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Date : 20041109

Dossier : IMM-8976-04

Référence : 2004 CF 1581

ENTRE :

                                                               HASSAN ZOKAI

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY

[1]                Voici les motifs pour lesquels la Cour a ordonné la suspension du renvoi du demandeur du Canada jusqu'à ce que soit examinée la demande d'autorisation et, si cette autorisation est accordée, la demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable sur l'évaluation du risque avant le renvoi rendue le 15 octobre 2004 et reçue par le demandeur le 21 octobre 2004.

[2]                Il appert que, lors de l'instruction de l'affaire le 1er novembre 2004, aucune date n'avait été fixée pour le renvoi du demandeur du Canada. La seule assurance que son avocat a pu obtenir était que son client ne serait pas renvoyé avant le 2 novembre.

[3]                Lors de l'instruction de l'affaire, l'avocat du ministre défendeur a soutenu que la présente demande ne soulevait aucune question grave mais que, si la Cour était disposée à accepter cet argument et estimait que la demande soulevait effectivement une question grave, l'avocat admettrait alors que la preuve d'un préjudice irréparable avait été faite et que la prépondérance des inconvénients favorisait l'accueil de la demande du demandeur.

[4]                Ainsi, la seule question litigieuse que les parties ont débattue à l'audience était celle de savoir si la demande principale d'autorisation et de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse qui est valable et qui n'est pas frivole ou vexatoire.

[5]                Sans préjuger la décision que le juge qui examinera la demande d'autorisation pourra rendre lorsque celle-ci sera en état d'être jugée, je suis d'avis que la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire déposée le 22 octobre 2004 soulève une question sérieuse à juger.


[6]                Un bref rappel des faits nous permettra de retenir les faits essentiels suivants. Le demandeur est arrivé du Canada en provenance de l'Iran, son pays d'origine, et il a présenté une demande d'asile qui a été refusée en 1996. Il a été expulsé en Iran en juin 1998 et il explique qu'à son arrivée là-bas, il a été détenu, interrogé puis relâché à la condition de se présenter chaque semaine à un poste de police. Trois mois plus tard, il a été mis en isolement cellulaire, a été torturé pendant un an puis a été détenu pendant les cinq années qui ont suivi sans mise en accusation et sans procès. Il a été remis en liberté en 2004.

[7]                Craignant que les forces de sécurité se servent de lui pour pourchasser des membres de la foi qu'il professait, il s'est de nouveau enfui au Canada. Il est arrivé à l'aéroport Pearson le 24 avril 2004. Il a été détenu dès son arrivée, a été jugé non admissible au Canada mais s'est vu accorder la possibilité de présenter une demande d'évaluation du risque avant le renvoi (ERAR) au motif qu'il était une personne à protéger.


[8]                La demande ERAR a été présentée le 8 octobre. Elle était accompagnée d'observations écrites dans laquelle le demandeur mentionnait qu'il avait demandé aux membres de sa famille qui se trouvaient en Iran des éléments de preuve pour appuyer ses dires, au sujet notamment de son incarcération, des décès survenus dans sa famille et d'un avis qu'il avait reçu chez lui après son départ de l'Iran et qui le sommait de se présenter aux autorités pour répondre à des allégations suivant lesquelles ses activités allaient à l'encontre de certains préceptes religieux de l'État. Il réclamait aussi, dans sa demande ERAR, la tenue d'une audience, compte tenu surtout du rejet de sa première demande d'asile et de l'importance de faire la preuve des faits survenus depuis. Il cherchait, par ces observations, à démontrer l'existence de facteurs justifiant la tenue d'une audience eu égard aux circonstances de l'espèce. À la suite de ses observations ERAR, des étudiants du Toronto Refugee Affairs Council ont écrit en son nom pour obtenir une copie de la première décision de 1996 le déboutant de sa demande d'asile ainsi qu'une copie de toute décision prise au point d'entrée et des notes prises au sujet de son arrivée récente. La décision de 1996 n'a été communiquée avec un affidavit souscrit au nom du défendeur que le jour de l'instruction de la demande de suspension.

[9]                M. Zokai a remis le 18 octobre 2004 à ses mandataires de Toronto la copie de la sommation lui enjoignant de se présenter aux autorités iraniennes qu'il a par la suite reçue. Le 28 octobre, ses mandataires ont réussi à obtenir que M. Zokai soit examiné par un médecin, dont le bref rapport portant la même date a été versé au dossier. Malheureusement pour ses mandataires et pour lui-même, M. Zokai a appris que le fonctionnaire chargé d'examiner les risques avant le renvoi avait pris une décision défavorable le 15 octobre avant d'avoir reçu les documents que M. Zokai tentait de lui soumettre et sans l'avoir entendu dans le cadre d'une audience.

[10]            Dans sa décision, l'agent chargé d'examiner les risques avant le renvoi mentionne la décision défavorable de 1996. Il explique ce qui suit :


[TRADUCTION] Le demandeur est retourné en Iran avant de revenir au Canada le 26 septembre 2004. Il semble raisonnable de penser qu'ayant déjà présenté une demande d'asile, il aurait eu l'occasion de recueillir les documents nécessaires lui permettant d'appuyer la nouvelle demande d'asile qu'il voulait présenter ou de répondre aux préoccupations de la Commission. Je crois comprendre que le demandeur a été détenu pendant six ans avant de recouvrer sa liberté avec l'aide de ses soeurs [...] La preuve objective est insuffisante, ainsi que la preuve à l'appui et on ne m'a pas convaincu d'en arriver à une conclusion différente de celle qu'a tirée la Commission en vertu de l'article 96 de la Loi (c.-à-d. la décision de 1996 le déboutant de sa demande d'asile). Je ne suis pas convaincu non plus que le demandeur serait exposé au risque d'être torturé, que sa vie serait en danger ou qu'il serait exposé à un traitement ou des peines cruels et inusités.                   [Passage entre parenthèses ajouté].

[11]            L'agent ne parle pas de la demande d'audience dans sa décision. Au contraire, dans le formulaire de décision ERAR, à la question « une audience a-t-elle été tenue? » , il a coché « non » .


[12]            J'estime que les circonstances de l'espèce soulèvent des doutes quant à l'équité de la procédure suivie lors de l'examen de la demande ERAR du demandeur. Dans le cas qui nous occupe, le demandeur a expressément réclamé la tenue d'une audience en vertu de l'alinéa 113b) de la Loi et de l'article 167 de son règlement d'application. L'article 167 énumère les facteurs qui servent à décider s'il y a lieu de tenir une audience. Ces facteurs ont trait à la question de savoir si des éléments de preuve déterminants en ce qui concerne la demande de protection soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur. Dans sa décision, l'agent d'examen des risques avant le renvoi ne fait aucune mention des ces facteurs ou de tout autre facteur l'ayant conduit à refuser de tenir une audience malgré la demande écrite qui lui en avait été faite. Rien dans sa décision ne permet de penser que l'agent a envisagé l'opportunité de tenir une audience hormis son indication qu'aucune audience n'a été tenue. Qui plus est, le délai - sept jours après la réception de la demande - dans lequel a été prise la décision, dans laquelle l'agent souligne l'insuffisance d'éléments de preuve objectifs et de preuve à l'appui, malgré le fait que le demandeur l'avait informé qu'il était en train de recueillir de tels éléments de preuve, empêchait à toutes fins utiles le demandeur de soumettre des renseignements ou des éléments de preuve au sujet de l'évolution de sa situation après son expulsion en Iran. Il lui devenait dès lors impossible de présenter de nouveaux éléments de preuve hormis ses propres observations et celles faites par écrit par ses mandataires.

[13]            Je ne prétends pas que toute demande d'audience doit automatiquement être accordée. Il n'en demeure pas moins qu'en l'espèce, une demande d'audience a été formulée et que des faits ont été allégués à l'appui de cette demande. Pourtant, dans sa décision, l'agent chargé d'examiner les risques avant le renvoi ne précise pas s'il a examiné cette demande, il ne mentionne pas les faits allégués à l'appui ou les facteurs qui, aux termes du Règlement, doivent être soupesés lors de l'examen de la demande. Qui plus est, l'agent a essentiellement décidé qu'il ne fallait pas ajouter foi au récit du demandeur ou aux craintes qu'il affirmait avoir. Ce faisant, l'agent a effectivement écarté le témoignage du demandeur, estimant qu'il n'était pas digne de foi, sans pour autant mentionner explicitement qu'il y avait un problème de crédibilité. La démarche que l'agent a suivie pour rendre sa décision était en fin de compte inéquitable, d'autant plus que la célérité avec laquelle il l'a rendue a empêché le demandeur de présenter ses preuves à l'appui dans un délai raisonnable.

[14]            Cette iniquité justifie à mon avis l'intervention de la Cour, qui suspendra le renvoi du demandeur en attendant que soit tranchée la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la demande ERAR, le tout sans préjuger l'examen de la demande d'autorisation par un juge une fois que la demande aura été mise en état.


[15]            Ainsi, la Cour rendra une ordonnance suspendant le renvoi du demandeur en attendant cet examen et, si l'autorisation est accordée, en attendant que soit tranchée la demande de contrôle judiciaire.

                                                                      « W. Andrew MacKay »                

                                                                                                     Juge                                

Ottawa (Ontario)

Le 9 novembre 2004

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-8976-04

INTITULÉ :                                                    HASSAN ZOKAI

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 1er NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               MONSIEUR LE JUGE W. ANDREW MACKAY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 9 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Sil Salvaterra                                                                             POUR LE DEMANDEUR

Bernard Assan                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Community and Legal Aid Services Program                  POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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