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Date : 20040129

Dossier : IMM-2758-02

Référence : 2004 CF 143

Montréal (Québec), le 29 janvier 2004

Présente : L'honorable juge Tremblay-Lamer

ENTRE :

                               ALISSA KHON

                                                    partie demanderesse

                                    et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                          ET DE L'IMMIGRATION

                                                    partie défenderesse

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié ( « le tribunal » ), selon laquelle la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention.

[2]                 Les faits sont résumés comme suit par le tribunal dans sa décision :

[3]                 La demanderesse est une jeune femme de 22 ans.

[4]                 À la fin de juin 2000, une amie lui présenta un jeune Kazakh, un nommé Nurzhan Zhakenov, avec qui elle a établi une relation intime.

[5]                 Cependant, ayant détecté en lui une certaine arrogance et supériorité, traits qu'elle n'appréciait aucunement, elle lui suggéra de prendre un recul afin de lui donner le temps de réfléchir, ce qu'il ne prit guère. Il l'appela à maintes reprises pour l'insulter.

[6]                 Le 12 août 2000, l'ayant rencontrée avec un groupe d'amis coréens, il l'aurait insultée et attaquée; un ami vint à sa défense; la police étant arrivée sur les lieux, elle arrêta Nurzhan et l'ami de la demanderesse. Ils furent libérés quelque temps après.

[7]                 Le lendemain, Nurzhan s'est présenté au domicile de la demanderesse. Elle refusa d'ouvrir la porte; il l'injuria et la menaça de mort. Une voisine appela la police qui, après une conversation avec Nurzhan, le laissa partir.

[8]                 Nurzhan continua ses appels téléphoniques de menaces; la demanderesse n'osait plus sortir de chez elle. Après avoir subi ce traitement pendant deux semaines, la demanderesse se rendit chez sa mère qui lui conseilla de s'exiler pour quelques temps, espérant que Nurzhan l'oublierait.

[9]                 Elle quitta le Kazakhstan pour la Hollande le 12 septembre 2000 et y séjourna jusqu'au 7 octobre 2000.

[10]            À son retour, Nurzhan recommença à la harceler malgré le fait que sa mère en avait avisé la police et que la police avait promis d'avoir une conversation sérieuse avec lui. La demanderesse alla donc demeurer chez une amie.

[11]            Le 22 octobre 2000, Nurzhan fit irruption chez son amie en forçant la porte d'entrée. Il aurait battu la demanderesse et l'aurait menacée de conséquences graves si elle ne se présentait pas chez lui le lendemain.

[12]            Son amie subit un choc nerveux. Quant à la demanderesse, elle dut passer quatre jours à l'hôpital où elle reçut la visite de la police, appelée par le médecin traitant. Cependant, bien que le policier ait ouvert un dossier, elle n'eut aucune nouvelle de lui par la suite. À la sortie de l'hôpital, la demanderesse se réfugia chez la grand-mère de son amie. Nurzhan continua ses appels téléphoniques de menaces à sa mère et à son amie.

[13]            Craignant pour sa vie, sa mère et elle prirent la décision qu'elle devait quitter son pays et aller vivre au Canada. La demanderesse quitta le Kazakhstan le 3 décembre 2000. Elle arriva au Canada le 4 décembre 2000 et revendiqua le statut de réfugié à son arrivée.


[14]            Le tribunal a conclu que la demanderesse n'est pas une réfugiée parce qu'elle n'a pas pris les mesures qui s'imposaient pour obtenir la protection des autorités et parce qu'elle bénéficie d'un refuge interne.

[15]            Je souligne au départ que la demanderesse a soulevé des questions portant sur la compétence du tribunal ainsi que des questions portant sur un déni des principes de justice naturelle. Vu mes conclusions quant aux fondements de la décision, il serait inutile d'en traiter puisque les erreurs identifiées sont suffisantes pour justifier l'intervention de la Cour.

[16]            La revendication de la demanderesse se base sur son appartenance à un groupe social particulier, c'est-à-dire, les femmes victimes de violence. Je suis de cet avis.

[17]            Or, je constate à la lecture des motifs de la décision du tribunal que celui-ci a omis d'examiner la revendication selon les Directives données par la présidente de la CISR en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l'immigration sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe ( « les directives » ).

[18]            Bien que le tribunal n'ait pas l'obligation d'appliquer les directives car celles-ci n'ont pas force de loi, elles doivent être examinées par les membres du tribunal dans les cas appropriés.

[19]            Dans l'arrêt Fouchong c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 1727, le juge MacKay traite de l'application des directives aux paragraphes 10 et 11 :

[10]    Je suis en outre persuadé que, dans les circonstances de l'espèce, le tribunal a eu tort de ne pas examiner explicitement la revendication de la requérante par rapport aux Directives, parce les observations faites par l'avocat de la requérante en l'espèce en ont expressément fait état relativement à la revendication de la requérante. Les Directives n'ont pas force de loi, mais elles sont autorisées par le paragraphe 65(3) de la Loi. Elles ne sont pas obligatoires, mais elles doivent être examinées par les membres du tribunal dans les cas appropriés. Dans une note accompagnant la mise en circulation des Directives, le président de la C.I.S.R. a avisé notamment que, bien qu'elles ne soient pas considérées comme obligatoires,

On s'attend à ce que les commissaires de la section du statut... se conforment aux directives à moins qu'il n'existe des raisons impérieuses ou exceptionnelles pour s'en écarter et adopter analyse différente.

Les particuliers sont en droit de s'attendre à ce que les directives soient suivies à moins qu'il n'existe de raisons impérieuses ou exceptionnelles de s'en écarter.

[11]    Ni les termes des Directives ni ceux de la note de service de la présidente ne permettent à la Cour de décider que, en l'espèce, le tribunal a eu tort de ne pas faire explicitement état des Directives. Le fondement de ma conclusion réside dans la nature de revendication de la requérante et la mention par l'avocat à l'audience du recours aux Directives dans l'examen de la revendication. En toute justice, la revendication ne pouvait être examinée sans qu'il ait été fait mention des Directives. Je ne suggère pas ce que l'issue de cet examen pourrait être, mais, dans les circonstances où la présente revendication a été faite et présentée, il ne suffisait pas pour le tribunal d'exposer simplement sa conclusion "il ne s'agit pas d'un cas violence entre conjoints. Il s'agit d'un cas où la demandeuse craint des attaques criminelles de la part d'un ancien conjoint". [Je souligne].

[20]            Les directives sont émises pour maintenir une certaine cohérence dans les décisions du tribunal. Comme l'indique le juge MacKay lorsque le tribunal fait face à un cas où la demanderesse a présenté une revendication de persécution basée sur son appartenance à un groupe social particulier, c'est-à-dire celui des femmes victimes de violence, en toute justice, la revendication ne peut être examinée sans faire mention des directives.

[21]            Je retiens également une conclusion erronée et non fondée sur la preuve quant au refuge interne dont pourrait bénéficier la demanderesse.

[22]            D'abord, la demanderesse a témoigné que son persécuteur aurait pu la trouver n'importe où au pays parce que son père était le garde du corps personnel de la femme du Président, et qu'il aurait pu s'informer au sujet d'où elle demeurait, preuve qui n'a pas été contredite.

[23]            De plus, la preuve documentaire au dossier révèle qu'au Kazakhstan, tout le monde doit être enregistré. Ceci implique que la demanderesse aurait été forcée de s'enregistrer auprès des autorités dès le moment de son déménagement. Je considère que ce fait est crucial à la question du refuge interne de la demanderesse à l'intérieur du Kazakhstan, et que le tribunal a erré en ignorant cette preuve.

[24]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et l'affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué.

                    « Danièle Tremblay-Lamer »                  

J.C.F.


                     COUR FÉDÉRALE

            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                            

DOSSIER :        IMM-2758-02

INTITULÉ:       ALISSA KHON

                               partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET

DE L'IMMIGRATION

                        

                               partie défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 27 janvier 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE:

L'HONORABLE JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                   Le 29 janvier 2004

COMPARUTIONS:

Me Johanne Doyon              POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Ian Demers                   POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Doyon Morin                     POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg              POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada


Montréal (Québec)


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