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Date : 20051214

Dossier : IMM-327-05

Référence : 2005 CF 1686

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PAUL U.C. ROULEAU

ENTRE :

XIU XING GAN

WAN LAN SHEN

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision, rendue en date du 20 décembre 2004, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demanderesses n'étaient ni des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger suivant les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). La Commission a conclu que la demanderesse principale, Xiu Xing Gan, manquait de crédibilité et elle a rejeté sa demande d'asile. La demanderesse Wan Lan Shen est la fille de la demanderesse principale et sa demande est fondée sur celle de sa mère. Étant donné que la demande présentée par la demanderesse principale a été rejetée, la demande présentée par sa fille, sur le fondement de la demande de sa mère, a également été rejetée.

[2]                La demanderesse principale (la DP), Xiu Xing Gan, est une citoyenne de la République populaire de Chine (la Chine) âgée de 48 ans. Sa fille de 16 ans, Wan Lan Shen, est également citoyenne de la Chine. Les demanderesses demandent l'asile sur le fondement de motifs liés à la religion, étant donné qu'elles craignent d'être persécutées par les autorités chinoises. Les demanderesses prétendent qu'elles sont membres d'une Église illégale et clandestine en Chine.

[3]                Les demanderesses prétendent que, en janvier 2004, elles ont assisté à une réunion chrétienne dans une église illégale. Elles prétendent que, en mai 2004, pendant qu'elles se trouvaient à l'église, un représentant du bureau de la sécurité publique (le BSP) a été aperçu alors qu'il s'approchait de l'église illégale. Les demanderesses se sont enfuies et sont allées chez un ami.

[4]                La DP prétend que lorsqu'elle a téléphoné à son époux de chez son ami, il lui a dit qu'un représentant du BSP s'était rendu chez eux à sa recherche et qu'il l'accusait d'avoir participé à des activités religieuses illégales.

[5]                La DP prétend qu'elle a continué à se cacher, avec sa fille, jusqu'au moment où elle s'est enfuie de la Chine pour venir au Canada le 16 juin 2004. La DP prétend que, après son arrivée au Canada, son époux lui a dit que deux des membres de son Église étaient détenus par le BSP.

[6]                La Commission estimait que le témoignage de la DP manquait de crédibilité et elle a rejeté sa demande parce qu'elle en contestait la crédibilité.

[7]                La Commission a mentionné que le témoignage de la fille de la DP était relativement franc, sauf quant à un point majeur, à savoir la période pendant laquelle les demanderesses s'étaient cachées. D'abord, la fille de la DP a témoigné qu'elles s'étaient cachées pendant environ deux semaines, puis elle a modifié son témoignage pour dire qu'elles s'étaient cachées pendant [traduction] « presque un mois » . Selon le formulaire sur les renseignements personnels (FRP) de la DP, sur lequel s'appuie la fille de la DP, la période pendant laquelle elles se sont cachées était d'environ six semaines. La Commission a tiré une inférence quant à la crédibilité défavorable de la contradiction contenue dans le témoignage de la fille de la DP.

[8]                À l'égard du témoignage de la DP, la Commission a conclu que le récit était plutôt invraisemblable. La Commission a effectivement mentionné que l'agent de protection des réfugiés et l'avocat de la demanderesse ont présenté tous deux des observations à l'égard du manque de subtilité d'esprit de la DP. La Commission a renvoyé aux observations, mais elle estime que l'invraisemblance du témoignage de la DP l'emporte sur son manque de subtilité d'esprit comme facteur d'appréciation de sa demande.

[9]                À l'égard de la crédibilité, la Commission a tiré de nombreuses conclusions. Premièrement, la Commission a mentionné qu'il était invraisemblable que les propriétaires de la maison utilisée comme église illégale n'aient pas été arrêtés. La DP a témoigné que deux membres de l'Église avaient par la suite été arrêtés par le BSP, mais que les deux membres n'étaient pas les propriétaires de la maison qui servait d'église illégale. Il était invraisemblable que les propriétaires de la maison n'aient pas été arrêtés et ce fait a entraîné une inférence défavorable à l'égard de la crédibilité de la demanderesse.

[10]            Deuxièmement, la Commission a conclu qu'il était invraisemblable que seulement deux personnes aient été arrêtées, étant donné que le BSP avait pu obtenir l'adresse de la résidence des demanderesses et avait rencontré son époux seulement quelques heures après la prétendue descente à l'église illégale.

[11]            Troisièmement, la Commission a conclu qu'il était également invraisemblable que les demanderesses soient allées directement de l'église illégale à la maison d'un ami (située à 40 kilomètres). La Commission a conclu que les demanderesses n'avaient pas été aperçues par le représentant du BSP, étant donné leur témoignage selon lequel elles s'étaient enfuies par la porte arrière après avoir été prévenues par un voisin. Toutefois, la DP a témoigné qu'elle ne pouvait pas retourner chez elle étant donné que sa fille et elle seraient retrouvées et arrêtées. La Commission a conclu que la prétention des demanderesses, prétention selon laquelle elles s'étaient cachées, n'avaient pas été aperçues lors de la descente et étaient poursuivies, était peu vraisemblable et portait davantage atteinte à la crédibilité de la DP.

[12]            Quatrièmement, on a demandé à la DP pourquoi le BSP ne tentait pas d'arrêter son époux. La DP a répondu que son époux ne s'était rendu à l'église illégale qu'à deux reprises. La Commission a conclu que l'explication était incompatible avec le témoignage de la DP selon lequel tous ceux qui participaient aux activités de l'Église étaient recherchés et elle a conclu que la DP n'était pas un témoin digne de foi.

[13]            La Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le récit des demanderesses avait été inventé dans le seul but de présenter une demande d'asile au Canada, que les demanderesses n'avaient pas la crainte subjective nécessaire pour que leur demande d'asile soit accueillie et qu'elles ne sont ni des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

[14]            Les demanderesses soulèvent de nombreuses questions, mais le point fondamental est celui de savoir si la décision de la Commission est raisonnable. La Cour se concentrera sur la question de savoir si la Commission a rendu une décision d'une façon abusive et arbitraire, sans avoir correctement tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait.

[15]            Les demanderesses avancent deux arguments principaux, à savoir : 1) la Commission a omis de tenir compte du manque de subtilité d'esprit de la DP, un fait qui a été confirmé par l'APR de même que par l'avocat des demanderesses; 2) la Commission a omis de tenir compte du témoignage de la fille de la DP.

[16]            Les demanderesses prétendent que la Commission, lorsqu'elle traite avec une personne qui manque de subtilité d'esprit comme la DP, devrait s'attendre à ce que les réponses données ne soient pas toujours cohérentes ou correctes.

[17]            À l'égard de la fille de la DP, les demanderesses prétendent que le témoignage de la fille était spontané, direct et vraisemblable et amènerait une personne à croire que la fille de la demanderesse pratiquait effectivement le christianisme en Chine. Les demanderesses prétendent que la Commission a complètement omis de tenir compte des éléments convaincants du témoignage de la fille de la demanderesse et qu'elle s'est concentrée seulement sur un point de confusion.

[18]            Les demanderesses prétendent que la Commission a interprété de façon tout à fait erronée la preuve, qu'elle n'a pas accordé suffisamment d'importance à la preuve dont elle disposait et qu'elle a tiré des conclusions déraisonnables à l'égard de la demande des demanderesses.

[19]            Je suis d'avis que les arguments soulevés par les demanderesses sont simplement une tentative visant à ce que la Cour apprécie à nouveau la preuve. Comme Mme la juge Snider l'a mentionné dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1146, un désaccord à l'égard de la manière selon laquelle la Commission a apprécié la preuve ne constitue pas un motif de contrôle judiciaire. Le seul cas où la Cour appréciera la preuve est lorsqu'une conclusion quant à la crédibilité défavorable a été tirée d'une façon abusive et arbitraire sans qu'il ait été tenu compte des éléments pertinents présentés.

[20]            La décision de la Commission était raisonnable puisque M. le juge Martineau a mentionné ce qui suit à l'égard de la crédibilité et de la crainte subjective dans la décision R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 162, aux paragraphes 7 et 8 :

7          L'évaluation de la crédibilité d'un demandeur constitue l'essentiel de la compétence de la Commission. La Cour a statué que la Commission a une expertise bien établie pour statuer sur des questions de fait, et plus particulièrement pour évaluer la crédibilité et la crainte subjective de persécution d'un demandeur : voir Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. 1800, au paragr. 38 (QL) (1re inst.); Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, au paragr. 14.

8          En outre, il a été reconnu et confirmé qu'en ce qui concerne la crédibilité et l'appréciation de la preuve, la Cour ne peut pas substituer sa décision à celle de la Commission si le demandeur n'a pas réussi à établir que la décision de la Commission était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte des éléments dont elle disposait : voir Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 296, au paragr. 14 (QL) (1re inst.) (Akinlolu); Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1124, au paragr. 9 (QL) (1re inst.) (Kanyai); le motif de contrôle prévu à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale.

[21]            La Commission a effectivement tenu compte du prétendu manque de subtilité d'esprit de la DP et de la franchise relative du témoignage de la fille de la DP qui sont, selon ce qu'allèguent les demanderesses, les deux facteurs principaux que la Commission a omis de prendre en compte. Au contraire, la Commission a expressément tenu compte du manque de subtilité d'esprit (page 2 de la décision) et du témoignage « raisonnablement clair » de la fille de la DP (page 3 de la décision).

[22]            La présente demande de contrôle judiciaire est simplement une tentative visant à ce que la Cour apprécie à nouveau la preuve examinée par la Commission. L'appréciation de la preuve effectuée par la Commission était raisonnable, notamment quant aux incohérences relatives à la participation de l'époux de la DP aux activités de l'Église prétendument illégale.

[23]            En ce qui concerne la prétention à l'égard de la véracité du témoignage de la fille de la DP, je dois signaler que la Commission a également conclu que ce témoignage comportait une incohérence majeure. De plus, la fille de la DP se fonde sur la demande d'asile de la DP; en faisant cela, elle se fonde également sur le témoignage de la DP. Je suis d'avis que les conclusions tirées par la Commission à l'égard des incohérences contenues dans le témoignage de la fille de la DP étaient raisonnables, compte tenu du manque de crédibilité du témoignage de la DP à l'égard de sa demande d'asile sur laquelle sa fille se fondait.

[24]            Comme le juge Martineau a mentionné dans la décision RKL, précitée, la Cour ne substituera pas sa décision à celle de la Commission dans les cas où la décision de la Commission est raisonnable. La décision de la Commission était raisonnable.

JUGEMENT

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Paul U.C. Rouleau »

Juge suppléant

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-327-05

INTITULÉ :                                        XIU XING GAN et WAN LAN SHEN

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 29 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :             LE JUGE ROULEAU, J.S.

DATE DES MOTIFS :                       LE 14 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Marvin Moses

POUR LES DEMANDERESSES

M. Lunney

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marvin Moses Law Office

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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