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Date : 20210825


Dossier : T-1862-15

Référence : 2021 CF 872

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 25 août 2021

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

1 395 804 ONTARIO LTD., FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM DE BLACKLOCK’S REPORTER

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS :

[1] Dans la présente requête en appel qu’elle a présentée en vertu du paragraphe 51(1) des Règles des Cours fédérales (les Règles), la demanderesse, 1395804 Ontario Ltd., faisant affaire sous le nom de Blacklock’s Reporter (Blacklock), sollicite l’annulation de l’ordonnance rendue le 29 avril 2021 (l’ordonnance) par la protonotaire Molgat (la protonotaire), juge responsable de la gestion de l’instance. Blacklock s’oppose principalement à l’ordonnance au motif que la protonotaire a exempté le défendeur, le procureur général du Canada (le procureur général), de l’obligation d’obtenir l’autorisation de déposer une demande reconventionnelle.

[2] Pour les raisons qui suivent, l’appel est rejeté au motif que l’ordonnance relevait de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la protonotaire. Eu égard à la norme de contrôle énoncée aux paragraphes 66 à 79 de l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 [Hospira], j’estime que rien ne justifie l’intervention de la Cour.

Le contexte

[3] La présente action contre Parcs Canada est l’une des 13 actions (les actions connexes) intentées par Blacklock contre divers ministères et organismes du gouvernement fédéral. Blacklock est une agence de presse en ligne qui offre des services de nouvelles par abonnement. Blacklock prétend que les divers ministères et organismes du gouvernement fédéral ont copié et distribué ses articles et y ont accédé et qu’ils ont ainsi contrevenu à la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‑42 [la Loi]. La protonotaire est responsable de la gestion de ces 13 actions connexes, bien qu’à la date pertinente, les parties avaient seulement donné suite à l’action intentée contre Parcs Canada. Les autres actions connexes ont été suspendues en attendant l’issue de l’action contre intentée Parcs Canada.

[4] Lors d’une conférence de gestion de l’instance tenue le vendredi 3 juillet 2020, Blacklock a fait part de son intention de se désister de l’action intentée contre Parcs Canada. Dans le cadre de cette action, le procureur général avait précédemment déposé une requête en jugement sommaire, mais les démarches relatives à cette requête étaient à l’arrêt en attendant que les parties s’entendent sur la suite qui devait être donnée à la requête.

[5] Deux mesures ont conduit à la délivrance de l’ordonnance par la protonotaire. Premièrement, le dimanche 5 juillet 2020, le procureur général a signifié à Blacklock et transmis à la Cour une défense modifiée et une demande reconventionnelle (la demande reconventionnelle). Deuxièmement, le lundi 6 juillet 2020, Blacklock a déposé un avis de désistement (le désistement).

[6] L’ordre dans lequel la demande reconventionnelle et le désistement ont été déposés est important, car il permet de savoir si la requête en jugement sommaire présentée par le procureur général peut suivre son cours. Si le dépôt du désistement a précédé celui de la demande reconventionnelle, il met fin à l’action et la requête en jugement sommaire ne peut suivre son cours. En revanche, si la demande reconventionnelle a été déposée en premier, le désistement ne s’applique pas à cette demande et à son contenu.

L’ordonnance visée par l’appel

[7] Dans l’ordonnance qu’elle a rendue, la protonotaire reconnaît qu’une ordonnance s’imposait en raison des questions de procédure qui ont été soulevées et du fait que les perspectives de parvenir à un règlement ont été compromises par les positions inflexibles des parties.

[8] La protonotaire a examiné l’argument de Blacklock selon lequel, en raison de l’application des paragraphes 143(1) et 71.1(3) des Règles, la date de prise d’effet de la signification de la demande reconventionnelle est réputée être le lundi 6 juillet 2020; la demande a donc été déposée [traduction] « en même temps que » le désistement. De plus, le procureur général n’a pas obtenu l’autorisation, conformément à l’article 172 et au paragraphe 207(1) des Règles, de déposer des actes de procédure modifiés : sa demande reconventionnelle ne peut donc être considérée comme ayant été déposée avant le désistement.

[9] Le procureur général a affirmé que l’article 142 des Règles autorise la signification d’un document le dimanche et que Blacklock avait reconnu avoir reçu la demande reconventionnelle avant de signifier son désistement. Selon le procureur général, le critère pour établir s’il y a lieu d’autoriser le dépôt d’un acte de procédure modifié consiste à se demander s’il y a préjudice. Le procureur général a fait valoir que Blacklock ne subissait aucun préjudice parce que les questions en litige soulevées dans la demande reconventionnelle ne sont ni nouvelles ni prescrites et qu’elles pourraient être soulevées dans une nouvelle action intentée contre elle par le procureur général, le cas échéant.

[10] Après avoir examiné les arguments des parties, la protonotaire a rappelé l’article 3 des Règles et le principe directeur selon lequel il est dans l’intérêt de la justice que l’action soit réglée de la manière la plus expéditive possible.

[11] La protonotaire a rejeté la prétention de Blacklock selon laquelle la Cour doit traiter la demande reconventionnelle et le désistement comme si ceux-ci avaient été [traduction] « présentés et déposés en même temps » à l’ouverture des bureaux de la Cour le lundi 6 juillet 2020. Elle a souligné que la prétention de Blacklock ne reposait sur aucun fondement légal. De plus, elle a fait remarquer que Blacklock avait reconnu avoir reçu la demande reconventionnelle avant de déposer son désistement. Dans ces circonstances, la protonotaire a conclu que la demande reconventionnelle avait été signifiée et déposée avant le désistement de l’action.

[12] La protonotaire a reconnu qu’étant donné que les actes de procédure étaient clos, le procureur général aurait normalement dû demander l’autorisation de déposer sa demande reconventionnelle. Toutefois, comme elle a estimé qu’il n’y avait aucun préjudice pour Blacklock, la protonotaire a jugé qu’il était dans l’intérêt de la justice d’exempter le procureur général d’obtenir l’autorisation de déposer sa demande reconventionnelle et elle a ordonné que cette demande soit considérée comme ayant été signifiée et déposée avant le désistement de l’action.

Les questions en litige

[13] Dans le cadre du présent appel, Blacklock cherche à faire annuler l’ordonnance du 29 avril 2021 au motif que la protonotaire a commis une erreur de droit, une erreur mixte de fait et de droit et une erreur d’appréciation des faits eu égard aux trois questions suivantes :

  1. l'exclusion de compétence visée à l’article 297 des Règles;

  2. l’incidence d’un désistement;

  3. l’exemption de l’obligation de demander une autorisation.

La norme de contrôle

[14] Selon la norme de contrôle applicable, « les ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne devraient être infirmées que lorsqu’elles sont erronées en droit, ou fondées sur une erreur manifeste et dominante quant aux faits » (Hospira, au para 64).

[15] Une erreur manifeste et dominante est une erreur qui est évidente et apparente, « dont l’effet est de vicier l’intégrité des motifs » (Maximova c Canada (Procureur général), 2017 CAF 230, au para 5).

[16] La norme de la décision correcte est une norme de contrôle qui ne commande aucune déférence, c’est-à-dire que la Cour peut substituer sa propre opinion, son propre pouvoir discrétionnaire ou sa propre décision à celui du protonotaire (Hospira, au para 68; Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, au para 58).

Analyse

A. L’exclusion de compétence au titre de l’article 297 des Règles

[17] Blacklock soutient que la protonotaire n’a pas agi dans les limites que l’article 297 des Règles impose à l’exercice de sa compétence parce qu’elle a permis que la requête en jugement sommaire présentée par le procureur général suive son cours au motif que l’action sous-jacente est une procédure simplifiée. L’article 297 dispose : « Aucune requête en jugement sommaire ou en procès sommaire ne peut être présentée dans une action simplifiée. »

[18] Blacklock soutient qu’étant donné que certains faits sont contestés, le procureur général ne peut pas procéder par voie de requête en jugement sommaire. Pour étayer son argument, elle s’appuie sur la décision D.E. Rodwell Investigative Services Ltd. c Bande indienne de la nation Crie D’enoch, 2003 CFPI 509 [Rodwell]. Cependant, il convient de souligner que la question en litige dans l’affaire Rodwell portait sur le dépôt d’une requête par rapport à la tenue d’une conférence préparatoire à l’instruction. De plus, il est clair que dans l’affaire Rodwell, le protonotaire a rendu une décision discrétionnaire adaptée aux faits de cette affaire et aux questions qui y étaient soulevées. Quoi qu’il en soit, la décision Rodwell ne permet pas de conclure qu’une requête en jugement sommaire ne peut jamais être présentée dans le cadre d’une action simplifiée.

[19] De plus, l’argument de Blacklock ne tient pas compte de l’alinéa 298(3)a) des Règles qui autorise la présentation d’une requête visant à exclure une action de l’application des dispositions des Règles relatives aux actions simplifiées.

[20] Sur ce point, la protonotaire a tiré la conclusion suivante à la page 12 de son ordonnance :

[traduction]
Plus de deux ans se sont écoulés depuis que les parties ont convenu que le procureur général du Canada allait procéder par voie de requête en jugement sommaire et que les actions connexes allaient être suspendues en attendant l’issue de cette requête. Malgré l’article 297 des Règles, la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire d’instruire une requête en jugement sommaire (voir Source Enterprise; Lepage c Canada, 2017 CF 1136, aux para 48-52).

[21] Contrairement aux observations de Blacklock, les jugements sur lesquels la protonotaire s’est appuyée (Source Enterprise; Lepage) démontrent que dans les circonstances appropriées, le pouvoir discrétionnaire peut être exercé pour exclure une action de l’application des dispositions des Règles relatives aux actions simplifiées. De plus, l’article 385 des Règles confère à la protonotaire le pouvoir nécessaire pour prendre des mesures qui permettent « d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ». Dans l’ordonnance qu’elle a rendue, la protonotaire a expressément mentionné que la requête en jugement sommaire pouvait permettre de régler la plupart sinon la totalité des actions connexes.

[22] Bien que Blacklock s’oppose à l’utilisation par la protonotaire du mot anglais « potential » [peut ou possibilité] quant au règlement des questions en litige entre les parties dans les actions connexes qui peut découler de la requête en jugement sommaire, il s’agit, à mon avis, d’une décision discrétionnaire qui relève bien du pouvoir de la protonotaire.

[23] La protonotaire a examiné les arguments avancés par les parties ainsi que les Règles. En tant que responsable de la gestion de l’instance, elle est la mieux placée pour considérer les objectifs des Règles et leur incidence possible sur les questions en litige entre les parties. Elle a également une connaissance et une expérience directes de la conduite et des motivations des parties. Cette connaissance et le contexte dans lequel s’inscrit le litige sont des facteurs déterminants dans l’exercice d’un pouvoir décisionnel discrétionnaire. En l’espèce, l’ordonnance démontre que la protonotaire a soupesé tous ces facteurs dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[24] À mon avis, les motifs fournis par la protonotaire justifient amplement son ordonnance. Dans son ordonnance, la protonotaire a explicitement pris en considération tous les facteurs soulevés par les parties. En appel, la cour de révision n’a pas à se demander si la protonotaire a rendu la bonne décision, mais seulement si elle a bien exercé son pouvoir discrétionnaire.

[25] À mon avis, la décision de la protonotaire sur ce point est manifestement le résultat de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et, sauf erreur manifeste et dominante, rien ne justifie l’intervention de la Cour.

B. L’incidence d’un désistement

[26] Blacklock soutient que la protonotaire n’a pas tenu compte de l’article 143 et du paragraphe 71.1(3) des Règles ni de ses propres directives lorsqu’elle a conclu que la demande reconventionnelle avait été déposée avant le désistement.

[27] L’article 143 dispose :

Date de prise d’effet – signification le soir ou un jour férié

143 (1) La signification d’un document, autre qu’un acte introductif d’instance ou un mandat, qui est effectuée après 17 heures, heure du destinataire, ou un jour férié prend effet le jour suivant qui n’est pas un jour férié.

[28] Le paragraphe 71.1(3) dispose :

Présentation un jour férié

(3) Le document qui est présenté pour dépôt un jour férié est réputé avoir été présenté pour dépôt le jour suivant qui n’est pas un jour férié.

[29] La protonotaire a reconnu l’existence de ces dispositions, mais a également souligné qu’elle a le pouvoir, en vertu du paragraphe 385(1)a) des Règles, « sans égard aux délais prévus par les présentes règles », d’exempter une partie de l’obligation de respecter les délais qui y sont prescrits. Il s’agit sans contredit d’une décision discrétionnaire.

[30] S’agissant des directives, lors de la conférence de gestion de l’instance du 3 juillet 2020, Blacklock a fait part de son intention de se désister de l’action contre Parcs Canada. Par suite de cette annonce, la protonotaire a donné des directives le 5 juillet 2020, dans lesquelles elle enjoignait, en partie, à [traduction] « la demanderesse [de] signifier et déposer un avis de désistement au plus tard le 6 juillet 2020 ». Dans ces directives, la protonotaire fixait également les dates limites des prochaines étapes nécessaires à la poursuite des autres instances. Conformément à ces directives, Blacklock a déposé son avis de désistement. Toutefois, les directives de la protonotaire étaient muettes sur la question du dépôt d’une demande reconventionnelle par le procureur général, car cet élément n’aurait vraisemblablement pas fait l’objet de discussions lors de la conférence de gestion de l’instance.

[31] Comme les directives ne disent rien au sujet de la demande reconventionnelle, Blacklock n’a pas établi que la protonotaire avait commis une erreur dans ses directives.

[32] Dans sa lettre du 5 juillet 2020 adressée au greffe de la Cour, le procureur général dit que son client (Parcs Canada) lui a donné l’instruction de déposer la demande reconventionnelle (jointe à sa lettre) et que cette demande a été signifiée à Blacklock. Il dit également dans sa lettre : [traduction] « J’estime ne pas avoir besoin de demander une autorisation, mais je le ferai si la Cour l’exige. »

[33] Blacklock soutient que cette lettre démontre qu’il était inapproprié pour la protonotaire d’autoriser le dépôt de la demande reconventionnelle puisque le procureur général a reconnu qu’une autorisation était nécessaire pour déposer la demande reconventionnelle. Blacklock soutient que dans sa lettre, le procureur général dit clairement que la demande reconventionnelle n’a pas été présentée pour [traduction] « dépôt », mais plutôt pour [traduction] « examen ». Par conséquent, selon l’argument de Blacklog, la protonotaire n’aurait pas dû considérer cette demande comme ayant été déposée.

[34] L’observation de Blacklock sur ce point pose problème étant donné que la protonotaire a examiné à quel moment les mesures ont été prises par les parties pendant la fin de semaine ainsi que l’incidence potentielle du libellé des Règles. Or, dans les circonstances, la protonotaire a décidé d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confèrent les Règles. Sur ce point, la protonotaire a conclu comme suit à la page 9 de son ordonnance :

[traduction]
Sous réserve de l’article 190 des Règles, il ne fait aucun doute qu’une fois déposé, l’avis de désistement met fin à l’instance et fait en sorte que le dossier de la Cour est clos (voir Olumide c Canada, 2016 CAF 287, aux para 27-30). Toutefois, après avoir examiné et pris en compte toutes les circonstances, je rejette l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la Cour doit traiter la demande reconventionnelle et le désistement comme ayant été « présentés et déposés en même temps » à l’ouverture de la Cour le lundi 6 juillet 2020. Qui plus est, la demanderesse n’a appuyé sur aucune source son affirmation selon laquelle lorsqu’une demande reconventionnelle et un avis de désistement sont déposés « en même temps », le désistement l’emporte sur la demande reconventionnelle et vient clore le dossier de la Cour.

[35] Blacklock présente des arguments similaires, à savoir que la protonotaire n’a pas suivi les exigences énoncées aux articles 72 et 74 des Règles. Cependant, à la page 10 de son ordonnance, la protonotaire dit :

[traduction]
La demanderesse soutient que la demande reconventionnelle aurait dû être soumise à la Cour pour que celle‑ci donne ses directives, mais cette question relève de l’appréciation de l’administrateur. Le libellé de l’alinéa 72(1)b) des Règles n’est pas impératif, et la demande reconventionnelle a été acceptée pour dépôt. Quant à l’argument de la demanderesse selon lequel la demande reconventionnelle devrait dès à présent être retirée du dossier de la Cour au motif qu’elle n’a pas été déposée conformément aux Règles, je ne suis pas d’accord. Alors que l’article 72 des Règles concerne le défaut de remplir les conditions préalables au dépôt d’un document, l’article 74 des Règles porte sur le retrait d’un document pour cause de « vice de fond fatal », et j’estime que ce n’est pas le cas en l’espèce (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tennant, 2018 CAF 132, au para 7).

[36] L’argument de Blacklock est erroné, car il favorise une interprétation littérale des Règles sans tenir compte du large pouvoir discrétionnaire accordé à la protonotaire dans les circonstances.

[37] De plus, Blacklock cherche à traiter l’action contre Parcs Canada distinctement des actions connexes. Or, ce point de vue ne cadre pas avec la façon dont la protonotaire perçoit la présente action et les actions connexes ni avec l’incidence que les conclusions sur des questions précises pourraient avoir pour l’ensemble des actions.

[38] La protonotaire a réglé la question concernant le moment où la demande reconventionnelle avait été déposée au moyen d’une ordonnance nunc pro tunc dont l’effet a été d’autoriser le « dépôt » de la demande reconventionnelle à la date de sa présentation. Il s’agit d’une décision relevant du pouvoir discrétionnaire de la protonotaire.

[39] Comme la protonotaire a expressément pris en compte l’incidence des Règles, l’argument de Blacklock selon lequel la protonotaire n’a pas tenu compte des Règles est sans fondement.

C. L’exemption de l’obligation de demander une autorisation

[40] Blacklock soutient que la protonotaire a commis une erreur de droit dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 385 des Règles parce qu’elle n’a pas tenu compte du préjudice que subirait Blacklock si elle devait répondre à une requête en jugement sommaire dans le cadre de l’action (Parcs Canada) dont elle s’est désistée.

[41] Toutefois, la protonotaire a examiné cette question et en a tenu compte pour conclure que l’issue de la requête en jugement sommaire pouvait [traduction] « sceller le sort de la plupart sinon la totalité des actions connexes ».

[42] De même, Blacklock soutient qu’il était inapproprié pour la protonotaire d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 385 des Règles à l’égard des actions connexes parce que cette disposition ne l’autorise à prendre que les mesures nécessaires pour permettre d’apporter une solution « au litige » qui soit la plus expéditive possible. En d’autres termes, selon Blacklock, le pouvoir discrétionnaire ne peut être exercé que dans « un seul » litige.

[43] La protonotaire fait les remarques suivantes à la page 10 de son ordonnance :

[traduction]
Le juge responsable de la gestion de l’instance peut donner toute directive ou rendre toute ordonnance nécessaire pour permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. De plus, le paragraphe 385(1) des Règles « s’apparente » à l’article 55 des Règles – qui dispose que la Cour peut modifier une règle ou exempter une partie ou une personne de son application –, et ces pouvoirs doivent être exercés dans le respect des principes d’équité procédurale (voir Mazhero c Fox, 2014 CAF 219 aux para 2-6; Canada (Revenu national) c Mcnally, 2015 CAF 195 aux para 8-9).

[44] D’après l’argument avancé par Blacklock, le pouvoir discrétionnaire que les Règles confèrent à la protonotaire ne peut être exercé que dans une seule instance (Parcs Canada), et non dans les autres (actions connexes). Je ne souscris pas à cette interprétation des Règles. Selon le sens ordinaire de son libellé, l’article 385 confère à la protonotaire un large pouvoir discrétionnaire à l’égard de l’action ou des actions connexes. De plus, les actions connexes ont fait l’objet d’une gestion conjointe d’instances de la part de la protonotaire, et elle a jugé que l’issue de la requête en jugement sommaire dans une seule action pouvait régler le sort des autres actions. Il s’agissait donc de la façon la plus expéditive d’apporter une solution au litige.

[45] Le pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 385 des Règles est large et rien ne justifie que la Cour modifie l’ordonnance rendue par la protonotaire.

Conclusion

[46] En conclusion, je tiens à souligner le passage suivant tiré du paragraphe 103 de l’arrêt Hospira :

[...] Le juge des requêtes [...] fera toujours bien de se rappeler que le protonotaire responsable de la gestion de l’instance connaît très bien les questions et les faits particuliers de l’affaire, de sorte que l’intervention ne doit pas être décidée à la légère. [...] Sauf erreur donnant ouverture à annulation, la déférence est appropriée ou applicable aux décisions du protonotaire chargé de la gestion de l’instance […]

[47] Blacklock n’a pas démontré que la protonotaire a commis une erreur donnant ouverture à annulation.

[48] Pour les motifs qui précèdent, je rejette l’appel et j’adjuge au procureur général, au titre des dépens, la somme globale de 1 000 $.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-1862-15

LA COUR ORDONNE :

La présente requête en appel est rejetée.

La somme globale de 1 000 $ est adjugée au procureur général du Canada, au titre des dépens.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1862-15

 

INTITULÉ :

1395804 ONTARIO LTD. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 août 2021

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

La juge MCDONALD

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 25 août 2021

 

COMPARUTIONS :

Scott Miller

 

Pour la demanderesse

Andrew Gibbs

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MBM Intellectual Property Law LLC

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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