défavorable de leur travail illégal. Cette idée n'a pas été bien reçue par l'avocat, qui a dit que les répondants soutiennent les intéressés, mais que ce soutien ne signifierait ni ne devrait signifier que les intéressés abandonnent leur emploi non autorisé pour le prouver.
28 octobre 1998
Les renseignements susmentionnés ont été reçus et examinés aujourd'hui même. La fille de l'intéressée et son conjoint ne satisfont pas au SFR pour le parrainage, même si le conjoint de l'intéressée en Moldova n'est pas visé par le parrainage à ce moment-ci. Ils ne possèdent pas la somme nécessaire, même s'ils ont des économies de 6 579 $ et que les intéressés eux-mêmes détiennent des économies de plus de 10 000 $. (La provenance de ces économies est inconnue. Nos dossiers indiquent que l'intéressée a reçu de l'aide sociale au moins jusqu'en 1995, et peut-être plus longtemps.) Il n'a pas été mentionné que l'intéressée et son fils avaient abandonné leur emploi non autorisé malgré le fait qu'on leur ait dit qu'ils n'avaient pas le droit de travailler.
Une copie de l'original d'une lettre à l'intéressée de la part de son conjoint en Moldova et sa traduction ont également été présentée. La lettre, datée du 9 septembre 1998, parle d'une raclée que le conjoint de l'intéressée aurait reçu en juin 1998 de la part de bandits.
RECOMMANDATION:

    

Je recommande le refus de traiter la demande au Canada. Après avoir examiné tous les renseignements fournis, je suis incapable de conclure qu'il existe suffisamment de motifs pour justifier une dispense. En ce qui concerne la lettre du conjoint de l'intéressée en Moldova, bien qu'il soit odieux que cela ait pu se passer, le mobile de l'incident paraît criminel. La lettre indique qu'il travaillait, ce qui démontre qu'il est possible d'y obtenir un emploi.
Bien que l'intéressée et son fils paraissent s'être bien adaptés au Canada, cela n'est pas suffisant pour justifier une exception. Je signale que leur avocat (Valdez and Company) les avaient avisés le 23 mars 1995 (quand leur demande présentée dans le cadre de la CDNRSRC a été rejetée) qu'ils devraient prendre des dispositions pour quitter volontairement le Canada dans un délai de 30 jours. L'avocat leur a ensuite conseillé de présenter une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire dans les plus brefs délais. L'intéressée et son fils n'ont fait ni l'un ni l'autre. Ils ont eux-mêmes décidé de rester au Canada et d'y passer plus de temps.
Le répondant n'atteint pas le SFR à l'heure actuelle, mais la situation pourrait changer après un certain temps. Il est recommandé que l'intéressée présente sa demande depuis l'étranger. Comme il semble qu'ils n'appartiennent pas à la catégorie des demandeurs indépendants, le parrainage de leur fille, quand elle sera en mesure de le faire, les aidera. La question de savoir si le fils de l'intéressée satisfera aux exigences de la Loi et de son règlement d'application pour être inclus devra être examinée à ce moment-là.
E.Peach-Tanner

Les observations des parties

[5]      Les demandeurs soutiennent que l'agente d'immigration a tenu compte de facteurs non pertinents (par ex., le fait que les demandeurs travaillaient sans permis de travail, le conseil de leur ancien avocat selon lequel ils devraient présenter une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire dans les plus brefs délais, la provenance des économies des demandeurs et la situation du mari de la demanderesse en Moldova) et n'a pas considéré l'ensemble de la preuve.

[6]      Ils soutiennent avoir établi qu'ils étaient en mesure de subvenir à leurs propres besoins, et ils mentionnent les économies qu'ils ont faites pour étayer leur prétention. À cet égard, ils allèguent qu'il n'est pas pertinent de savoir si leur autonomie financière est attribuable à un permis de travail valide et que les demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire devraient reconnaître l'autonomie (plutôt que la pénaliser). Ils font également valoir que la proposition de l'agente d'immigration selon laquelle les répondants devraient les faire vivre [TRADUCTION] « est erronée parce qu'on ne s'attend pas à ce que les répondants fassent preuve de leur capacité d'aider les intéressés lorsque ces derniers peuvent, en fait, subvenir à leurs propres besoins » (par. 12 du dossier des demandeurs). Les demandeurs ont également soutenu que la décision de l'agente d'immigration soulève des interrogations relativement à la provenance de leurs économies, bien que cette question n'ait jamais été soulevée à l'instance.

[7]      En outre, les demandeurs soutiennent qu'il était déraisonnable de la part de l'agente d'immigration de considérer défavorablement le temps qu'ils ont passé au Canada. Ils sont d'avis que l'agente n'aurait pas dû se préoccuper de la question de savoir pourquoi ils se trouvent toujours au Canada, mais plutôt de celle de savoir si le temps qu'ils y ont passé justifie une recommandation favorable.

[8]      De plus, les demandeurs prétendent que l'agente d'immigration n'a pas tenu compte de la situation particulière d'Alexandre, qui se trouve au Canada depuis l'âge de 13 ans, a terminé ses études ici, et ne parle bien ni le russe ni le moldave, s'il devait retourner en Moldova.

[9]      Les demandeurs soutiennent également que l'agente d'immigration n'a pas mentionné de façon significative la dépendance et les liens familiaux, et qu'elle n'a pas tenu compte de l'éclatement de la famille.

[10]      Enfin, les demandeurs allèguent que l'agente d'immigration a commis une erreur lorsqu'elle a affirmé que l'adaptation des demandeurs au Canada n'était pas suffisante pour justifier une dispense. Selon les demandeurs, [TRADUCTION] « le tribunal ne disposait d'aucun fondement en droit lui permettant de refuser de faire une recommandation favorable pour ces motifs » . À cet égard, les demandeurs soulignent la disposition des directives qui prévoit que l'autonomie « ne constitue habituellement pas un motif justifiant une recommandation favorable en raison de considérations humanitaires » , et ils font valoir que l'agente d'immigration a à tort affirmé que l'adaptation au Canada est insuffisante.

[11]      En fait, les demandeurs soutiennent que sans ces conclusions, qu'ils considèrent comme des erreurs, la décision aurait pu être différente. Ils demandent par conséquent à la Cour d'annuler la décision et de renvoyer l'affaire pour qu'une nouvelle décision soit rendue.

[12]      Le défendeur soutient pour sa part que la décision d'accorder une dispense relève du pouvoir discrétionnaire et que les demandeurs n'ont pas établi que la décision contestée comportait une quelconque erreur de droit ou avait été prise de mauvaise foi. Sur cette question, le défendeur souligne que les directives relatives aux demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire sont simplement que les directives sont discrétionnaires et qu'elles ne sont pas obligatoires.

[13]      En ce qui a trait aux circonstances particulières de la présente affaire, le défendeur est d'avis que l'agente d'immigration n'a pas commis d'erreur en tenant compte des raisons pour lesquelles les demandeurs ont choisi de pas présenter leur demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire plus tôt. Le défendeur soutient qu'il s'agissait d'un fait que l'agente connaissait et dont elle pouvait tenir compte.

[14]      Le défendeur allègue également que l'agente d'immigration n'a pas commis d'erreur en concluant que le mobile de l'agression que le mari de la demanderesse a subie était de nature criminelle. Les demandeurs avaient prétendu qu'ils craignaient de retourner en Moldova en raison de tentatives d'extorsion, mais de l'avis du défendeur, la lettre du mari de la demanderesse ne fait pas état d'extorsion. Par conséquent, le défendeur fait valoir qu'il était raisonnable de la part de l'agente de conclure que bien que l'agression ait été odieuse, le mobile de celle-ci paraissait de nature criminelle.

[15]      En ce qui concerne l'argument des demandeurs selon lequel l'agente a commis une erreur lorsqu'elle a affirmé que l'adaptation des demandeurs au Canada n'était pas suffisante pour justifier une dispense, le défendeur allègue que l'agente a, en fait, appliqué les directives.

[16]      En réponse à l'argument des demandeurs selon lequel l'agente d'immigration n'a pas tenu compte de la situation particulière d'Alexandre Tartchinski, le défendeur soutient que cette dernière connaissait l'ensemble de la preuve et qu'elle a procédé à un examen complet de tous les faits de l'affaire; le défendeur dit dans ses observations qu'elle n'était pas tenue de faire explicitement référence à chaque élément de preuve. En outre, le défendeur souligne que les représentations écrites des demandeurs (lettres datées du 10 juin 1998 et du 23 octobre 1998) mentionnaient expressément la situtation particulière d'Alexandre et que ces arguments avaient été présentés à l'agente d'immigration. Par conséquent, le défendeur allègue que l'agente n'a pas commis d'erreur de droit, qu'elle n'a pas non plus agi de mauvaise foi, et que la décision devrait être maintenue.

L'analyse

[17]      À mon avis, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée pour les motifs suivants.

[18]      Il est clair que les dispenses fondées sur des motifs d'ordre humanitaire sont de nature discrétionnaire et qu'un demandeur n'a pas droit à un résultat en particulier. Pour contester avec succès une décision défavorable, le demandeur doit établir que le décideur a commis une erreur de droit, agi de mauvaise foi, ou appliqué un mauvais principe : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 174 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.); Shah c. M.E.I. (1994) 23 Imm. L.R. (2d) 82 (C.A.F.); Ogunfowora c. M.C.I., 41 Imm. L.R. (2d) 75 (C.F. 1re inst.).

[19]      La Cour suprême a clairement dit dans l'arrêt Baker, précité, que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire est celle du caractère raisonnable. Par conséquent, si la décision contestée est fondée sur des motifs qui peuvent soutenir un examen assez approfondi, la Cour n'est pas habilitée à modifier la décision. À mon avis, la décision de l'agente d'immigration soutient un examen assez approfondi et elle est raisonnable, compte tenu des circonstances énoncées plus loin.

[20]      Les demandeurs soutiennent que le décideur a tenu compte de considérations non pertinentes, comme leur emploi non autorisé. Je ne crois pas que ce soit non pertinent ni une erreur de droit. Premièrement, bien que les directives relatives aux motifs d'ordre humanitaire ne soient pas obligatoires, elles disent toutefois clairement que l'autonomie seule ne garantit pas qu'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire serait accueillie : « Si le fait qu'une personne soit autonome au Canada ne constitue habituellement pas un motif justifiant une recommandation favorable en raison de considérations humanitaires [...], il doit y avoir d'autres facteurs permettant de déterminer si le rejet d'une demande entraînerait des difficultés inhabituelles » (9.07(2)b) des directives). Par conséquent, le facteur clé relativement à telle demande est de savoir si « des difficultés inhabituelles, injustes ou indues seraient causées à la personne sollicitant l'examen de son cas si celle-ci devait quitter le Canada » (9.07(2)a) des directives). Même si l'autonomie est un facteur dont il faut donc tenir compte, il ne s'agit certainement pas du facteur primordial.

[21]      Chose plus importante, les directives ne laissent certainement pas entendre qu'un demandeur doit devenir autonome à tout prix et sans égard aux moyens. Par conséquent, je ne partage pas l'avis des demandeurs selon lequel [TRADUCTION] « il n'est pas pertinent de savoir si l'autonomie a été atteinte avec ou sans permis de travail » . À mon avis, la provenance de l'autonomie de l'intéressé est très pertinente; autrement, n'importe qui pourrait demander une dispense en se fondant sur l'autonomie, même si celle-ci découle d'activités illégales. Je comprends qu'en l'espèce, les demandeurs ont travaillé honnêtement, quoique illégalement. Pourtant, les demandeurs ont sciemment tenté de contourner le système lorsqu'ils ont décidé de continuer à travailler sans autorisation. En effet, malgré le fait que les demandeurs ont été avisés à leur première entrevue qu'ils n'étaient pas autorisés à travailler et qu'ils devraient cesser de le faire, rien n'indiquait que les demandeurs avaient cessé de travailler au moment de la deuxième entrevue. En outre, leur avocat les avait prévenus des risques qu'ils couraient à travailler sans permis de travail ainsi que du prétendu avantage de démontrer l'autonomie (sans se soucier de sa provenance), et ils ont choisi de rester au Canada et d'y travailler illégalement.

[22]      Je crois comprendre que les demandeurs espéraient que le temps qu'ils passaient au Canada malgré la mesure d'interdiction de séjour contre eux pourrait leur être avantageux dans la mesure où ils pourraient démontrer qu'ils se sont bien adaptés à ce pays. Toutefois, à mon avis, les demandeurs ne peuvent ni ne doivent être « récompensés » pour avoir passé du temps au Canada alors qu'en fait, ils n'avait pas le droit de le faire. Dans le même ordre d'idée, on doit légalement chercher à être autonome, et un demandeur ne doit pas pouvoir invoquer ses actes illégaux pour revendiquer par la suite un avantage comme une dispense ministérielle. Enfin, je souligne l'évidence même : le but de la dispense, en l'espèce, était de soustraire les demandeurs à l'exigence de devoir présenter leur demande de statut depuis l'étranger, et non de les dispenser d'autres dispositions législatives, comme l'exigence d'un permis de travail valide.

[23]      D'ailleurs, les demandeurs soutiennent que l'agente a eu tort de suggérer que leur répondant les fasse vivre afin qu'ils puissent respecter les lois canadiennes et qu'ils ne soient pas forcés de travailler sans permis de travail. L'argument des demandeurs à cet égard est le suivant :

[TRADUCTION] Le tribunal fournit une explication de sa réserve relative à l'emploi non autorisé, qui, même si elle était pertinente, n'a toujours pas de sens. Le tribunal conclut que lorsqu'il existe un répondant potentiel pour un demandeur, l'emploi non autorisé constitue un aspect défavorable et les répondants doivent intervenir. Cette proposition est erronée parce qu'on ne s'attend pas à ce que les répondants fassent preuve de leur capacité d'aider les intéressés lorsque ces derniers peuvent, en fait, subvenir à leurs propres besoins. Les demandeurs comparent ce raisonnement au fait de bénéficier de l'aide sociale seulement parce qu'elle est disponible et non parce qu'on en a besoin. Les répondants sont là pour aider si l'aide est nécessaire. En fait, si les demandeurs devaient suivre le conseil du tribunal, ils ne pourraient pas faire la preuve de leur autonomie!

À mon avis, cette prétention n'est pas fondée. Premièrement, comme je l'ai déjà fait remarquer, l'autonomie n'est pas la considération primordiale pour ce qui est d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire et en conséquence, il n'y a aucun fondement permettant de chercher à atteindre l'autonomie sans tenir compte de la loi. Deuxièmement, en ce qui a trait au parrainage, l'agente d'immigration a à juste titre suggéré que les répondants des demandeurs interviennent pour aider financièrement ces derniers afin qu'ils n'aient pas à travailler illégalement. Cela correspond à l'accord de parrainage, qui prévoit les obligations du répondant et celles de l'immigrant. Le premier paragraphe prévoit que le répondant (et cosignataire) accepte de combler les besoins essentiels de l'immigrant et de toute personne à charge, dans la mesure où on ne peut raisonnablement s'attendre à ce qu'ils subviennent eux-mêmes à leurs propres besoins. L'immigrant n'est pas en mesure de subvenir à ses propres besoins lorsque, par exemple, il est admissible à recevoir de l'aide sociale (par. 2). Il est vrai que l'une des obligations de l'immigrant consiste à faire tous les efforts raisonnables en vue de subvenir à ses besoins essentiels et à ceux de toute personne à sa charge qui se trouve au Canada (par. 7) et de contribuer, du moins en partie, à subvenir à ses besoins à l'aide de ses propres ressources et en faisant lui-même des efforts (par. 9). Toutefois, travailler illégalement ne constitue pas un « effort raisonnable » pour subvenir à ses besoins. Au contraire, le paragraphe 8 prévoit expressément que les parties conviennent que l'article 7 ne signifie pas que les parents et grand-parents qui sont parrainés doivent se trouver un emploi pour subvenir à leurs propres besoins. En outre, il est clair que si un demandeur ne peut pas travailler parce que Immigration Canada lui a refusé un permis de travail, ce facteur ne peut pas être lui être reproché dans l'analyse relative à l'autonomie. Compte tenu de ce qui précède, j'estime que l'agente d'immigration n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a recommandé que les répondants des demandeurs aident ceux-ci.

[24]      Les demandeurs ont également soutenu que l'agente d'immigration n'a pas tenu compte de leurs liens familiaux. Cependant, il ressort clairement des notes de l'agente qu'elle était au courant des liens étroits qui existaient entre les demandeurs et leur famille au Canada : [TRADUCTION] « Pendant l'entrevue, l'intéressée et sa fille-répondante ont toutes les deux mentionné qu'elles souhaitaient que les membres de leur famille restent ensemble parce qu'ils sont étroitement liés et parce que la fille de Svetlana est très attachée à sa grand-mère. » J'eestime que l'agente a tenu compte de ces renseignements en prenant sa décision et il ne s'agit pas simplement d'une remarque gratuite.

[25]      En ce qui concerne la prétention des demandeurs que l'agente n'a pas tenu compte de la situation particulière du fils de la demanderesse, qui vit au Canada depuis six ans, je fais remarquer que l'agente mentionne que les demandeurs [TRADUCTION] « ont rappelé le fait que le fils de l'intéressée, Alexandre, vit ici depuis six ans, soit depuis l'âge de treize ans. Ils prétendent que si ce dernier avait pu obtenir une autorisation d'études, il serait actuellement un étudiant » . L'agente a également mentionné qu'Alexandre travaille dans un cinéma. En plus de cette information, l'agente disposait de deux autres renseignements qui faisaient expressément référence à la situation particulière d'Alexandre, à savoir deux lettres de l'avocat des demandeurs qui traitaient de la situation d'Alexandre. Par conséquent, j'estime que l'agente a tenu compte de tous ces renseignements et qu'elle n'a pas omis de tenir compte de toute la preuve dont elle disposait. Comme elle l'a dit dans sa décision, [TRADUCTION] « En prenant cette décision, j'ai étudié les documents accompagnant votre demande, les observations de votre avocat, et les renseignements que vous avez fournis dans le cadre de votre entrevue du 2 octobre 1998 » .

[26]      Selon la demanderesse, l'une des situations particulières de son fils est qu'il ne peut fréquenter l'université parce qu'il n'est pas admissible à recevoir un permis d'étudiant. Le permis de travail d'Alexandre, qui était valide jusqu'à ce que la demande soit rejetée (16 mars 1995), lui interdisait expressément de [TRADUCTION] « fréquenter un établissement d'enseignement et de suivre des cours de formation universitaire ou professionnelle » . Toutefois, il est important de se rappeler que les demandeurs se trouvent illégalement au Canada depuis que la demande qu'ils ont présentée dans le cadre de la CDNRSRC a été rejetée, et qu'ils n'ont présenté une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire que trois ans plus tard. Par conséquent, si Alexandre a subi une quelconque difficulté, cela découle de la procrastination de sa mère, qui a mis du temps à présenter une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, comme son avocat le lui avait conseillé en 1995.

[27]      Je m'abstiens de trancher la question de savoir si les demandeurs doivent ou non avoir le droit de jouir du fruit de leur travail illégal ou de leur séjour illégal au Canada.


[28]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     Marc Nadon

     JUGE


O T T A W A (Ontario)

Le 21 mars 2000.










Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-6104-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Anastasia Tartchinska et autre

                             -et-

                     Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE :          le 16 novembre 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR monsieur le juge Nadon

EN DATE DU :              21 mars 2000


ONT COMPARU :

M. Douglas Cannon                      POUR LA DEMANDERESSE
Mme Kim Shane                      POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McPherson, Elgin & Cannon                  POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

M. Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      À l'origine, le mari de la demanderesse avait également revendiqué le statut de réfugié, mais il a dû retourner en Moldova et il a, par la suite, retiré sa demande.

2      Le 23 mars1995, l'avocat a laissé entendre que le parrainage était une possibilité. Toutefois, la fille de la demanderesse n'aurait pas pu parraîner les demandeurs à l'époque vu qu'elle n'était pas encore une résidente permanente.

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